18/05/2006
De Cioran à Thiéfaine, il n'y a qu'un pas, vous ne trouvez pas?
« Dernièrement, j’ai été choqué en lisant une interview de Cioran, dans laquelle il disait que la naissance de son enfant avait été sa seule concession. Je comprends très bien ce qu’il veut dire – sa vision de la vie n’est d’ailleurs pas très éloignée de la mienne -, mais en même temps ça m’agace. Je refuse ce genre de cynisme qui balaie la tendresse. Pour moi l’enfant est sacré. Il est le seul générateur de sourire et d’espoir. Choisir d’avoir un enfant a été ma seule et unique révolution – celle qui m’a réconcilié avec la vie ». Hubert-Félix Thiéfaine, cité par Pascale Bigot.
Allez, un peu de Cioran pour nous remettre du baume au cœur !!! Attention, c’est aussi gai que Schopenhauer ! Mais qu’est-ce que c’est beau ! Les titres de ses livres sont des poèmes à eux seuls : Précis de décomposition, Syllogismes de l’amertume, De l’inconvénient d’être né, Sur les cimes du désespoir.
« Si on réfléchit aux choses, on devrait cesser d’agir, de se mouvoir. On devrait se foutre par terre, et pleurer ».
« Il est évident que si l’on a la conscience du néant, il est absurde d’écrire un livre, c’est ridicule même. Pourquoi écrire et pour qui ? Mais il y a des nécessités intérieures qui échappent à cette vision, elles sont d’une autre nature, plus intimes et plus mystérieuses, irrationnelles. La conscience du néant poussée au bout n’est compatible avec rien, avec aucun geste ; l’idée de fidélité, d’authenticité, etc – tout fout le camp. Mais il y a quand même cette vitalité mystérieuse qui vous pousse à faire quelque chose. Et peut-être c’est ça la vie, sans vouloir employer de grands mots, c’est que l’on fait des choses auxquelles on adhère sans y croire, oui, c’est à peu près ça ».
Petite parenthèse : ces mots me font penser à ce que disait Thiéfaine dans je ne sais plus trop quelle émission, peut-être bien « Ombre et lumière ». Il disait quelque chose du style : « La vie, tout ça, au fond, cela ne m’intéresse pas beaucoup ». Je trouve que l’univers de Cioran est très proche de celui d’Hubert.
« La vie n’est supportable que si l’on n’est pas conscient de chaque moment qui passe, autrement on est fichu. L’expérience de l’ennui c’est la conscience du temps exaspéré ».
« Et je me suis rendu compte qu’il fallait que j’écrive, parce que c’était une libération, parce que c’était une explosion sans conséquence pour les autres, c’était mieux que de casser la gueule à quelqu’un ».
« Au beau milieu d’études sérieuses, je découvris que j’allais mourir un jour… ; ma modestie en fut ébranlée. Convaincu qu’il ne me restait plus rien à apprendre, j’abandonnai mes études pour mettre le monde au courant d’une si remarquable découverte ».
Tiens, en feuilletant de nouveau Syllogismes de l’amertume, je tombe sur le chapitre : « Le cirque de la solitude » ! Et à propos de solitude, justement :
« Nul ne peut veiller sur sa solitude s’il ne sait se rendre odieux » !
« Toutes les eaux sont couleur de noyade ».
« Je vadrouille à travers les jours comme une putain dans un monde sans trottoirs ». (J’ai une immense tendresse pour cette phrase, et puis pour les putains sans trottoirs !!).
« Le Réel me donne de l’asthme » (cf. « Et rien qu’le fait de respirer, ça m’fout des crampes dans le sternum » !!).
« Il est certain que les gens qui se sont effondrés sont les plus impressionnants. Particulièrement les poètes ».
« C’est au début de l’homme que quelque chose a craqué. Dès les fondements, quelque chose n’a pas réussi, ne pouvait pas réussir, car la pureté de la créature n’est pas possible. Donc, l’homme est atteint dès sa naissance ».
« Si je devais faire mon propre bilan, alors je devrais dire que je suis le résultat de mes heures perdues ».
« J’ai beaucoup voyagé, j’ai tout vu en Europe. Partout où je suis allé, j’ai été saisi d’un immense enthousiasme ; et puis le lendemain, l’ennui. Chaque fois que je visitais un endroit, je me disais que c’était là que j’aurais voulu vivre. Et puis le lendemain … ce mal qui me possède a fini par m’obséder ».
Et ma préférée pour la fin :
« Depuis deux mille ans, Jésus se venge sur nous de n’être pas mort sur un canapé ». Et c’est sans doute la raison pour laquelle « ça fait bientôt deux mille ans que j’ai plus faim » !!!!!!
22:24 | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Votre parallèle entre la pensée de Thiéfaine et celle de Cioran ne m'a pas vraiment convaincu. Mais c'est une thèse originale qui a le mérite de ressituer l'oeuvre de Hubert Félix.
Écrit par : Cadichon | 22/05/2006
Tant pis! J'espère, en tout cas, que vous aurez aimé ces quelques mots de Cioran!
Je pensais encore à un point que j'aurais pu mentionner : Cioran a écrit des pages magnifiques sur l'insomnie, que Thiéfaine appelle "cette indigestion de l'âme"... J'aurais dû mettre quelques passages que Cioran a écrits sur ses longues nuits sans sommeil. Il est encore temps de le faire!
Écrit par : Katell | 22/05/2006
Similitudes entre Thiefaine et Cioran:
"Est bavardage tte conversation avec qq qui n'a pas souffert" dixit Cioran.
Thiefaine n'est pas interessé par les gens heureux.
"ds tt prophéte coexistent le goût de l'avenir et l'aversion pr le bonheur"
Même sentiment chez HFT
ça m'incite à relire les pensées étranglées du "Mauvais démiurge"
Écrit par : brigitte | 23/05/2006
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