26/11/2023
Concert de vendredi soir aux Fuseaux (Saint-Dizier) : que c'était bon !
"Le jour de ma mort, peut-être que je serai réconcilié avec le néant dont je suis tiré", Serge REZVANI (lors d'une rencontre à Metz, hier).
Vendredi 24 novembre 2023, Saint-Dizier, région Grand Est, département de la Haute-Marne, les Fuseaux (c'est le nom de la salle). Direction la fosse. Je découvre le lieu en compagnie de ma fille aînée (Clara) et je fais remarquer à cette dernière qu'il y a des places assises, en mezzanine. Elle me dit que ce serait peut-être pas mal d'aller nous y installer. Euh, moi, assise à un concert de Thiéfaine ? Pas tellement mon genre. De temps en temps, oui, pourquoi pas, histoire d'avoir une autre perspective. Alternative à ne pas exclure. Mais là, hors de question. Je veux être au cœur de la grande marmite bouillonnante qu'est la fosse. C'est mon 57ème concert d'HFT. Le troisième après la maladie. Vais-je encore, comme lors des deux précédents, m'étonner d'être là et presque en pleurer ? Réponse dans quelques instants...
Dès les premières minutes, je sens que l'ambiance va être à la braise. C'est toujours assez impalpable, ces choses-là, c'est un truc qui flotte dans l'air, reconnaissable à des « Hubert » scandés un peu partout, une impatience trépignante qui se répand comme une traînée de poudre. D'emblée, j'ai l'impression que ça va être plus ardent qu'à Nancy et à Troyes. Ai-je raison ou tort ? Réponse dans quelques instants... Ça en fait des questions qui se bousculent dans ma tête, en plus de toutes les autres d'ordre métaphysique et toujours pas résolues !
Les musiciens s'installent. Ce soir, Fred Gastard est absent. C'est Fabrice Theuillon qui le remplace. Les premières notes de Droïde song retentissent. Souvenirs de jeunesse : je citais régulièrement, dans mes conversations, « quand j'ai besoin d'amour ou de fraternité j'vais voir Caïn cherchant Abel pour le plomber » ou encore « le jour où les Terriens prendront figure humaine, j'enlèverai ma cagoule pour entrer dans l'arène ». Je vous jure que ça faisait toujours son petit effet ! « Avant de m'enfoncer plus loin dans les égouts pour voir si l'océan se trouve toujours au bout », remarquez, ce n'est pas rien non plus. Encore une de ces formules dont Hubert a le secret et dont on pourrait faire un recueil. « Et je viendrai troubler de mon cri distordu les chants d'espoir qui bavent aux lèvres des statues » serait à y inscrire aussi. Ouais, bon, laissons tomber le recueil, tout est bon dans les chansons d'Hubert, « y a rien à jeter, sur l'île déserte il faut tout emporter » (décidément, je cite beaucoup Brassens depuis quelque temps). Oh non, je m'égare déjà. Retour à nos moutons : Hubert arrive et c'est l'explosion de joie. Derrière moi, quelqu'un s'écrie : « Voilà le patron ». Pas complètement faux !
Comme toujours, une fois la première chanson entamée, ça sent déjà la fin. Je m'efforce de ne pas y penser, je veux me fondre dans le présent, m'y dissoudre comme un comprimé effervescent qui ne ferait plus qu'un avec l'eau dans laquelle il vient d'être jeté (oui ben, on a les images qu'on peut). Enfin disparaître un peu, m'oublier, faire corps avec l'instant à vivre, là, maintenant, tout de suite, et qui ne reviendra pas. Ne pas regarder la montre. Même si ma fille m'y oblige parfois. Que c'en est vexant, à la fin. C'est comme dans une salle de classe, quand un môme demande à son voisin l'heure qu'il est. Je le prends comme une attaque personnelle. Ma fille est fatiguée, elle a mal au dos. Purée, j'y crois pas, c'est qui la quinquagénaire ici ? Je vous présente ma fille, Clara, je viens de la sortir de l'Ehpad pour quelques heures, elle est un peu faiblarde en ce soir de novembre, veuillez l'excuser. Moi je n'ai mal nulle part et je ne veux pas savoir quelle heure il est, je sais que l'horloge, « dieu sinistre, effrayant, impassible »* me dira bientôt « souviens-toi ». Si je répète cent mille fois à je ne sais qui « faites que cette soirée ne finisse jamais », peut-être que ça marchera, qui sait ? Après tout, je n'ai jamais essayé !
Mais non, ça ne marche pas, et les morceaux s'enchaînent impitoyablement. Tous plus somptueux les uns que les autres. À chaque chanson, je me dis « Dieu, que c'est beau ». Un de mes voisins, lui, s'exclame « C'est bon », et on sent que l'orgasme n'est plus qu'à quelques millimètres de là. Il dit « c'est bon » à X reprises, et je me marre intérieurement. Peut-être que d'une certaine manière, nous sommes en train de vivre un orgasme collectif ? J'adore l'idée !
Je me marre un peu moins quand j'entends, derrière moi, un groupe qui, apparemment, vient de loin et doit gérer en urgence des problèmes de logistique : « Il faut qu'on se trouve un point de chute pour la nuit », dit une femme, « ça fait trop de bornes sinon », poursuit un homme. C'est tellement décalé et prosaïque que je pense au sketch du Schmilblick et au routier qui vient là juste pour faire passer un message à Zézette. Mais d'où vient donc cette bande ? Du sud de la France ou quoi ? Si c'étaient des Bretons, ça se saurait : ils auraient déjà brandi le drapeau aux hermines, c'est sûr.
La question « d'où viennent-ils ? » restera sans réponse. Au moment où ça commence à sentir sérieusement le roussi parce qu'Hubert lui-même a dit qu'il allait être l'heure de se quitter, un des messieurs de la même bande dit aux autres : « Oh non, j'ai pas fait tous ces kilomètres pour n'avoir droit qu'à 1h20 de concert ». Putain, l'horloge, le dieu sinistre, effrayant, impassible : ces mots viennent de m'en rappeler l'existence ! On n'est donc jamais tranquille !
Bref... Je n'ai même pas parlé de la deuxième chanson, Dies olé sparadrap joey. Autres souvenirs de jeunesse : j'adorais citer « la bidoche est faite pour saigner » dans mes conversations. Je voyais là l'expression de la condition humaine dans ce qu'elle a de plus terrifiant. Et j'aimais l'image, puissante, en plein dans ta gueule comme un aphorisme de Cioran.
Je n'ai pas parlé non plus de Whiskeuses images again : la vieille caisse marquée fragile, qu'est-ce que j'ai pu la citer, elle aussi, rapport à ma vulnérabilité...
Bref... Je n'ai pas dit non plus que nous avons droit, en ce 24 novembre, à Redescente climatisée. Morceau planant s'il en est. J'en suis dingue. Souvenirs de jeunesse là encore (c'est fou comme ma vie est étroitement liée à l'œuvre de Thiéfaine) : trajets en voiture passés essentiellement à rembobiner la cassette pour que ça tombe pile au bon endroit, là où se situait le graal absolu : ladite Redescente climatisée. C'est planant et surtout déchirant. Une histoire où la drogue prend les commandes. Que même si tu n'as jamais touché à ça tu sens tout à coup dans ta chair combien ça rend esclave...
Bref... Je n'ai pas mentionné non plus les nombreux problèmes techniques dont Hubert nous fait part. Mais qui, franchement, vus d'ici, ne gâchent rien. Je suis, une fois encore, dans l'émerveillement d'être là, rescapée d'un monde de formol et d'arsenic. Réponse à la première question que je me posais.
Réponse à la deuxième question : plus ardent ou pas qu'à Nancy et à Troyes ? Oui, je crois. C'est surtout sur Bipède à station verticale que l'ambiance s'électrise. Là, le public glisse vers encore plus de braise, et c'est bon, comme dirait mon voisin aux extases sonores. « Toujours faut se tenir debout » : encore une de ces phrases où semble s'être logé le résumé de notre condition dans ce qu'elle a de plus contraignant.
Le dieu sinistre, effrayant, impassible finit par avoir raison de ma bonne volonté : je n'ai pas su retenir le temps. Et merde, je suis trop nulle. Il faut dire que je n'ai pas répété cent mille fois à je ne sais qui « faites que cette soirée ne finisse jamais », je n'ai pas pu, j'étais occupée à autre chose. J'avais mieux à faire, quoi. Quand Thiéfaine est dans les parages, c'est lui, tout simplement, mon « mieux à faire ». Mais voilà. : la négligence coûte cher. Le temps a donc filé. À me voir occupée à mon mieux à faire, il en a profité, le saligaud. Et voilà qu'arrive, sur son chariot chargé de paille, sur son chariot chargé de foin, qui vous savez...
La vie, ça ne devrait pas être ce que c'est. Ça devrait être des concerts de Thiéfaine que tu enchaînes tout comme tu veux, selon un calendrier défini par toi-même. Notre pauvre Bébert n'aurait plus une minute à lui ! Parce que les concerts de Thiéfaine, c'est si bon que tu ne peux pas te résoudre à la loi du dieu sinistre, effrayant, impassible. C'est pour ça que nous sommes nombreux à en redemander toujours et encore. Donc, maintenant, la question qui va m'occuper, en plus de toutes les autres d'ordre métaphysique, c'est : Colmar le 27 décembre, chiche ou pas chiche ?! J'sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression qu'une partie de moi (la moins raisonnable, la plus wildienne, celle qui se dit régulièrement « les folies sont les seules choses qu'on ne regrette jamais ») a déjà répondu...
P.S. : Après le concert de vendredi, je suis passée dans les loges, un truc de ouf. Moi qui ai toujours eu si peur de me retrouver devant Thiéfaine. Oui, vraiment peur, parce qu'il est, depuis 31 ans, celui dont l'œuvre me permet de ne pas m'emmêler trop fort dans mes tourments, que j'ai nombreux, pour ne pas dire innombrables. Je lui ai bredouillé comme j'ai pu mon admiration et ma reconnaissance. Il a été absolument charmant et nous avons beaucoup ri. Ce fut un moment presque hors du temps, même si le dieu sinistre, effrayant, impassible a tout de même fini par se rappeler à mon souvenir pourtant réticent. Rien ne m'appartient, si j'en crois Natacha Appanah, mais ces moments-là, j'ai l'impression qu'ils seront toujours rien qu'à moi, douces lueurs d'une beauté indescriptible. Tellement indescriptible que je me refuse à essayer d'en livrer quelque chose ici. En clair, en net et sans décodeur : cette rencontre, ce fut l'aboutissement d'une admiration qui remonte presque au déluge (« ma mère, jamais dans l'excès », dirait ma fille Louise si elle me lisait !).
*Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible : Baudelaire (poème L'horloge).
11:05 | Lien permanent | Commentaires (8)
Commentaires
@ ... :
, je suis passé par ici & je repasserai par là :-)
, ...
Écrit par : le Doc. | 26/11/2023
@ Pourquoi tant de N :
https://www.thiefaine.com/livre-dor/#comment-245121
, ...
Écrit par : le Doc. | 26/11/2023
Bon, en fait, je ne sais plus à combien de concerts
j'en suis. 57, je crois, mais il faudrait reprendre les comptes scrupuleusement. Je le ferai bientôt, comme ça, juste pour le plaisir !
Écrit par : Katell | 26/11/2023
@Catherine :
, moi non plus je ne sais plus à combien de concerts j'en suis ?
:-)
, ...
Écrit par : le Doc. | 26/11/2023
Super Katell ! Merci pour ce retour plein d’émotions en tout genre ;-)
Sympa d’avoir pu discuter avec Hubert. Moi je l’appelle « le Maître » en plaisantant mais « le patron » c’est bien aussi ! C’est vrai qu’il est bien au dessus de la moyenne…
J’ai l’intention d’aller à la Cuvée Givrée parce que mon dernier concert remonte à octobre et que je trouve que ça va faire long jusqu’au prochain au printemps. Et puis aussi parce que je ne suis pas trop fêtes de fin d’année et ce concert, entre deux fêtes (le 27 décembre), me donne une belle perspective…
Et je me permets de finir en prenant ta suite et en citant d’autres vers de L’horloge :
« Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide. »
Poème que je trouve terrible… et qui me conforte dans l’idée qu’il faut profiter sans hésiter des moments de plaisir qui ponctuent nos vies !
Écrit par : Bételgeuse | 26/11/2023
Oui, tu as raison, et Baudelaire aussi ! Si tu vas à Colmar, ça m'encourage encore plus ! Je vais bientôt prendre mon billet !!!
Écrit par : Katell | 26/11/2023
Ahah !
Comme si tu avais besoin d'encouragements pour aller à Colmar !!
(On peut mentir 1000 fois à ...Non...enfin, vous comprenez).
Super Katell : On était avec toi dans la fosse aux orgasmes.
Presque aussi, devant l'autoradio rembobineur.
Quant aux loges… secrets d'alcoves !!
Merci !!
Écrit par : Seb | 27/11/2023
Seb, merci beaucoup d'avoir été avec moi dans tous ces moments ! Le coup de la cassette rembobinée à l'infini, je m'en souviens très bien. C'était souvent au retour de la fac, les lundis soir, quand je préparais le Capes : j'avais cours jusqu'à 19 h ces jours-là et je sais que Thiéfaine faisait la route avec moi, systématiquement ! J'ai vraiment un souvenir précis d'arrêts à différents feux rouges et, vite, la cassette ! Il faut la rembobiner pour réécouter Redescente climatisée !
Programme du jour : me procurer un billet pour le concert de Colmar. Et bien vérifier au préalable que le tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines, qui permet de rejoindre la ville alsacienne en évitant un col désastreux en hiver, est bien à nouveau ouvert à la circulation. Prévoir peut-être une chambre d'hôtel, je ne sais pas encore ! Avec tout ça, d'autres fans me demandent de venir également aux concerts de Dole et de l'Olympia !!! Je vais écrire de ce pas à mon banquier, pour voir s'il y a moyen de taper dans une réserve qui, théoriquement, est inaccessible... On ne vit qu'une fois, tout peut s'arrêter brutalement, j'en suis la démonstration sur pattes, alors au diable l'avarice !!!
Écrit par : Katell | 28/11/2023
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