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13/01/2021

Ombre et lumière...

"Un matin ce sera quand même le printemps". Louis CALAFERTE

 

« Ma fille s'est foutue en l'air, et par terre on l'a retrouvée », chante Birkin sur son dernier album (que je ne cesse de recommander à tous). La musique de cette chanson, Cigarettes, est insolemment entêtante, comme un parfum qui s'agripperait à tous les pores de votre peau. Entendue le matin, cette chanson vous accompagne sans répit jusqu'au coucher, en ayant pris soin de vous fracasser. Birkin a expliqué à plusieurs reprises qu'elle avait souhaité un air à la Kurt Weill. Et aussi qu'il y ait un hiatus entre le tragique du propos et l'apparente légèreté de la mélodie. Il fallait que cela choque, il fallait que cela décoche des uppercuts tous azimuts. Comme l'événement qui fut à l'origine de cette chanson : la mort prématurée de Kate Barry, l'une des filles de Jane Birkin. À la violence du drame, répondre par une autre forme de violence. En matière d'absurdité, se placer dans la surenchère. Montrer à la vie qu'on est encore capable d'en découdre avec elle et cette manie qu'elle a de nous mettre en pièces.

La mort de Kate Barry reste auréolée de mystère : accident, suicide ? Nul ne le sait en dehors de l'intéressée elle-même. La chanson n'élude rien (ni le visage blafard de la morte, ni le passage de la famille à l'institut médico-légal). D'ailleurs, l'album entier se veut sans ambages. Parler d'amour, oui, mais évoquer avant tout ce qui, dans ce sentiment, condamne à l'intranquillité. Dresser sans tabou l'inventaire de ses tabous langagiers (dans la chanson FRUIT). Convoquer volontairement une horde de fantômes (« grandpa, grandma, mother, father, daughter, nephew, cats, husbands and friends »). De l'enfance, ne retenir que le côté cruel qui enterre avec la même indifférence « lapins, taupes, poulets, croix ».

L'art serait-il ce qui permet de dompter l'inacceptable et de dire l'imprononçable ? Je le crois volontiers. Peut-être restons-nous, notre vie durant, voués à zéro résilience, comme le chante Thiéfaine ? Oui, mais chanter Résilience zéro est déjà une manière de se réparer. C'est déjà faire un pas du côté de la vie. On peut allier en soi nihilisme et volonté de vivre quand même. Cela ne me paraît pas incompatible. Je ne vois pas là d'incohérence, j'y vois plutôt une manière de se débrouiller comme on peut avec ce qui nous a été donné et qui, il faut bien le dire, est quand même un sacré bordel !

L'œuvre de Thiéfaine n'est pas exempte d'habiles oscillations entre ombre et lumière. Elle est même, je crois, la preuve que l'on peut chanter le désespoir de vivre sur une musique très rock. Elle est également la preuve que l'on peut opposer humour et ironie à toutes les aberrations. De l'art d'enrober le questionnement métaphysique dans de superbes arrangements...