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28/09/2022

"La galeuse féerie des crépuscules d'automne"...

"Écrire, pour moi, c'est remettre de l'harmonie là où elle fait défaut". Philippe DJIAN

 

Je suis une amoureuse inconditionnelle de l'été. Quand tout le monde se plaint de la chaleur écrasante, je me tais, mais je ne compatis pas (désolée, mais c'est comme ça). Parce que je supporte mieux la canicule que le froid, et ce depuis toujours. Je me souviens des longs hivers de mon enfance qui me destroyaient la peau. Dartres, gerçures, jambes bleues, mains crevassées, engelures : il ne manquait rien au tableau (à « ma panoplie de pantin déglingué », comme dirait HFT !). Mon corps devenait, dès les premiers frimas, le réceptacle de toutes sortes d'emmerdements qui, en plus de me gâcher la vie, compliquaient passablement celle de ma mère, laquelle ne savait plus à quel pharmacien se vouer pour venir à bout de mes misères cutanées. Oui, à défaut de saint dans le coin, un pharmacien, c'était encore ce qu'il y avait de mieux ! Mais aucun ne trouva le remède miracle, il fallait simplement attendre le printemps. Je faisais une overdose d'hiver, il me sortait par tous les pores de la peau, que voulez-vous !

Aujourd'hui encore, je déteste le froid. À l'heure où j'écris ces mots, l'automne a piégé les derniers lambeaux de l'été, et nous voilà plongés (prématurément) dans ce que Baudelaire appelait les « froides ténèbres ». « Adieu, vive clarté de nos étés trop courts ! » : comme j'ai aimé ce vers et comme je l'aime encore !

Entre novembre et février, je m'adonne comme une perdue au sentiment que je connais le mieux depuis ma naissance : la mélancolie. Celle-là même que je perçus, il y a trente ans, dans l'œuvre de Thiéfaine et qui, sans tout à fait guérir la mienne, lui fit comme un baume, un petit coussin moelleux où reposer ses longues fatigues. Franchement, ce n'est pas rien quand on pense à la difficulté de l'entreprise, ma mélancolie étant plutôt du genre coriace. Chemin faisant avec les chansons d'HFT vissées dans le cœur (il en sera ainsi jusqu'à mon dernier souffle, vous dis-je), j'appris soudain – et ce fut une révélation – qu'on pouvait apprivoiser la mélancolie et aller, une fois atteinte une familiarité extrême avec ses arcanes, jusqu'à lui donner un petit nom, en signe d'affection peut-être : « mélanco ». Comme ce mot sonne mieux encore que celui dont il est le diminutif ! Comme il claque !

Alors oui, je déteste l'hiver. Comme je déteste aussi son antichambre, l'automne. Ces feuilles qui tombent en pagaille sur un sol boueux, ça me fiche un de ces cafards ! Ma ruelle des morts personnelle est pleine d'êtres chers qui ont rendu les armes en automne ou en hiver. Un truc de dingue. Ma mère en février. Mon père en septembre. Mon grand-père maternel en janvier. Ma grand-mère maternelle en novembre. C'est à ne plus savoir si c'est moi qui déteste l'automne et l'hiver, ou l'inverse !

Cependant (parce qu'il y a toujours un « cependant », même dans les situations les plus merdiques), je reconnais une qualité à ces deux saisons maudites : elles s'accordent parfaitement avec les chansons de Thiéfaine. Prenez Camélia huile sur toile, par exemple, et écoutez ça en voiture par un soir de novembre. Regardez le paysage défiler dans les brumes automnales, au moment où le soleil qui ne réchauffe plus personne va sombrer, et vous saurez alors ce qu'est « ce vieux Nord toujours frileux ». Car c'est là que la « galeuse féerie des crépuscules d'automne » offrira sa pleine mesure. Prenez ensuite Les fastes de la solitude, en plein cœur de l'hiver cette fois. De préférence un jour où il a neigé. De préférence au crépuscule, là aussi. Et laissez-vous envoûter par les indéniables charmes d'un « panorama lunaire aux délicieuses lenteurs de cortège funéraire ». Contemplez, au-dessus de votre tête, « l'ivresse glacée d'un ciel de neige ». Vous avez l'image ? Moi oui. Parce que c'est du vécu.

Ce n'est pas que les chansons de Thiéfaine soient à proscrire aux jours chauds du calendrier. Loin de là, voyons ! Mais disons que l'automne et l'hiver leur donnent un petit plus, vous ne trouvez pas ? De quoi me réconcilier avec les deux saisons en question ? Il ne faut peut-être pas pousser ! Je veux bien insérer quelques « cependant » dans mon discours, mais pas revoir tout mon raisonnement non plus !