Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/03/2022

Méthode de dissection d'un concert d'HFT : où se mêlent subtilement l'avant, le pendant et l'après !

"Es geht in jedem Augenblick etwas verloren". Robert SEETHALER

 

Un concert d'Hubert, c'est un ensemble tissé de trois moments distincts : avant, pendant et après.

L'avant, c'est généralement celui qui dure le plus longtemps. Ça démarre avec l'acquisition d'un billet qui a des allures de Saint Graal. Loin de n'être qu'un vulgaire bout de papier, le billet en question est une promesse. On peut, si l'on est un peu trouillard, méfiant, superstitieux, planquer la belle promesse dans un endroit dont on ne dira rien à personne (dans ces cas-là, il n'existe plus d'amis, plus de famille, plus un être digne de confiance ici-bas, je vous le dis comme je le vis). C'est qu'on en deviendrait totalement parano. Dernièrement, lors d'une vague de cambriolages qui a durement frappé le secteur dans lequel je vis, je me trimbalais avec pas moins de cinq billets de concert dans mon sac à main. Pure folie, n'est-ce pas ? Qui sait si, en voulant ainsi protéger jalousement mon doux trésor, je ne l'ai pas exposé à encore plus de risques ?! Maintenant, les promesses de papier sont cachées dans un lieu secret. « Que rigoureusement ma mère m'a défendue de nommer ici »... Je me demande quand même, soit dit en passant, s'il ne serait pas judicieux d'investir dans un coffre-fort !

Donc, cet avant, c'est la douceur même. Tu regardes ton billet et déjà les étoiles te dégoulinent droit dans les yeux. Tu imagines les chansons qu'HFT va te susurrer à l'oreille le grand soir. Tu rêves. Les jours qui précèdent, tu es dans un état qui confine, diront certains, à la démence. Tu fais tout pour te tenir à l'écart des possibles microbes qui auraient la faculté de venir brouiller ton bonheur. Ben oui, quoi, un mauvais rhume, une vilaine grippe, ou que sais-je encore, c'est le gâchis assuré. Et gâcher, dans ces moments-là, c'est sacrilège et c'est malédiction. Ensuite, il y a en toi cette euphorie grandissante que parfois, dans ton entourage le plus proche, on regarde d'un drôle d'air, de ce drôle d'air qui hésite entre la pitié et l'inquiétude. Ça y est, madame a de nouveau ses vapeurs... Ben oui, c'est l'effet magique d'HFT, dont j'ai déjà parlé. Quelques heures avant le concert, c'est un bouillonnement indescriptible qui renverse absolument toutes tes cellules. Où que tu sois, tu y es sans y être, la rétine déjà mangée par un ailleurs où se baladent, dans un décor abstrait, des dragons écarlates, d'inusables Lorelei, des cinglés sublimes, et j'en passe parce qu'ils sont légion, les bizarroïdes qui traversent l'œuvre de Thiéfaine...

Le mieux, dans ces moments-là, c'est de se rendre dès que possible sur le lieu du délice. Allez, huit heures avant le concert, voilà qui me paraît raisonnable, une panne est si vite arrivée. Faire la queue sans en avoir sa claque, c'est encore l'effet magique d'HFT. Rôder sur des parkings de misère, regarder, de loin ou de près, des gens siroter des bières et les entendre hurler sur la musique qui s'évade joyeusement d'une chignole à la tôle défraîchie. Se dire qu'on préfère, pour sa part, la sobriété. Dans un premier temps, en tout cas. Dans un deuxième temps, c'est HFT en personne qui viendra instiller l'ivresse dans nos veines. « Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse » : pas si sûr ! Moi, ce que je veux et exige, c'est l'ébriété de la plus noble  espèce, celle que seuls peuvent offrir en grande pompe les mots arrosés d'une musique et d'une voix qui se mettent divinement à leur service.

L'avant a ma préférence. C'est peut-être parce que j'ai lu trop tôt Maupassant et son « c'était fini d'attendre ». Adolescente, déjà, j'avais bloqué sur cette phrase. Elle me racontait avec une précision remarquable ce que j'étais : celle qui redoutait déjà le moment où l'attente prendrait fin. Car qui dit fin de l'attente dit aussi, quelque part, déjà, fin tout court. Ton concert d'HFT, tu l'espères pendant des mois, voire parfois des années, il te secoue avant même d'avoir eu lieu, et puis voilà que d'un seul coup tout devrait s'arrêter ? Les premières notes de musique qui se répandent dans la salle sont aussi celles qui conduiront vers les toutes dernières. C'est une loi immuable, malheureusement : tout ce qui commence court vers son terme.

Alors, quand le pendant palpite en nous et autour de nous, se dire : « Je n'ai pas le droit d'en perdre une miette ». C'est une enfilade d'instants qui ne tolère aucune inattention. Il faut être là à cent pour cent. Pas un pied ici et le regard ailleurs, non. Tout doit être enraciné ici et nulle part ailleurs. Il est même bon d'essayer de croire, dans ces moments-là, que le présent a l'éternel chevillé aux entournures. Carpe diem n'a jamais été aussi vrai.

Et, malheureusement encore, Carpe diem n'a jamais été aussi vain et déchirant. Sans prévenir, soudain, l'après est là, avec ses gros sabots boueux. Les lumières se rallument. Quelque part, derrière la scène, des coulisses accueillent des sueurs, des émotions, des étincelles qui vont s'éteindre. Voilà, c'est fini. En trois fois rien de temps, le temps est passé, comme un con incapable du moindre égard.

Au fond de toi, tu ranges ta belle attente, elle est morte, adieu. Tu peux aussi tourner la page du pendant, c'est tout pareil, il est mort, adieu, cloué dans un passé qui ne reviendra plus.

Alors, alors, commence l'après, celui où tu croises, dans un hall aseptisé, des attentes qui ont cessé d'être, des dingues et des paumés qui se retrouvent aussi démunis que toi. Une soudaine tendresse vous unit, même si dans la vraie vie, tout vous éloigne peut-être. Pour l'heure, il y a cet élan magique qui fait communier vos âmes. La quête que tu crois voir dans leurs yeux, c'est aussi la tienne. Celle qui se tend déjà vers l'avant d'un autre concert...