30/09/2018
Les rescapés, de Miossec
"Je me suis fait tout seul et je me suis raté". Christophe MIOSSEC
Miossec a cinquante-trois ans. C'est un âge qui a vu passer plus d'une fois la charrette de l'Ankou, un âge où l'on ne compte plus les cités d'Ys englouties autour de soi, il y en aurait trop. Tous ces naufrages, ces départs, ces effacements, voilà qui vous donne l'impression d'être un sursitaire. Un rescapé, en somme ; un du bataillon de « ceux qui ne sont pas passés de loin à côté ». D'où ce titre donné à l'album : Les rescapés. Le mot vient du picard, rescaper, et signifie réchapper. Il serait devenu d'usage courant dans la langue française au début du vingtième siècle, après la catastrophe minière de Courrières. À cinquante-trois ans, de quoi a-t-on réchappé ? D'un certain nombre de coups de grisou qui n'ont pas épargné tout le monde. De bien des tempêtes qui ont cogné en aveugle sur leur passage. Le dernier Miossec parle de la grâce d'être encore là. Il dit également combien l'on est minus face à la mécanique broyeuse du temps, il dit qu'on est un peu la somme des désastres auxquels on a eu la chance d'échapper. Il dit aussi que l'homme sera toujours petit face aux éléments déchaînés et aux crocs des vagues démontées (cf. la septième chanson de l'album, La mer, quand elle mord, c'est méchant). La cinquantaine a quelque chose d'impitoyable, dirait-on : c'est l'âge où l'on devient non pas ce que l'on est (ce serait trop beau !), mais ce que l'on redoutait d'être. Constat assez sombre, je vous l'accorde, mais tout cela est soigneusement contrebalancé par des odes à la vie. Miossec est rescapé et conscient de l'être. La chanson Pour célèbre, si j'ai bien compris, la chance qui nous a été donnée de venir tâter du pied la planète Terre, malgré les aspérités, les achoppements et les chutes. Et je suis presque sûre que le mot qui est sous-entendu à la fin, c'est « merci ». En tout cas, moi, je vois dans ce texte quelque chose du Chapeau bas de Barbara. L'aventure fait l'éloge du grand large, des parkings annonciateurs de départs, de « tout ce qui nous attend ; demain, ce soir, ou là, dans un instant ».
Et puis il y a ces mélodies qui vous restent en tête des heures durant, ces envolées de sons, ces arrangements tissés au plus fin, au millimètre près, comme la toile d'une araignée qui se serait faite orfèvre. Il y a aussi ces déchaînements soudains, auxquels on ne s'attend pas, comme ce moment où, dans Nous sommes, le piano s'emballe comme un dément. Ou encore toutes ces fois où, dans La mer, quand elle mord, c'est méchant, on croirait entendre un ressac furibond. Et que dire de La ville blanche, alors ? Les espèces de roulements de tambour de la fin m'évoquent autant de réminiscences enfouies du tonnerre de Brest.
C'est un album marin, en somme, dans lequel on retrouve à la fois le Miossec des débuts et un Miossec infiniment autre, qui a su se réinventer. La mélancolie est restée communiste sous sa plume : elle n'oublie personne, elle a le geste généreux, le don foisonnant, et même, elle s'est encore accentuée. Mais elle n'en a pas pour autant anéanti les forces vives de l'artiste. Et tout ce petit monde, à la fois ombre et lumière, cohabite là sans heurts. On croise même Georges Perros dans un texte (On meurt), et la cohérence nous apparaît alors évidente : chez lui aussi, ombre et lumière, à tour de rôle, ou en même temps...
L'œuvre d'un artiste est-elle forcément toujours ancrée dans le territoire qui l'a vue jaillir ? Je dirais que oui. Celle de Miossec me semble trimbaler avec elle pléthore d'embruns, myriades de ciels changeants, ambiances de veillées ou de festoù-noz. En clair : elle est bretonne et plus encore finistérienne. Le Finistère, c'est la fin de quelque chose certes, puisque la terre ferme s'étiole sous nos pas, mais devant nos yeux, s'ouvre un morceau d'infini. C'est beau, c'est puissant, c'est comme l'univers de Miossec, où la fin n'est pas seulement achèvement, mais aussi et surtout ouverture.
14:41 | Lien permanent | Commentaires (32)
28/09/2018
Miossec, HFT, Cat Power : tout un programme en ce 28 septembre !
"Nous sommes les survivants
Nous sommes les rescapés
Nous sommes de ceux qui ne sont pas passés de
loin à côté". Christophe MIOSSEC
La quarantaine bien entamée, c'est-à-dire adolescente (il paraît en effet qu'il existe d'étonnantes concordances entre ces deux périodes de la vie)... Le coup de tête imprévisible, c'est-à-dire prémédité... Il est des concomitances bienheureuses : c'est aujourd'hui que sortaient simultanément le dernier Miossec et un best of de Thiéfaine ! L'album de Miossec, Les rescapés, je vous en parlerai peut-être plus tard. Je l'ai écouté deux fois déjà : une pure merveille. Miossec est comme le vin : il se bonifie en vieillissant. J'ai toujours aimé son univers. Bref, fermons la parenthèse. Le best of de Thiéfaine, je peux déjà en dire quelques mots. Je sais, je sais, d'aucuns diront (avec raison sans doute) que c'est encore un coup de commerce, un truc dans le genre. Je sais, je sais, pour mon budget post-rentrée, c'est plutôt un coup de massue qu'il aurait mieux valu éviter. Oui, mais... Mais la passion, le besoin de m'entourer d'objets chaleureux dont la seule présence dispense un peu de lumière, que sais-je encore ? La peur de ne pas acheter tous ces coffrets, vinyles, et machins-trucs et bidules chouettes tant qu'il est encore temps... La peur de le regretter plus tard. Vaut-il mieux avoir des remords ou des regrets ? Terrible question dans laquelle on pourrait facilement tourner en rond comme un lion en cage. Autant ne pas se la poser, cela réglera le problème !
Comme ils sont beaux, tous ces objets qui débarquent en pluie chaque mois depuis mars ! Je pourrais très bien m'en passer, dans l'absolu je veux dire, mais comme nous ne vivons jamais que dans du relatif, je dois me les procurer. Un petit diable (celui-là même qui, dès qu'il s'agit d'Hubert, m'accompagne depuis septembre 1992) me pousse régulièrement vers l'entrée de la Fnac de Metz ou celle de Nancy. Ce matin, à 9h45, j'étais déjà devant celle de Metz, à faire le pied de grue et bénissant le magnifique emploi du temps que j'ai cette année : durant les mois qui viennent, il va me permettre de foncer à Metz ou à Nancy à chaque sortie d'album vertigineuse. Prochain opus de la Grande Sophie ? J'y serai ! Sortie d'un inédit de Jacques Higelin, d'un éventuel Alex Beaupain, d'un Charlélie Couture ? On m'y trouvera itou !
Bref... Me voilà donc dans les rayons de la Fnac, demandant où je peux trouver le double CD best of sorti ce matin. Le vendeur vient de le découvrir dans ses bacs : il me le tend. En me disant que lui aussi va s'acheter cette compilation. Alors que je fouine encore un peu dans les rayons, le même vendeur vient vers moi et me demande : « Vous aimez vraiment beaucoup Thiéfaine ? » Que répondre à cela ? « Oui monsieur, un pacte mystérieux, frisant le diabolique, nous lie depuis plus de vingt-cinq ans et j'ai même parfois l'impression que ses chansons coulent dans mes veines » ? Opter pour la pudeur me semble toujours indiqué dans ces cas-là. Il n'y a guère qu'ici, sur ce Cabaret, que je me livre au sujet de Thiéfaine. C'est mon espace de folie et de liberté. Mais, dans la vraie vie, je fais partie des grands taiseux qui ont depuis toujours horreur de l'oral. Sont carrément nuls à ce truc-là. C'est sans doute la raison pour laquelle j'aime tant Modiano : j'ai rencontré mon double en tergiversations langagières, balbutiements, phrases qui font demi-tour avant d'avoir atteint leur destination. Il n'y a que l'écriture qui me permette d'aller au bout de mes pensées (et encore, pas toujours). Bref, j'en reviens donc à ce monsieur, à qui j'ai fini par répondre que oui, en effet, j'aimais vraiment beaucoup Thiéfaine, depuis très longtemps. Et le voici qui ouvre un tiroir magique : « Tenez, cela me fait plaisir de vous offrir cette affiche qui accompagne la sortie du best of, on ne la mettra pas, elle est pour vous ». C'est regrettable, bien sûr, qu'elle ne soit pas placardée en trois cents exemplaires sur les murs de la Fnac, mais bon, égoïstement, je me dis qu'elle sera mieux chez moi, au chaud, avec quelques copines qui lui ressemblent.
Je suis rentrée, le porte-monnaie rabougri, mais l'âme gonflée de quelques incomparables douceurs (je récapitule : j'ai donc acheté le best of version vinyle et version CD, l'album de Miossec sorti ce jour, et j'ai mis une cerise délicate sur ce gâteau déjà bien crémeux : un CD de Cat Power ; comme si un prof, ça roulait sur l'or, et comme s'il n'y avait pas, d'ici peu, une autre pluie à craindre, ou à espérer plutôt, celle du 5 octobre – trois vinyles d'Hubert d'un coup). Et vous connaissez la meilleure ? Je n'ai pas de platine chez moi ! Parfois, je me fais l'effet d'une vieille dame que j'ai connue, enfant, et qui habitait dans mon village. Tous les jours, peu avant l'heure de la valise RTL, elle se rendait chez elle urgemment, toutes affaires cessantes. On eût dit qu'une envie pressante lui ravageait soudain les entrailles, et elle vous plantait là, au milieu d'une discussion, des fois que Fabrice (l'animateur de ladite valise RTL à l'époque) viendrait à l'appeler précisément ce jour-là. Et vous savez quoi ? Elle n'avait pas le téléphone ! Ben voilà, moi j'ai des vinyles … mais pas la platine qui me permettrait de les écouter !
20:16 | Lien permanent | Commentaires (7)