09/03/2011
Thiéfaine, conquistador écorché
La pensée du jour : "Je m'évertue vers quelque point insaisissable. Le chemin qui y conduit, s'il y conduit, est incandescent. On s'y brûle. Je ne sais si j'y progresse. Je m'évertue". Louis CALAFERTE
Le vendredi 25 février, Patrice Demailly consacrait, dans Nord éclair, un magnifique article à Thiéfaine. Le voici (merci, Cath, de me l'avoir envoyé !) :
Honnêtement, on ne s'attendait pas à un tel uppercut. Avec "Suppléments de mensonge", dans les bacs ce lundi, Hubert-Félix Thiéfaine signe son chef-d'oeuvre. Douze morceaux pour autant de pépites. Saisissant.
Il a arpenté ciel et terre, de bas en haut, des fosses sulfureuses des enfers tièdes aux paradis artificiels où il s'est parfois brûlé les ailes. Au milieu de ce monde englouti, Hubert-Félix Thiéfaine est un sublime survivant. Qui cultive ses marges - dont celle du show-biz - et son existence pas toujours cadrée. L'homme a près de 35 ans de carrière derrière lui. Pour ceux qui s'intéressent d'un air seulement distrait à la musique, il est le créateur de La fille du coupeur de joints, un hymne qui s'élève au-dessus des cieux.
Dans la chambre d'un hôtel où il nous reçoit, il pourrait réciter la Bible qu'on resterait pendu à ses lèvres. Certainement le privilège des incandescents. Pas facile d'échanger avec ce grand incendie cérébral. Parce que son âme a une longueur d'avance sur la meute. Parce que la solitude est sa meilleure compagne. « J'adore ça. Si je me retire, faut pas venir m'emmerder. Je ne m'ennuie jamais quand je suis seul. Je m'amuse avec mes jeux préférés, il y a une sorte de télécommande dans ma tête ». Quand on lui demande en référence à la chanson sur le suicide Petit matin 4.10 Heure d'été s'il a déjà tenté de mettre fin à ses jours, il se recroqueville dans son fauteuil. Semble être ébranlé. Et répond par un expéditif « joker ». Plus tard dans la conversation, au sujet de son rapport à la mort, il glissera : « J'ai essayé donc je n'ai plus peur ».
Un bain bouillonnant de vie
à vif et de poésie
Thiéfaine fait partie de ces artistes qui ne s'arrêtent jamais, dont la vie est faite d'écriture et de questionnements, de chemins tortueux et de fureur, de mélodies et de parfums vénéneux. Il dit : « C'est une histoire de guerrier d'être chanteur. On va de combat en combat, il faut se maintenir debout et aller de l'avant ».
On l'avait quitté à l'été 2008 avec un album de blues délicieusement concocté avec Paul Personne (Amicalement Blues). Avant de refaire surface, Thiéfaine a encore morflé. Un burn out qui a nécessité une longue hospitalisation. « J'avais enchaîné les projets. Mon corps avait besoin de se reposer ». Il ne s'étendra pas davantage là-dessus. Juste précise-t-il qu'il avait dans son escarcelle un disque presque complet.
« Il devait s'appeler Itinéraire d'un naufragé, mais quand je me suis remis en selle, je n'avais pas envie de regarder dans le rétroviseur, je voulais des idées neuves ». Bien lui en a pris puisque Suppléments de mensonge (titre emprunté à un chapitre du Gai Savoir de Nietzsche), c'est un coup de chapeau magistral d'où s'échappent des myriades de mots patraques, biscornus, métaphoriques. L'écouter c'est se plonger dans un bain bouillonnant de vie à vif et de poésie. Le gaillard, lui, avoue ne pas savoir dissimuler la vérité.
« Je n'y arrive pas, j'ai les yeux trop clairs. On voit mon cerveau à travers eux quand j'essaie de mentir, il y a plein de lumières qui clignotent ». L'album est arrangé avec goût et, disons-le, avec maestria par Édith Fambuena et Jean-Louis Piérot, tandem génial des Valentins qui avait déjà notamment imposé sa patte sur l'exceptionnel Fantaisie Militaire de Bashung. « Je ne le savais pas parce que je n'avais jamais écouté cet album d'Alain. J'étais resté bloqué sur la pochette et le titre que je n'aimais pas ». Il ajoute, avec un sourire malicieux : « Le pire, c'est que j'ai chez moi des albums avec des pochettes superbes qui sont musicalement d'une nullité totale ».
Comme pour son précédent opus Scandale mélancolique, Hubert-Félix Thiéfaine a envoyé une partie de ses textes à des compositeurs extérieurs. Sont retenus : le duo de La Casa, Ludéal, Arman Méliès, Dominique Dulcan, Guillaume Soulan, JP Nataf, Robert Briot. « Hormis ces deux derniers, je ne les connaissais pas. Je suis allé à la cueillette. Il faut qu'il y ait une alchimie avec mes textes, une sorte d'étincelle ».
On le suit donc, avec vertige, au bord de ses gouffres profonds comme dans les mille et un détours de son écriture éblouissante. « J'ai fait plus de place ici à ma part féminine. C'est un peu moins cow-boy que d'habitude ». Une grande latitude émotionnelle émane d'ailleurs des morceaux.
C'est rarement léger, mais toujours marquant et profond, traversé par des fulgurances mais aussi par le froid des marbres. Le coeur du chanteur semble battre dans chacun de ses vers qui, sous une beauté destructrice, suggèrent les sentiments les plus brûlants. Les cicatrices sont palpables mais l'espoir ne semble pas être mort. On a l'impression que toute une vie se retrouve dans Suppléments de mensonge. Ne pas demander à Thiéfaine de faire l'exégèse de ses textes. Ce n'est pas son trip. « Je ne cherche pas à prouver quoi que ce soit. Je veux laisser les autres rêver ce qu'ils ont envie de rêver par rapport à ce que je donne. Je travaille avec des mots, je ne suis pas prosateur, ce sont les mots qui m'intéressent ».
Les obsessions existentielles de Thiéfaine le font vaciller en bordure du crépuscule mais la plupart des ritournelles lui confèrent une mélancolie étrange, quasi heureuse. Entre le festival d'oxymores crachés sur la rythmique punk Lobotomie Sporting Club, la nostalgie lumineuse de La ruelle des morts, le sexuel Garbo XW Machine, les cordes coulissantes comme des perles sur un collier d' Infinitives voiles et les trompettes à la Calexico de Petit matin 4.10 Heure d'été - sommet du disque - difficile de ne pas être littéralement conquis. « Le ton du disque, c'est d'être moins austère et de mettre plus de foi dans nos instincts vitaux. Mais je n'allais pas m'arrêter à être profond et percutant ».
Au final, sans doute un des plus beaux, des plus foudroyants albums jamais enregistrés sur le sol français depuis belle lurette. On s'y enfonce comme dans un paysage sombre et tourmenté et on en ressort paradoxalement apaisé, ébaubi et inondé de lumière.
08:23 | Lien permanent | Commentaires (10)
05/03/2011
Thiéfaine à la FNAC Saint-Lazare hier
La pensée du jour : "Tu te retrouves avec, dans la tête, le sourire amer de la médiocrité impuissante, tu réalises que tes illusions étaient bien trop pures pour toi". Nicolas FARGUES
Petite déception hier matin à la Maison de la Radio : impossible d'assister à l'enregistrement du "Fou du roi". Et pour cause ! L'émission avait déjà été enregistrée auparavant !
En revanche, aucune déception à la FNAC Saint-Lazare ! J'ai d'abord flâné un peu du côté du "Golden Black", attendant que d'autres me rejoignent (question : Cédric, es-tu venu, finalement ?). Vers 14h30, Elodie est arrivée. Peu après, nous avons décidé d'aller nous installer à la FNAC, pour être bien placées pendant l'interview. Et je ne regrette pas d'avoir "poireauté" ainsi pendant quelques heures ! Quel moment riche que celui qui a précédé l'arrivée d'Hubert ! Aussi riche que l'interview elle-même. J'ai adoré ce petit comité que nous formions, nous tenant bien chaud les uns les autres. J'ai adoré discuter avec Adrien, dont la jeune fougue m'a rappelé celle qui était la mienne quand j'avais 20 ans moi aussi. Je ne te l'ai pas dit, Adrien, et tu l'apprendras si tu passes par là, mais lorsque je t'ai quitté quelques minutes après avoir papoté avec toi, j'étais bouleversée, émue aux larmes... La relève est assurée, et de bien jolie façon !
Des émotions partagées, donc, et aussi des rires fort sympathiques avec Yoann, vu plusieurs fois durant mon séjour à Paris. L'immense joie de rencontrer enfin Lorelei2, de voir ses yeux pétiller rien qu'à l'évocation du nom de Thiéfaine. L'immense joie de retrouver des visages familiers, comme celui du Doc. L'immense joie de retrouver des gens pas vus depuis bien longtemps. Le Petit Hubert illustré (c'est formidable de rencontrer un dictionnaire !!) et sa moitié, mais aussi Sapq, Uther Pendragon, David, Yoann, Tommie, Sœur Sparadrap, et tant d'autres...
17h. Zegut, qui doit mener l'entretien, arrive et discute chaleureusement avec le public. En arrivant au Forum de la FNAC, je me suis baladée et j'ai découvert, sous l'affiche annonçant la venue de Thiéfaine, des livres, des CD et des films qui ne sont pas sans rappeler l'univers du bonhomme : Voyage au bout de la nuit, Au-dessous du volcan, Blow-up, The Beat Generation, Twin Peaks, les Stones et Dylan. En fait, tout cela est destiné à annoncer déjà la couleur que va revêtir l'entretien HFT-Zegut. Thiéfaine a été invité précédemment à sélectionner cinq livres, cinq disques et cinq films qui ont compté pour lui. Il cite donc Voyage au bout de la nuit, Au-dessous du volcan, The Beat Generation, Finnegan's Wake, de Joyce (jamais entendu parler de ce livre, et je dois d'ailleurs dire qu'hier j'ai découvert l'étendue immense, vertigineuse, affolante, de mon ignorance, cela remet salement les idées en place !). Quel autre livre encore ? Je ne sais plus. J'ai noté des noms, pêle-mêle : Homère ("Il faudrait commencer par Homère", dira Thiéfaine, et aussi : "Si je devais partir avec un seul livre, ce serait Homère"), Aragon et notamment Les cloches de Bâle, Hédi Kaddour (Waltenberg ... jamais entendu parler !).
Côté cinéma, HFT a retenu Blow-up, Le septième sceau, Mystery Train, Twin Peaks et Le mépris. Il aime aussi O'Brother, des frères Coen. Personnellement, je n'ai vu aucun de ces films (si, j'ai bien vu Le mépris, mais il y a plus de 20 ans, je pense !!!) et je me fais toute petite dans mon fauteuil...
Nous abordons ensuite le thème de la musique, et Thiéfaine nous parle de Bach, de Dylan, des Rolling Stones (il a sélectionné l'album "Aftermath"), de John Lee Hooker et Canned Heat. Il nous apprend qu'avant chaque tournée, il réécoute systématiquement "Rock'n'roll Animal", album live de Lou Reed. Bien sûr, il évoque Léo Ferré et plus particulièrement cet album sans titre, celui qu'on appelle parfois L'été 68, et sur lequel on peut trouver "Pépée" et "C'est extra". Il nous en dit un peu plus sur son admiration pour Ferré. Ce qu'il aime, c'est le Ferré mélancolique et tendre, les chansons comme "A toi". "Le Ferré révolutionnaire n'est pas intéressant", affirme-t-il. Ou encore : "Le Ferré qui faisait de la politique et un peu de la démago aussi, celui-là, il m'agaçait".
On évoque très (trop ?) rapidement "Suppléments de mensonge", et Thiéfaine dit une fois de plus qu'il a, dans cet album plus que dans les autres, laissé libre cours à sa part féminine. "Dans l'écriture, surtout," précise-t-il. Zegut lui parle du corbeau que l'on voit un peu partout dans le livret, et Thiéfaine dit que c'est un peu l'animal fétiche des poètes, il évoque Edgar Allan Poe, mais aussi Rimbaud, The Beat Generation, précisant que cet "animal pas rassurant représente le côté maudit de l'artiste".
Voilà. Hubert s'en retourne ensuite dans sa loge. Cinq, dix minutes. Et nous sommes je ne sais combien à attendre de nous retrouver en face de l'artiste, pour une dédicace, pour échanger deux ou trois mots. Et il s'agira bien de n'échanger là que deux ou trois mots, la vue de la foule impatiente n'invitant guère à de longs épanchements. Thiéfaine se prête plus ou moins chaleureusement à l'exercice. On sent bien qu'il est fatigué et qu'il voit le truc comme un travail à exécuter, comme il l'a dit au "Fou du roi"... Ce n'est pas le moment que j'ai préféré. De toute façon, je n'aime pas approcher les artistes que j'aime. Tout est dit dans leurs œuvres, à quoi bon chercher plus loin ?
Après la séance de dédicaces, nous sommes une quinzaine à nous retrouver dans un bar situé non loin de là. Je discute avec une certaine Florence, qui n'était jusque là mon amie que sur Facebook, et je me rends compte que nous pourrions très bien être amies dans la vraie vie, tant l'échange est bouillonnant et passionnant, tant nous partageons, entre autres, le même amour de la lecture.
Vers 21h, tout le monde regagne ses pénates. Il est tard, je dois préparer mes bagages pour demain. Et j'ai dans le cœur un bagage fabuleux, impalpable et pourtant bien réel : des sourires, des mots, des échanges engrangés, et qui me porteront de longues semaines durant...
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