27/02/2022
"Signalement : yeux bleus, cheveux châtains" : Jane Birkin était au centre culturel Jean Lhôte, à Neuves-Maisons, hier soir !
"Croire aux cieux
croire aux dieux
même quand tout nous semble odieux". Serge GAINSBOURG
Alors ça, pour une entrée en matière, c'est une entrée en matière : une version instrumentale (et raccourcie) de Je t'aime … moi non plus, nous plongeant d'emblée dans les grandes heures du tandem Gainsbourg-Birkin, celui-là même que je découvris quelques années avant HFT et qui sculpta tout autant ma vie d'adolescente. Deuxième chanson, sur la même lancée « héroïque » : Jane B.
Jane B., justement : c'est elle, cette femme de 75 ans, ayant récemment traversé plusieurs tempêtes, mais là, devant nous, debout, vaille que vaille. Durant tout le concert, elle s'appuiera sur un tabouret. Symbole émouvant d'une fragilité qui semble lui être venue comme ça, sans prévenir. Fragilité qu'elle est bien décidée à combattre pour ne donner que le meilleur d'elle-même. À côté de moi, une chaise vide. Symbole d'une absence étouffante, inguérissable, celle de ma mère. Sur la route qui me menait de chez moi à Neuves-Maisons hier soir (une heure de trajet), j'ai eu le temps de repasser le film dans ma tête. Birkin, ce serait comme le cordon ombilical qui me relierait à ma mère par-delà la mort. Birkin, nous l'avons vue plusieurs fois ensemble, nous l'avons aimée, nous avons forgé de solides souvenirs autour de sa personne. J'en garde un en particulier, comme une couverture chauffante sur la glace de l'absence : Sarreguemines, 1997 ou 1998, je ne sais plus très bien. Nous sommes là, à un concert de Jane, au premier rang. À un moment, les lumières s'allument dans la salle et Jane scrute quelques visages. Elle nous regarde, ma mère et moi, et nous dit tout en nous faisant un joli clin d'œil : « Moi aussi, je suis venue avec ma mère aujourd'hui, elle est dans le public ». Moment de grâce où j'ai été reconnue comme la fille de ma mère ! Il faut dire qu'il n'y avait pas de doute possible tant la ressemblance était (et est encore, paraît-il) frappante.
Je reviens au trajet d'hier soir. J'écoute le dernier album, ainsi que celui intitulé Enfants d'hiver (que j'adore). Je repasse en boucle les souvenirs : ma mère chantant à tue-tête Quoi ou L'anamour, sa chanson adorée. Et puis ma mère ne chantant plus. Emportée prématurément par un Accident Vraiment Con. Et surtout irrémédiable, imposant à ma vie sa loi dégueulasse, belliqueuse, sordide. Des années à traverser le désert, entre effroi et révolte. Pour les 61 ans de ma mère (que nous aurions dû fêter en mai 2009), j'avais tout prévu : je devais lui offrir une place pour un concert de Birkin. Mais ma mère mourut quelques mois plus tôt, creusant dans plusieurs existences un trou béant, géant. Le concert de Birkin, en mai 2009, je décidai d'y aller quand même, seule. Tout comme je décidai d'assister à tous ceux qui suivraient dans la région. J'en ai fait un paquet. Birkin est restée ce lien indéfectible entre ma mère et moi.
Donc, le concert d'hier, il était normal que j'y aille. Question de respect des traditions, pèlerinage. La soirée fut magique. Il y en avait pour tous les goûts : des chansons récentes, extraites du dernier album (ce pur joyau où Jane se raconte sans fard, tantôt en amoureuse déboussolée, tantôt en mère endeuillée), et des chansons anciennes. Un hommage inattendu à l'album Histoire de Melody Nelson, un de mes préférés de Gainsbourg. Des morceaux indétrônables, inaltérables : Quoi, Les dessous chics, Ex-fan des sixties, Di Doo Dah, Baby alone in Babylone, Ballade de Johny Jane (avec une construction géniale : un rythme lent au début, le tout prenant une accélération soudaine, négociant à la perfection les virages du « camion à benne »). Et puis Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve. Une chanson dont le titre est presque un traité de philosophie. Dont le message « croire aux cieux, croire aux dieux, même quand tout nous semble odieux » m'accompagne depuis si longtemps, avec toute la maladresse et les entorses à la règle dont je suis capable. Parfois, non, moi je n'y crois plus, ni aux cieux, ni aux dieux.
Je pensais que le concert s'ouvrirait sur Les jeux interdits, ma chanson favorite du dernier album, mais non : celle-là, nous l'avons eue vers la fin, et c'était très bien comme ça. Les lalala-lalala du refrain ont réuni Jane, ses musiciens et le public en une belle osmose dont on aurait voulu qu'elle ne s'arrête jamais. C'était comme une bulle de tendresse dans un monde qui sue de brutalité. On avait envie d'en redemander, tout en n'osant pas trop. Jane était fatiguée. Qu'aurait-elle pu nous donner de plus, elle qui venait de tout donner ? Les élans de générosité, c'est sa marque de fabrique.
Dans le hall du centre culturel, après le concert, je rejoins quelques acharnés qui attendent que Jane vienne faire une séance de dédicaces. Mais l'espoir est vite déçu : un membre de l'équipe vient nous dire qu'elle est trop fatiguée et qu'elle renonce. Laissons-la repartir, ce n'est pas grave. Nous ne risquons pas de nous sentir floués : un miracle vient de se produire. Jane B., 75 ans, certes fragile, mais là, debout, vaille que vaille, et allumant par milliers des étoiles dans des « yeux fiévreux »...
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02/02/2022
Après le Grand Rex, une rencontre...
Entre samedi soir et dimanche matin...
Je m'apprête à m'asseoir à une table du Marie Belle. Je rejoins un groupe constitué du Doc, de Sam, de 655321, de Karine et de mes deux filles.
Derrière cette même table, un couple. La cinquantaine, peut-être, je ne sais pas. La passion efface toute trace d'âge, me semble-t-il. Elle gomme les rides, elle offre un lifting gratos à qui ose s'y adonner.
Je dois leur demander s'ils veulent bien, tous les deux, me laisser prendre la chaise qu'ils n'occupent pas. Elle me regarde alors avec un merveilleux sourire : « Allez-y, surtout que je vois que vous avez un sac Thiéfaine ». Plus d'une fois, j'ai eu l'occasion de remarquer qu'HFT, ça crée des liens ! Quand j'ose porter un de mes tee-shirts à l'effigie du monsieur (oui, je prends mille précautions avec ces vêtements-là : il ne faut pas les mettre trop souvent, ça les use), il m'arrive toujours des choses agréables. « Tout à coup, un inconnu vous offre des fleurs », comme dans la pub Impulse qui commence à vachement dater ! Mais il faut dire que mes artères, elles aussi, commencent à vachement dater !!! Pour en revenir à la pub : jamais on ne m'a offert des fleurs après avoir vu sur moi une étoffe marquée du sceau magique, mais tout de même, ça ne laisse pas indifférent. D'ailleurs, quand je m'emmerde un peu dans l'existence, je devrais arpenter les rues d'une ville en arborant mon corbeau ou mon « scandale mélancolique » et voir un peu ce qui arriverait à mon ennui. Idée à retenir !
Bref... Donc, elle a vu mon sac (fraîchement acheté au Grand Rex). Et c'est cela qui me vaut, d'emblée, sa sympathie. Ils sont beaux, tous les deux, ils me plaisent. Ils ont l'air d'être transportés par quelque chose qui les dépasse. Et pour cause ! Ils ont, eux aussi, assisté au concert, et ils en sont sortis éblouis. Ça, c'est l'effet magique, non pas d'Impulse, qui date trop désormais, mais d'Hubert, je vous le dis tout net car je le pense tout net aussi. Voilà. Ils sont subjugués, enchantés, charmés. C'est la première fois qu'ils voyaient Thiéfaine. Et sûrement pas la dernière, s'empresse-t-il (ou t-elle, je ne sais plus) d'ajouter. Elle me dit qu'elle a découvert le chanteur jurassien comme ceci : dans le métro, elle a vu des affiches annonçant les dates parisiennes. Elle s'est dit : « Tiens, Hubert-Félix Thiéfaine, je ne connais pas, c'est intriguant ». Elle est rentrée chez elle et en a parlé à son mari. Ils se sont un peu renseignés et ont décidé de se lancer : le 29 janvier, ce concert au Grand Rex, ce serait leur sortie du soir. Ils ne sont pas déçus. Ils sont tout sauf déçus. Je dirais même qu'ils sont chamboulés. Lui, il est bien décidé à se plonger à corps perdu dans l'œuvre dont il vient d'effleurer quelques strates. « Je sens qu'il y a du texte et que cela mérite qu'on s'y attarde ». À qui le dites-vous, mon bon monsieur ! Je suis moi-même tombée dans la marmite il y a presque trente ans et je n'ai jamais réussi à en décoller. L'élixir qui bouillonne dans ladite marmite, c'est ma drogue, et j'en ai besoin sous toutes les formes : en perfusion, en infusion, en intra- et en extraveineuse, tiens, même si ça n'existe pas (surtout si ça n'existe pas ) !
Ils m'invitent à parler de ma passion, ils sont assez sidérés en apprenant que j'ai vu mon hurluberlu d'Hubert environ cinquante fois. Oui, je sais, je suis bizarre, mais je ne suis pas la seule, rassurez-vous. Nous sommes quelques dingues de la même espèce, à n'en avoir jamais assez !
Qui dit m'inviter à parler de ma passion pour HFT dit prendre d'énormes risques. Car, à un moment ou à un autre, il faudra essayer de me débrancher, et ce ne sera pas une mince affaire. D'aucuns y ont perdu la foi !
Alors je leur raconte tout ce que je peux raconter parce que visiblement, ça les intéresse. Je raconte d'abord les rendez-vous manqués parce qu'ils me font bien marrer aujourd'hui. Mon prof de maths de troisième me prêtant deux CD de Thiéfaine et se voyant dans l'obligation de les récupérer le lendemain. « Désolée, mais je n'ai vraiment pas aimé ». Oui, c'est bien moi qui ai prononcé cette phrase qui m'apparaît aujourd'hui comme une blague ! Ma copine de lycée me mettant entre les mains les paroles de Demain les kids et se voyant, elle aussi, dans l'obligation de les récupérer dans la foulée. « Ok, le texte est beau, mais je n'ai pas envie d'aller plus loin ». Oui, c'est bien moi qui ai prononcé cette absurdité ! La meuf trop sûre de son coup, genre « non, Hubert-Félix Thiéfaine, très peu pour moi, vraiment » ! Tout cela pour se retrouver dans la marmite un an plus tard. La tête à l'envers. Le cœur en révolution absolue à cause d'un vers, celui-ci : « Tu voudrais qu'il y ait des ascenseurs au fond des précipices ». Il y a comme ça des mots destinés à changer le cours de votre existence entière.
Je leur raconte ensuite l'addiction, comme une camée même pas repentie. Oui, j'ai eu d'un coup envie de voir Thiéfaine un maximum de fois, à Paris, en province, partout où je pouvais. M'autorisant un rayon assez large, 500 bornes environ. Mettant de côté l'argent nécessaire pour les trajets, les hôtels, les billets de concert. Il faut ce qu'il faut !
Je suis là, dans un café, à parler fiévreusement avec deux inconnus. J'ai l'impression d'être une curiosité et j'avoue que l'ego étant ce qu'il est, cela ne me déplaît pas. Et puis, je suis sous le charme : ils sont tellement beaux, tous les deux, dans la séduction qui vient de leur tomber dessus. J'ai envie de les entraîner dans la marmite. Mais je crois que je n'aurai aucun effort à faire, ils y sont déjà plongés jusqu'au cou.
Mes filles, non loin de là, commencent à fatiguer. Et merde, qui a 48 ans, dans cette histoire ? Et qui en a 13 et qui en a 16 ? C'est le monde à l'envers : les voilà qui me supplient en chœur, il est tard, elles veulent rentrer à l'hôtel. Les mômes, ça comprend jamais rien aux passions des parents !
Je quitte à regret le petit couple si sympathique. Je leur demanderais bien leur numéro, mais je n'ose pas. 655321 leur parle de mon blog, chose que personnellement, malgré l'ego, je n'aurais jamais faite. Ils notent l'adresse. Ils disent qu'ils viendront faire un tour. Et je rentre à l'hôtel, pressée par deux gamines qui ne tiennent pas le coup dans les soirées. Enfin, ça dépend de quelles soirées. Parce que quand c'est avec leurs potes, elles ne sont pas du genre à réclamer leur paddock ! Et me revient une anecdote en écrivant ce mot, « paddock ». Louise a six ans, elle vient de découvrir Renaud. Elle en est folle. Un jour, elle me demande si je sais ce qu'est un paddock. Parce qu'elle, elle sait. « C'est un lit », me précise-t-elle, toute fière. Elle l'a appris grâce à Renaud. Ma petite fille... Treize ans aujourd'hui et même pas foutue de faire plaisir à sa mère quand celle-ci demande juste d'aller au bout de la nuit, « encore plus loin, ailleurs », comme dans la chanson d'Hubert.
Donc, je les ai quittés, mes deux merveilleux, si beaux dans l'enchantement qui venait de les visiter. Je ne connais même pas leurs prénoms. Ils ont dit qu'ils viendraient faire un tour sur mon blog. Depuis, je les attends...
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Grand Rex, deuxième billet !
"Le souvenir du bonheur n'est bénéfique que lorsque celui qui se souvient est encore heureux. Dans le malheur il n'est pas une consolation ou un refuge, mais la brûlure d'un regret sans espoir". Claude ROY
Arriver dans ma salle de classe et sentir que les idées fusent dans ma tête pour un deuxième billet consacré au concert du Grand Rex. Purée, c'est tout moi, ça. Et un des petits drames de ma vie : devoir régulièrement refouler mes désirs d'écriture au profit de tout le reste. Bref...
Hier, après avoir publié ici un premier billet sur le concert de samedi soir, j'ai dû partir bosser et me presser un peu ! Juste avant d'accueillir mes élèves, j'ai griffonné sur une feuille les idées qui m'étaient venues dans la voiture, sur le trajet domicile-boulot ! Envie soudaine d'écrire un truc plus enflammé que ce que je venais de déposer sur le Cabaret. Un truc débordant de gratitude, dégoulinant même si besoin ! C'est qu'Hubert et son équipe le valent bien, bon sang !
D'abord, je dois dire que je suis reconnaissante à la chance qui, m'ayant lâchée durant tout le mois de janvier, a fini par me repêcher de justesse quelques jours avant le concert. C'était inespéré. Et nécessaire. Ayant quelques soucis de santé, je reste persuadée que les concerts de Thiéfaine me sont plus que jamais force vitale ! Il a raison, Hubert : face aux vicissitudes de l'existence, face à tous ces machins qui nous malmènent rien que, semble-t-il, pour tester notre capacité de résistance, il faut des rêves solides. Des points d'ancrage, des balises dans l'obscurité. Depuis trente ans, l'une de mes balises (n'ayant jamais connu une seule mutation), c'est justement ma passion pour l'œuvre d'HFT. Jamais je n'aurais imaginé, au moment où elle prit naissance en septembre 1992, qu'elle m'accompagnerait si loin dans ma vie. Je pense même pouvoir dire qu'elle ne partira qu'avec la bonne femme, comme disait ma mère à propos de certains de ses défauts ! Il y a trente ans, un ascenseur soudain apparu dans la fange noirâtre d'un précipice venait littéralement me sauver. J'étais totalement paumée, l'existence me gênait aux entournures. Je la trouvais toujours trop étroite, trop pas comme je l'avais voulue. Et donc, inopinément, cet ascenseur nommé Thiéfaine. Et ces chansons qui me parlaient d'un mal-être existentiel qui avait quelques points communs avec le mien... L'œuvre tout entière (déjà conséquente à l'époque) me prouvait du même coup qu'on pouvait se réparer par l'art. Sublimer sa déréliction en l'emmenant se faire voir ailleurs ! Là encore, je ne peux être que reconnaissante.
Retour sur samedi soir. Tout de même, nous sommes gâtés avec cette setlist qui nous permet une belle navigation dans l'œuvre d'HFT. La queue est sans doute le morceau le plus inattendu sur cette tournée. Évadné a raison : de nombreuses chansons entrent en résonance avec notre drôle d'époque. Merci à Hubert, encore une fois, merci de nous rappeler une chose que la même drôle d'époque (ou plutôt ceux qui la peuplent) a tendance à oublier : nous sommes tous cousus dans la même étoffe. « De race humaine, de nationalité terrienne ». Joie de retrouver une intelligence qui ne reste pas figée au sol, qui voit plus grand que ses « villes natales et frenchitude » !
Joie, également, de voir les musiciens se donner à fond sur scène. Ils passent tous allègrement d'un instrument à un autre, insufflant à chaque fois un peu de leur âme à tout ce qu'ils touchent. À ce niveau-là, c'est plus que de la maîtrise, c'est de la magie ! Et la voix et les mots d'Hubert là-dessus. Le rendez-vous de la parfaite osmose !
Après avoir quitté le Grand Rex, je suis allée rejoindre Seb et deux de ses amis à la terrasse d'un café, le Marie Belle. Plaisir de partager des impressions sur ce que nous venions de vivre, sur le dernier album, sur l'ensemble de la carrière d'HFT. Pour moi, ces moments-là sont tout aussi importants que les concerts. Ils font partie du truc. J'ai dit plus d'une fois combien j'aimais zoner devant les salles de spectacle bien avant qu'elles ne s'animent. Et après aussi. D'ailleurs, il faut absolument que je revienne sur la rencontre que j'ai faite vers une heure de matin : ce couple qui venait de découvrir Thiéfaine et en avait des étoiles plein les yeux et plein la bouche ! J'attends le bon moment pour pondre le billet qui tentera de leur rendre hommage.
Pour en revenir au dernier album, celui qui fâche certains, celui qui ravit les autres, bref celui qui ne laisse personne indifférent : là aussi, nous ne devrions être, à mon avis, que reconnaissance. Thiéfaine nous a offert ici un sacré coup d'audace. Coup de maître à mes yeux. Punaise, réjouissons-nous, bordel : ce n'est pas donné à tous les artistes de se renouveler de fond en comble après plus de quarante ans de carrière ! C'est marrant, ce qui m'est arrivé avec Géographie du vide. C'est un album qui m'a d'abord totalement désarçonnée. Première écoute déstabilisante. Mais ça a fait comme avec la clope quand j'avais onze ans : ayant pris une première Marlboro, j'avais d'abord senti ma tête tourner. C'était un écœurement et pas l'enchantement espéré. Je me suis dit que ce n'était pas possible, une déception pareille. J'ai rallumé une cibiche dans la foulée, et celle-là fut bonne. Voilà comment je me suis créé alors une addiction dont je ne devais me défaire que bien des années plus tard. Pour Géographie du vide, ce fut un peu le même topo : pas d'écœurement, bien sûr, mais un immense étonnement dont je ne savais que penser. Je me suis dit que je ne pouvais pas en rester là. J'ai de nouveau appuyé sur « play ». Et là, une claque. J'adoptai d'emblée tous les morceaux, même La fin du roman que j'avais d'abord jugée insipide. N'importe quoi ! Ça m'apprendra à fermer ma gueule au lieu de l'ouvrir prématurément ! Désormais, Géographie du vide m'est nécessaire, totalement. Je ne peux pas passer une semaine sans l'écouter !
Bon, ben, voilà encore un billet qui prouve que quand il s'agit d'HFT, je ne suis pas vraiment la reine de l'objectivité !!!
12:02 | Lien permanent | Commentaires (3)
01/02/2022
Grand Rex, grand rêve !
"Espérons. Nous n'avons pas le choix". Simone DE BEAUVOIR.
Sur scène, l'éclat d'un certain nombre d'instruments de musique. Dans la salle, des décors un peu oniriques et un plafond imitant un ciel étoilé. Des sièges moelleux. Sur ces mêmes sièges, des gens masqués. C'est donc dans les yeux qu'il faudra aller cueillir les étincelles. Me voilà plutôt bien placée : orchestre, H23. Huitième rangée, donc. Enfin prête pour un délicieux embarquement dont j'ai bien cru que le guignon de janvier allait me priver. J'ai eu chaud. À un moment donné, quand même, je voyais le Grand Rex s'éloigner de plus en plus, comme un Eldorado vertigineusement inaccessible. Ce n'est que lundi dernier que mon médecin m'a déclarée apte à reprendre le travail. Dans la foulée, je me suis moi-même déclarée apte à me rendre à Paris ! De justesse, vraiment ! Jamais je n'avais eu aussi peur de devoir renoncer à un concert !
Armand Méliès ouvre le bal. Vous m'excuserez si je ne dis pas grand-chose de sa prestation. Il ne faut pas m'en vouloir, mais les premières parties d'HFT ne trouvent en général que très peu de grâce à mes yeux. C'est que j'ai déjà l'esprit tout entier tourné vers le graal, celui que j'attends depuis de longs mois. Je piaffe, je m'impatiente (au fond des starting-blocks), je trépigne. Ça y est, il est presque l'heure, Méliès s'en va. Je lui reconnais du talent, de beaux textes et une jolie voix, mais j'ai prêté une oreille distraite à ses chansons, sorry. Il faudra que je me penche plus sérieusement sur son œuvre, seule chez moi, sans Thiéfaine pour lui faire de l'ombre !
Ça s'agite et s'affaire sur la scène. Les instruments n'attendent plus que les âmes enflammées et les mains habiles qui les ramèneront à la vie. Autour de moi, des voix réclament Hubert, à cor et à cri. Ce qu'on est bien entre gens qui se comprennent ! Et les voilà, nos enchanteurs, arrivant un à un, je ne sais plus dans quel ordre. Lucas Thiéfaine, Frédéric Gastard, Christopher Board, Jean-François Assy. Et lui, last but not least : Hubert, auréolé comme toujours du charisme qui le caractérise. Je souris sous mon masque, je frissonne dans ma carcasse et même, avouons-le, je tremble un peu. Tellement heureuse d'être là, moi qui ai cru, j'insiste, que ce Grand Rex garderait à jamais des allures de grand rêve inatteignable. Une entrée sur La ruelle des morts. C'est assez inattendu. Pour moi, en tout cas. J'avais imaginé Page noire ou encore Du soleil dans ma rue, mais va pour La ruelle des morts, c'est très bien ! Auparavant, HFT nous a mis au parfum : pas de grands discours, nous y aurons droit plus que de raison dans les mois qui viennent (ah oui, c'est vrai, merde, j'avais oublié). Place à la musique, c'est très bien ! Et donc, oui, La ruelle des morts, que j'ai toujours aimée pour la force des images qu'elle véhicule. Les bidons en fer blanc dans l'odeur des soirs de juillet, j'ai bien connu, moi aussi, dans le petit village lorrain où s'ennuyait mon enfance. Le bourdon qui résonne au clocher de la nostalgie, j'en suis une habituée ! Les deuils qui se ramassent à la pelle ? Impression de déjà-vu là aussi. Dès le début du concert, je craque pour les arrangements subtils qui ont été choisis. La ruelle des morts s'étire plus lentement que d'habitude, et c'est beau.
Nous voilà en balade dans le répertoire de Thiéfaine. Passant d'une période à une autre, d'une ambiance à une autre. Pas un temps mort, pas un accroc dans la grâce absolue qui préside à l'ensemble. Je suis tout aussi ravie d'entendre les chansons du dernier album que celles qui remontent au siècle dernier. Les merveilleuses surprises du siècle dernier à mes yeux ? 542 lunes et sept jours environ (et je note qu'en ce soir de Grand Rex Hubert prononce parfaitement tous les « e » finaux de « meine kleine Mutter, mehr Licht » !), Ad orgasmum aeternum, Juste une valse noire, La ballade d'Abdallah Geronimo Cohen (avec de superbes orchestrations), Pulque mescal y tequila, La queue (alors celle-là, l'avoir en concert, quel pied !), Animal en quarantaine et Vendôme Gardenal Snack, la majestueuse. Les merveilleuses surprises datant d'une époque moins lointaine ? Petit matin, toujours aussi renversante, un effondrement mis en chanson (et quelle chanson !) et les morceaux tirés du dernier album. Pour lequel je tiens à réitérer mon engouement. Il a suffi de deux écoutes pour que je sois archi conquise ! Géographie du vide (ça ne va peut-être pas plaire à tout le monde, mais je m'en moque), c'est une œuvre que je situe, dans ma cartographie personnelle, à quelques minuscules encablures d'Alambic ou de Soleil cherche futur. Avant d'interpréter La fin du roman, Hubert évoque les Victoires de la musique à venir* et envoie un léger coup de griffe à ceux qui ont dit, de manière un peu lourdingue parfois, qu'ils n'aimaient pas le dernier album. Figurez-vous que j'ai rêvé de ce truc cette nuit, ça a dû me marquer ! Je me retrouvais à papoter avec Hubert (c'est sûr, c'est tout à fait mon genre, cela m'arrive quotidiennement !) et il me disait que cette fois, contrairement à son habitude, il avait épluché tous les réseaux sociaux afin de savoir ce qui s'y disait sur Géographie du vide. Ajoutant qu'il avait retenu point par point chaque commentaire incisif, chaque démontage de ses dernières chansons. Sincèrement, quelle mocheté, ces réseaux sociaux, quand ils servent à répandre de la boue. Qu'on n'aime pas tout dans le répertoire d'un artiste, voilà qui me semble assez normal, mais pourquoi donc aller déverser son fiel sur la toile ? Bref...
Autre petit coup de griffe, me semble-t-il, en direction de Voulzy cette fois. Vous savez, avant de chanter Lorelei, Hubert dit qu'il ne suffit pas de prononcer certains noms pour faire un tube, puis il précise que ce n'est pas dans une cathédrale qu'il a rencontré la femme qu'il va évoquer dans la chanson suivante. Sachant que Voulzy a désormais sa Loreley, lui aussi (avec, cependant, une différence dans la graphie) et qu'il a fait dernièrement une tournée des cathédrales, je me dis qu'il y a sans doute un lien. Dites-moi si je suis à côté de la plaque. À propos de Lorelei, tiens : j'ai trouvé que le saxophone lui conférait encore plus de lascivité. La sensualité poussée à l'extrême : un délice ! C'est dingue comme les instruments de musique peuvent faire passer les chansons d'un « costume » à un autre, pliant les mélodies à ce qu'ils veulent bien en faire. C'est leur volonté qui prime ! La tournée actuelle le montre bien. La musique, un art mineur ? Loin de là ! Plus que tout, j'aime les orgies qu'engendre la communion exacerbée de plusieurs instruments, quand ils s'emballent comme des barges !
Rien à dire de plus, je suis subjuguée. Encore portée par ce que j'ai vécu samedi soir. De quoi je rêve pour les mois à venir ? Eh bien d'une rebelote ! Je veux exactement la même chose en avril et en mai, à Vittel, à Bar-le-Duc, à Thionville et à Neuves-Maisons ! De quoi je rêve pour la tournée Replugged ? D'entendre tous les autres morceaux de Géographie du vide, tous, sans exception ! Et je rêve aussi, soyons fous, d'un petit Maalox Texas Blues s'offrant en cerise sur le gâteau !
* Géographie du vide est nommé dans la catégorie « album de l'année ».
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