14/11/2006
Je voudrais pas crever
Allez, on va se le faire quand même, ce joli poème, cela nous fera oublier la lourde grisaille quotidienne, ce vieux truc infâme qui nous pèse sur les épaules et qui fait la vie sans surprise, sans contours et sans épaisseur... Un machin tout visqueux, tout merdique, tout pourri...
Je voudrais pas crever
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d'argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un côté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un regard d'égout
Sans avoir mis mon zobe
Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu'on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me feraient de peine
Si si si je savais
Que j'en aurai l'étrenne
Et il y a z aussi
Tout ce que je connais
Tout ce que j'apprécie
Que je sais qui me plaît
Le fond vert de la mer
Où valsent les brins d'algue
Sur le sable ondulé
L'herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L'odeur des conifères
Et les baisers de celle
Que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, l'Ursula
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J'en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir
Sans qu'on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
Tous les enfants contents
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir
Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s'amène
Avec sa gueule moche
Et qui m'ouvre ses bras
De grenouille bancroche
Je voudrais pas crever
Non monsieur non madame
Avant d'avoir tâté
Le goût qui me tourmente
Le goût qu'est le plus fort
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir goûté
La saveur de la mort...
Boris VIAN
21:50 | Lien permanent | Commentaires (7)
Commentaires
Un de mes poèmes préférés...d'un de mes poètes préférés !!! Merci Katell!C'était juste ce qu'il me fallait ce soir, pour me rappeler mes premières amours! Vian occupe en effet une place si privilégiée dans mon coeur que mon fils s'appelle ... BORIS !
Écrit par : Evadné | 14/11/2006
Coucou Evadné,
Tant mieux, alors! Moi aussi, j'aime beaucoup les poèmes de Vian! J'adore ses romans aussi. Il faut que j'en relise!
Écrit par : Katell | 14/11/2006
Ehhhh, j'ai honte de le dire, mais ce poème pour moi c'est une chanson des Têtes Raides... Pardonnez mes lacunes littéraires, j'suis meilleure en ziq. Comme quoi, contrairement à ce qu'a dit Gainsbourg, la musique est un art majeur, qd elle est aussi bien servie.
Tommie
Écrit par : Tommie | 14/11/2006
Ça me rassure Tommie, car pour moi c'était d'abord une chanson de Lavilliers.
Toujours est-il qu'elle fait partie des textes qui m'ont énormément influencé et aidé à prendre des décisions importantes dans ma vie... comme tout plaquer et partir faire le tour du monde.
Et depuis ça va nettement mieux...
Écrit par : nicohiva | 15/11/2006
Et coucou à Tommie et à Nicohiva aussi! Même si le commentaire précédent apparaît après les vôtres, je l'ai posté avant, quand il n'y avait encore que le commentaire d'Evadné. Ce blog me fait n'importe quoi en ce moment : il m'efface mes commentaires ou les fait apparaître quinze ans après!!!
Écrit par : Katell | 15/11/2006
Pour les Têtes Raides, c'est ds le dernier album "fragile". La façon dt ils ont mis ce poème en musique est excélente : longue litanie (comme le poème) d'une voix assez monocorde mais avec les élans d'émotion et de colère auxquels nous a habitué le chanteur. On dirait presque du brel. Et la musique juste comme il faut (discrète et un peu épurée) pour mettre le texte en avant. C'est magnifique et ça prend aux trippes. En concert (vus aux Franco) ça te scotche carrémment.
Tommie
Écrit par : Tommie | 15/11/2006
Je ne connaissais pas ce poème. Merci Katell de me le faire découvrir. J'aime beaucoup !
Écrit par : petit-jour | 16/11/2006
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