22/12/2024
Mes filles, Renaud, Thiéfaine et quelques autres !
"52 semaines par an.
520 pour 10 ans : 2600 pour 50 ans. C'est vite dépensé". Henri CALET
Parfois, les enfants, ça pousse pas tout à fait droit. Ça ne va pas dans la direction qu'on avait envisagée pour eux. Et c'est bien normal : à chacun ses expériences. Vous croyez que mes parents désiraient follement que je devienne prof ? Pas vraiment. Mon père me voyait déjà embrasser une belle carrière chez Siemens, comme lui, genre secrétaire trilingue, études à Munich, etc. Il m'avait même ramené un dossier de candidature. Dossier que je remplis consciencieusement, pour faire plaisir à papa. Cependant, au moment de lui rendre le truc, je m'écriai : « En fait, j'veux pas faire ça. Je veux être prof, à tout prix ». Je n'oublierai jamais le regard que mon père posa alors sur moi. Un regard où je pus lire à la fois une infime déception, mais aussi une certaine fierté, je crois. Ma ténacité lui en imposa, me semble-t-il. Il ne manqua pas, toutefois, de me dire que la voie dans laquelle je m'engageais était bien souvent exempte de toute reconnaissance. « Regarde ta mère », ajouta-t-il. Car ma mère était enseignante, c'est même à elle que je dois ma « vocation ». Quand j'étais enfant, j'adorais l'observer quand elle préparait les activités qu'elle allait proposer à ses élèves. Elle fit l'essentiel de sa carrière en maternelle et je vous arrête tout de suite si vous pensez que c'est la planque : absolument pas ! Jusqu'à l'année de sa retraite, ma mère se lança des défis, se renouvela, se réinventa. Je me souviens lui avoir dit un jour : « Moi aussi, plus tard, je veux avoir un métier qui me donnera du travail à la maison ». Eh bien, me voilà servie ! Le boulot ne manque pas, n'en déplaise à tous les connards (oui, je n'hésite pas à employer ce mot poétique) qui chantent sur tous les toits que prof c'est six mois de vacances par an et des semaines de travail pépères. Ouais, ben viens voir tâter l'ambiance d'une salle de classe, viens voir un peu regarder en face, si tu oses, les défis auxquels ce métier te confronte chaque jour. C'est drôle, ce sont toujours ceux qui la ramènent là-dessus qui, si on leur proposait un job dans l'Éduc'nat ', se carapateraient par la première porte de sortie. Voire n'entreraient même pas ! Étonnant, n'est-ce pas ? Je croyais que prof c'était la belle vie... Bref... Quand je me plaignais auprès de mon père de l'image déplorable qu'une frange assez con-séquente de la population avait de nous, les enseignants, il répondait invariablement : « Tu sais bien que ce ne sont pas les meilleurs qui vous critiquent ». Sage papa, il me manque...
Mais je me suis égarée et … un peu énervée. Parce que ça commence à me les briser menu menu (oui, bon, je n'en ai pas, mais imaginons) que mes collègues et moi soyons pris pour des moins que rien, des flemmards, des branquignoles. J'ai décidé de ne plus lire les putains de commentaires se déchaînant sur les profs sur les réseaux : pas envie de gerber quinze fois par jour !
Mais je voulais parler des enfants, tout ça... De cette manière qu'ils ont de s'éloigner de leur tuteur sans en avoir l'air. Par exemple : un jour, alors que j'écoutais l'album La bande à Renaud, sur lequel Thiéfaine interprétait En cloque, j'entendis une petite voix, celle de ma fille Louise, me demander : « Mais qui a écrit ces chansons ? ». À la réponse que je lui fis, elle s'exclama : « Moi je veux découvrir ces chansons chantées par Renaud, d'accord ? ». Oui, bien sûr que j'étais d'accord. Je ne renie jamais mes anciennes amours. Je sortis mes vieux albums de Renaud. Louise en devint fan en deux temps trois mouvements. Elle se transforma même en dictionnaire d'argot pour les nuls ! Un jour, elle me demanda si je savais ce qu'était un paddock. Je pensais qu'elle l'ignorait. « Mais non, maman, voyons, je le sais : c'est un lit » ! Une autre fois, je la surpris en train de jouer à la maîtresse et d'apprendre Société tu m'auras pas à ses élèves fictifs dont les parents, fort heureusement fictifs eux aussi, ne tarderaient pas à porter plainte contre cette maîtresse Louise décidément trop rebelle et pas assez dans les clous. Enfin si, ceux d'un perfecto ! Perfecto qu'elle me fit acheter, d'ailleurs, alors qu'elle n'avait pas dix ans. Ainsi qu'un bandana. C'est équipée de la sorte qu'elle alla à son premier concert de Renaud. Elle me fit également tout un sketch pour entrer en contact avec monsieur Séchan. Alors je lui proposai de tenter de lui écrire à La Closerie des lilas, où il avait ses quartiers à une époque. Peut-être les y a-t-il encore maintenant, je ne sais pas. Dans son courrier, Louise précisait : « J'ai huit ans et je suis ta plus grande fan ». C'est dingue, cette manie qu'on a tous de vouloir être le plus grand fan de celui-ci ou de celle-là. Tenez, moi, par exemple : je suis la plus grande fan d'Hubert-Félix Thiéfaine, ok ?!
Bref... Et puis, les années passèrent et l'amour de Louise se tassa. Sembla se tasser, plutôt. Un jour, elle devait avoir quinze ans, elle remit Renaud dans la voiture. Elle connaissait encore toutes les chansons par cœur. Et moi aussi. Ça me vient de l'enfance. Parce que quand j'avais dix ans, j'étais la plus grande fan de Renaud, je vous jure !
Quelle joie, ce jour-là, de chanter avec ma fille La teigne, Ma gonzesse, Manu, Mistral gagnant, Où c'est qu'j'ai mis mon flingue, It is not because you are. J'ai toujours dit que si j'avais été prof d'anglais, j'aurais systématiquement fait écouter cette chanson à mes élèves à chaque rentrée pour aboutir à la conclusion suivante : « J'espère qu'après avoir suivi mes cours, vous parlerez mieux anglais que monsieur Séchan ». Moi aussi, j'aurais eu des plaintes des parents, parce que « and make love very beaucoup », cela aurait outragé quelques âmes sensibles, je suppose. Bon, la question ne se pose pas : I'm a German teacher !!!
Tout cela pour dire que Louise non plus ne renie pas ses anciennes amours et que ça me fait vachement plaisir. Régulièrement, nous nous faisons nos petits trips Renaud, la Grande Sophie, Higelin et Thiéfaine. Parce que oui, elle aime aussi celui dont sa mère est la plus grande fan ! Faut dire qu'elle avait plutôt intérêt, sinon je l'aurais répudiée sans hésitation !
Parfois, les enfants, ça vous fait croire que ça va pas pousser comme vous l'auriez souhaité. Et puis, un matin, l'air de rien, ça vous dit : « Je t'en remets au vent est ma chanson préférée de Thiéfaine » (signé : Louise). Ou alors : « J'adore La Ruelle des morts, je l'écoute au moins une fois par jour » (signé : Clara). Alors, parce que vous êtes leur plus grande fan, vous les regardez avec une tendresse et un amour infinis. Et vous vous dites : « J'ai pas tout raté dans ma vie » !
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