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27/08/2018

Il n'y a pas qu'HFT dans la vie...

"Mais il ne reste jamais rien de ce qui est vécu

Quelques grains oxydés sur de la paraffine

et des souvenirs idiots mais qui donnent un peu de lumière

les jours de pluie". Charlélie COUTURE

 

Il n'y a pas qu'HFT dans la vie (quoique, quand on lit ce blog, on se demande !). Bien sûr, à mes yeux, Hubert demeure celui à nul autre pareil, que nul ne saurait égaler. Mais tout de même. J'ai le cœur et les oreilles assez larges, me semble-t-il (j'espère, en tout cas), pour pouvoir y faire entrer d'autres admirations. Là, par exemple, je suis en ébullition parce que la Grande Sophie est en train de nous concocter un nouvel album ! Ébullition aussi à espérer le prochain Miossec, qui sera dans les bacs à partir du 28 septembre. Je n'oublie pas non plus combien, il n'y a pas si longtemps, chaque nouvel Higelin à paraître me faisait frissonner d'avance. Salut à toi, l'ami...

Durant ces vacances d'été, j'ai fait une cure sans Hubert. Oui, cela m'arrive. Il me paraît bon de m'enivrer parfois à d'autres flacons. Pour plusieurs raisons : tâcher, autant que faire se peut, de me tenir ouverte à d'autres choses qui se présentent, et aussi, réellement, me désintoxiquer un bon coup … afin de mieux replonger ensuite ! C'est un peu comme s'il en allait d'HFT comme de la drogue (toutes proportions gardées, bien sûr : HFT, c'est mieux !) ! Bref, en cet été 2018, j'ai réécouté avec grand plaisir Stephan Eicher et Charlélie Couture, entre autres. Couture, c'est un artiste que je suis depuis les années collège, c'est dire si cela remonte ! Voilà quelqu'un qui a lui aussi un univers bien à lui. Pas carré du tout, un tantinet étrange, largement porté par les étoiles, comme j'aime. On croise là des types loufoques, qui racontent du pipeau sur leur passé bancal, un autre qui se dit ancien légionnaire (« alors on l'appelle comme ça, on dit tiens v'là l'légionnaire ») des mannequins mélancoliques, une certaine Angélique qui, quand elle enlève ses bigoudis, ressemble à une brebis. Et tant d'autres êtres encore, des griffés par la vie, des lumineux, des fiers, des doux, des plus sévères. Les chansons de Charlélie Couture peuvent être énigmatiques, elles ne délivrent pas toutes un message, elles sont là parfois uniquement pour la beauté du geste. Et quel geste ! Et quelle beauté !

L'année dernière, Charlélie Couture est venu chanter à Nancy dans le cadre de l'admirable festival NJP (Nancy Jazz Pulsations) qui a lieu chaque automne. C'est un des temps forts de la rentrée. Après le Livre sur la Place, juste le temps de se recoiffer un coup, et hop, on repart pour d'autres émotions qui nous décoifferont tout autant ! J'adore la ville de Nancy, elle est inventive, surprenante, jamais éteinte. On croit qu'on va pouvoir se reposer, et elle nous pond un nouveau truc, un nouveau festival, une nouvelle conférence, une nouvelle expo. On n'en dormirait plus. Bref... Donc, toute cette logorrhée pour avouer ma grande faute : Charlélie au NJP, eh bien je l'ai loupé. Comme Hubert à Bercy, en 1998, que c'est toujours pas digéré, d'ailleurs, soit dit en passant. Et avoir manqué Charlélie, pareil, ça va avoir du mal à passer. Il faut dire aussi que cela tombait mal, en pleine semaine, je crois, boulot le lendemain, 45 minutes de voiture à faire maintenant que j'ai quitté Nancy pour quelque chose de nettement plus endormi... Ayant beaucoup écouté Couture cette semaine, j'ai flâné sur Youtube pour voir un peu ce qu'on pouvait y trouver à son sujet. Eh bien des tas de choses intéressantes, dont l'intégrale du concert au NJP 2017 ! Je viens de regarder cela, et j'en suis encore essoufflée. Il arrive sur scène, démarche tranquille de qui ne ferait que passer. Et là, attention à ceux qui ont cru qu'il n'allait faire que passer : il t'empoigne sa guitare avec une de ces énergies, il est dedans tout de suite. Dans son morceau, dans son concert, dans le don qu'il s'apprête à faire. Le spectacle s'inscrit dans le cadre de la tournée qui a suivi la sortie de l'excellent album Lafayette. Il fait là-dessus une musique à décorner les bœufs, on est en plein bayou, et c'est loin d'être commun. À ma connaissance, jusqu'à présent, il n'y avait qu'Hubert pour nous faire ça, cet effet bœuf qu'on a décorné en plein bayou, je veux dire ! En d'autres termes, et plus simplement : parler du bayou, qui donc l'avait fait avant Hub ?! Couture le fait donc aussi, à sa manière, celle-là qui lui est propre. Je reviens au concert du NJP : on dirait de la désinvolture et en fait, non, Charlélie est à fond dans son truc. Il n'est pas du genre à se payer de mots. Entre deux chansons, il n'en dit pas plus qu'il n'en faut. Tout ce que l'on constate, c'est que dans cette absence de temps morts, cela joue grave, le rythme est soutenu du début jusqu'à la fin. On entend avec plaisir des morceaux du dernier album en date, que l'on avait aimé, absolument, de bout en bout, et d'autres, venus de lointaines brumes, d'une époque où l'on était jeune et peu enclin à la mélancolie, tout simplement parce qu'on ne savait même pas ce que c'était, ni que ça existait. Charlélie nous chante, l'air de ne pas y toucher, Comme un avion sans ailes, chanson à laquelle il fait l'écrin d'une belle introduction. Il nous dit qu'il faut « garder le feu de l'enthousiasme qui donne à y croire, même quand le ciel est couvert », et l'on penserait presque à Higelin, lui qui, si souvent, nous insuffla le courage qui nous manquait. Après avoir chanté ce qui fut son tube, Couture nous dit qu'il n'est pas de ceux qui se laissent envahir par la nostalgie. Il regarde devant. Plus précisément vers aujourd'hui. Et l'on penserait presque à Higelin encore, c'est une manie, mais c'est comme ça : si souvent, il nous a enjoint de cueillir l'instant présent sans le froisser si possible.

Charlélie revient ensuite à des chansons plus récentes, parce qu'hier est déjà trop loin pour qu'on s'y attarde. Mais quand même : pour le rappel, il offre au public deux morceaux très anciens quoique n'ayant pris ni ride, ni bidoche mal assumée : Le loup dans la bergerie et l'inégalable Ballade du mois d'août 1975. Celle-là même qui lui avait filé un fou rire lors d'un enregistrement live, il y a plus de vingt ans (déjà, purée, déjà). Celle-là même qu'il présentait, toujours durant ce live, en parlant d'une région qui lui était familière, où « tout l'été n'est fait que pour préparer l'hiver ». Et je songe à chaque fois qu'il ne peut être question ici que de la Lorraine, d'où je viens, moi aussi, et où en effet juillet et août sont des mois de conserves et d'alambic qui n'ont pas tellement d'autre but que de parer aux grands froids à venir...

Charlélie salue le public. Il se tourne vers ses musiciens, puis porte la main à son cœur. On sait alors qu'il est sincère. Le petit air qu'on lui connaît et qu'on aime tant, cet air mi-taquin, mi-désinvolte, disparaît, et je me dis : « Flûte, j'aurais bien aimé y être, à ce concert ». Ras-le-bol des ajournements, ça commence à bien faire tous ces rendez-vous manqués (Higelin en parlait très bien aussi dans son livre Je vis pas ma vie je la rêve). Le prochain, de rendez-vous, je ne le manquerai pas. Et même : j'y sauterai à pieds joints, et vive le bayou !

25/08/2018

Parallèles (au masculin)

"J'ai toujours aimé rêver debout, la vie redevient de bonne compagnie". André BLANCHARD

 

Avez-vous déjà remarqué comme, souvent, des liens subtils existent entre les différents univers qui nous happent ? Combien de fois m'arrive-t-il de me rendre compte qu'un chanteur ou un auteur que j'affectionne se réclame des mêmes admirations que moi ! Ou que tel auteur que j'aime finit par aborder les mêmes thèmes que cet autre que j'aime aussi. C'est comme si de mystérieuses passerelles naviguaient d'une rive à l'autre, afin de mieux nous y ancrer. Heureux de nous rendre compte de ces affinités, on voit soudain apparaître des parallèles évidents, du genre « mais oui, mais c'est bien sûr ! ». Au masculin, les parallèles se permettent des collisions et des télescopages, tandis que leur féminin, infiniment triste et monotone, les condamne à ne se rencontrer jamais. Bref, trêve de palabres, venons-en à l'objet de ce billet : deux univers que j'aime se mettent soudain à se refiler l'un l'autre des échos, à s'envoyer des ricochets. Il y a quelques années, un certain Jean-Mi, de ma connaissance, était venu parler, dans les commentaires au bas d'une note, du lien qu'il voyait entre l'écrivain André Blanchard et Hubert-Félix Thiéfaine. Une certaine Kawa, toujours dans les commentaires, avait abondé dans le sens de Jean-Mi. Ignorant à ce moment-là absolument tout de l'écriture de Blanchard, je n'avais pas rebondi comme il se devait. Mais il arrive que des oublis ou des négligences nous offrent une seconde chance de les réparer. Et c'est ainsi qu'il y a quelques jours, j'ai découvert Entre chien et loup et Pèlerinages de Blanchard. Déjà, le titre des Carnets datant de 1987, Entre chien et loup, me ramène à La mélancolie, de Ferré :

« C'est avoir le noir

sans savoir très bien

ce qu'il faudrait voir

entre loup et chien ».

Premier pont d'une longue série...

La mélancolie, parlons-en, tiens ! Elle imbibe l'œuvre de Blanchard, autant que celle de Thiéfaine, comme un carburant qui la ferait avancer. Ce qu'il faudrait voir entre loup et chien ? Des abîmes ! Mais, de même qu'un don, selon le mot de Truman Capote, est toujours accompagné d'un fouet, il me semble que toute ombre a son pendant dans le royaume de la lumière. Peut-être que les mélancoliques ont les yeux plus ouverts que les autres, peut-être qu'ils voient mieux et les poisons et, ce qui n'est pas menu fretin, les splendeurs. Si Blanchard (comme Thiéfaine) sait décrire avec une finesse déchirante les moments où tout poids (celui du monde, celui de la vie que l'on mène, ou plutôt qui nous mène) devient écrasant, il sait aussi (comme Thiéfaine) saisir la poésie d'un paysage ou d'un instant et la condenser en quelques lignes, voire quelques mots. Ici, sous la plume de Blanchard, le silence est tel qu'on le « dirait d'avant le big bang », là « le soleil de septembre sert à l'été l'égal d'un dernier verre ». Et nous, lecteur ébloui, on en redemande tant c'est exactement ce que l'on rêvait de lire depuis des siècles et qui ne venait pas ! C'est comme découvrir l'œuvre de Thiéfaine, on se dit soudain (en tout cas, je me dis soudain, il y a 26 ans de cela) : « Quoi, ceci existait donc et je ne le savais pas ? ». Pour un peu, on se flagellerait d'avoir perdu tant de temps et d'avoir laissé filer, dans une brèche, la grâce ! Mais on se ressaisit, on n'y pouvait rien, on n'avait pas encore fait les bonnes rencontres, celles qui nous feraient aller d'une rive à l'autre pour mieux nous y ancrer. Alors on se regarde avec indulgence et l'on sait dans l'instant que le temps perdu se rattrape. Je me revois, jeunette de même pas vingt ans, me prendre en plein cœur une décharge électrique nommée HFT et m'émerveiller de jour en jour de tout ce qu'il me restait à découvrir alors. Car le monsieur avait déjà une certaine carrière derrière lui, il suffisait d'ouvrir les bras (et le porte-monnaie de ma mère à l'époque !) et de se servir. Bref... On a donc parfois des éblouissements, des ébahissements qui justifient toutes les traversées du désert. On se félicite d'avoir tenu au cœur des tempêtes puisque c'était pour arriver jusqu'à cela, que l'on pourrait appeler le Graal...

Alors, donc, le lien entre Blanchard et Thiéfaine, en plus de cette capacité à saisir le fugace ? Une écriture absolument hors de tout sentier battu, comme on en rencontre si rarement. Avec Hubert, impossible de prévoir la rime qui va suivre. On ne peut même pas, en tant qu'auditeur, prétendre pouvoir attendre tel ou tel adjectif. On n'attend rien, strictement rien, car ce qui nous sera servi au bout du vers sera au-delà de toute attente. Même chose, je crois, avec Blanchard. Inutile d'imaginer que tel mot sera accompagné d'une convenance : ce qui va nous tomber dessus sera au-delà de toute habitude. C'est une écriture qui se repousse elle-même en ses derniers retranchements, comme celle d'HFT, mais vous le savez mieux que moi.

Il y a aussi cette enfance que tous deux connurent en Franche-Comté. Il y a cette éducation façonnée par les prêtres. Il y a l'humiliation subie, à quelques années de distance, par deux gamins dont les aspirations étaient trop grandes pour être parquées dans une cour de récré ou une salle d'étude. Il y a les brimades qui préparèrent sans doute un sordide terreau à cette putain de résilience zéro. Je lis Blanchard et il me semble entendre Thiéfaine. Ainsi dans ce passage de Pèlerinages :

« Ce sont des tableaux enfuis, en prime du noir, que je dois réquisitionner si je veux me représenter ce collège où j'ai vécu de la sixième à la seconde, où j'ai éreinté mon allant et, tête de Turc, désappris la confiance, lâché au beau milieu de la bourgeoisie, la grande plutôt que la petite, laquelle ne m'envoya pas dire, sinon en des termes moins trouvés, que nous n'avions pas eu les mêmes matins de Noël, ni les mêmes lieux de vacances. »

Je poursuis ma lecture. Je lis Blanchard et il me semble voir Thiéfaine dans ce reportage qui nous le montre, les traits crispés, l'émotion palpable, revenant dans une institution synonyme d'enfermement misérable :

« Est-il étonnant que, parti de ce collège en 1967, j'aie attendu trente-trois années, et ces sinistres souvenirs enfin crucifiés, pour venir pousser une flânerie jusqu'à ce porche, seule survivance, telle quelle, de l'époque où je le passais, rentrant le dimanche soir, ma vie barbouillée au bord des lèvres. »

Un peu plus loin, Blanchard nous dit qu'alors, courber l'échine « fut son programme ». Ajoutant ceci : « C'est pourquoi j'aurai passé mon âge d'homme à la redresser ; et à ce qu'elle ne plie plus ». Là encore, le parallèle avec Thiéfaine me semble évident. Le parcours du poète jurassien ne suffit-il pas à lui seul à prouver qu'en matière de redressage d'échine, il se pose là, notre Hubert ? Œuvrant parfois dans l'ombre, toujours avec la foi du charbonnier qui ne se laissera pour rien au monde détourner de la voie qu'il s'est tracée, fût-elle semée d'embûches !

André Blanchard avait une idée si pure de la littérature qu'en faire commerce lui eût semblé sinistre farce. Pire encore : une injure, un crachat. Au tralala et aux « trompettes de la renommée », il préféra cette ombre qui lui permit de ne jamais lâcher sa proie. Je vois dans ce choix (enfin, si j'ai bien compris la démarche de cet auteur) une intégrité qui voisine avec l'héroïsme. Notre ami Hubert, lui aussi, se tient quand même (quoi que ce soit un peu moins vrai, peut-être, ces dernières années) assez éloigné de certains projecteurs. Et encore un parallèle !

Je récapitule : deux écritures en marge de tout ordre préétabli, qui bousculent l'imagination et lui ouvrent des horizons qui donnent à voir l'immensité, une souffrance native que l'art conjure avec brio, une enfance au bec bien souvent cloué et à l'échine courbée. Et j'ai oublié les coups de griffe où excellent l'un et l'autre, et l'humour décapant ! Ce qui me frappe plus que tout le reste, j'insiste, c'est le petit grain de folie de l'écriture qui, régulièrement, devient bateau ivre que ne guident plus ni les haleurs, ni aucune règle ! Bref, je résume : écoutez Thiéfaine et lisez Blanchard ! Cela fouettera vos sens comme rien d'autre !