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27/06/2021

J'ai changé d'avis, comme dans la chanson d'Aubert !!!

"Y a du soleil dans ma rue mais je ne sais pas quoi en faire". Hubert-Félix THIÉFAINE

 

Il arrive que certaines chansons de Thiéfaine me donnent du fil à retordre. Justement parce qu'elles me semblent, de prime abord, rompre avec le fil conducteur de l'œuvre (oui, je pense qu'il y en a un). Ainsi, j'ai mis des années, je crois, avant d'intégrer « psychologiquement » Les mouches bleues à l'ensemble de l'édifice. Mytilène Island attendra encore...

Du soleil dans ma rue a bien failli connaître un sort identique. Première écoute : sidération. Oui, carrément. Une réaction du genre « mais qu'est-ce qu'il est allé nous faire là, notre Hubert ? ». J'ai découvert cette chanson un vendredi matin. Le dimanche suivant, après plusieurs auditions, j'étais catégorique : jamais je ne pourrais aimer ce titre. Et puis, et puis... Ce vendredi soir, je ne sais pas pourquoi, j'avais la mélodie dans la tête. Je repensais également aux paroles, qui m'avaient d'abord déconcertée, malgré une entrée en matière pourtant adoptée d'emblée : « Y a du soleil dans ma rue, mais je ne sais pas quoi en faire ». Avouez que c'est très thiéfainien, ça, avoir du soleil dans sa rue, mais ne savoir qu'en faire ! Youpi, c'est chouette, toute cette lumière et cette chaleur, mais pas moyen d'en tirer quelque chose. C'est comme les conneries de barbecues du mois de mai. C'est sympa, mignon, tout ce que vous voulez, mais quand on a un sentiment tragique de l'existence, impossible d'adhérer totalement !

Bref... Donc, ce vendredi soir, je réécoute la chanson. En mettant de côté mes premières réticences. Que je peux énumérer ici : ces chœurs féminins qui parsèment le morceau, cela me fait un effet bizarre, cela me rappelle les années 80, et même très précisément un truc qui martelait « il en a marre de cette nana » dans la chanson de Bruel. Autres réticences ? La musique, doucereuse, genre tube de l'été incitant à danser sur la plage, et les ruptures de rythme dans cette même musique.

Après mûre réflexion, et juste avant de réécouter la chanson, je me suis dit que ce n'était pas possible qu'Hubert ait eu l'intention de nous balancer un truc destiné à nous faire chalouper à côté d'un quelconque Club Mickey en juillet. Donc, je m'interroge avant de réécouter ladite ballade : tout cela ne serait-il pas plutôt traversé d'une profonde ironie ? Une expression me revient, inventée un jour par ma fille aînée à propos des femmes qui sortent avec des hommes plus âgés qu'elles : ce sont des cougars inversées. Et voilà l'analogie : ce morceau, faussement léger et sautillant, ne serait-ce pas un tube de l'été inversé ? Genre « je vous fais croire que, mais en fait pas du tout, loin de moi cette idée ». Quand on y regarde de plus près, le texte est d'un triste et d'un lourd incommensurables... C'est tout sauf un tube de l'été : ici, l'image du rat dans la poussière m'évoque Une charogne de l'ami Baudelaire. Là, « faisons semblant d'être amoureux » vient flinguer tout espoir d'une idylle sincère. L'amour n'est que de surface, un trompe-l'œil facétieux qui n'en pense pas moins. Que voulez-vous, « nous n'avons plus le temps d'imaginer l'amour au temps des sentiments »... De plus, la faucheuse rôde dans les parages, et elle est loin d'avoir pacifiquement déposé les armes. Au contraire : elle est capable de dézinguer quarante mille fois chacun des sept milliards d'humains que nous sommes.

Alors, Du soleil dans ma rue, petite guimauve, joli susucre, tendre romance ? Non, certainement pas : cette chanson, c'est l'absolu antitube de l'été !

Et vous, qu'en pensez-vous ? Et que dites-vous du titre de l'album à venir, Géographie du vide ? Pour moi, c'est très cioranesque, on n'est pas loin de Syllogismes de l'amertume, quelque chose comme ça. Bref, j'adore ! Ce que j'adore aussi, c'est être complètement déroutée (et avec Thiéfaine je suis servie, cela fait presque trente ans qu'il me promène de surprise en étonnement : jamais aucune autre œuvre ne m'aura autant amenée à écarquiller les yeux, ou plutôt les oreilles !). Ce que j'adore, c'est ne plus savoir sur quel pied danser. Croire d'abord, comme avec Du soleil dans ma rue, qu'il faut danser, puis me rendre compte qu'il n'en est pas question une seule seconde, et qu'il conviendrait plutôt, devant tant de misère, de s'écrouler de tout son long, dans la poussière, les bras en croix...

Oui, après mûre réflexion, j'adopte cette chanson, complètement ! C'est bizarre, mais c'est ainsi. Je ne suis pas avare de contradictions. Et comme dit la sagesse populaire, n'est-ce pas, il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. C'est plutôt sympa de se dire ça pour conclure, cela permet de se ranger soi-même, tranquillos, dans la catégorie des non-imbéciles !