Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22/12/2019

Bluesymental tour ... de force !

"Si vous vivez, vous perdez. Il n'y a pas moyen de faire autrement". Christian BOBIN

 

Donc, j'ai une platine. Achetée l'année dernière à Noël, rien que pour accompagner un autre achat : celui du coffret de vinyles spécial 40 ans !

Ah, les vinyles, toute une page de poésie ! À ne manipuler qu'avec des précautions de dentellière effarouchée. On sort l'objet de son écrin, on le pose délicatement sur la platine, on lance le tout et c'est parti pour une série de grésillements d'une autre époque. Puis, une fois les grésillements passés, on embarque pour un son d'une pureté absolue, propre à décoiffer les oreilles ! C'est que ça a de la gueule, quand même !

Dans le coffret spécial 40 ans, le disque que j'aime le plus est celui du Bluesymental tour. Pour plusieurs raisons que je vais tenter de détailler ici. La toute première, c'est qu'on n'avait jusque là, comme souvenir de cette tournée, qu'une vidéo qui n'est elle-même plus qu'un souvenir ! On ne peut plus la regarder nulle part, à moins d'avoir encore un magnétoscope, ce qui est loin d'être le cas de tous !

 

Regardons le vinyle de plus près : la pochette est très belle. J'ai toujours aimé la photo de couverture, montrant un Hubert à l'air accablé, dont la tête, emplie sans doute de douloureuses visions, a besoin d'une main pour la soutenir en ses tristes divagations. Version « et moi je n'irai pas plus loin »... Quand on ouvre le vinyle, on tombe sur une double « page » présentant divers articles de journaux publiés à l'époque de la tournée. On découvre, sur les photos, un Thiéfaine aux yeux vert-de-gris, hallucinés. C'est un regard qu'on lui connaît bien et qui le montre habité par ce qu'il chante. Les articles de journaux ont, pour la plupart, des titres savoureux : « le poète aux santiags de vent », « une tranche de bonheur bien saignante », « Thiéfaine : ascenseur pour le ciel », « la poésie urbaine d'Hubert-Félix Thiéfaine », « bourlingue du poète moderne ».

Replaçons les choses dans leur contexte. Nous sommes au Transbordeur, à Lyon, le 13 février 1991. Encore en pleine guerre du Golfe, et on ne sait pas comment ça va tourner. Avant d'interpréter Les dingues et les paumés, Hubert envoie ces mots : « Ça va ? Vous flippez pas trop avec cette putain d'histoire de merde de guerre ? Un petit peu... Avec le genre de textes que j'écris, je vous promets pas de vous faire oublier tout ça, ni de vous rassurer ». Santiags de vent, oui, mais pas bottes de sept lieues qui permettraient de fuir le monde à toute vitesse. Hubert est perpétuellement ancré dans son époque, souvent à son grand dam, d'ailleurs ! Parenthèse à ce sujet : 27 ans plus tard, lors de la tournée des 40 ans, il parlera des temps de désolation qui courent sur la planète, et nous proposera une chanson pour nous remonter le moral : Éloge de la tristesse. Une fois encore, admirez la subtile ironie.

Qu'est-ce qui fait que le poète jurassien peut nous parler des pires choses sans pour autant bousiller notre foi en la vie ? Je dirais même qu'il la raffermit, pas vous ? Pour ma part, je crois que Thiéfaine agit sur moi comme Gary ou comme Cioran : en grand consolateur. À force d'être au plus loin de la franche rigolade, on tombe pile dedans ! Et puis, il y a aussi, régulièrement, cette distance ironique et bienfaisante sur toutes choses, qui produit son petit effet de recul. Puisque nous ne sommes pas là pour nous amuser, amusons-nous tout de même !

1991 : je n'ai pas encore découvert l'ovni Hubert. La soucoupe ne s'est pas encore posée dans mon histoire. Elle est en route, prête à en découdre avec toutes les intempéries. Elle atterrira dix-neuf mois plus tard. Et je reconnaîtrai en HFT un frère, un compagnon d'infortune, enfin je ne sais pas trop comment le définir : en tout cas quelqu'un qui aide à rendre le chemin moins obscur. C'est inestimable aubaine. Je mesure chaque jour, plus que « le temps qui nous apoplexise », la chance qui est la mienne, honnêtement, parce que je me sens accompagnée en mes errances. Ce n'est pas rien. Bref...

Il y a aussi, sur le Bluesymental tour, cette intro qui déchire et s'empale sur de merveilleux vertiges. Quelques accords plus tard, nous voilà bazardés dans cité X et plus précisément encore dans la chambre au ventilateur. Et cela m'évoque une lourde canicule, non seulement météorologique, mais aussi et surtout corporelle !

À la prochaine tournée, celle qui suivra la sortie de Fragments d'hébétude, je m'accrocherai au wagon, et solidement, mon gars ! Sans savoir que des wagons, il y en aura une joyeuse ribambelle. Jusqu'à plus soif, dirais-je, si cette soif-là devait connaître une fin (mais ce n'est pas le cas)...

08/12/2019

Petit retour (un brin nostalgique) sur la tournée des quarante ans...

"J'avance à grandes enjambées pour semer la désolation". Olivia DE LAMBERTERIE

 

Allez, pour le plaisir, comme ça, replongeons-nous un instant, si vous voulez bien, dans la tournée qui s'est achevée il y a quinze jours (punaise, déjà). Qu'en retenez-vous ?

Pour ma part, j'en retiens :

-les performances scéniques d'Hubert : 71 ans et pas un seul cheveu blanc n'a poussé sur sa belle énergie,

-les facéties de ce même Hubert, le summum étant selon moi « bières, cercueils, catafalques, yogourts, acides », mais aussi « mangez des ortolans plus souvent » (façon Maïté sur France 3, tout cela pour introduire une chanson évoquant la dèche, le twist et le reste : admirez la subtile ironie),

-les performances vocales de ce même Hubert : là non plus, pas un seul cheveu blanc. Je trouve même que sa voix s'est bonifiée avec le temps, devenant plus grave et plus profonde, et conférant aux textes une portée encore plus grande,

-les acrobaties diverses et variées des musiciens, pas mal non plus au registre des performances,

-la joie qui fut la mienne quand je découvris la set-list du concert de Metz, le premier auquel j'assistai sur cette tournée, et cette émotion qui m'étrangla quand je constatai que la part belle était faite aux chansons de la vieille époque, celles qui ont eu le temps de sédimenter en moi depuis la fin de l'adolescence, à telle enseigne qu'elles me semblent désormais inscrites dans mes gènes (ben ouais, elles ont balayé ceux qui étaient là à l'origine pour se bâtir une casbah bien à elles : ne me secouez pas, donc, je suis pleine de refrains de Thiéfaine et toute erreur de manipulation pourrait entraîner de sérieux dommages),

-la folie qui fut la mienne (et que je ne regretterai jamais, façon Oscar Wilde) lorsque je décidai d'aller voir Hubert trois soirs d'affilée, faisant suivre la date messine de la date parisienne, puis la parisienne de la dijonnaise,

-Verdun, Verdun, Verdun, et sa puissance à nulle autre pareille ou presque (allez, j'avoue quand même que j'ai retrouvé quelque chose de semblable à l'Olympia), le beau sourire d'Hubert durant tout ce concert, un sourire comme une offrande, en réponse à celle que nous lui avions faite : le quai de Londres débordait d'une foule ébouriffée, venue là pour célébrer son Hubert en bonne et due forme (quarante ans de scène, ça s'arrose, à la mirabelle de Lorraine et à tout ce que vous voulez),

-les visages anxieux, cherchant une place dans le trafic devant une salle promettant d'être comble, les mêmes visages rendus à la joie une fois trouvée ladite place, et puis, plus tard dans la soirée, cette gratitude dans les yeux, cette façon de dire en silence « merci, Hubert, pour ces quarante ans où tu nous as littéralement portés et transportés »,

-les étreintes entre le père et le fils, proprement bouleversantes,

-les retrouvailles avant l'Olympia, avec les copines de Thiéfainie, Arabesque, Soph, Brigitte et même deux nouvelles (Chloé et Geneviève), le fou rire gigantesque à cause de mon billet de concert quintuple format,

-les rencontres après l'Olympia, avec Seb entre autres, les retrouvailles post-concert itou, avec ceux de la « première heure », notamment Évadné et Foxy,

-les petits mots échangés (sans retenue !) avec le Doc, qui peut-être va s'abonner au silence durant quelque temps, mais que nous n'oublions pas, tant il fait partie intégrante de la planète Thiéfaine,

-les discussions impromptues, virevoltant d'un bâton rompu à l'autre (« Moi, Thiéfaine, je l'écoute depuis le début », « Moi je le vois pour la première fois ce soir parce que c'est gratuit, sinon je ne peux pas me payer la place, j'ai attendu ce moment durant des années », « C'est un des derniers poètes qu'il nous reste »),

-les ambiances de surchauffe où l'on sent monter dans le public une bienfaisante osmose (nous sommes tous différents et pourtant étroitement réunis en nos extases).

 

J'en oublie sans doute, et je n'ai pas fini de revenir à ce billet, de le peaufiner jusqu'à ce que les mots parviennent à résonner au plus juste de tout ce qui a été vécu, engrangé, précieusement acquis durant cette tournée magique.

 

Je retiens aussi, et surtout, cette même attente dans tous les regards et dans tous les propos échangés : à quand le prochain album et, si album il y a, y aura-t-il également une nouvelle tournée ?