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14/05/2022

Bernard Lavilliers à Amnéville hier soir : un enchantement !

"Je suis l'autre

Trop sensible". Blaise CENDRARS

 

« Pas moi qui ai fait les voyages, c'est les voyages qui m'ont fait », chante-t-il. Et ils lui ont taillé, ces voyages, un costume de baroudeur sublime, tissé de multiples influences, parfums et saveurs. Hier soir, au Galaxie d'Amnéville, j'ai découvert qu'assister à un concert de Lavilliers, c'était embarquer pour une sacrée expédition, ponctuée d'escales aussi nombreuses que variées. Le tout bercé par des rythmes venus de ces ailleurs respectifs où il posa son pied marin, illustrant en cela merveilleusement les mots de Cendrars qui lui sont chers : « Quand tu aimes, il faut partir ». Quand j'étais adolescente, je ne comprenais pas. Comment ça, partir alors qu'on a trouvé son port d'attache, son irremplaçable bercail ? Et puis, l'âge venant, je comprends mieux. Partir pour ne pas enfermer son histoire d'amour dans une routine plombante, partir pour la nourrir de ce qui la grandira. Partir pour mieux la retrouver.

Les chansons de Lavilliers ne parlent que de cela, partir, ou presque. Plus que la flânerie, elles évoquent une course folle livrée à tous les vents, jamais captive de quoi que ce soit, si ce n'est de l'air du temps. On flânera plus tard dans les souvenirs, quand il sera question de les coucher sur le papier et de les accompagner d'une musique qui racontera le grand large.

Les chansons de Lavilliers parlent aussi d'un monde prisonnier de ses archaïsmes : en haut les marquis (« jamais élus, toujours choisis ») et les patrons, en bas ceux qui triment. Lui, il a choisi son camp : celui des ouvriers qui suent sang et eau pour trois euros six centimes, ceux sans qui, pourtant, tout le système ne serait que dalle. Passé de boxeur oblige, il envoie des uppercuts bien placés à tous ceux qu'il vomit. Les hommes politiques en prennent pour leur grade que c'est un plaisir ! « Tous des escrocs », lance-t-il, et je ne vois pas qui pourrait démentir cette affirmation. À laquelle la salle entière acquiesce, et ça fait du bien, bon sang, moi je croyais que tout le pays était endormi, victime d'une dangereuse léthargie. Ben non, la preuve. Et Lavilliers de nous féliciter d'avoir encore un cerveau entre les oreilles. On l'espère bien, on fait ce qu'on peut !

On n'a pas qu'un cerveau, on a aussi un cœur. « Lorraine, cœur d'acier », lance-t-il entre deux chansons. Il faut dire que l'acier de Lorraine, il l'a défendu toutes griffes dehors, Bernard. On ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir mouillé la chemise. « Jamais retourné ma veste », dit-il encore. Force est de constater que c'est vrai.

Les chansons défilent à une cadence soutenue. On passe des années 70 à celles, moins glorieuses, que nous venons de vivre. La salle est unie à Bernard dans un consentement absolu. C'est qu'il a ce truc indicible qui vous fait d'emblée remporter l'adhésion de tous ceux que vous croisez. Il entonne On the road again, doucement, et la foule fait les chœurs. C'est un moment de grâce parmi tant d'autres. Et voilà que le public, jusque là bien sagement assis sur des sièges durs comme rocs, commence à se lever dans tous les coins. Des gens descendent par grappes des gradins et vont grossir la fosse, où tout le monde était assis aussi. Jusque là ! Maintenant, ça y est, ça se lève et danse et acclame de partout ! Je dis à mon voisin de gauche (Sam) : « Purée, ils n'ont même pas attendu La fille du coupeur de joints ! ». C'est magique d'observer tout cela de loin (je resterai dans les gradins presque jusqu'à la fin du concert, ma voisine de droite est trop sympa, je ne peux me décider à la quitter comme ça. Si je le faisais, il faudrait lui dire au revoir, ce serait la moindre des politesses, et je l'arracherais du même coup à son ravissement, ce qui me semblerait le comble de l'impolitesse. Je finirai par me résoudre à partir - c'est de mise ! - entre deux chansons, prenant congé comme il se doit de cette exquise dame).

Idées noires vient embraser un public déjà adonné à la transe. Et que je te remplace Nicoletta avec une assurance dingue ! La chanson date de 1983, rappelle Bernard. Punaise, 1983 ! J'avais dix ans et j'adorais ce morceau, je l'avais enregistré sur une BASF que je me repassais en boucle. À l'époque, je n'achetais pas encore mes propres disques, je devais attendre les coups de cœur de ma mère et, si possible, les partager. Mais je passais des heures devant le poste de radio à espérer les chansons qui me faisaient vibrer. Lointains souvenirs d'un monde révolu... Aujourd'hui, la puissance du clic a tout dégommé. Est-ce un bien, est-ce un mal ? Ce n'est pas moi qui vous le dirai. C'est différent, c'est sûr. Peut-être un peu moins poétique quand même...

Reggae, salsa, bossa nova, tango, tout est bon pour faire bouger les corps. Et là, je dois avouer que Bernard n'a pas son pareil pour ce qui est d'atteindre le mouvement collectif ! Le voilà qui s'y met, lui aussi, abandonnant le tabouret sur lequel il s'est longtemps appuyé. Il monte dans les gradins sur La Salsa, il fend la foule comme un navire fendrait les flots. La communion est parfaite. Ici, l'artiste est en terrain connu et conquis. Ce qu'il a donné à ma région, celle-ci le lui rend avec gratitude. C'est qu'un cœur d'ouvrier, ça n'oublie pas. Et ici, nous sommes tous fils ou frères ou neveux d'ouvriers. La mine, même si nous ne sommes pas descendus en ses entrailles, nous l'avons connue à travers les récits des uns et des autres. Pas de mineurs dans ma famille, mais des premiers élèves (jamais oubliés, Laurie, Stevens, Albano et tous les autres) majoritairement fils et filles de mineurs, qui me racontaient les ravages qu'allait probablement faire chez eux la fermeture des aciéries...

À la toute fin du concert, grandi du don qu'il vient de nous faire, Lavilliers salue la mémoire de son père qui lui a, explique-t-il, donné le goût du travail alors qu'au départ le principe ne l'intéressait pas. Je suis bouleversée, je pense à mon propre père, qui se serait bien entendu avec un homme comme ça, c'est certain !

C'était une sacrée expédition, disais-je. Même pas eu peur de prendre l'avion et le bateau pour me retrouver propulsée à des lieues de là. Avec Bernard pour capitaine, l'équipage peut y aller en toute confiance. Vraiment, si le voyage est indiscutablement son carburant, la scène est, tout aussi indiscutablement, son point d'ancrage. Merci pour le périple et à la revoyure, j'y compte bien !

Commentaires

Salut Katell

Merci encore pour ton récit de voyage.
Des soirées (matinées) diapos comme ça, on en veut !!

Tiens, encore un truc oublié, les diapos…Un peu comme les K7 (ton évocation me rappelait les intros de chansons rognées et les fins de face amputées). Est-ce qu'il y a des nostalgiques dans la salle ?

Apparemment, il avait la forme (j'ai lu qu'il a subi une grosse opération l'an dernier).
Niveau musicos, lui aussi s'entoure de pointures. Une question : était-ce Dan Roméo à la basse (un Grand bassiste pas très haut et à petit chapeau…)? C'est un vrai tueur…

Enfin, j'en "parle" comme si j'étais un familier (santé, zicos)… En fait...uniquement par procuration… numérique. La puissance du clic, pour reprendre ton expression. Mais une "rencontre" est prévue (je file acheter mes biftons !)

Salutations numériques

PS : Dis, tu en es à combien de concerts d'Hubert ?

Écrit par : Seb | 15/05/2022

Coucou Seb, achète tes billets les yeux fermés : cette tournée de Lavilliers, quelle claque ! Je rêvais de voir cet artiste, je ne suis pas déçue ! Et j'espère bien le revoir. Je suis en colère contre moi-même : comment ai-je pu remettre à 2022 le rêve qui m'accompagne depuis si longtemps ? J'écoute Lavilliers depuis des décennies... Bref...
Je n'arrive pas à savoir si le bassiste dont tu me parles est de la partie sur cette tournée. Je n'ai retenu aucun nom de musicien. Je n'entendais pas bien à ce moment-là.
Pour ce qui est d'Hubert, si on parle de la tournée Unplugged : j'ai fait six dates. Sinon, je crois que j'en suis à mon 54ème concert. Ou 55ème. Aucune certitude. Avant, je tenais scrupuleusement les comptes, mais j'ai arrêté. Il faudrait que je réunisse tous mes billets récents et que je les ajoute à la liste. Je vais tâcher de faire ça dans les semaines qui viennent ! Et je te dirai où j'en suis !

Écrit par : Katell | 15/05/2022

Aie, aie, aie…
Plus que quelques places en fond de balcon, les dimanches de juin et d'octobre (je visais l'Olympia)…
J'y allais les yeux fermés mais, je crains de ne pas y voir grand chose mais si je les écarquille, une fois en haut…
A trop attendre…
Enfin je n'abandonne pas l'idée :-)

Salutations numériques !

Écrit par : Seb | 17/05/2022

Bonjour,

Ah, (me trompé-je?..) je mesure au peu de réactions sur ce forum que Le Nanar n'est pas le plus raccord avec tout ce que représente Hubert, qui est pour moi l'anti-Lavilliers.
J'ai beaucoup écouté Lavilliers à la fin des années 70, avec Béranger et Les premiers Thiéfaine. Mais venant d'un milieu pauvre de Lorraine, je ne supporte pas la putasserie d'un artiste qui prétend rester fidèle à ses racines en vivant de manière très "confortable". Bon client des médias, s'étonnant qu'on puisse chercher des noises à F Pagny pour avoir fraudé le fisc, c’est pour moi le prototype même de l'artiste-alibi, l'idiot utile, le "chanteur engagé" qu'on peut inviter à la télé ou à la radio pour déblatérer sur la misère du monde. Médiocratie-Médiacrité...Ce sont justement des réflexions qu'on a eu très vite chez Hubert dans son oeuvre, le rôle de l'artiste, le rôle des médias, la célébrité, l'honnêteté, en fait, et une grande intelligence qui montre bien qu'un artiste doit aussi avant out se protéger des autres et de lui-même. Quant-à l’œuvre elle-même, Je ne pense pas que Françoise Salvan-Renucci aurait grand-chose à en extraire sinon de magistraux poncifs qui tournent finalement un peu en rond. Chez Nanar peu de choses sonnent "vrai" au final. Cela dit, "Pouvoir" est un excellent album d'un Lavilliers qui, hélas, commençait à construire son futur personnage jusqu'à en devenir une caricature.
Chaque vers d'Hubert (magnifique déjà en soi ) me donne envie de créer, d’ouvrir un livre ou de voir un film ou l’œuvre d'un artiste, c'est ce qui fait son incroyable richesse. Et il y a tout le reste...Bonne journée!

Écrit par : oxo | 21/05/2022

Hello Katell et tous !

Bon, je vais quand même mettre deux thunes dans l'bastringue, histoire d'alimenter un de ses nombreux comptes aux Bahamas, ou au moins contribuer à un futur billet d'avion (et donc, album ?) :-)
2023 sera faste et au Zénith (Hubert-Félix Lavilliers en janvier, Bernard Thiéfaine en avril…).
Cela dit, je trouve normal que le succès puisse apporter du confort. Cela n'impliquant pas nécessairement de renier ses idées ou racines.
Après, je ne connais pas le bonhomme. J'aime bien ses invitations au voyage. Des voyages différents de notre Hubert…
Pour en revenir sur le train de vie, cela m'a rappelé, une interview conjointe d'HFT et du chanteur de Lofofora ou celui-ci, d'un ("bon" ?) mot, dénigrait Ferré (..."l'anarchiste né à Monaco"). Raccourci facile…

Sinon, l'un de vous sera aux Franco pour assister au duo Thiéfaine-Lavilliers ? :-)

Salutations numériques

Écrit par : Seb | 22/05/2022

Hello Katell et tout le monde,

Pour ma part je trouve qu'HFT a raison quand il dit qu'il faut lire à 360 degrés. De même, écouter à 360 degrés apporte beaucoup, même si ce sont des oeuvres très différentes.
J'aime profondément l'oeuvre de Thiéfaine, à tous points de vue.
Cela ne m'empêche pas d'aimer ce que propose Lavilliers, sur d'autres plans, ce n'est pas de l'intertextualité aussi complexe mais la réappropriation de cultures d'ailleurs est une démarche vraiment intéressante.

Lavilliers m'a fait découvrir beaucoup de styles musicaux, et il a mis en mots percutants des réflexions sur le monde et ses rapports de force. Il s'est appuyé sur des cultures que je ne connaissais pas forcément et a créé de la curiosité.
D'ailleurs Baron samedi, le titre d'un de ses albums, est une figure vaudoue du passage dans le monde des morts, thématique largement présente chez Thiéfaine notamment avec les dieux psychopompes.
Ce sont des univers très différents mais Lavilliers me donne de l'énergie, aussi.

Écrit par : Nadja | 25/05/2022

@ oxo :

, allo OXO ici la terre ! dans quel état t'erres ?...

,...

Écrit par : le Doc. | 25/05/2022

@... :

https://thiefaine.com/livre-dor/

, ...

Écrit par : le Doc. | 26/05/2022

Pareil, j'ai tiré beaucoup de choses de l'univers de Lavilliers. Et j'y vois régulièrement des similitudes avec celui de Thiéfaine ! Les dingues et les paumés sont largement présents dans son œuvre, ainsi que la drogue, les bas-fonds, etc.
Pour ce qui est du reste, franchement, il me semble que je peux m'appuyer sur la reconnaissance que lui témoignent de nombreux ouvriers dans ma région. Il ne les a jamais laissés en plan, c'est une certitude. Après, que le succès permette d'avoir une certaine aisance dans la vie, je ne vois pas où est le problème...

Écrit par : Katell | 27/05/2022

@ Cath je te cite :

' Et j'y vois régulièrement des similitudes avec celui de Thiéfaine ! Les dingues et les paumés sont largement présents dans son œuvre, ainsi que la drogue, les bas-fonds, etc. '

, je te pose la question : et pourquoi y vois-tu .. etc. .. ?...

, ...

Écrit par : Jean-Pierre Zéni | 28/05/2022

Doc, je ne sais pas trop pourquoi je vois des similitudes entre ces deux univers. Le côté bas-fonds, caboulots et compagnie, sans doute. Après, je peux aussi écouter les deux artistes sans chercher à faire aucun rapprochement entre eux ! D'ailleurs, parfois, il n'y en a pas ! Le côté baroudeur de Lavilliers, par exemple, ou bien son engagement pour les ouvriers, ce n'est pas quelque chose que l'on retrouve dans l'œuvre d'HFT.

Écrit par : Katell | 29/05/2022

Merci* pour ta réponse Cath :-)

* j'allais du Doc ..

, ...

Écrit par : New-Doc. | 31/05/2022

@ ... :

https://www.thiefaine.com/livre-dor/#comment-241151

, ...

Écrit par : New-Doc. | 31/05/2022

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