28/12/2023
Thiéfaine était à Colmar hier soir...
"Quelque chose vient à tout instant nous secourir". Christian BOBIN
C'est une grande boîte Pampers. J'en ai déjà parlé ici. Elle contient tous mes souvenirs liés à HFT : billets de concerts, articles de journaux, revues, numéros du fanzine qui n'existe plus, etc. Elle va s'enrichir dès aujourd'hui d'un billet de plus. Et voilà, encore un qu'on enferme parce qu'il appartient au passé. Le temps passe toujours un peu vite et ce n'est pas toujours notre chance*...
Donc, hier soir, Colmar.
J'arrive un peu tard dans la salle, ce qui me vaut de ne pas être aussi bien placée que les autres fois... Il est rare que je me trouve si loin dans la fosse. Sam et Bételgeuse me disent par messages que je peux tenter de les rejoindre tout devant, mais je n'ose pas fendre la foule comme ça, dire « c'est moi que v'là, j'ai pas fait la queue comme tout le monde, mais je vous grille quand même ». C'est pas tous les jours facile de vivre en société quand on a un peu d'éducation.
Bon, ben, voilà, je serai assez loin de la scène. J'en prends mon parti, je me raisonne : Hubert, je l'ai vu presque 60 fois, alors...
Il est très exactement 18h59 sur mon portable quand les lumières s'éteignent. Tout de suite, je me dis que ce ne sont pas les musiciens d'Hubert qui viennent de s'installer sur la scène. Et merde, il y a une première partie, j'aime pas les premières parties, j'ai du mal à leur accorder mon attention et mon indulgence. Mais bon, écoutons quand même, pour voir. Le chanteur s'appelle Nicolay Sanson et étonne par son univers un peu à part, ses prouesses vocales, ses textes. Franchement, à creuser dès que je pourrai.
Petit interlude avant l'arrivée du maître. Des gens se faufilent dans la foule, m'écrasant sans scrupules, et surtout sans s'excuser, les panards. Je ne dis rien, mais je n'en mugis pas moins intérieurement. Deux gars bien costauds et assez hauts sur pattes viennent s'installer pile devant ma voisine de droite et moi. Je suis furax. Alors eux, ils s'en foutent pas mal d'avoir de l'éducation ou pas. Ma voisine est moins couarde que moi. Elle tapote l'épaule d'un des gaillards et lui dit : « ça ne vous dérange pas de vous mettre là sachant que vous venez d'arriver, alors que nous on est là depuis une heure ? ». Comme je la kiffe, cette fille ! Les deux balourds s'en vont un peu plus loin, penauds, cacher le soleil de quelqu'un d'autre. On s'en fout, c'est pas le nôtre, de soleil.
L'heure tourne et Hubert se fait attendre. Je discute avec mon voisin de gauche. Au fil de la soirée, j'apprendrai qu'il vient de La Rochelle (oublié de lui demander si les filles y avaient toujours le scorbut), qu'il s'appelle Jean-Pierre et qu'il est orthophoniste. Au moment où j'apprends son prénom, je me dis que finalement le Doc, malheureusement absent ce soir, est un peu des nôtres tout de même. Jean-Pierre l'orthophoniste est accompagné de ses deux filles. De fil en aiguille, je leur dévoile ma passion pour HFT. J'explique que je l'ai découvert quand j'avais 19 ans, que j'en ai 50 à présent et qu'il me semble que je vais le voir pour la 59ème fois ce soir. J'ai l'air, une fois de plus, d'une bête curieuse. Pas grave, il suffit de s'habituer. J'ajoute quand même, comme pour m'excuser, que je ne suis pas la seule allumée de mon espèce. Mais bon, après tout, je ne peux leur fournir aucune preuve, et comme c'est moi l'unique bête curieuse qu'ils ont sous la main, ben je pense qu'ils se sont dit que j'étais bien givrée.
Givrée comme cette cuvée 2023 qui nous fait l'honneur d'accueillir HFT. Entre le champagne de Noël et celui du 31 décembre ! Quelle bonne idée !
Les lumières s'éteignent de nouveau et cette fois, ça y est, c'est eux : Sofiène, Christopher, Lucas, Bruce, Jean-François, Fred et enfin, last but not least, Hubert. Au bout de quelques secondes, Jean-Pierre me dit, à propos de Thiéfaine : « Il est beau comme un dieu ». Ah ça, JP, ce n'est pas moi qui vais te contredire ! Je me demande même, à force, si ce ne sont pas les dieux qui sont beaux comme Hubert !!!
Même setlist ou presque qu'à Saint-Dizier. Sauf qu'on est privé de Redescente climatisée et que ça me fait des regrets éternels dans le cœur. J'aurais tellement aimé. Comme 113ème cigarette sans dormir. Mais bon. On ne peut pas tout avoir non plus. Déjà, ce qu'on a ce soir et qui est inestimable, c'est la grande forme d'Hubert. Pas un seul plantage dans les paroles, à moins que je n'aie été distraite à un moment ou un autre, mais non, je ne pense pas. J'étais dedans comme on ne peut guère plus et je n'ai relevé aucune infime erreur. La voix est bien reposée, inaltérée, inaltérable semble-t-il. Quelle chance j'ai, quand même : avoir connu cet artiste quand j'avais 19 ans et pouvoir le voir encore aujourd'hui que j'en ai 50. De temps en temps, la vie est bien foutue. C'est pas tous les jours non plus, hein, alors ça mérite d'être souligné !
Je suis heureuse d'écouter les titres qui m'accompagnent depuis des lustres. Souvenirs de moments complices avec ma mère, que Groupie 89 faisait rire. Souvenirs aussi de ces moments où, gênée dans ma chambre qui jouxtait celle de mes parents, je sautais sur le poste pour baisser le son pendant les passages scabreux de Cabaret Sainte-Lilith (et le diable sait s'il y en a : entre la p'tite branlette, la reniflette, les mecs roussis, la pudeur de mes parents aurait eu de quoi être ébranlée si je n'avais veillé au grain, brave fifille à ma môman). Souvenirs de moi à 19 ans, découvrant la phrase « la bidoche est faite pour saigner » et voulant y voir un aphorisme dans lequel se tenait, concentrée, toute la tragédie de la condition humaine : « après avoir souffert, il faut souffrir encore », disait Musset, ce qui revient au même, en définitive !
Je suis toute chose et le public tout chaud. J'ai l'impression d'être dans un bain de Jouvence. Non loin de moi, trois joyeux drilles dansent et chantent comme des gosses. Parfois, ils agitent des briquets au bout de leurs poings levés, comme au bon vieux temps. Parfois aussi, ils tirent en loucedé et rapidos sur un joint, et ça embaume tout le secteur où je me trouve. Ça me rappelle mon premier concert d'Hubert et les émanations de haschich dans la salle entière, ce qui avait fait dire à ma mère : « J'ai jamais fumé un seul joint, mais je sais désormais quel effet ça fait ». Ah, maman, comme tu me manques...
Public tout chaud, disais-je. Ah oui, vraiment, un truc de malade. Ici, ce n'est pas la cuvée givrée, c'est la cuvée en feu, ça crame de partout. Pour ça, Colmar est pour l'instant le meilleur concert auquel j'ai assisté sur la tournée Replugged. J'ai l'impression qu'Hubert et ses musiciens ont été portés par cette ambiance et que les interactions avec le public ont été plus nombreuses qu'ailleurs. Mais peut-être que je me trompe.
Je suppose que pendant le concert la joie se lit sur mon visage car mon voisin (Jean-Pierre) me demande tout à coup à combien peut battre mon pouls. Mazette, je n'en sais rien, mais je pense que ça frôle l'extase dans mes veines !
Mais déjà s'éteignent les notes de Combien de jours encore, et nous voilà seuls avec cette lancinante question. Je pense à mon père, comme à chaque fois, et au moment où il s'est « envolé à jamais vers un nouvel ailleurs ». Ah, papa, comme tu me manques... Les chansons de Thiéfaine, j'y projette toute mon histoire, chacune me renvoie à un pan de ma vie, et toujours, désormais, il en sera ainsi. Ça ne s'en ira qu'avec la bonne femme, comme disait ma mère à propos de certains de ses défauts ou de certaines de ses maladies.
Hubert revient et nous offre des Mathématiques souterraines belles à couper le souffle. Je prends mon téléphone et j'appelle mes filles pour qu'elles écoutent cette merveille. Et puis voilà, ça va bientôt finir... La salle s'embrase une dernière fois sur La fille du coupeur de joints et Lucas finit trempé dans son sweat à capuche.
C'est un concert géantissime qui s'achève. Le temps passe toujours un peu vite, et c'est peut-être notre chance*, finalement, car déjà je vois, au calendrier 2024, des concerts et encore des concerts, l'un à Mondorf-les-Bains, l'autre à Paris peut-être, l'autre à Dole sans doute. Et plus si affinités. Et ça, affinités, je peux vous dire qu'il y a toujours !
*"Le temps passe toujours un peu vite, et c'est peut-être notre chance" : début des paroles de la chanson Your terraplane is ready mister Bob ! (album Amicalement blues).
20:24 | Lien permanent | Commentaires (13)
24/12/2023
Bientôt Colmar !
Il paraît que c'est Georges Clémenceau qui disait : « Le meilleur moment de l'amour, c'est quand on monte l'escalier ». Comme quoi on peut être politicien et ne pas manquer de finesse !
J'ai souvent pensé à cette phrase, la remâchant en bien des circonstances... En amour, c'est vrai, quoi de plus merveilleux que cette ascension vers les sommets, sachant qu'un de ces quatre matins on en redescendra en une sale dégringolade qui va piquer le coccyx ?! Plus la montée fait de tendres promesses, plus monumentale est la chute, n'est-ce pas ? Je ne dis pas que je parle en connaissance de cause, mais tout de même, il y a un peu de traces de vécu là-dedans ! C'est comme ces emballages qui préviennent : « Peut contenir des traces de fruits à coque »...
Il est possible, comme je le disais plus haut, d'élargir le propos du père Georges à bien des moments de la vie. Noël, par exemple, c'est beau surtout avant, quand la fête se trouve, comme on dit si joliment en allemand, devant la porte (« Weihnachten steht vor der Tür »). Mais allez donc lui ouvrir ladite porte à ladite Noël, que ça y est, la magie s'estompe inéluctablement. La magie de Noël, ce sont ces cadeaux qui trônent, inviolés, au pied du sapin. C'est l'attente fiévreuse qui allume une flamme dans les yeux des enfants. C'est le moment où le père Noël n'est pas encore passé et où l'on se dit que dehors il va avoir si froid, c'est un peu à cause de moi.
Le lendemain, restes de bûches dans les assiettes, profusion de papiers cadeaux froissés. La magie a foutu le camp.
Ainsi en va-t-il de tout dans nos pauvres existences. Enfin, je trouve. On a le droit de ne pas être d'accord ! Je l'ai déjà écrit, mais je le redis parce que c'est important pour moi et carrément constitutif de ma personne : lire, adolescente, « c'était fini d'attendre », sous la plume de Maupassant, ça a remué en moi des tas de machins. J'avais trouvé la phrase qui me définissait. Rien ne vaut, je crois, l'impatience dans les starting-blocks. Une fois l'attente comblée, ben voilà, il n'y a plus d'attente, et il n'y a plus qu'à en inventer une autre !
C'est sans doute la raison pour laquelle avec HFT, par exemple, je n'en ai jamais assez, dans tous les sens de l'expression. Jamais assez : jamais suffisamment, et jamais ras-le-bol non plus ! Ce que je chéris par-dessus tout, ce sont les heures qui précèdent le concert. L'attente, quoi, le désir, l'impatience. Ce moment où, sur des parkings, on rencontre des êtres que la même impatience anime. Où l'on entend sortir des voitures des airs écoutés cent milliards de fois. On dirait que nous avons tous les mêmes rituels : avant un concert de Thiéfaine, Thiéfaine bien sûr. Après un concert de Thiéfaine, Thiéfaine évidemment !
Une fois que les premières notes de musique retentissent sur la scène, il y a quelque chose qui nous échappe, qu'on le veuille ou non. Qui nous pousse vers la sortie, tels ces vigiles indélicats qui hurlent désormais après chaque concert : « Allez, messieurs dames, il faut partir ». C'est comme dans la chanson, on « roule à toute allure vers un point non défini ». Un point qu'il vaut mieux ne pas définir, justement. Parce qu'on sait tous de quoi il s'agit : de la fin. Du moment où il faudra, à contrecœur et déglingué, redescendre l'escalier de service. Du moment où l'on se dira : « C'est fini d'attendre » (ah, Maupassant, Maupassant !). Personnellement, c'est un truc dont j'ai du mal à me remettre à chaque fois, et je crois que c'est pour panser la suppurante plaie que j'en redemande encore et toujours ! Immer und immer wieder ! Je me souviens de l'affreux cafard qui m'avait étreinte au lendemain de mon premier concert d'HFT. Tout à coup, l'automne en pleine gueule... Et cela avait été le prélude à bien des automnes en pleine gueule !
Il reste trois minuscules dodos avant Colmar. Et je suis bien décidée à savourer chaque minute qui me rapproche du début du concert, c'est-à-dire de la fin ! L'escalier, je vais le monter sur un rythme pépère, c'est moi qui vous le dis ! En amour et comme en Thiéfaineland, il s'agit d'économiser son souffle !
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