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12/12/2020

Bande-son d'un week-end pluvieux...

"J'aime les gens qui doutent". Anne SYLVESTRE

 

Certes, la musique n'endort pas nos chagrins, mais elle a tout de même le pouvoir de les adoucir un peu. Qu'un autre que nous vienne à passer et formule exactement ce que nous ressentons, et la reconnaissance (dans tous les sens du terme) est immédiate. Voilà ce qui m'arrive avec le dernier album d'Asaf Avidan et avec celui de Jane Birkin. Tout ce que j'ai toujours voulu dire sur la vie sans jamais parvenir à le faire se trouve exprimé là, dans ces deux voix singulières. Birkin, dans ce monde où tout passe, c'est comme un radeau solide auquel s'accrocher. Il semblerait que le temps n'ait aucune prise sur elle. Ses traits restent juvéniles malgré la gouache des années. Son accent ne s'est que très vaguement estompé (je sais, je sais, elle l'entretient savamment). La voix s'est chargée d'un peu plus de maturité, mais à peine. Oh ! Pardon tu dormais... est arrivé ce matin au milieu du courrier mouillé. Telle une barque ayant traversé courageusement tous les déluges. Un peu à l'image de celle qui signe les textes de ce nouvel opus. Ces déluges qui ont bousculé sa vie, Jane en a fait des chansons qui se présentent à nous comme des offrandes. L'artiste nous ouvre toute grande la porte de son univers et nous n'en revenons pas d'être là, parmi les fantômes qui lui sont familiers. Nous voilà initiés aux peurs et aux tourments qui sont les siens et nous renvoient fortement aux nôtres. Les morts se sont donné rendez-vous sur cet album. Il y est question de plusieurs disparus. Avec bravoure et sur une musique faussement légère, Birkin évoque la mort de sa fille Kate. Dans un très beau texte en anglais (Ghosts), elle demande à ses morts s'ils se souviennent d'elle. Et c'est bien la question que nous nous posons tous, n'est-ce pas, quand nous nous trouvons face aux « murs épais » qui nous séparent de ceux qui ne sont plus.

Il est également question d'amours bancales qui tiennent plus de la lutte que du corps-à-corps amoureux. L'un pèse sur l'autre, l'autre se tord d'ennui, et l'on sourit amèrement devant le sombre tableau : cela nous rappelle des souvenirs ! Nombreuses sont les mélodies enjouées, voire sautillantes. Mais qu'on ne s'y trompe pas : ici, c'est la cruauté qui triomphe. Même l'enfance n'est plus nimbée de ce voile d'innocence dont on aime la parer parfois, se donnant l'illusion d'un paradis perdu alors que franchement, le paradis, vous l'avez déjà vu, vous, même en enfance ? Il suffit d'écouter Les jeux interdits pour savoir à quoi s'en tenir.

De temps à autre, on croit voir revenir Gainsbourg en filigrane. Ce n'est rien qu'un fantôme de plus. L'empreinte de Daho est forte aussi (forcément). Par moments, les deux pattes se rejoignent, celle de Gainsbourg, celle de Daho, et l'on est heureux d'assister à ce subtil mariage, nous qui aimons et l'un et l'autre...

Cet album, c'est un peu de fausse douceur dans ce monde de brutes. De la dentelle, oui, mais noire comme suie, et coupante. De l'amour, oui, mais de conte défait... Ce n'est pas tellement joyeux, mais Birkin est une grande repriseuse : tout en appuyant là où ça fait mal, elle répare, inlassablement. Cette femme, je l'adore, elle est le lien magique qui m'unit encore à ma mère...

Quant à Asaf Avidan, c'est l'autre claque du moment. Je mets le CD jeudi soir. Et là, je tombe presque à genoux devant cette voix qui n'est qu'écorchure. Je sens l'album traversé de fantômes aussi, à l'instar de celui de Birkin, mais ma connaissance de l'anglais étant ce qu'elle est, je ne peux, pour l'instant, que pressentir, et pas affirmer. Il va falloir que je bûche un peu, dictionnaire à l'appui, comme quand j'étais ado et que je suais sang et eau pour tenter de comprendre les textes de Supertramp et compagnie ! En tout cas, cette voix qui revient tout essoufflée des profondeurs, elle s'adresse directement à l'âme et la fait chavirer.

Voilà, c'est la bande-son de mon week-end, et je ne me plains pas. Là-dessus, annoncez-moi la sortie imminente d'un album de Thiéfaine, et la mélancolie deviendra presque joyeuse ! J'ai bien dit « presque »...