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28/04/2006

Chronique de Vincent Roca au "Fou du roi" (27 avril 2006)

On le sait, Hubert-Félix Thiéfaine n’arrête pas de tourner. Sur 365 nuits, il peut en passer 250 dans les hôtels. C’est la tournée des ascenseurs, des chambres et des minibars. Et c’est la tournée des matelas, mousse, latex ou ressorts, un oreiller dans chaque port. Mets-toi à l’aise ! Résultat : Hibert-Félux Théfiaine a des problèmes de dos, la colonne en compote, les nerfs en pelote et la moelle rancunière. Ce n’est pas le problème de certains de ses collègues chanteurs, qui ont le dos en béton et, par contre, des crampes au niveau du fessier. Normal, ils font 250 émissions de télé, assis devant un micro, pour trois-quatre dates de tournée dans l’année. Choisis tes douleurs, camarade ! En 2003, Hufert-Bélix Féthiaine s’est donc allongé. Alité du bocal. Il a planché pendant un an sur son plafond. Un an à lézarder, à compter les fissures. Il a écrit des textes sur les murs. Poésie-plafond. Des vers avec les pieds dans le plâtre et des araignées dans la césure. Dans la tête de Buflert-Léthi Féxiaine, il y a des fissures aussi, et des fixettes. C’est un fêlé né d’un reste de guerre, il y a un peu plus d’un demi-siècle. Une de ses premières chansons : « Avec les germes de la guerre

on ne fabrique que des tarés

moi j’ai le cœur qui tape à l’envers

et le cerveau qui a des ratés ».

Revenons à nos problèmes de dos. Diagnostic de la médecine : « Monsieur Bélier Fufix Etraine, vous avez une hernie discale ». Le verni en a donc fait un disque. Rock and scoliose. C’est notre Goethe à nous, « Les souffrances d’une jeune vertèbre ». Tout n’est qu’ombre et lombaire. Le nouveau Thiéfaine n’est pas chiatique, il est sciatique.

Si vous regardez le visuel de son album, vous comprenez tout de suite : pour qu’il tienne debout, on lui a mis une armature en fil de fer. Mais moi je pense que c’est du fil de Ferré. D’ailleurs, regardez bien : l’armature a le poing levé ! Thiéfaine est tombé tout petit dans Ferré, il est descendu en rappel dans les grottes du vieux, dans ses cavernes, ses gouffres et ses eaux souterraines. Un vrai spéléo. Alors, respect, Léo !

Quand on visite la pochette du CD, il y a du grillage partout. Comme dans un zoo. Il y a une armature de chat et, à l’intérieur, des souris. Les souris dansent. Normal, le chat n’est pas là. L’image illustre la chanson « Gynécées ». Alors c’est pas une armature de chat, c’est l’armature d’une chatte. Et, à l’intérieur, ce ne sont pas des souris, ce sont des rats. Sur la dernière page, une biche dans sa prison grillagée. Hier soir, au Grand Argentix (?) de Bourges, le steak de biche a été remplacé par de la bavette. On cause, on cause, on parque les biches et on les bouffe en steaks. Depuis plus de trente ans, Thiéfaine soigne ses problèmes de do(s), de ré, de mi, enfin de musique. Un oxymoron matin, midi et soir. Ce sont les cachets du poète, solubles dans la chanson. Chez Thiéfaine, le froid est torride, la douceur convulsive, le jardin sauvage, l’opéra silencieux, les bulles bruyantes, les Doc Martens à pointes et l’amanite phalloïde sweet. Ce sont des oxymorons. On fait cohabiter deux mots qui ont des sens apparemment contradictoires et ça vous pète à la figure. « Scandale mélancolique ». Il me semble que son nom, Hubert-Félix Thiéfaine, est un oxymoron. Saint Hubert, patron des chasseurs, Félix Potin, patron des épiciers, et Thiéfaine, comme le chanteur Thiéfaine, noir et en colère. Et qui râle en octosyllabes :

« Dans cet étrange carnaval

on a vendu l’homo sapiens

pour racheter du Néandertal ».

Je me demande si Hubert-Félix Thiéfaine et notre planète terre, ça n’est pas un gigantesque oxymoron. En tout cas, ça vous pète à la figure. Hubert-Félix Thiéfaine, faut pas le chercher. C’est un grand consommateur d’exil et de silence. Comme ça, il est affable, sociable, mais c’est parce qu’il a toujours à portée de main sa dose. Sa dose de poudre d’escampette. « Je me tire, salut, je mets la giclée sous la porte ». Il est accro au départ, camé à la pause. Il se « chut » au silence, il avale sa chique. Son héros ? L’ange qui passe. Il lui saute dessus pour lui fumer les plumes. Il aime bouger. Alors, de temps en temps, il sniffe une ligne de fuite. Il craque, il se fout en pétard et met les bouts. Il se déracine. C’est un banni en herbe. Il part en fumée. Même si Hubert-Félix Thiéfaine n’est jamais très loin. On le joint facilement. Dis-leur, dealer, dis-leur qu’ils se taisent ! Un jour, il sortira son joker, qu’il aura soigneusement bâillonné au préalable. Un joker aphone. Il mettra un silencieux à sa guitare, lèguera son corps à l’absence, il s’échappera, partira en cavale, se fera la belle, il s’envolera avec les muettes, il s’ex-itera, s’expatriera. Un jour, il finira bien par y rester, là-bas, il cassera sa pipe à Saint-Claude ou mourra d’une overdole dans le Jura.

Commentaires

Merci Cath pour la retranscription de l'émission, que je n'avais pas eu la chance d'écouter!
Je trouve cette chronique plutôt bien sentie, le travail sur les mots assez bons. Merci encore!

Écrit par : soph | 28/04/2006

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