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26/06/2011

Petit matin 4.10 heure d'été

« Partir, c'est mourir un peu;

C'est mourir à ce qu'on aime.

On laisse un peu de soi-même

En toute heure et dans tout lieu ».

Edmond HARAUCOURT

 

 

De toutes les chansons de l'album « Suppléments de mensonge », « Petit matin 4.10 heure d'été » est à mes yeux la plus puissante, la plus terrifiante aussi. C'est un homme brisé, c'est une « âme brisée » qui nous parle ici. Une âme qui se sent engluée dans le « vieux drame humain » qui nous piège tous. C'est quoi, le vieux drame humain ? C'est d'avoir été floué dès la naissance. On nous donne la vie et, du même coup, la mort. De l'inconvénient d'être né dans ce merdier innommable sans avoir rien demandé à personne. Voici une âme qui vacille sur une corde raide suspendue au-dessus du néant.

 

On entre dès le début dans le vif du sujet :

« Le temps passe si lentement

et je me sens si fatigué

le silence des morts est violent

quand il m'arrache à mes pensées ».

Seul le silence des morts peut être violent, d'ailleurs, car, habituellement, le silence est associé à l'apaisement et la douceur. L'idée de violence est renforcée par le verbe « arracher ».

Chanson douloureuse dans laquelle tout est dit. Pas une lueur d'espoir dans ces ténèbres épaisses, impénétrables. A couper au couteau. Dans « Infinitives voiles », on peut aisément imaginer un répit pour cette âme torturée (« et je viendrai poser ma tête d'enfant sage

sur les gréements chauffés à blanc de vos rivages »). Ici, rien. Le vide sidéral. Triple zéro.

 

C'est peut-être l'été, mais il n'est question que d'hiver et de froid dans tout le texte : « je rêve de ces ténèbres froides », « mes yeux gris reflètent un hiver

qui paralyse les cœurs meurtris

mon regard vient de l'ère glaciaire ».

Le bilan qui est exposé ici est lourd et sans appel. L'âme brisée qui nous parle avoue avoir « broyé son propre horizon » et trimbaler son mal-être dans le « jardin d'Eden désert » où, de surcroît, « les étoiles n'ont plus de discours ». Jolie allitération en « d ». Pour souligner un peu plus le dé-sespoir, le dé-couragement, la dé-réliction... « Les étoiles n'ont plus de discours » : toujours ce silence ennemi, inquiétant, malveillant. Quand les étoiles nous parlent, c'est peut-être pour livrer un semblant de réponse aux lancinantes questions « Qui suis-je ? D'où viens-je ? », etc. Quand elles n'ont plus de discours, c'est qu'elles restent muettes et nous renvoient à notre déchirante condition : il n'y a pas de réponse. Cela n'a peut-être rien à voir, mais cela me fait penser à la terrible fin d'une pièce de théâtre écrite par Wolfgang Borchert (Draußen vor der Tür). Là aussi, un homme se retrouve confronté au silence obstiné du monde qui l'entoure. Et surtout au silence obstiné de Dieu ou de toute grande puissance qui ressemblerait à Dieu :

« Gebt doch Antwort !

Warum schweigt ihr denn ? Warum ?

Gibt denn keiner eine Antwort ?

Gibt keiner Antwort ???

Gibt denn keiner, keiner Antwort ?? »

 

Quel est donc ce « vague espoir » dont il est question dans la dernière strophe ? La mort ? Elle apparaîtrait alors comme la grande espérance salvatrice. Mais encore un peu floue quand même. En tout cas, ce n'est pas la première fois non plus qu'en évoquant la camarde, Thiéfaine parle de bave. Cf. « Psychopompes / métempsychose et sportswear » :

« et quand le pinocchio baveux

poussera ma brouette à l'Ankou ».

 

Voilà une chanson qui fait mal, qui tourmente, qui paralyse, qui glace. On se demande comment il est possible d'aller aussi loin dans le désespoir et l'excès de bile noire. Parfois aussi, on ne se le demande pas. Le désespoir et l'excès de bile noire, on y baigne soi-même jusqu'au cou.

Une chance que Thiéfaine ait donné, au fond de l'eau vaseuse, le coup de pied qui lui a permis de remonter à la surface.

 

 

Je suis désolée si cette note est mal écrite, maladroite, bancale. Je ne prétends pas livrer ici des analyses de textes, j'ai toujours préféré parler d'impressions, de ressenti. Je ne pige pas grand-chose aux chansons d'HFT, leur infinie richesse m'échappe, se dérobe dès que je veux la saisir, et c'est sans doute mieux ainsi. "Petit matin 4.10 heure d'été" me bouleverse à chaque écoute, mais je ne suis pas sûre d'avoir su le dire correctement...

 

Commentaires

Je pense que tu n'as pas à être désolée : c'est une très belle note qui tente de refléter ton propre ressenti face à ce texte fort.

"Je me regarde au fond des yeux, dans le miroir des souvenirs
Si partir c'est mourir un peu, j'ai passé ma vie à... partir!" à l'heure de son propre bilan, seul devant soi, l'évocation de la "destination finale" est remplacé par la fuite qui ne fait en fait qu'accélérer vers cette même destination.

"Je rêve tellement d'avoir été, que je venais finir par tomber", cette phrase, à elle seule, résume tant de choses : parler et se "complaire" des "noirceurs de la vie" fait vaciller.

Merci de cette note et moi non plus,je ne suis pas sûr d'avoir su exprimer correctement mon propre ressenti de ce texte...

Écrit par : mictis | 26/06/2011

"On se demande comment il est possible d'aller aussi loin dans le désespoir et l'excès de bile noire. Parfois aussi, on ne se le demande pas. Le désespoir et l'excès de bile noire, on y baigne soi-même jusqu'au cou. "

Le tout est de ne pas s'y noyer ... et de prendre l'ascenseur ... même s'il est momentané ... y'en a toujours d'autres qui repassent ... enfin j'espère ...

Écrit par : Loreleï2 | 26/06/2011

, .../...

Écrit par : Le Doc. | 26/06/2011

Contrairement à ma mauvaise habitude, je ne vais pas analyser à tous crins.

Je me contenterai de te dire qu'il faut parfois se méfier du reflet. Il y a des bains bien plus agréables, surtout en cette saison. Lance ton regard au-delà du miroir & bien au-delà de la bile noire...

Bonne journée à toi et aux tiens.

Écrit par : Florence Marek | 26/06/2011

... Ce matin je relisais des fraguements de Tratatus logico-philosophicus de Ludwig Wittgenstein et je ne suivrais pas entièrement son conseil : " Wovon man nicht sprechen kann, darüber muß man schweigen " , car je peux ..
.
... Toutefois, c'est un peu comme nager .. en fait nous fottons tous et en ce qui me concerne j'ai appris à nager tout partant d'une évidence physique vérifée et formulée, c'est pourquoi je me suis passé de maître nageur ne niant pas cependant sa necessité !...

Écrit par : Le Doc. | 26/06/2011

Merci pour cette note, Cath. Petit matin, à la première écoute, m'a figée, paralysée, scotchée. Poignante par son contenu évidemment, mais aussi parce qu'elle est beaucoup plus limpide que les textes des précédents albums. On se prend vraiment le désespoir de plein fouet. Très écrite et très authentique ( Cf le contexte d'écriture) pour autant. Réminisences de l'Etranger dans la glace, un étranger qui serait allé encore plus loin dans son obervation, et prêt à passer de l'autre côté du miroir... Une chanson qui parle tout particulièrement aux âmes en proie aux pulsions périlleuses. Aux amoureux de la vie à en crever, faute d'atteindre l'idéal dont ils ont soif.
Je t'embrasse, ma Cath. Je vais voir aller voir le Cap Fréhel tout à l'heure, en chantonnant l'air de Brigitte Fontaine, et en pensant à toi !

Écrit par : Evadne | 26/06/2011

Merci Cath !! J'adore !

Écrit par : Arnaud | 26/06/2011

Cit. d'Arnaud :
"

Merci Cath !! J'adore ! "

, et bien pas moi ( je ne parle pas du billet.. quoique.. ) car je m'intéresse à ce qu'il sous-tend pour l'un pour l'autre ..

Écrit par : Le Doc. | 26/06/2011

, le 12 ..

Écrit par : Le Doc. | 26/06/2011

Doc, je comprends ton point de vue vis à vis de ce texte. Mais, pour ma part, ce type de texte que je vais qualifier de noir et d'intime peut être interprété de 2 points de vue : "ce qu'il sous-tend pour l'un pour l'autre" comme tu le précise, c'est à dire un contenu qui évoque la mort comme une "fascinante vénéneuse" ou alors comme un témoignage d'un vécu que l'on expose pour se "souvenir" & faire prendre conscience à son entourage des dangers de se complaire dans cette noirceur.
Si effectivement, le premier point de vue ne peut être qualifié de "chose à adorer", on peut aimer le second point de vue et au final se l'approprier non pas comme but à poursuivre mais comme un avertissement toujours présent...
Qu'en pensez-vous?

Écrit par : mictis | 26/06/2011

Cit. de Cath :
.
" C'est d'avoir été floué dès la naissance. On nous donne la vie et, du même coup, la mort. De l'inconvénient d'être né dans ce merdier innommable sans avoir rien demandé à personne.. "
.
... Nous avons été floué toutes et tous, certes .. , mais nous flouons toutes et tous aussi de différents manières dans nos vies, entre autres : en donnant aussi la vie comme nos floueurs .. , et de par notre façon d'être aux autres .. , ainsi nous donnons aussi la mort à l'autre de bien des façons et pas forcemment avec une mort physiologique à la clé !...
.
... Ce merdier est aussi le merdier que nous entretenons toutes et tous, et l'artiste n'en est pas exempt et de loin .. , cependant :
.
, en me rendant ce jour sur l'île d'Olérons je vais emmener Supléments de mensonge car je ne l'ai écouté, en fait je dois dire que je l'ai survoller que 2 fois ..
.
On th road Watergate .. , ou pas ..
.
p.s :
- le suicide je connais mais il n'a jamais été légitimé car je ne suis pas artiste, lire Cioran qui, valorisant le suicide comme " arme supérieure " que possède l'être humain par rapport à l'animal* ne s'est toutefois pas suicidé ..
- * ce qui est faux car le suicide existe chez les animaux et nous en sommes d'ailleurs ..

Écrit par : Le Doc. | 27/06/2011

Bonjour,

Après cette chanson d'Amour "brut de décoffrage" "garbo XW Machine" quoi de plus logique et légitime qu'une chanson sur la mort...
Et si son ramage se rapporte à son plumage l'évidence de "petit matin 4.10 " s'entérinait par la pose (mise à nu) de l'artiste sur la pochette et par l'omniprésence diffuse du corbeau romantique recensé dans le livret.
Cette chanson à l'ouverture dylanienne se présente comme un soleil pareil à un brasier en fusion derriére un amoncellement de nuages de pluie.Elle attise des braises alors jusque là seulement ignifugées par cet équilibre précaire que j'appellerai :maturité.
Comme souvent avec les oeuvres de HFT,la force de ce texte réside beaucoup dans la symétrie projetées sur nos tourments intimes.

"...le silence des morts est violent quand il m'arrache à mes pensées..."
ces deuils que l'on voudrait absolument nous faire faire suite à une litanie de lieux communs destinés à évacuer le souvenir de nos proches qui tombent...

"..la folie m'a toujours sauvé et m'a empeché d'etre fou..."
le délire,l'humour comme armes nécessaires pour se prémunir face au happement des absurdités humaines...mise à distance presque palpable dans "un vendredi 13 à 5h" par l'hilarant et étrange ...couchée mon ame ,au pied tranquille tout ira bien au pied couchée ....hé couchée"

"...je me regarde au fond des yeux dans le miroir des souvenirs..."
cela me rappelle l'Orphée de Cocteau et cet amusant jeu de mots "lesmiroirs devraient réfléchir davantage avant de renvoyer notre image"

"...si partir c'est mourir un peu j'ai passé ma vie à partir..."
les voyages comme quete...mais quete de quoi,bien souvent,comme Montaigne le pensait, nous savons ce que nous fuyons,mais pas ce que nous cherchons...

Quoiqu'il en soit je n'oublierai pas la premiére écoute de "petit matin 4.10" au saut du lit,me frottant les yeux pour en chasser les restes de sommeil et ainsi mieux en ressentir l'éclat incendiaire.
Et si de cette chanson suinte une mélancolie ténébreuse elle n'en est pas morbide pour autant la preuve : mon ainé fredonne "...je reve tellement d'avoir été que je vais finir par tomber..." en toute espiéglerie

Peu enclin à la vénération ou aux cultes de la personnalité,quelquefois il faut quand meme accepter de se résigner à admirer intensément un artiste :
Hubert,je ne te hais pas très fort.
Merci pour cette note,en espérant que mon intervention soit aussi bancale ,maladroite et mal écrite que l'initiale,j'en serai déjà trés heureux...
Bonnes vacances,

Écrit par : alfana | 27/06/2011

Bonsoir,
wouahou ! ça c'est un double compliment joliment troussé.
J'ai entrevu un parallèle entre " la folie m'a toulours sauvé et m'a empéché d'être fou"
et
l'idée du suicide qui a maintenu Cioran en vie plus longtemps que prévu.
Bonne nuit à tous.

Écrit par : hervé | 27/06/2011

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