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16/05/2021

Une équipe qui gagne !

"L'homme dérive

et la terre avec

de loin en loin 

un sanglot surnage". Paul VALET

 

C'est drôle, tout de même, n'est-ce pas, d'avoir fait d'un artiste son compagnon de vie ? D'avoir tellement intériorisé son œuvre qu'on la sent, qu'on la sait partie intégrante de soi-même... C'est une histoire d'affinités électives, j'imagine. Quelque chose nous prédestinait à rencontrer cette œuvre et à la recevoir en nous comme un grand choc. Quand on a connu ce genre de révélation (oui, carrément, révélation, j'ose le mot), on ne peut qu'en être infiniment reconnaissant à l'artiste qui l'a suscitée. Thiéfaine, ce fut pour moi, il y a presque trente ans, comme une décharge électrique. Délicieusement dévastée par la beauté d'un vers (« tu voudrais qu'il y ait des ascenseurs au fond des précipices »), je me mis à engloutir boulimiquement tout ce qui avait trait au chanteur jurassien (dont j'ignorais, d'ailleurs, qu'il était jurassien). À l'époque, on ne trouvait pas grand-chose sur le bonhomme. L'immense toile que nous connaissons aujourd'hui n'avait pas encore déployé ses ailes. HFT, c'était l'artiste un peu maudit, un peu obscur, sorti tout droit des bas-fonds, dont on se passait les albums sous le manteau. Une fois initié à son univers, on avait l'impression de faire partie d'un petit cercle où n'était pas forcément admis le premier venu. Et c'était bon de se sentir familier de ce monde interlope, peuplé de curieux personnages. C'était un peu comme un théâtre magique à la Hermann Hesse où l'on pouvait se réfugier à sa guise. Où il suffisait d'appuyer sur un bouton pour déclencher de vertigineuses émotions. On se sentait compris. Quelque part, quelqu'un avait su dire tout haut, et avec les mots qu'il fallait, ce qu'on ressentait tout bas. Je me souviens d'avoir pensé alors « je ne suis plus tout à fait seule ».

La découverte de cette œuvre fut pour moi à peu près ce que devait être celle de Romain Gary, quelques années plus tard. Impression d'arriver en terre familière, d'avoir trouvé le point d'ancrage vers lequel était tendue toute mon existence.

Il m'arrive de ne pas lire Gary et de ne pas écouter Thiéfaine pendant de longues périodes. Non qu'il y ait lassitude. Simplement, ces deux œuvres coulent en moi, et à flots, s'il vous plaît. J'en suis tellement imprégnée que les mois sans sont tout de même des mois avec. Comprenne qui pourra !

J'ai vu Thiéfaine presque cinquante fois en concert. Pourquoi se gêner puisque j'aime tellement ça ? J'ai beaucoup côtoyé l'œuvre (et je continue, bien sûr), mais pas l'homme. Cinq ou six rencontres comme ça, dans les loges d'une salle de concert. Ce n'est pas ce que je recherche, en fait. Thiéfaine, je n'ai rien à lui dire, c'est-à-dire qu'il y aurait trop à dire et que ce n'est pas la peine de commencer. À chaque fois, je me suis sentie gênée en face de lui. Comme si d'avoir fréquenté à ce point son œuvre m'avait ouvert impudiquement toutes les portes de son intimité. Je n'ai pas jugé utile de réitérer ces entrevues où j'étais plus godiche que spirituelle !!!

Certains parleront d'un truc malsain, peut-être, d'un fanatisme idiot dont il serait peut-être bon de se guérir (à mon âge, tout de même, c'est pas Dieu possible d'être encore fourrée dans des admirations pareilles !). On pourrait sans doute me conseiller une thérapie, un désenvoûtement, que sais-je ? Taratata, je vous balaie toutes ces bonnes intentions d'un revers de la main : on ne change pas une équipe qui gagne !