20/05/2015
Immortel, le dernier CharlElie...
La pensée du jour : "Einen Fluss in seine Bäche zerlegen. Einen Menschen verstehen". Elias CANETTI
Une petite voix délicatement nasillarde, aux accents quasi enfantins, douce comme un roucoulement de tourterelle. Des ambiances un peu feutrées où les mots s'avancent à pas de velours, dans une chaude lumière. Tout cela est la marque de fabrique de l'ami CharlElie Couture, dont je n'ai jamais parlé ici. Il est grand temps de réparer cette erreur !
CharlElie Couture est lorrain, comme moi, de cet Est un peu rude où "tout l'été n'est fait que pour préparer l'hiver"... Il a longtemps habité dans le Saintois, mais il a fini par poser ses valises sur le sol new-yorkais, et cette ville cosmopolite correspond bien, j'imagine, à ses aspirations de caméléon touche-à-tout ! Dans son dernier album, Immortel, le ton est donné d'emblée : ici, l'amour n'est pas cette brûlure qui vous dévore, c'est la glace ! Solide, oui, sans doute, mais la glace, ça fond. Et l'amour s'en va, comme les petites marionnettes, trois petits tours de rien du tout, et il advient de lui ce qu'il advient de neige au soleil... Même chose pour la vie qui se retire, en cette dernière heure tant redoutée. Mais avant, nous dit CharlElie, il faut "continuer et rester éveillé, se réjouir et survivre malgré la fatigue et les années". Malgré l'absence de l'être aimé qui vous met au bord du gouffre, "au bord du froid", et c'est de nouveau la glace qui triomphe dans un monde en ruine. CharlElie ne cède pas à la tristesse pour autant, il sait que les oiseaux continuent à chanter au-dessus de nos désastres, et que c'est tant mieux, il nous dit que les résurrections sont possibles. On peut tomber très bas et réapparaître, à son grand étonnement, au sommet. Chercher la lumière pendant des années, suer sang et eau pour ne trouver que ténèbres, et puis soudain se brûler les yeux devant une lumineuse apparition. "La vie c'est c'qui vous tombe dessus toujours au moment où l'on n'y croit plus", chantait l'ami Higelin. Il faut écouter les doux dingues qui cultivent leur grain de folie comme d'autres leur jardin, ils n'ont peut-être pas tout à fait tort. Ecouter aussi, nous susurre CharlElie, cette petite voix en nous qui recèle notre mystère.
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12/05/2015
Silence radio
La pensée du jour : "Mort l'enfant qui vivait en moi
qui voyait en ce monde-là
un jardin, une rivière
et des hommes plutôt frères". Renaud SECHAN
À plusieurs reprises, j’ai dit ici la profondeur de mon attachement à Renaud. Le chanteur aux cheveux jaunes, c’est toute ma jeunesse ou presque, et bien plus encore.
Tout commence dans les années 80. Mon frère, adolescent, vient de découvrir ce chanteur, il cite à tout bout de champ des paroles de ses chansons. Dans la voiture, sur les longs trajets, mon père tolère que les cassettes du frangin tournent en boucle. Parfois, elles sont tellement passées et repassées dans les divers lecteurs de la maison qu’elles présentent des signes de faiblesse, presque d’agonie. Cela les rend encore plus précieuses à nos yeux. Je dis bien à nos yeux. Car, ça y est, moi aussi j’ai le virus. J’essaie de comprendre, d’analyser, mais, décidément, certains passages me semblent bien abscons. C’est quoi, cette histoire de poissons qui baisent dans la mer et la rendent dégueulasse ? Je n’y pige rien ! Qu’à cela ne tienne, je suis sous le charme de ce gavroche au cœur tendre qui crie tantôt sa révolte, tantôt son amour pour sa gonzesse ou sa fille. Cet attachement-là, qui prend ses racines dans le pays mordoré de l’enfance, ne me lâchera plus. Durant toute mon adolescence, j’attendrai avec une impatience fébrile la sortie des albums de Renaud, je guetterai ses passages à la télé, je le citerai à tout propos. Dans ma chambre de jeune fille, un poster immense de mon artiste préféré recouvre tout un pan de mur. Quand j’écoute Petite, je pense prétentieusement que cette chanson s’adresse avant tout à moi. Après tout, n’ai-je pas moi aussi une petite main jaune au revers du zonblou ?! Comme tout ado qui se respecte, j’ai mes convictions et défends toutes griffes dehors mes grandes causes ! Touche pas à mon pote. Leur succès c’est le vôtre (ça, c‘est de Coluche, à propos des Restos du cœur, j‘ai collé ces quelques mots sur une bouteille d‘Oil of Olaz qui trône sur mon bureau, allez savoir pourquoi ! L‘adolescence a ses raisons que la raison ne connaît pas). J’écris des poèmes, je me sens profondément artiste et proche des sensibilités extrêmes. D’ailleurs, le premier texte que je griffonne à l’époque s’inspire largement de Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ? Il évoque mon premier grand chagrin d’amour. Je peux dire que c’est Renaud qui m’a menée à l’écriture.
Plus tard, toujours je surveillerai de plus ou moins loin la carrière du chanteur énervant. Toujours, je le défendrai ardemment quand on me dira que Renaud c’est mort, il est récupéré. Toujours je penserai que cet homme-là a simplement évolué. Après tout, on ne peut pas rester le même toute une vie durant. D’ailleurs, je ne crois pas que Renaud ait totalement viré de bord. Je pense que ses blessures sont restées les mêmes. Que nous dit-il quand il déclare avec tristesse : « J’ai du mal avec la vie » ? Il nous dit que la nostalgie est une gangrène qui vous cloue parfois jusqu’à la moelle, que l’enfance est un âge d’or qui revient systématiquement le hanter. Il nous dit que la coupe est pleine, que face à tout ce qui le fatigue, il n’a probablement plus que le silence à opposer. Peut-être n’avons-nous pas su déceler la fragilité qui a toujours fait de lui un être vacillant ? Pourtant, la balafre était là depuis longtemps dans son œuvre. Depuis de longues années, Renaud nous dit qu’il va mal, qu’après l’enfance c’est quasiment fini et que ce constat est le plus amer de tous ceux que l’on fait au cours de sa vie.
Le voilà donc en retrait, assis sur un banc pour on ne sait combien de temps. Immobile. Contemplant ses contemporains, c’est dire s’il contemple rien. De ce spectacle qui très certainement l’afflige encore, il ne parvient plus à tirer une seule ligne. Il nous faut respecter son silence, même s’il nous fait mal, même si nous appelons de nos vœux une résurrection. Et, comme le disait Didier Varrod en conclusion du très bel hommage qu’il a rendu à Renaud dans un reportage diffusé hier soir sur France 3, il nous faut écouter et réécouter encore les chansons de ce titi parisien. En attendant le moment de grâce où, qui sait, quelque chose sera peut-être de taille à le bousculer et à lui arracher de ces mots percutants dont il a le secret. Je veux y croire. Tout comme ma petite Louise, sept ans, et fan absolue de monsieur Séchan !
16:04 | Lien permanent | Commentaires (8)