01/05/2010
"Mai, joli mai" (bis)
La (deuxième) pensée du jour : "Ecrire, c'est renoncer au monde en implorant le monde de ne pas renoncer à nous". Georges PERROS.
Allez, une deuxième note en ce premier mai !! Un extrait de Comment j'ai usiné ma treizième défloration :
"Au début du mois de mai 2000, nous avons eu dans le Jura quelques magnifiques journées ensoleillées...
Le matin, vers 6h30, je prenais un rare plaisir à boire mon café... installé sur ma terrasse face à la forêt... entouré des vergers en fleurs... et dans le vacarme gazouillistique des piafs qui s'acharnent chaque année à construire leurs nids sous mon toit...
Je reconnaissais au passage les pinsons, les mésanges bleues et charbonnières, parfois même nonnettes, les rouges-queues, les chardonnerets, les piverts, les hirondelles... et tous les autres vautours plumés que je m'acharne à poursuivre aux jumelles depuis des lustres...
Ensuite, seulement, après cette délicieuse séance de café noir, je m'en allais vers mon usine, elle aussi illuminée de cette clarté printanière, afin d'y brancher quelques guitares, histoire d'emmerder tous ces oiseaux bordéliques... et de foutre la trouille aux merles et aux grives qui viennent toujours trop près de la maison, enlever les vers de la bouche de mes taupes...
Or, au début d'une de ces matinées, je me souvins d'une de ces questions souvent posées par les journalistes ou autres personnes intéressées par mes chansons, sur le fait qu'un passionné de la nature et de la campagne comme moi ne dépeignait jamais que des tableaux urbains et industriels...* question à laquelle j'aimais répondre avec cynisme que les chevreuils et les sangliers n'achetaient pas mes disques et ne venaient jamais à mes concerts...
ou combien je trouvais regrettable que des poètes comme Keats, Schiller ou Lamartine n'aient même pas eu un Mac pour faire leurs traitements de textes...
Bref, la campagne ne m'a jamais directement inspiré – sans doute parce que j'y passe trop peu de temps -
en voici une nouvelle preuve :
Par un de ces jolis matins du mois de mai, j'ai voulu tenter ma chance et essayer de fabriquer ma première chanson verte qui commençait ainsi :
« Les chardonnerets se disputent les trilles
avec leurs concurrents pinsons
et les mésanges font de la brindille
pour meubler leur deux pièces-salon
le coucou ricane dans les bois
pour faire chier Bambi l'orphelin
tandis qu'une hirondelle tournoie
dans l'air transparent du matin ».
Pas mal, non ? A l'exception du « pour faire chier Bambi », on dirait une poésie de CP ou de CE1...
Plus loin je durcis légèrement la plume :
«Les fleurs de coings au crépuscule
les pommiers blancs, les pêchers roses
les jeunes taureaux qui sous la tulle
de la brume s'enculent en osmose... »
Charmant, n'est-il pas ?... Lorsqu'un peu plus tard, je posai ma guitare pour relire mon brouillon, je devins rouge avec la tehon...
Combien d'heures m'a-t-il fallu ensuite pour corriger ce texte et trouver l'idée d'inventer des noms nouveaux, plus proches de mon style habituel ?... No lo sé... Je crois que j'ai passé toutes les autres matinées de ce très beau mois de mai à galérer sur cette toune...
Moralité : ne me demandez plus jamais pourquoi je n'écris pas de chansons sur les vertes prairies, ni sur les forêts profondes, ni sur les montagnes enneigées de mon Jura natal..."
*Nous pourrions nous amuser à recenser les extraits de chansons dans lesquels HFT évoque la ville (ça va être coton, il y en a un paquet !!). Je commence par cette phrase que j'aime beaucoup : "J'oublie toujours le nom de ces villes où je suis né"...
10:57 | Lien permanent | Commentaires (13)
Commentaires
"je ne sais pas si tu viens d'une ville ultramarine..."
il est super drôle ce texte de Thiéfaine. Et surtout il montre bien que s'il écrit souvent sur la noirceur, c'est plus parce qu'il parvient le mieux à l'écrire et pas "forcément" parce que c'est son unique préoccupation... :)
Pour en revenir aux villes, je trouve (et c'est une qualité à mon sens!) que Thiéfaine est un chanteur provincial, et c'est sans doute pour ça que j'aime bien comment il "traite" de la ville...
La bise,
Boub'
Écrit par : Boub' | 01/05/2010
Villes Natales et Frenchitude
Écrit par : loreleï2 | 01/05/2010
A r'garder passer les linceuls
Dans la rue aux spectres visqueux
J'sais plus si c'est moi qui suis seul
Ou les autres qui sont trop nombreux
Écrit par : loreleï2 | 01/05/2010
Déjà les chauve-souris s'échappent en ricanant
Des parkings souterrains et des bouches de métro
Écrit par : loreleï2 | 01/05/2010
"Frissons glacés dans les entrailles
à zone-la-ville by night"...
Écrit par : Katell | 01/05/2010
quand la banlieue descendra sur la ville
pour la grande razzia des parias
quand la banlieue descendra sur la ville
pour le grand basta des rastas
Écrit par : loreleï2 | 01/05/2010
Dans Cité X y'a une barmaid, qui lave mon linge entre deux raides...
Dans l'odeur des cités aux voiles d'hydrocarbures, les rires sont des ratures qui s'attirent et saturent...
Écrit par : Boub' | 01/05/2010
Dans Cité X y'a une barmaid, qui lave mon linge entre deux raides...
Dans l'odeur des cités aux voiles d'hydrocarbures, les rires sont des ratures qui s'attirent et saturent...
La bise,
Boub'
Écrit par : Boub' | 01/05/2010
Je flye vers la cité-frontière
Dans la nuit des villes sans lumière
Écrit par : loreleï2 | 01/05/2010
J'rêve d'une cabane à Chicago 2120 South Michigan
Écrit par : Arabesque | 01/05/2010
J'm'écroule devant le terminal
Des bus à Mexico-City
Écrit par : loreleï2 | 01/05/2010
Bonjour à tous,
La suggestion d’un certain (et familier…) Fred 06 (sur les rires car recours fréquents à eux dans le répertoire thiéfainien) conjuguée à la récente écoute (redécouverte) de « Alambic/sortie sud », richissime album d’un Thiéfaine flirtant avec les cimes d’un lyrisme poétique aux refrains capiteux, me poussent, dans un élan de ludique appétence, à livrer urgemment et spontanément à la bienveillance d’un Cabaret inspiré, des ressentis jusqu’alors inexprimés et inexplorés.
De plus, en ces temps de disette de nouvelles concernant l’Artiste, une fougueuse propension à sonner le tocsin d’un enthousiasme galvanisé fustige mes dernières réserves d’impatience…
Tapi et embusqué dans ma crispante attente, je ne résiste plus à la tentation de m’extraire d’une langueur qui aurait tendance à anesthésier de féériques promesses poético-verbaux-scéniques…peut-être pardonnerez-vous alors cette irruption incongrue et superfétatoire d’un aficionado qui ne se lasse pas d’une œuvre imprimée sur le « registre de ses plaies » ; œuvre qui, depuis 25 ans, de mes oreilles à mon cœur en passant par ma glotte a cheminé dans les conduits de mon corps en y déposant des joyaux de poésie embellissant l’enchantement de mes secrets ,édulcorant la peur de ma solitude et guidant mon devenir.
Ainsi j’empoigne frénétiquement ma plume d’humble admirateur et vous invite à revenir sur ce splendide album « alambic/sortie/sud » et sur son cortège de rires, de chuchotements caverneux surenchérissant une atmosphère pour le moins explosive et angoissante.
Cet album est un passeport pour une autre dimension :les synapses d’Hubert explosant en millions d’étincelles… A son écoute, j’échappe à ma nature confinée d’individu aux perceptions limitées et j’entrevois alors un degré de communication chamboulant le curseur de ma triste normalité sensitive.
« Stalag-tilt » expose cette touchante fragilité d’un amoureux en prise avec son mal-être dans une sorte de soliloque sur vitaminé par le prisme de vers percutants « je m’ébranle dans le chambranle », « les stalag tilt veulent m’emmurer » « sans toi mon cas est périmé » …après une telle chanson comment ne pas admettre l’insipidité et la vacuité de mes petites doléances affectives de l’époque!!!Ce fut un choc…
Plus loin le poète admoneste et harangue son âme dans un morceau entre rires (s’adresser à son âme comme à un chien !!!) et larmes (supplication pour qu’on oublie de le réincarner) où se débusque en filigrane l’ombre planante d’un Baudelaire omniprésent. Chanson « pied de nez » à la Camarde : la mort se faisant sentir à tous les moments de la Vie, il est plus dur de l’appréhender (au quotidien tout le temps)que de la souffrir (une seule fois). Or Hubert choisit la difficulté puisqu’il l’évoque, la titille, la défie et grâce à cette proximité il finit par apprivoiser de façon inédite une « mort »plutôt taboue rarement fréquentée dans cet art de « la chanson française » (la mort souvent évoquée chez lui, raison de son exclusion des grands médias ???)
Enfin il y a cette sublime dérive d’un couple vacillant d’amour dans cette « chambre 2023 »…la prose utilisée est si évocatrice que la scène est projetée sur l’écran de mon imagination…fabuleux.
Et puis il y a ces rires, là où l’hystérie semble usurper la place de la raison. Une contradiction éclot entre les nerfs et l’esprit du poète désaccordé puis s’établit au point d’exprimer la douleur par des rires…
Grand album où l’harmonie « sujet-objet » (artiste-œuvre) fut si fusionnelle que j’ai la faiblesse de croire que cet album est peut-être celui qui ressemble le plus à HFT, du moins dans la projection de l’intimité de l’artiste sur son œuvre entièrement assumée.
Un disque que je me plais à redécouvrir, et que je me force à ne pas écouter de façon trop rapprochée. C’est pourquoi je pense, j’en retire toujours une charge émotionnelle intense et inoxydable que je me suis bien plu à vous faire partager, sans prétentions et en toutes amitiés.
Comptant sur votre indulgence pour le hors sujet !!!…Merci
Écrit par : alfana | 05/05/2010
Pas grave du tout, ce hors sujet, Alfana, au contraire, au contraire ! J'ai été tellement enthousiaste à la lecture de ton commentaire que j'ai voulu le transformer en note, faire un copier-coller (j'aurais évidemment précisé que la note du jour était de toi !), mais la technique en a désiré autrement. Dommage car j'aurais voulu mettre ce commentaire magnifique en valeur. Que te dire, Alfana ? Depuis 18 ans, HFT a dans ma vie la place qu'il occupe dans la tienne, je pense, et dans celle de bien des visiteurs de ce blog. Tu décris si bien les choses... J'aime particulièrement ce passage où tu évoques le "couchée, mon âme, au pied, tranquille" (oui, c'est vrai, Thiéfaine s'adresse à son âme comme il parlerait à un chien). Pour ma part, j'ai toujours rapproché ces mots de ceux de Baudelaire ("sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille"). Mais le chien, bien sûr, c'est l'évidence même !
J'adore "Alambic-sorties sud". Album où l'atmosphère générale est étrange, quasi inquiétante, et ce n'est pas la pochette qui viendra me contredire. Drôle d'endroit que cette chambre où un homme, sans doute Hubert lui-même, fixe on ne sait trop quel point dans cette pénombre enfumée... Tiens, d'ailleurs, si je réécoutais ce CD demain ? Ainsi, je pourrais en dire encore davantage ! Bisous, Alfana, et merci pour la fidélité, la finesse de tes commentaires, la force qu'ils me donnent pour continuer...
Écrit par : Katell | 05/05/2010
Les commentaires sont fermés.