23/09/2006
Les Cahiers de Cioran
La pensée du jour : "Organiser une expédition pour explorer le banal", Louis SCUTENAIRE.
Les Cahiers 1957-1972 de Cioran sont d’une grande beauté. La quatrième de couverture résume bien tout ce que l’on peut trouver dans ces écrits :
« Ces cahiers, que Cioran a tenus pendant quinze ans, ne constituent pas un journal relatant son existence quotidienne. En marge des livres qu’il a publiés à cette époque ou par la suite, ce sont d’abord des cahiers d’exercices où s’accumulent les notations les plus diverses : souvenirs de lectures ; impressions musicales ; portraits ou plutôt esquisses d’amis –dont les plus chers, Ionesco, Michaux, Beckett- et d’ennemis (protégés par l’anonymat) ; évocations de balades, fréquentes, dans Paris et à la campagne, d’où ce « philosophe de la rue » rapporte toujours quelque anecdote ou image frappante. Surtout, lui qui se qualifiait « l’homme le plus désoeuvré de Paris » s’abandonne ici librement à ses caprices et à ses obsessions. Ecartelé entre la nostalgie et l’effroi, tombant d’une bouffée de violence dans un accès de cafard, Cioran ne se lasse pas de réunir et d’affûter les attendus d’un impossible règlement de comptes avec l’univers tout entier et avec lui-même. Et, comme dans ses essais, ce « fanatique du pire » offre le paradoxe, savoureux pour ses lecteurs, d’un pessimisme radical s’exprimant dans un style vif, allègre et, pour tout dire, requinquant ».
Voici quelques minces extraits de ces 999 pages !
« La nuit circule dans mes veines ».
« J’appelle poésie ce qui vous frappe comme un couteau au cœur ».
« J’ai peint la terrasse, murs et grille, pendant quatre heures, durant lesquelles je n’ai pensé à rien. Autant de gagné ».
« La chose la plus nécessaire et la plus inconcevable est qu’un dieu ait pitié de nous ».
« Je me dis parfois : personne ne parle de toi. C’est comme si tu étais mort depuis longtemps.
Et puis j’ai honte de cette aigreur. Tout ce que j’ai à faire, c’est de continuer comme si de rien n’était – et de travailler pour mériter mon propre respect. Car ce n’est pas le mépris des autres, c’est le sien propre qui fait mal. Tant que je serai mal avec moi-même, les applaudissements des dieux eux-mêmes ne pourront me faire fléchir en ma faveur.
Il faut être bien avec soi, se conformer à l’idée qu’on s’était faite au départ de ses propres capacités et ne pas les trahir par veulerie, nonchalance et dégoût de soi ».
« La mélancolie ne serait-elle pas un signe de vieillissement précoce ? Si cela est vrai, je suis sénile depuis toujours ».
« Le cafard est universel. Même les poux doivent le connaître. Aucun moyen de s’en prémunir ».
« J’écrirai sur ma porte :
Toute visite est une agression.
ou
N’entrez pas, soyez charitable.
ou
Tout visage me dérange.
ou
Je n’y suis jamais.
ou
Maudit soit qui sonne.
ou
Je ne connais personne.
ou
Fou dangereux ».
« Qui êtes-vous ? Je suis l’homme que tout dérange. Je veux qu’on me laisse tranquille, qu’on ne s’occupe pas de moi, qu’on ne s’intéresse pas à moi. Je m’emploie à susciter à mon égard une incuriosité totale. Et cependant… »
« Chez moi, ‘l’horreur et l’extase de la vie’ sont absolument simultanées, une expérience de chaque instant ».
« Premier devoir de chacun, au lever : rougir de soi ».
10:02 | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Premier devoir de chacun au lever: rougir de n'être pas encore allé jeter un oeil sur le blog de Cath !
Présentés aussi passionnément, ces cahiers de Cioran me semblent diablement plus poignants que ceux du cinéma. Encore qu'épancher sa "mélanco" n'ait pas pour effet immédiat de soulager celle du lecteur. C'est pas en écrivant ça qu'il va lui offrir un vaccin contre le cafard. Par ailleurs, j'appelle pour ma part poésie ce qui me réveille, éventuellement ce qui me bouscule, pas ce qui me poignarde ! C'est que j'y tiens à mon coeur ! Cette apologie de la violence émotionnelle est proprement intolérable (ça y est, je l'ai dit).
En tout cas, si tu mets de côté ces cahiers jusqu'à notre prochaine rencontre, j'y darderai volontiers ma curiosité, car tout cela me semble bien écrit. Bon bloggage !
Rémi
Écrit par : Rémi | 23/09/2006
Tiens, une phrase de Cioran que j'adore et qui ne devrait pas te laisser indifférent : "Depuis deux mille ans, Jésus se venge sur nous de n'être pas mort sur un canapé"!!!! Pour ma part, je suis assez d'accord avec les idées de Cioran concernant la poésie. J'adore sortir "fracassée" d'une lecture, mais c'est tout à fait personnel!! Quand j'avais vingt ans et que j'étais mal dans mes pompes, Cioran m'a souvent aidée à garder la tête hors de l'eau! Son désespoir marchait main dans la main avec le mien, je me sentais épaulée!
Écrit par : Katell | 23/09/2006
Les commentaires sont fermés.