Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/09/2022

J'écoute Thiéfaine, rien d'autre à signaler !

"C'est toujours effrayant d'observer quelqu'un qui croit n'être vu de personne". François MAURIAC

 

En ce moment, j'essaie (tant bien que mal) d'écrire un récit sur ma découverte de l'œuvre de Thiéfaine. Lourde entreprise qui, régulièrement, se casse la gueule. Un jour, je rédige trois pages d'affilée, sans reprendre mon souffle. Le lendemain, plus rien, me voilà poussive et condamnée à la raideur de la page blanche. Parfois, je crois avoir pondu un truc pas trop mal, et je me coucherais presque avec le sentiment du devoir accompli ... si l'idée d'un quelconque devoir n'agissait pas sur moi comme le Fulgator sur les araignées (Fulgator = répulsif extrêmement puissant contre l'objet de ma phobie numéro un. Chez moi, ce produit s'appelle Fulgator 427 parce qu'il est peu de domaines de ma vie qui ne soient pas envahis par ma manie de « thiéfainiser » à outrance). Je m'égare. Revenons à nos moutons, desquels les araignées nous ont un temps éloignés. Donc, parfois, je crois avoir pondu un truc pas trop mal et gnagnagna, puis je relis le tout à tête reposée et force est de constater que c'est naze et qu'il faut bazarder. Bref, pas simple, le travail d'écriture. C'est sans doute la raison pour laquelle j'ai toujours abandonné tous mes projets. Mes tiroirs sont pleins de machins auxquels j'ai moi-même coupé les ailes alors qu'ils n'avaient pas encore pris leur envol. C'est une autre de mes manies. Donc, ce récit, je ne suis pas sûre de le mener à terme. On verra. Je peux être à moi-même ce que le Fulgator (427) est aux araignées : un poison !!!

En tout cas, pour (essayer de) réaliser ce travail, je relis les journaux que je tenais en 1992, année de la grande révolution HFT dans ma vie ! Au fil de ma lecture, je suis souvent confortée dans l'idée que je me fais aujourd'hui encore de cette révolution. Par exemple, le 10 septembre 92, j'écrivais ceci : « J'écoute Thiéfaine. C'est ma nouvelle folie ! ». 24 septembre : « J'écoute encore Thiéfaine ! Je fais des infidélités à Gainsbourg ! ». 29 septembre : « J'écoute Thiéfaine. Rien d'autre à signaler ». Je me souviens de Paludes, où Gide répétait à longueur de pages « j'écris Paludes ». Eh bien moi j'écoute Thiéfaine et, à me lire, il semblerait effectivement qu'il n'y ait rien d'autre à signaler en septembre 1992 ! De 1992 à 2022, j'écoute Thiéfaine. Encore et toujours. Inlassablement. Ce que j'appelais ma nouvelle folie en 1992 est toujours ma folie trente ans plus tard. Un peu moins nouvelle, certes, mais pas éboulée pour autant, loin s'en faut !

Il m'arrive aussi de tomber sur des passages moins « glorieux » dans mes journaux. Ainsi, le 23 décembre 1992, j'écrivais un truc qui me saisit aujourd'hui quand j'en fais la lecture. Voyez plutôt :

« Cet après-midi, maman était à Metz, elle m'a acheté une cassette de Thiéfaine. J'en ai cinq à présent. Encore six à acheter. Je les gagnerai de haute lutte. Car il en faut du temps, de la patience et des économies et des faveurs parentales pour obtenir ces albums. J'adore ma nouvelle cassette. Je trouve qu'Hubert-Félix a beaucoup de talent. J'aime sa façon d'écrire. Mais, sinon, je le trouve froid. Sur scène, il dit rarement merci au public, encore moins au revoir, et il ne parle pas entre les chansons. Voilà ce qu'on peut lui reprocher. Et puis, souvent, les concerts de Thiéfaine donnent lieu à des excès. Le public peut être violent et je le déplore car je n'oserai jamais assister à un de ses concerts, j'aurais peur d'en revenir en mauvais état ! Ce que je pense aussi, c'est que Thiéfaine écrit des textes sensés, c'est un peu la nouvelle poésie, une écriture particulière pour public averti ». Je vous fais grâce des lignes qui suivent, et dont j'ai honte tant elles sont arrogantes. Du haut de mes 19 ans puants, je juge le public d'HFT inculte et constitué pour l'essentiel de ratés et de paumés. J'hallucine !

Concerts violents, chanteur pas sympa : où diable étais-je allée pêcher toutes ces infos ?! Le coup des concerts violents, je crois que je tenais ça de certains amis qui avaient vu Thiéfaine sur scène et m'avaient fait des récits effrayants de l'ambiance qu'ils avaient perçue dans la salle (pogos renversants en pagaille, shoots à peine dissimulés, et tutti quanti). Ces violences étaient-elles réelles ou mes amis avaient-ils brodé autour d'un petit dérapage d'une valeur anecdotique, le grossissant au gré de leur imagination ? Quant au côté froid d'HFT, je pense que je l'avais moi-même déduit des écoutes que j'avais faites de ses enregistrements live. Enregistrements qui, peut-être l'ignorais-je à l'époque, pouvaient très bien avoir été tronqués, amputés de quelques passages parlés jugés sans importance au montage. Incroyable comme j'allais vite en besogne pour généraliser !

Trop drôle aussi le passage dans lequel j'évoque ma peur d'assister à un concert de Thiéfaine. Après l'avoir vu plus de cinquante fois sur scène, je peux affirmer qu'il n'y a pas grand-chose à craindre ! Le seul mauvais état que l'on puisse redouter, c'est celui qui vous vient une fois la redescente amorcée sans clim et sans filet !

Ce que je perçois en filigrane, dans ces lignes, c'est le mélange d'attirance et de répulsion dont j'étais alors la proie. Je sentais bien que le monde auquel les chansons de Thiéfaine m'offraient un accès était pas mal éloigné du cocon moelleux dans lequel j'avais grandi. Je voyais s'ouvrir sous mes pas un nouveau territoire qui me fascinait autant qu'il m'intimidait. Je me souviens de certaines ambiances créées notamment par la fusion Thiéfaine-Mairet. Elles avaient le don de me mettre dans un état proche de la transe. C'était à la fois flippant et merveilleux. Presque de l'ordre de la magie.

Bref... On est bizarre quand on a 19 ans. On a de ces intransigeances ! J'en rougirais de vergogne... La meuf qui croit qu'elle a tout compris et qui ignore avec éclat son ignorance. Quelle chance, d'une certaine manière ! La palme revient sans doute à « ce que je pense aussi, c'est que Thiéfaine écrit des textes sensés ». Ouah, alors là, je crois qu'on m'avait attendue pour s'en rendre compte !!!

 

Je n'ai plus autant de certitudes aujourd'hui. Et « le doute ravage même mes incertitudes », façon Fulgator 427 au jet ravageur et aux « crocs venimeux et gluants », alors pas de quoi frimer ! J'écoute Thiéfaine, rien d'autre à signaler...