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29/02/2012

"Je suis l'ado qui ne veut pas mourir idiot" (HFT dans Télérama n°3241, suite et fin)

La pensée du jour : "Il y a les choses qu'on fait parce qu'il faut pourtant qu'on mange

Et les soleils qu'on porte en soi comme une charrette d'oranges". Louis ARAGON

 

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Bergman, que vous admirez, disait beaucoup par les silences, vous, vous déversez des avalanches de mots...

J'essaie d'assommer les mots... pour trouver le silence. L'avalanche de mots, c'est mon côté oral. C'est ce que j'aime chez Céline, chez le Rimbaud d'Une saison en enfer, chez Lautréamont ou Miller, la littérature beat. Tous ces gens qui vomissent les mots. Ma nature, c'est l'oralité. J'aime mâcher, cracher, j'ai été alcoolique, j'ai sucé mon pouce enfant jusqu'à très tard, j'aime les poitrines des femmes, les lèvres, la bouche... D'où cette rafale de mots qui sort dès que je chante. C'est un vrai plaisir infantile.

 

Du coup, on ne comprend pas tout à vos textes...

Mais c'est une volonté ! Je veux du mystère. Comme les zones d'ombre chez Bergman. Il faut laisser deviner ou imaginer des choses. La télé, c'est le contraire : elle veut tout montrer, tout décortiquer. On n'en est même plus à la vie privée, on en est à la vie intime maintenant. On est en train de tuer l'imaginaire ! J'aime les avalanches de mots parce que, justement, on n'en comprend qu'un sur deux et qu'il faut, du coup, réécouter. Ferré, je peux encore l'écouter et découvrir des choses nouvelles.

 



Vous êtes un chanteur engagé ?

Je suis un chanteur engagé, mais je n'engage que moi ! Je sais à peu près où me situer, quoi voter, mais ça ne regarde personne. L'artistique et le politique, ça ne peut pas aller ensemble.

 



Mais vous avez des énervements ?

Les infos, la télé sont invivables. Je ne supporte pas la vulgarité des hommes politiques. Tout est ramené à des petites phrases sans intérêt. On n'en a rien à foutre, il faut avoir l'esprit plus large, ne pas s'arrêter à un mot. Il nous faudrait un Churchill ou un de Gaulle, des gens de cette stature... Des types qui nous élèvent. En ce moment, c'est le contraire. Aujourd'hui, tout est orienté vers le bas. Comme si on avait décidé que 65% des Français avaient un QI de 65 et que tout devait se situer à ce niveau-là. En chanson, ça donne des paroles de plus en plus terribles. C'est pour cela que j'en rajoute en compliquant mes textes, en les truffant de citations, de références, de grec, de latin, pour tirer un peu dans l'autre sens. Le titre de mon dernier album, Suppléments de mensonge, vient du Gai Savoir, de Nietzsche, qui lui était pour l'Übermensch... Là, on est underdog !

 

 

Comment entretient-on un esprit adolescent tout en mûrissant ?

L'adolescent, c'est le rebelle naïf. Quand je réagis face à tout ce qui nous entraîne vers le bas, je suis l'ado qui en veut plus, qui ne veut pas mourir idiot. Je ne sais rien, je sors de l'enfance. L'humanité vient de très loin, j'ai besoin de savoir d'où. C'est un désir dévorant d'en savoir plus, d'être curieux.

 

On entend dire que tout est plus dur pour un jeune musicien. Vous avez galéré, vous vous êtes fait tout seul. Est-ce toujours possible ?

Il s'agit de savoir jusqu'où on peut aller pour assouvir son rêve de gosse. On ne peut pas lutter contre un désir fou. Quelle que soit l'époque. La musique est là, elle ne demande qu'à être « exploitée » d'une manière ou d'une autre. Je ne supporte pas d'entendre que c'est « la faute aux autres » ou « la faute à pas de chance ». Je sais que mes qualités de Jurassien, tenace et pugnace, m'ont aidé, mais, au départ, il y a une envie, un choix. Je connais mal Sartre, mais il a dit « la liberté, c'est le choix ». Je voulais être libre. En 1973, j'ai choisi de ne faire que chanter. C'était une affaire de vie et de mort. En 1975-1976, j'ai vraiment failli crever, mais je n'échangerais pas ma vie pour celle d'un autre. Des cauchemars et des angoisses, j'en ai eu. Mais j'ai voulu être un missionnaire et un aventurier et, quelque part, je l'ai été. C'était un travail de furieux. Vouloir à l'époque être chanteur à Paris, quand t'es fils de prolo de province, c'était sans doute plus dur qu'aujourd'hui où l'on est « mondialement » informé, au fait des choses...

 

 

Vous avez la réputation de quelqu'un de très solitaire...
Aujourd'hui, j'habite au milieu de la forêt et je mets la radio le matin, juste pour vérifier que le monde existe encore autour de moi. Je regarde les chevreuils passer, je leur parle et je suis bien. Je me sens apaisé quand je suis seul. Je ne m'ennuie pas, alors que la vie sociale me fatigue. La solitude est souvent connotée de façon négative. Chez moi, c'est tout le contraire, elle est immensément riche et synonyme d'épanouissement.

 



Peut-on dire de vous, qui appréciez Nietzsche, que « ce qui ne vous a pas tué vous a rendu plus fort » ?

C'est plutôt « lève-toi ou crève ». Il y a toujours ce besoin d'aller au-delà, même si on sait qu'on va en chier, à l'intuition. En entrant dans la société, on a tendance à remplacer l'intuition par des règles. En devenant artiste, j'ai choisi de la conserver. On peut aussi appeler ça les larmes, ces choses qui nous dirigent, un peu floues, qui viennent soit de nos vie d'ange ou d'animal, plutôt animal, d'ailleurs. Quand je pars, je ne sais pas où je vais, mais le mets le cap plein nord. Pour mes chansons, c'est pareil.

 

 

Comment faut-il entendre le titre de votre tournée, « Homo Plebis Ultimae Tour » ? Tournée du « dernier homme » (Sénèque) ou ultime tournée ?

Gardons l'ambiguïté, laissons les latinistes travailler...

 

 

Pourquoi vous présenter nu sur la pochette de Suppléments de mensonge ?

Après une vie assez décadente et destructrice, des décennies de réveils douloureux dûs à l'alcool avalé pour tromper mes angoisses, j'ai conscience que je m'en sors plutôt bien. Je suis heureux d'avoir retrouvé un corps qui fonctionne et de me sentir bien dedans. Heureux d'aller mieux aussi dans ma tronche, même si tout n'est pas tout à fait réglé. Je suis un rescapé, un survivant.

 

Propos recueillis par Hugo Cassavetti et Olivier Milot

Commentaires

Y a pas de mot à ajouter, juste un "j'aime" pour ne pas gâcher ce moment.

Écrit par : Luis Daoiz | 29/02/2012

Merci pour ce "j'aime", cela fait toujours plaisir, on sait que quelqu'un est passé par là, il a même pris la peine de laisser une petite trace !

Écrit par : Katell | 29/02/2012

Bonjour,

Un petit commentaire pour saluer l'abnégation de la responsable de ce site devenu une de mes sources principales d'information sur HFT.
Et puis disposant de quelques moments d oisiveté et à quelques jours des victoires de la musique je voulais me laisser happer par la rédaction d'un hommage sans prétention à l'ami Thiéfaine,des fois qu'il reparte bredouille...
Cependant je lui souhaite de ramener les 3 récompenses convoitées car aucune ne serait usurpée malgré le respect du aux autres prétendants.Mais comme je ne me fais guére d'illusions je préfére exorciser mes craintes par ces dispensables confidences...
Oui je suis admiratif car je mesure à sa juste dimension l'insignifiance de mes velleités artistiques face à la densité d'une telle oeuvre.Une oeuvre qui relégue
mes dérisoires tentatives à une échelle autre...qu'importe il y a de la noblesse à
éprouver ses limites...et ainsi à reconnaitre le talent.Le public de Thiéfaine l'a depuis longtemps compris mais les professionnels ou autres académiciens encourageront-ils par leur récompense à HFT la pérennisation d'une trés haute qualité artistique ?...
"...il n' y a que cela qui fasse tenir le monde debout,la fidélité des hommes à ce qu'ils ont choisi..."

Bonne route à tous (courage à Fred 06...)
Alfana

Écrit par : alfana | 29/02/2012

J'ai adoré cet article, c'était encore une fois un très beau moment à passer avec ce monsieur que de lire ces lignes.
Mais vraiment, la seconde photo publiée dans l'article, et donc pour illustrer cette 3ème et dernière note, je ne peux pas. Quel dommage. La première était si belle, pourquoi le magazine a-t-il publié la seconde ?
Enfin, ce qui compte dans une interview, ce sont bien sûr les mots, et lire Thiéfaine est toujours aussi intéressant. Alors moi aussi : "j'aime" ;-)
Bises Cath.

Écrit par : aclh | 29/02/2012

HFT ne changera jamais! Toujours égal à lui-même, tout en sobriété, en pudeur.
Magnifique interview.

Écrit par : Monsieur Müller | 01/03/2012

Merci, quand même...

Écrit par : hervé | 07/03/2012

Entièrement d'accord avec Aclh : la deuxième photo d'HFT est vraiment moche !!!

Écrit par : Katell | 07/03/2012

moi aussi je like ! :)

Écrit par : Nostalgic_Banshee | 20/03/2012

Les commentaires sont fermés.