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03/08/2006

Sturm und Drang

A la question « c’est quoi, le romantisme, pour Hubert-Félix Thiéfaine? », Hubert répondait, toujours dans Chorus n° 26 (décidément !) :

« C’est l’âme allemande. L’orage et la passion, « Sturm und Drang ». C’est violent ! C’est une sensibilité à fleur de peau ».

Alors moi, quand je lis ce genre de choses, je biche !! Comme, visiblement, le Sturm und Drang  a marqué Thiéfaine (cf. « Confessions d’un never been »), je ne résiste pas à l’envie de consacrer une petite note à ce courant littéraire !

 

 

« Klopstock, Lessing, Wieland représentent ce que l’on pourrait appeler la génération de 1730. On pourrait tenter de regrouper les écrivains de la génération de 1745-1755, ceux qui ont environ vingt ans de moins. Ils se rassemblent autour de deux universités, Göttingen et Strasbourg, sans qu’il y ait toutefois de frontières étanches entre les deux groupes. Le moins important est celui de Göttingen, où un certain nombre d’étudiants fondent une sorte de société des admirateurs de Klopstock, le Göttinger Hainbund.

Beaucoup plus important est ce que l’on pourrait appeler le groupe de Strasbourg, que l’on appelle traditionnellement le Sturm und Drang, du titre d’un drame écrit en 1776 par Friedrich Maximilian Klinger (1752-1831) ; cette expression intraduisible (assaut et poussée ? orage et désir ?)* exprime l’atmosphère de violence et d’irrationalisme qui règne entre 1770 et 1775. Les « Stürmer », c’est ainsi qu’on les dénomme, se disaient volontiers des « génies », et on désigne aussi cette époque comme le « temps des génies » (die Geniezeit).

Le Sturm und Drang pousse à l’extrême la revendication exprimée par l’Aufklärung (=les Lumières) d’émancipation de l’individu et en même temps, par son irrationalisme, par le sentiment religieux qui transparaît à tout instant, il continue, en l’amplifiant et en la transposant sur le plan de la création littéraire, la tendance piétiste. Les deux grands courants de pensée et de sensibilité du siècle s’unissent en une soudaine et brève explosion, avant de se retrouver, sous une forme beaucoup plus épurée et apaisée, dans le classicisme. Continuateur de l’Aufklärung, le Sturm und Drang exprime d’abord UNE ASPIRATION A LA LIBERTE, A LA LIBERATION DES REGLES ET DES CADRES D’UNE SOCIETE RIGIDE, exprimée par des jeunes gens issus de la bourgeoisie, qui n’arrivent pas à trouver leur place dans le monde qu’ils découvrent, et qui ont aussi appris de Klopstock la dignité et l’indépendance du poète.

(…) Dans le domaine de la littérature, cette libération s’exprime par le rejet des règles que l’esprit rationaliste avait fixées pour codifier la beauté artistique ; le génie est celui qui, dans sa liberté souveraine, définit lui-même les valeurs esthétiques, il refuse la notion de « goût », manifestation de la convention sociale. Parallèlement, le langage discursif, didactique, de l’Aufklärung, qui sert à transmettre la pensée rationnelle, est rejetée au nom du jaillissement spontané, de l’expression immédiate du sentiment ; le piétisme a ouvert la voie, et Klopstock a fourni un modèle. A l’origine du Sturm und Drang se trouve une nouvelle théorie du langage, celle que Johann Georg Hamann (1730-1788), un petit fonctionnaire de Königsberg qui n’hésite pas à polémiquer avec Kant, exprime dans les Pensées socratiques (Sokratische Denkwürdigkeiten) et dans les Croisades du Philologue (Kreuzzüge eines Philologen). Pour Hamann, Socrate, tout comme Homère ou Shakespeare, n’est pas l’homme du savoir, mais l’homme du sentiment, et le sentiment est au savoir ce que le corps vivant est au squelette, l’origine du langage n’est pas la volonté de communiquer la pensée, mais l’impulsion poétique qui pousse à l’expression sous forme d’images, la poésie est « la langue maternelle du genre humain ».

Le théoricien du Sturm und Drang est Johann Gottfried Herder (1744-1803). (...) Il reprend les idées de Hamann, en les plaçant dans une perspective historique inspirée de Rousseau : le langage est l’expression de l’âme individuelle de chaque peuple et, comme les individus, les peuples vivent. Retournant la conception optimiste de l’Aufklärung, qui voit dans l’histoire de l’humanité la marche vers le progrès, Herder y aperçoit le mouvement par lequel les peuples, qui se développent comme des organismes vivants, chacun suivant sa propre loi, s’éloignent de leurs origines ; l’histoire est donc décadence, elle mène de la jeunesse dont témoigne la Grèce antique au dessèchement que le rationalisme français fait subir à l’Europe du XVIIIème siècle. Cette décadence serait irrémédiable, si les peuples « nordiques » n’avaient conservé intacte leur force première. Il faut donc redécouvrir l’âme poétique originelle, telle qu’elle se manifeste dans la poésie populaire ; enthousiasmé par le faux le plus célèbre de l’histoire littéraire, les poésies attribuées au barde gaélique Ossian, publiées en 1760, Herder rassemble en 1778-1779 des « chansons populaires » (« Volkslieder »), ouvrant à la poésie allemande une voie qui sera particulièrement féconde. En puisant à la source de l’inspiration populaire, le poète retrouve, au-delà de l’artifice et de l’inauthenticité, la force primitive du génie, dont Shakespeare donne l’exemple le plus grandiose.

Les idées de Herder ont enthousiasmé toute une génération ; le grand événement fondateur du Sturm und Drang a été la rencontre à Strasbourg, en 1770, de Herder et d’un étudiant en droit, plus jeune que lui de quelques années, Johann Wolfgang Goethe ».

Suite au prochain numéro !

Source : La littérature allemande, Jean-Louis BANDET, Que sais-je ?

*der Sturm : la tempête, l’orage, l’ouragan, le tumulte, le déchaînement, l’impétuosité, la fougue

*der Drang : la poussée, l’impulsion, la tendance, le désir, le penchant

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