30/10/2020
Comme un Dom Pé 67 ou quelque chose dans le genre...
"J'arrive de si loin
Que ma présence me pèse". Paul VALET
Allez, ce soir, j'ai eu envie de me livrer moi aussi au petit "exercice" que j'avais proposé sur ce blog ! Je sais bien que le Cabaret a recueilli plus d'une fois mes petites expériences thiéfainiennes, des premières aux plus récentes, mais bon, mais bon... Vos textes ont ranimé un peu de flamme en moi, alors voilà, c'est tout chaud, c'est pour vous, en attendant vos textes (on m'en a promis quelques-uns encore) :
Septembre 1992. Il y a un type, dont j'ignore à peu près tout, qui vient de chambouler ma petite vie. Quelques mots de lui dans une R18 (« Tu voudrais qu'il y ait des ascenseurs au fond des précipices ») ont suffi à me faire succomber à ses blessures. Et voilà, choc frontal avec délicieux dommages collatéraux et même plus encore car affinités maximales ! Ce n'est pas trouver chaussure à son pied, c'est mieux : c'est trouver univers à son âme ! Je suis encore à l'âge de tous les extrêmes. Les précipices, ça me connaît. Les ascenseurs, un peu moins. C'est l'âge où l'on croit, quand on trébuche, qu'on ne se relèvera jamais. On aime et on croit que c'est la dernière fois. On désespère et on croit qu'on est le seul à être engrillagé ainsi dans le désespoir. On pense que nul ne sait pourquoi on en est là, ni à quel point on en est là, et pas ailleurs. Et donc, Hubert arrive dans ma vie jusque là un peu empotée, et je sais soudain que lui, il sait. S'il parle si bien de l'envie de s'engouffrer dans un ascenseur quand on est au fond du précipice, c'est qu'il n'a pas fait qu'effleurer les abîmes, c'est qu'il a dû s'emplafonner dedans, le cœur avec. Me voilà rassurée : je ne suis plus seule.
En deux temps trois mouvements, il me faut tous les albums de monsieur Hubert-Félix Thiéfaine. HFT en version raccourcie. Rien que le nom : Hubert-Félix Thiéfaine, ça en jette, ça claque ! Tout comme la version raccourcie, d'ailleurs ! Je suis très fière, soudain, d'écouter un chanteur qui s'appelle comme ça. J'en parle à mes camarades de fac. Très peu connaissent. Certains ont déjà vaguement entendu, lors de soirées feu de camp, La fille du coupeur de joints. « Ah oui, me disent-ils, t'écoutes ça, toi ? ». Quand je leur réponds qu'il faut aller chercher un peu plus loin, qu'HFT ce n'est pas seulement La fille du coupeur de joints, mais des références à tout-va, rares sont ceux qui veulent en savoir davantage. Beaucoup se contentent de montrer leur étonnement. Certains, y mettant un peu plus de bonne volonté que les autres, me réclament un CD. Souvent pour me le rendre le lendemain, ornant le geste d'un commentaire qui me fait comprendre que ce n'est pas la peine d'insister : « Ouah, quand même, le mec est bien barré. Et c'est d'un glauque ! Je ne pourrais pas écouter ça, sinon c'est la pendaison assurée ». C'est marrant parce que je ne ressens pas du tout la même chose. Thiéfaine agit sur moi, déjà à ce moment-là, comme un catalyseur bienfaisant. Quand il évoque son manque d'appétit (« ça fait bientôt deux mille ans que j'ai plus faim »), je comprends manque d'entrain pour la vie, et cela m'aide à mieux digérer le mien, de manque d'entrain. Quand il se dit « bloqué sur une voie de garage », je vois là la parfaite définition de tout destin humain. Et cela me rend tout destin humain plus supportable. C'est un fait : dès le début, les chansons d'HFT se mettent à cristalliser tout ce qu'il y a en moi de révolte et d'indigestion. J'ai trouvé un frangin et je n'en reviens pas. Pendant plusieurs mois, je n'écoute que lui. Je ne sais pas à quoi il ressemble. J'ai essayé, à l'aide des différentes pochettes qui accompagnent les CD et/ou les cassettes que j'ai en ma possession (eh oui, je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître), de recomposer son visage, de bric et de broc. L'image restera longtemps floue. Ce n'est qu'en 1995, en le voyant sur scène pour la première fois, que je saurai réellement à quoi ressemble l'énigmatique HFT. Eh non, quand j'avais vingt ans, pas moyen de googliser qui que ce soit. C'eût été anachronique. Je sais bien qu'Hubert a souvent été en avance sur son temps, mais de là à montrer sa bobine sur une toile qui n'avait pas encore pris l'ampleur que nous lui connaissons aujourd'hui, non, tout de même !
Bref... Je n'écoute que lui, donc, pendant de longs mois. Traîtresse absolue, j'ai presque renié Gainsbourg et Renaud, les trouvant un peu fades tout à coup (pardon). Ce Thiéfaine, puisque pas grand-monde ne le connaît, puisque pas grand-monde ne se colle à son univers de poésie glacée, il devient mon petit trésor rien qu'à moi. Je ne le partage pas beaucoup. Cela viendra plus tard (et encore, rarement, et plutôt sous la contrainte). Ma chambre se trouve juste à côté de celle de mes parents. Quand le poste s'emballe et se met à hurler « retour aux joints et à la bière, désertion du rayon képis », je baisse consciencieusement le son, en brave fille bien éduquée. Pas heurter papa, pas froisser maman. À cette dernière, plus tard, pour qu'elle m'emmène sans traîner la savate à mon premier concert de Thiéfaine, je vendrai ma petite came proprement, insistant sur le côté hautement littéraire des textes. Côté qui, elle me le confiera après ledit concert, ne la frappe pas outre mesure ce soir-là ! En revanche, les dingues et les paumés qu'on voit s'écrouler dans tous les coins (et tu me demandes s'ils ont bien pris leur dose), ça, ça la frappe, et copieusement. La fumette tous azimuts aussi. Hölderlin, Baudelaire et Rimbaud, nettement moins. En plus, ce soir-là, ça me revient maintenant, Thiéfaine s'amuse à se moquer d'Alain Barrière (gentiment, mais tout de même). Je n'ose regarder ma mère, elle qui adore Alain Barrière. Oui ben, c'est trop tard, maintenant, on y est, on y reste. Nous rentrons de là le cerveau embrumé. Moi je suis sur un petit nuage, ma mère un peu moins. À tout moment, durant le concert, j'ai cru qu'elle allait s'étouffer (au propre comme au figuré : elle était asthmatique), mais non, elle avait le cuir solide. Elle n'a cependant jamais demandé à m'accompagner à un autre concert de Thiéfaine. De toute façon, c'est mieux ainsi : je n'aime pas partager tonton Hub. Quand je l'écoute, c'est seule, de préférence dans ma voiture. Il faut dire que ses chansons déclenchent tant d'émotions en moi qu'être observée dans ces moments-là me mettrait fichtrement mal à l'aise. Je le garde jalousement pour ma petite pomme, comme un Dom Pé 67 ou quelque chose dans le genre...
21:44 | Lien permanent | Commentaires (7)
27/10/2020
Un texte de CélineCapucine
Bien que tardive (j'ai 52 ans), ma rencontre avec l'œuvre de Thiéfaine a quelque chose d'évident. Et durant l'année qui suivit sa découverte, j'ai dû faire le deuil de la longue période durant laquelle j'étais passée à côté. En découvrant ou redécouvrant Confessions d'un never been j'étais pourtant étrangement persuadée de la connaître depuis l'enfance, et je me souviens que l'humour très noir de Dies olé sparadrap joey m'avait fait beaucoup rire.
La chanson française m'a toujours accompagnée. Jusqu'à ce printemps 2015 où, écoutant distraitement France Inter à ma table de travail, j'ai été saisie par le « nouveau » Thiéfaine : précisément, le morceau Stratégie de l'Inespoir. La musique et le texte, mélancoliques et puissants, la voix, que j'ai d'abord confondue avec celle de Manset. Intriguée, j'ai poursuivi la découverte sur You Tube, d'abord subjuguée par Alligators 427 puis égrenant les perles du répertoire, avec à chaque fois la même stupéfaction.
J'ai ensuite remonté le fil, en écoute exclusive. Le « choc » était pour moi comparable à celui ressenti pour la danse africaine, que j'ai pratiquée : peut-être le côté pulsionnel, l'énergie fabuleuse qui se dégage des chansons. J'étais bousculée par la densité de ce que je recevais. Par les mots crus, impudiques, triviaux aussi parfois. Au point de devoir couper le son durant un moment avant d'y revenir, comme sur Diogène série 87, Simple exercice de provocation et Garbo XW Machine (que toutes les trois j'adore !).
Les chansons de Thiéfaine me renvoient certainement à ma propre mélancolie. Et puis je suis captivée par les histoires, les mots, le style fait d'oxymores et d'allitérations, la poésie, la sensualité : Thiéfaine parle très bien des corps et ses chansons d'amour ou « de tendresse » sont parmi les plus belles du répertoire français (Trois poèmes pour Annabel Lee, Exit to chatagoune-goune, Casino, sexe et frenchitude, Camélia huile sur toile...). J'aime aussi ce qui rend son œuvre forte et accessible malgré sa noirceur : l'humour et la dérision. Je ris très souvent en l'écoutant !
Dès le départ, j'ai été sensible à « l'aspect charnel » des textes, à la « consistance » des mots « en bouche » et à leur mise en valeur par le style rock. A l'interprétation magistrale. J'éprouve les mêmes émotions à l'écoute des chansons de Thiéfaine qu'à la lecture des poèmes d'Aimé Césaire, un de mes auteurs favoris : il y a dans son écriture organique la même pulsion de vie. Côté chanson anglo-saxonne, c'est chez Björk que je le retrouve...
Je suis bien entendu intéressée par les références à l'étymologie et ses thèmes de prédilection : la route, le mouvement de manière générale, le thème de l'androgynie/de l'ambiguïté, la notion de citoyen cosmique (des tachyons aux galaxies), la large vision de l'espace-temps qu'il nous offre (des ptérodactyles aux droïdes).
La hauteur de vue de Thiéfaine, ajoutée aux multiples références des textes, donne du sens au divertissement qu'est la chanson et je trouve ça absolument réjouissant ! En tant qu'artiste populaire, son positionnement et son parcours sont, me semble-t-il, exemplaires : il est selon moi, loin des circuits médiatiques, un modèle de démocratisation (de médiation) de la culture.
Mes albums préférés : Scandale Mélancolique, Défloration 13 (j'adore l'atmosphère du CD Bataclan 2002), Suppléments de Mensonge et Stratégie de l'Inespoir. Mais je perçois surtout son travail comme un tout cohérent, avec des sommets dans chaque album.
L’œuvre de Thiéfaine m'accompagnera toujours. Je tente de la partager dans mon cercle familial (mes enfants connaissent un certain nombre de ses titres) mais ça n'est pas toujours facile. Au-delà, je n'en parle pas trop, car Thiéfaine reste un sujet... sensible.
13:24 | Lien permanent | Commentaires (11)
16/10/2020
"A l'heure où les sirènes traversent nos silences", un texte de Bételgeuse.
Aujourd'hui, je vous invite à lire le très beau texte de Bételgeuse. Ce serait chouette que d'autres visiteurs de ce blog se livrent au même "exercice" ! Il n'est pas trop tard, à vos plumes !
"À l'heure où les sirènes traversent nos silences"
Quand l'OVNI Thiéfaine se posa dans mon jardin, j'avais 15 ans et mal partout. On me mit dans la main une cassette enregistrée avec ces mots écrits au feutre : Thiéfaine Dernières balises avant mutation. Je restais pensive devant cette suite de mots me demandant presque s'il ne s'agissait pas d'un code secret pour initiés. La première écoute me laissa perplexe. J'avais un peu de mal à comprendre les textes dont je trouvais qu'ils avaient un côté sombre, étrange avec des relents d'interdits. J'avais du mal à vraiment apprécier mais je ne détestais pas. Ça m'interpellait. Ça m'appelait même.
Alors j'écoutais encore et, de fil en aiguille, je me faufilais dans cet univers curieux, dans cette ambiance insolite pour finalement me perdre dans ce labyrinthe bien singulier (aux couleurs d'arc- en-ciel). Ces textes me procuraient une émotion, un ressenti, une agitation interne qui soudain me réveillaient, me sortaient de mon vide sidéral et me faisaient exister. Ce mec disait des trucs qui me parlaient. Et au fil des écoutes, ses chansons devenaient plus limpides.
Depuis, Hubert ne m'a plus quittée et m'a toujours accompagnée.
Hubert c'est jamais le même gars, il est imprévisible. Tantôt c'est la noirceur, tantôt le délire joyeux, tantôt le sérieux quasi dramatique. C'est jamais le même Hubert que l'on rencontre dans ses chansons. Ça l'a toujours été et ça l'est tout encore. Et c'est ça qui est bien parce qu'on peut puiser, au fil de notre humeur, la chanson à écouter.
Et puis avec Hubert, Eros n'est jamais loin. Il a quand même écrit des sommets de poésie pour parler de l'amour. Et sa façon de parler de la femme... tout en finesse et élégance. Un texte en particulier ? Les jardins sauvages. Quel délice !
Cela fait 36 ans qu'il m'accompagne bien qu'il y eût des périodes où je l'ai moins écouté mais il n'était jamais bien loin. Je travaille en musique mais jamais avec Hubert. Hubert je l'écoute dans l'intimité, au casque, sans le partager. Je l'écoute dans ma voiture aussi. D'ailleurs je n'écoute quasiment que lui en voiture si bien que quand mon fils était petit, il avait droit à Thiéfaine dans son siège auto ! Il adorait "la chanson du robot" (Le chaos de la philosophie ou La philosophie du chaos... je sais jamais) qu'il fallait écouter en boucle !
Je me rends compte qu'Hubert est souvent présent dans mon quotidien même quand je ne l'écoute pas. C'est par exemple le début d'une phrase prononcée par quelqu'un, ou juste un mot, correspondant à une expression d'une chanson d’Hubert et que je vais terminer soit intérieurement (si le contexte ne s'y prête pas), soit haut et fort quitte à laisser mon interlocuteur perplexe (voire inquiet...).
Le 13 novembre 2015 au soir j'étais avec Hubert en concert à Lyon pendant que l'horreur se jouait au Bataclan (entre autres). Quelques heures après le concert quand j'eus enfin compris tout ce qui s'était passé, je réalisais soudain que ça aurait pu être là, à Lyon, avec Hubert...
Depuis quelque temps, je redécouvre les textes de Thiéfaine grâce aux travaux de Françoise Salvan Renucci. Ça n’enlève ni ne rajoute quoi que se soit au plaisir d’écouter Hubert. C'est un autre regard, une autre perception.
Actuellement il y a un petit gars qui par certains aspects me fait penser à Hubert. Il s’agit d’Eddy De Pretto. Il y a quelque chose de Thiéfaine je trouve dans ses textes, profonds et travaillés.
Nous sommes sacrément chanceux d’écouter, d’apprécier, d’échanger sur cette sommité artistique qu’est Thiéfaine et de pouvoir également le voir à l’œuvre, en vrai, en live. Nous sommes chanceux d’être ses contemporains et d’avoir pleinement conscience de la profondeur de son œuvre et des bienfaits collatéraux qu’elle produit en chacun de nous.
« Il nous restera ça au moins de romantique ».
Bételgeuse
17:04 | Lien permanent | Commentaires (22)
04/10/2020
Des adieux...
"Vers quoi tendre, à qui s'adresser et quelle direction prendre depuis le milieu de rien ?" Anne PAULY
Quelques jours après avoir lu et publié le texte de Seb, j'en ai reçu un de Bételgeuse. Très beau et très émouvant aussi. Je le mettrai ici bientôt. Mais, avant cela, j'aimerais vous livrer quelques pensées qui me sont venues le samedi 26 septembre, au lendemain de la mort de mon père tant aimé... J'espère que vous ne m'en voudrez pas pour ce moment d'impudeur. Il m'est nécessaire.
Ce matin, je me suis réveillée dans un monde où tu n'étais plus. Toi qui répondais toujours au moindre de mes appels, c'est un bien triste faux bond que tu me fais là. Sensation étrange d'un vide immense en moi et autour de moi. La même que celle que j'ai éprouvée durant toute cette semaine et qui m'annonçait, j'en étais sûre, ton départ. Tu m'as légué, entre autres choses, ce truc infernal qui consiste à avoir régulièrement des pressentiments inattendus, la plupart du temps mauvais. Je dis « infernal » car c'est un don sinistre dont je me passerais bien.
Bref... Je pense à toi et à ces quinze derniers jours. Tu as livré tes ultimes batailles avec le même courage que celui que tu avais mis dans toutes les autres. Une infirmière passait et te disait « On va encore vous faire un examen, monsieur », tu répondais : « Faites ». Ce « faites » était une façon de dire que tu t'en remettais au destin. Comme tu l'as toujours fait. Lundi, sur ton lit d'hôpital, tu m'as dit : « Ce qui est est ». Tu avais comme ça des formules dont j'avais fini par faire des mantras : « La reconnaissance, c'est un salaire », « Il y a une justice immanente », « La vie se charge de remettre les choses à leur place ». Pour chaque problème, tu avais une solution, et je te confiais tous mes soucis parce que d'emblée, je savais que tu m'aiderais à y voir plus clair dans le chaos. J'aimais cette manière que tu avais d'entrevoir toujours une lueur d'espoir là où, sans toi, je n'aurais perçu que ténèbres. Durant toute ta vie, tu fis preuve d'une combativité dont j'aimerais qu'elle me serve de modèle. Toi le petit gamin issu d'un milieu défavorisé, tu n'eus, dès ton plus jeune âge, qu'une idée en tête : prendre l'ascenseur social et n'en descendre qu'une fois arrivé là où tu avais décidé d'arriver. C'est ainsi qu'avec ta volonté de fer, de militaire dans l'armée de l'air, tu devins ingénieur en maintenance médicale. Dans une entreprise allemande. Ce qui devait mettre une empreinte dans mon destin. Combien de fois sommes-nous allés en Allemagne ensemble ! Je t'accompagnais quand tu partais en stage en Bavière. Là-bas, nous nous amusions à nous défier : « Tu connais ce mot-là ? Non ? Ben moi, si ». Les villes que nous avons visitées ensemble garderont à jamais une saveur de plus que toutes les autres : Erlangen, Bamberg, Nürnberg, Würzburg. J'ai toujours admiré ton parcours. Il a été (et restera) ma boussole en ce monde qui me laisse si souvent déboussolée, justement.
Quand j'étais triste, tu me disais, un peu désemparé : « Ma grande, faut pas te mettre dans des états pareils ». Tu me l'as encore dit samedi dernier, lorsque les pompiers sont venus te chercher dans cet Ehpad qui devait signer, théoriquement, le début d'une nouvelle vie pour toi, et dans lequel tu seras resté si peu de jours. Avant de quitter ta chambre, tu m'as dit aussi : « Écoute, je ne vais pas si mal que ça. Et puis je suis en vie ». Une semaine plus tard, tu ne l'es plus, en vie. Le temps qu'il fait en ce 26 septembre est à l'image de ce que je ressens en moi : une tempête fait rage et anéantit l'été. Tu disais aussi : « Il faut continuer, quoi qu'il arrive ». Ce « quoi qu'il arrive » te définissait pleinement. De tous les événements fâcheux qui me plongeaient dans la colère et la révolte (par exemple la mort prématurée de celle qui fut ton épouse et ma mère), tu disais : « On ne refera pas le film ». Tu étais un véritable sage, en fait. De ceux qui acceptent les choses telles qu'elles se présentent et qui s'y adaptent parce que « c'est ainsi, c'est la vie, et il ne faut pas se poser trop de questions ».
Papa, aujourd'hui, je te supplie de m'insuffler cette force qui était la tienne. Il manque désormais deux remparts dans ma vie. Aide-moi, s'il te plaît, à ouvrir les yeux sur ceux qu'il me reste. Et puis, à l'occasion, si tu peux, « adresse-moi », comme chante Alex Beaupain, « un signe que je te manque aussi »...
10:24 | Lien permanent | Commentaires (13)