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27/02/2022

"Signalement : yeux bleus, cheveux châtains" : Jane Birkin était au centre culturel Jean Lhôte, à Neuves-Maisons, hier soir !

"Croire aux cieux

croire aux dieux 

même quand tout nous semble odieux". Serge GAINSBOURG

 

Alors ça, pour une entrée en matière, c'est une entrée en matière : une version instrumentale (et raccourcie) de Je t'aime … moi non plus, nous plongeant d'emblée dans les grandes heures du tandem Gainsbourg-Birkin, celui-là même que je découvris quelques années avant HFT et qui sculpta tout autant ma vie d'adolescente. Deuxième chanson, sur la même lancée « héroïque » : Jane B.

Jane B., justement : c'est elle, cette femme de 75 ans, ayant récemment traversé plusieurs tempêtes, mais là, devant nous, debout, vaille que vaille. Durant tout le concert, elle s'appuiera sur un tabouret. Symbole émouvant d'une fragilité qui semble lui être venue comme ça, sans prévenir. Fragilité qu'elle est bien décidée à combattre pour ne donner que le meilleur d'elle-même. À côté de moi, une chaise vide. Symbole d'une absence étouffante, inguérissable, celle de ma mère. Sur la route qui me menait de chez moi à Neuves-Maisons hier soir (une heure de trajet), j'ai eu le temps de repasser le film dans ma tête. Birkin, ce serait comme le cordon ombilical qui me relierait à ma mère par-delà la mort. Birkin, nous l'avons vue plusieurs fois ensemble, nous l'avons aimée, nous avons forgé de solides souvenirs autour de sa personne. J'en garde un en particulier, comme une couverture chauffante sur la glace de l'absence : Sarreguemines, 1997 ou 1998, je ne sais plus très bien. Nous sommes là, à un concert de Jane, au premier rang. À un moment, les lumières s'allument dans la salle et Jane scrute quelques visages. Elle nous regarde, ma mère et moi, et nous dit tout en nous faisant un joli clin d'œil : « Moi aussi, je suis venue avec ma mère aujourd'hui, elle est dans le public ». Moment de grâce où j'ai été reconnue comme la fille de ma mère ! Il faut dire qu'il n'y avait pas de doute possible tant la ressemblance était (et est encore, paraît-il) frappante.

Je reviens au trajet d'hier soir. J'écoute le dernier album, ainsi que celui intitulé Enfants d'hiver (que j'adore). Je repasse en boucle les souvenirs : ma mère chantant à tue-tête Quoi ou L'anamour, sa chanson adorée. Et puis ma mère ne chantant plus. Emportée prématurément par un Accident Vraiment Con. Et surtout irrémédiable, imposant à ma vie sa loi dégueulasse, belliqueuse, sordide. Des années à traverser le désert, entre effroi et révolte. Pour les 61 ans de ma mère (que nous aurions dû fêter en mai 2009), j'avais tout prévu : je devais lui offrir une place pour un concert de Birkin. Mais ma mère mourut quelques mois plus tôt, creusant dans plusieurs existences un trou béant, géant. Le concert de Birkin, en mai 2009, je décidai d'y aller quand même, seule. Tout comme je décidai d'assister à tous ceux qui suivraient dans la région. J'en ai fait un paquet. Birkin est restée ce lien indéfectible entre ma mère et moi.

Donc, le concert d'hier, il était normal que j'y aille. Question de respect des traditions, pèlerinage. La soirée fut magique. Il y en avait pour tous les goûts : des chansons récentes, extraites du dernier album (ce pur joyau où Jane se raconte sans fard, tantôt en amoureuse déboussolée, tantôt en mère endeuillée), et des chansons anciennes. Un hommage inattendu à l'album Histoire de Melody Nelson, un de mes préférés de Gainsbourg. Des morceaux indétrônables, inaltérables : Quoi, Les dessous chics, Ex-fan des sixties, Di Doo Dah, Baby alone in Babylone, Ballade de Johny Jane (avec une construction géniale : un rythme lent au début, le tout prenant une accélération soudaine, négociant à la perfection les virages du « camion à benne »). Et puis Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve. Une chanson dont le titre est presque un traité de philosophie. Dont le message « croire aux cieux, croire aux dieux, même quand tout nous semble odieux » m'accompagne depuis si longtemps, avec toute la maladresse et les entorses à la règle dont je suis capable. Parfois, non, moi je n'y crois plus, ni aux cieux, ni aux dieux.

Je pensais que le concert s'ouvrirait sur Les jeux interdits, ma chanson favorite du dernier album, mais non : celle-là, nous l'avons eue vers la fin, et c'était très bien comme ça. Les lalala-lalala du refrain ont réuni Jane, ses musiciens et le public en une belle osmose dont on aurait voulu qu'elle ne s'arrête jamais. C'était comme une bulle de tendresse dans un monde qui sue de brutalité. On avait envie d'en redemander, tout en n'osant pas trop. Jane était fatiguée. Qu'aurait-elle pu nous donner de plus, elle qui venait de tout donner ? Les élans de générosité, c'est sa marque de fabrique.

Dans le hall du centre culturel, après le concert, je rejoins quelques acharnés qui attendent que Jane vienne faire une séance de dédicaces. Mais l'espoir est vite déçu : un membre de l'équipe vient nous dire qu'elle est trop fatiguée et qu'elle renonce. Laissons-la repartir, ce n'est pas grave. Nous ne risquons pas de nous sentir floués : un miracle vient de se produire. Jane B., 75 ans, certes fragile, mais là, debout, vaille que vaille, et allumant par milliers des étoiles dans des « yeux fiévreux »...

 

Commentaires

Bonjour ,
Bel hommage rendu à ta maman ,à Jane ...et en faisant les comptes, les chaises vides pourraient révéler aussi pour moi une solitude cette fois imposée et bien ancrée à l'évocation d'amis ,de compagnons de routes déjà tombés...Mais comme l'avait écrit Bruce Springsteen à propos de son saxophoniste Clarence Lemmons, les gens qu'on a aimés ne meurent pas à telle ou telle date, mais ils meurent quand nous, nous mourrons...
Consolons nous avec "nos coeurs qui s'entetent" sans etre dupe qu'un jour nous chevaucherons les années sans lumiere à effeuiller l'ombre et le vide éternel délivrés à jamais du poids de l'univers ...tiens ça me rappelle une chanson et quelle chanson !
Nos coeurs qui s'entetent ça peut etre une place de concert de Daniel Darc ou de Alain Bashung qu'on n'a pas eu le temps d'aller voir en concert avant leur baisser de rideau définitif mais dont on refuse de se faire rembourser le billet , des fois qu'il soit valable dans les espaces infinis d'une autre dimension , d'un autre monde ...
Amitiés
Fabrice D.

Écrit par : Fabrice D. | 27/02/2022

ps lire "Clarence Clemons" et non "Clarence Lemmons".
Désolé.

Écrit par : Fabrice D. | 27/02/2022

Merci Katell pour tes billets du dimanche !
Tes mots pour ta maman sont très beaux.
Cela devait être bien joli ce concert, ravissant, comme le temps suspendu.
J'ai beaucoup aimé Birkin et Gainsbourg aussi avant de découvrir HFT. En seconde je connaissais tout Gainsbourg, il y avait une intégrale CD qui était sortie quelques temps avant, et j'avais écouté beaucoup de Birkin aussi.
J'aime toutes celles que tu as citées, Quoi, Fuir le bonheur, l'Anamour sublime, Baby alone... et cette voix tellement haute, pure et cristalline !
Melody Nelson c'est trop beau, l'album concept c'était un haut niveau de créativité. Avec des textes inoubliables... le soleil est rare, et le bonheur aussi, mais tout bouge au bras de Melody....
J'avais pris une grosse claque en voyant le film de Joan Sfar, Gainsbourg vie héroïque. C'est peu dire que j'ai adoré ce film, même si ça part loin. J'avais été impressionnée par le personnage de Jane aussi, même si c'est une oeuvre en grande partie de fiction.

Melody Nelson a les cheveux rouges, et c'est leur couleur naturelle :) :)

Écrit par : Nadja | 27/02/2022

Merci pour vos commentaires ! J'avais peur d'avoir été un peu larmoyante et impudique, mais tant pis, on n'est pas obligé de lire jusqu'au bout si ça ne plaît pas ! J'ai écrit ce billet sous le coup d'une forte émotion...
Fabrice D., tes mots m'ont fait venir les larmes aux yeux. C'est beau, cette idée de ne pas se faire rembourser les billets ! J'ai vu Bashung deux fois en concert, mais jamais Daniel Darc. Ni Gainsbourg, d'ailleurs. Cela fait partie de mes regrets. Gainsbourg fut mon deuxième grand refuge, après Renaud. Et puis il y eut Thiéfaine qui vint tout chambouler, jusqu'à me faire un peu remettre en cause le "génie" des deux autres que j'avais pourtant vénérés !!! Hier, en écoutant les mots de Gainsbourg dans la bouche de Birkin, je les ai redécouverts et trouvés beaux, très beaux...

Écrit par : Katell | 27/02/2022

Salut Katell, salut tous

Très émouvant ton billet… D'autant, je ne sais pourquoi, que je l'ai lu "avec la voix" de Birkin…
Très beau/juste ce que tu dis Fabrice...Quelques billets "en souffrance" itou…

Salutations numériques

Écrit par : Seb | 01/03/2022

@ ... & Cath. :

Il faut se dépasser pour aller au-delà d'eux !...

https://thiefaine.com/livre-dor/#comment-240601

p.s : mes hommages à CLARA !...

, ...

Écrit par : le Doc. | 01/03/2022

Tiens, je vais voir un certain Thiefaine à Neuves Maisons en Mai prochain...

Écrit par : PK | 11/03/2022

@Seb : Oh, chouette, lire un de mes billets avec la voix de Birkin ! Quel honneur pour moi !
@PK : Moi aussi, je serai à Neuves-Maisons en mai. Enfin, si tout va bien. Mais normalement oui ! Un petit conseil si tu ne connais pas la localité en question : prévoir large pour le stationnement. Il y a peu de places près de la salle. Celles qui étaient disponibles il y a quelques années encore sont toutes condamnées pour cause de plan vigipirate. Je suis arrivée tout juste à l'heure au concert de Birkin. Et j'ai dû courir jusqu'à la salle de peur de louper le début !!!

Écrit par : Katell | 13/03/2022

J'ai revu hier soir le film Quai d'Orsay, il se trouve que Jane Birkin y tient un petit rôle, j'avais oublié ! Elle est vraiment charmante dans ses quelques minutes de rôle. Elle a des mimiques assez comiques mais tout en finesse.

Écrit par : Nadja | 16/03/2022

Je n'ai jamais vu ce film. Finalement, je connais peu l'actrice Jane Birkin, je connais mieux la chanteuse. Une lacune de plus à combler !

Écrit par : Katell | 20/03/2022

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