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19/03/2023

En trois mots comme en cent : beau, pur, efficace !

"Tu voudrais qu'il y ait des ascenseurs au fond des précipices". Hubert-Félix THIÉFAINE

 

Masque FFP2 sur le nez et la bouche. « Lunettes noires, pyjama rayé ». C'est que ce soir-là, je sortais exceptionnellement de la quatrième dimension qui me retient prisonnière depuis novembre 2022. C'est un pays étrange, où les ascenseurs au fond des précipices sont denrée rare. Un pays qui te met l'esprit dans un brouillard épais, un pays où il ne fait pas bon vivre. Je ne peux supporter d'y être enchaînée qu'au regard de ce qui est censé m'attendre d'ici quelques mois : du mieux... Je croise les doigts.

Donc, le 10 mars, je suis tout de même sortie de ma tanière. Ce soir-là, j'avais rendez-vous à Amnéville avec Hubert et sa fine équipe. J'avais deux billets (un pour ma fille Clara et un pour moi) depuis très longtemps. Si longtemps que je ne saurais dire quand. Deux billets achetés à une époque où je pouvais faire allègrement des projets sans trop penser au risque qu'ils ne se réalisent pas. Maintenant, c'est une autre histoire. Mais laissons ça de côté.

Donc, masque FFP2 sur le nez et la bouche. Dans la voiture, avant le concert, des larmes. Je suis sur le point de rebrousser chemin. Voir Thiéfaine dans des conditions pareilles, franchement, est-ce bien raisonnable et bien utile ? Je suis fatiguée, comme tous les soirs. Non, pas fatiguée : décalquée. Complètement à l'ouest de mes pompes. Effet de l'arsenic qui m'est injecté dans les veines cinq jours sur sept pendant les cures. « Arsenic is good for you » : oui et non... Bref... Ma fille me console, me dit que si, je peux aller à ce concert, que ça va me faire du bien. Alors j'y vais, oui. En sachant que la soirée sera à la fois sacrée et étrange. Sacrée parce que pied de nez à la maladie, moment hors du temps et de mes emmerdes. Étrange parce que jamais concert ne fut plus nimbé de tristesse. Mais on y va.

Par tout un jeu de solidarité qui s'est embrasé à mon insu avant le concert, mes places dans la fosse se sont transformées en places carré or. Ma fille et moi sommes presque isolées. C'est ce qu'il faut à ma putain de maladie qui exige des traitements de faveur en pagaille...

Nous y voilà.

Je passe sur la première partie. Paul Pavillon m'a l'air bien sympathique, son univers aussi, mais je ne parviens pas à y entrer. Je sais d'avance que même celui d'HFT me sera un peu étranger ce soir, alors ce n'est pas pour réussir une immersion dans celui d'un inconnu.

Passons donc sans plus attendre à la partie qui nous intéresse. La scène est aménagée de façon étonnante. Les musiciens haut perchés. Au propre comme au figuré. Les premières notes de Droïde song retentissent, la voix d'Hubert se fait entendre, mais lui se fait attendre. C'est déroutant tout en étant délicieux. Ah, cette attente d'une face cachée qui va finir par se dévoiler, comme elle est succulente !

Les morceaux s'enchaînent de manière résolument rock'n'roll. Je retrouve des émotions qui remontent à loin, très loin dans la jeunesse. Cabaret Sainte-Lilith, Mathématiques souterraines, Bipède à station verticale, Sweet Amanite Phalloïde Queen, Alligators 427, Groupie 89 turbo 6, Redescente climatisée, Diogène série 87, Soleil cherche futur, Whiskeuses images again. Et d'autres encore, qui secouent en moi les fibres premières, me ramènent à l'origine de ma passion. C'est beau, pur, efficace. J'aurais juste aimé entendre Maalox Texas Blues. Les chansons absentes ont toujours tort, mais bon... Qui sait, peut-être que, sur une autre tournée ? Je veux y croire !

Les arrangements sont malicieux, audacieux, judicieux. Alligators 427 vous explose à la tronche façon carnaval inattendu. Au début, on se demande bien de quoi il s'agit. Là aussi : beau, pur, efficace. Du grand art.

Vous explose à la tronche également : Combien de jours encore, dans un autre registre et pour des raisons différentes. La question est tranchante et flippante. Combien de jours encore ? Mais des flopées, c'est tout ce qu'on espère, pour que la fête dure longuement, parce qu'elle est de celles qui vous font sentir vivants jusqu'à la moelle (c'est bien le cas de le dire en ce qui me concerne, en cette période où ma moelle osseuse ne fait que des conneries).

Entre deux chansons, j'envoie ma fille dévaliser le merchandising. Je veux un mug, et puis même deux, je veux un sac, je veux un cendrier alors que je ne fume plus depuis vingt ans. Je veux qu'il me reste des souvenirs concrets de ce concert tellement spécial...

La voix d'Hubert comme un soleil dont les rayons ne perdraient jamais leur éclat : ferme, assurée, solide et belle. Les musiciens comme des magiciens venus d'un autre monde. Chacun apportant sa merveilleuse pierre à un édifice parfaitement ficelé.

Mathématiques souterraines revêt ce soir-là un sens particulier pour moi : cette chanson, je me la suis passée et repassée en boucle dans ma chambre stérile. La sophrologue de l'hôpital m'avait dit : « Trouvez-vous une sorte de mantra qui pourra vous aider en toutes circonstances ». Me vint illico à l'esprit cette histoire d'ascenseurs au fond des précipices. Ces machines bienfaisantes, combien de fois les ai-je implorées pour qu'elles me hissent très loin hors du trou où je venais de sombrer. La sophrologue est formidable : elle connaissait Thiéfaine, mais pas Mathématiques souterraines. Elle revint un jour en me disant : « J'ai écouté la chanson dont vous m'aviez parlé. Elle est très belle. Et incroyablement reliée à votre situation actuelle. Le coup de « j'ai mal aux globules », ça ne vous rappelle rien ? ». Ben si, tiens, la maladie qui a mis le bordel dans mes cellules. Je me suis gourée, erreur de programmation : je voulais atteindre un dérèglement de tous les sens à la manière d'Arthur Rimbaud (la prétentieuse que je suis) et je me suis payé un dérèglement de tous les sangs. Heureusement que quelque part, quelqu'un a laissé allumé, bébé, parce qu'en moi ce n'est vraiment que glaciales ténèbres...

Dès le début du concert, j'avais prévenu Clara : il faudrait partir avant la fin de La fille du coupeur de joints. Pour éviter le hall bondé (toujours ces traitements de faveur exigés par ma maladie). Alors, au moment où la foule s'embrasait encore un peu plus (certains ont trouvé le public d'Amnéville faiblard, je n'ai pas eu cette impression-là, bien au contraire) après les petits lapins logés dans les nuages, nous sommes parties. À regret, bien sûr, what else ?

Ce fut une soirée étrange, presque surréaliste. Comme un moment de science-fiction dans une vie qui, pour le moment, manque cruellement d'évasion. J'ai traversé le miroir, oublié un peu la quatrième dimension qui me retient prisonnière depuis novembre 2022. Par moments, mon esprit s'absentait de là et repensait aux barbares ennuis qui sévissent actuellement dans mon quotidien mais, globalement, la magie HFT a opéré et j'ai eu mes grandioses éclaircies entre deux averses. Ce fut beau, pur, efficace...