25/09/2010
"Animal en quarantaine"
La pensée du jour : "Nous sommes la triste opacité de nos spectres futurs". Stéphane MALLARME.
Hier, j'écoutais Thiéfaine « supplier Wakan-Tanka d'oublier de le réincarner. Aujourd'hui, changement de cap : je viens d'écouter « Animal en quarantaine » et cette fois, Thiéfaine nous ordonne d'exiger l'immortalité. De nous organiser, en somme, dans une immense et collective rébellion contre le triste sort qui nous est fait. A savoir : « on avance, on avance, on avance, c'est une évidence, on n'a pas assez d'essence pour faire la route dans l'autre sens », comme le chante Souchon. D'ailleurs, dans « Animal en quarantaine », l'image du taxi nous ramène à cette idée de la route qui défile sans que nous ayons la possibilité de faire un seul arrêt sur image : ce n'est pas nous qui conduisons, quelqu'un nous conduit inéluctablement vers la dernière station avant l'autoroute du grand saut, vers le terminus. Nous ne sommes pas aux commandes, nous ne décidons de rien, quelqu'un a pris les manettes et reste sourd à nos supplications. « Les infos grondent » et nous rattachent encore au monde, mais c'est quand même l'inévitable dérive vers « la face cachée de la nuit ». La face cachée, celle que d'ici personne ne peut voir, celle dont nul ne sait comment elle se présente ... si elle se présente. Angoisse terrible face à notre ignorance et notre impuissance. Cette chanson est un cri de révolte contre l'absurdité de notre condition. Le sujet « dérêve » en même temps qu'il dérive (et je salue au passage le grandiose parallèle sonore et sémantique entre les deux verbes, le premier ayant été magistralement inventé par Thiéfaine). Le champ lexical est très fort : le sujet, autrement dit Thiéfaine, est « tourmenté », « torturé », « dépouillé ». Le temps « s'obscurcit ». Thiéfaine s'imagine déjà « en ombre vaporeuse, âme anonyme, errante et silencieuse ». C'est-à-dire « de l'autre côté du passage obscur ». Une âme anonyme, c'est-à-dire « dépouillée de son nom », rayée du monde des vivants, privée pour toujours de ce qui y faisait son identité. Errante à l'image de ces âmes en peine qui ne trouvent jamais le repos... Silencieuse parce que muselée à jamais par la Camarde. Dans l'incapacité de communiquer avec le monde des vivants, des survivants, autrement dit des morts en sursis... Et c'est là qu'on peut voir le double sens de l'expression « en quarantaine ». « En quarantaine » , mathématiquement parlant, cela évoque le nombre de berges, de piges, d'années. « Mettre quelqu'un en quarantaine », c'est l'exclure d'un groupe, comme un pestiféré. Ici, Thiéfaine se voit déjà exclu du monde des vivants.
Une fois encore, la mort vient élire domicile dans une chanson de Thiéfaine. Il serait intéressant de recenser toutes les chansons dans lesquelles l'artiste évoque la faucheuse...
10:07 | Lien permanent | Commentaires (14)
Commentaires
Très belle note, ma Cath.
Bises.
Écrit par : petit-jour | 25/09/2010
, de Cath. :
" Une fois encore, la mort vient élire domicile dans une chanson de Thiéfaine. Il serait intéressant de recenser toutes les chansons dans lesquelles l'artiste évoque la faucheuse.. "
, thanatos ou le pilier central de l'angoisse première de l'Homme !... dans les T.O.Cs pathologiques nous avons des rituels conjuratoires, en ce qui concerne les miens je les garde secrets car en les révélants ils perdraient de leur puissance. Toutefois tout le monde connait ce dicton :
- la peur n'évite pas le danger.. et..
.. de plus la procrastination pathologique n'empêche pas le temps de s'écouler..
Écrit par : Le Doc. | 25/09/2010
C'est bizarre, j'avais pas trop cette interprétation sur cette chanson. Au contraire même, je le trouve plutôt "apaisé", sans révolte justement... comme une accalmie, au milieu de la tempête... surtout sur un album qui n'en manque pas...
Autant quand il supplie Wakan-Tanka, il a la rage contre la connerie généralisée de l'humanité, autant sur "animal..." c'est beaucoup plus doux, et fluide... Et je le trouve pas trop malheureux finalement de perdre son identité au contraire même, il est dans la position qu'il préfère, celle de l'observateur anonyme débarrassé du quotidien aliénant...
Parce que "techniquement" seules les âmes sont immortelles... donc si on exige l'immortalité... on exige de quitter le poids de "nos corps" non?
C'est pas plutôt l'inverse, à savoir que se sont les âmes qui donnent la personnalité, l'identité?
Je sais pas, je trouve juste que de façon générale, c'est plutôt avec le monde des vivants qu'il a des problèmes non???
La bise,
Boub'
Écrit par : boub' | 25/09/2010
Oui, peut-être bien, Boub'. Sûrement même que c'est le monde des vivants qui lui donne du fil à retordre. Mais je sens quand même de la révolte dans cette chanson. Nous n'avons pas la même vision des choses, et c'est tant mieux, l'intérêt est dans la diversité, non ?
Écrit par : Katell | 25/09/2010
"Nous ne sommes pas aux commandes, nous ne décidons de rien, quelqu'un a pris les manettes et reste sourd à nos supplications."
Après avoir trop rêvé , moi aussi je dérêve ...
Écrit par : loreleï2 | 25/09/2010
Ah mais tout à fait chère Katell, c'est bien ce qui m'a fait réagir... :) C'était pour moi une chanson "qui ne me posait vraiment de problèmes", on va dire, et finalement c'est celle là, où l'on a peut être des visions le plus différente... c'est marrant :)
La bise,
Boub'
Ps : tu crois vraiment qu'une "maîtrise" entière de son destin nous rendrait plus heureux, Lorelei? Que la vie serait plus cool si on décidait de tout? Je sais pas je crois que je m'ennuierais :)
En fait tout ça pour dire qu'en ce moment je ne m'ennuie pas trop, j'écoute "Their Satanic Majesties Request" de tes chers Stones... c'est absolument génial ce truc :)
Special bise,
Boub'
Écrit par : boub' | 25/09/2010
Peut-être pas une entière maîtrise de son destin, mais quand même, un peu moins d'impuissance ne ferait pas de mal. Se sentir moins écrasé par le destin, oui, ce serait quand même pas mal...
Écrit par : Katell | 25/09/2010
Comme disait Brassens : "Dieu, s'il existe, il exagère"... C'est vrai, quoi !
Écrit par : Katell | 25/09/2010
Je ne parlait pas non plus d'une maitrise totale , mais à l'heure actuelle ma survie ne dépend plus de moi , d'autres vont décider de mon sort ...
Je dérêve , pour plusieurs raisons , que je n'exposerai pas ici , ceux qui me connaissent bien savent et comprennent pourquoi ce mot résonne si fort pour moi en ce moment ...
Écrit par : loreleï2 | 25/09/2010
Une petite citation d'une "nuit en enfer" (j'ai le droit Hubert le cite parmi ces films cultes) :
"Dieu quand il s'y met, il y va pas avec le dos de la cuillère..."
Cela dit, "dérêver" c'est tellement joli que ça donne presque envie...
La bise,
Boub'
Écrit par : Boub' | 25/09/2010
Il s'est toujours senti coupable d'être né...
Écrit par : Karen | 26/09/2010
Je n'ai pas lu la biographie d'Hubert mais il me semble qu'il a eu une enfance heureuse.. , alors je n'y vois là que la résultante du sentiment de culpabilité de l'héritage judéo-chrétien.
J'espère qu'il a pris du recul avec l'intégrisme de l'église catholique de l'époque, il est de 48 et moi de 49, toutefois une fois les lobes orbito-frontaux formatés " ou le sur-moi freudien " il faut apprendre à gérer sa vie avec responsabilité et cela est d'un autre excercice que d'être sous le dictat de la culpabilité.
Écrit par : Le Doc. | 27/09/2010
EN QUARANTAINE ....... Il n'y a même pas un mois, j'ai eu mes 40 ans. En temps normal, je ne pense pas à l'âge que je prends chaque année, mais ce jour là, je me suis retrouvée encore plus profond dans mon gouffre. Je crois que j'ai dû gardé la tête dans mes mains très longtemps, avant de réagir que j'avais bien 2-3 trucs à faire....
Ta version Kat me plait bien, tant elle résonne en moi, tant elle me questionne, tant elle m'angoisse...
Je m'en retourne à mes obsessions, qui m'empèchent de passer plus de temps avec vous tous sur la toile. Je retourne à mes angoisses qui n'ont pas grand chose à voir avec la quarantaine, mais pas mal avec la prépa de mon hospi (eh oui, encore) dans ce cher Barjoland tourangeaux qui va devoir faire le plein de petites cuillères pour me ramasser...
Biz
Écrit par : Tommie | 17/10/2010
Oubli : j'ai l'affiche de l'album, en noir et blanc, un peu jaunie par le tabac. Une merveille dont je ne me débarrasserai pour rien au monde !!!
J'ai 40 ans, et les murs de mon grenier sont décorés d'affiches ....... P***** ça va vraiment maaaalllllllllll ...................................
Écrit par : Tommie | 17/10/2010
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