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10/01/2008

"L'étranger dans la glace" et les réflexions que cette chanson m'inspire

c70314f8cfbd70b86af8aac8271b681a.jpgRéflexions, réflexions... Un bien grand mot, un peu prétentieux. Il s'agit plutôt d'émotions. Depuis longtemps déjà, j'ai l'idée d'écrire quelques mots à propos de cette magnifique chanson qu'est "L'étranger dans la glace". C'est venu comme ça, d'un coup, ce matin, et cela vaut ce que cela vaut. Je vous demanderai d'être indulgents. N'oubliez pas la note précédente, dans laquelle il est question de la prochaine réunion HFT.

Et peut-être pourriez-vous commencer par aller faire un tour enchanteur sur "Le petit Hubert illustré", blog sur lequel Amnesik a mis une fort belle version de "L'étranger dans la glace". Voici :

http://amnesik.info/dotclear/index.php?2006/05/12/116-l-e...

 

 Et voici à présent ce que m'inspire cette superbe chanson :

 

« Descendre dans la soufflerie

où se terre le mystère inquiet

des ondes et de l’asymétrie

des paramètres au cœur violet »…

 

 

 

Ce qui frappe, tout d’abord, c’est l’absence de sujet explicite dans cette première phrase. Ce point de départ à l’infinitif ne laisse pas immédiatement entrevoir de quelle personne il s’agit ici ou, plutôt, quelle personne agit ici. Le mouvement, « descendre », dans une soufflerie de surcroît, nous fait pénétrer dans un monde souterrain. L’idée de ce « mystère inquiet » se terrant dans une soufflerie rappelle étrangement la « soufflerie des mystères » qu’évoquait Léo Ferré dans « La mort » :

 

 

« Avec ses cordes pour la pluie

A encorder les poitrinaires

Ses poumons de cendre qui prient

Dans la soufflerie des mystères

Elle meurt sa mort la Mort ».

 

 

 

Cette entrée en matière nous jette d’emblée dans une série d’images évoquant la mort. D’ailleurs, pour en revenir au verbe utilisé au début du texte, il évoque non pas l’idée de s’élever, mais bien celle de descendre, comme « descendre au tombeau », par exemple. Ce monde souterrain qui est décrit dans la première strophe n’invite pas franchement à une promenade sereine. Ici trônent des images angoissantes et surtout déshumanisées. Il s’agit plutôt d’un univers froid de machines (« la soufflerie »), d’un bric-à-brac de choses ou abstraites (« ondes » et « asymétrie ») ou médicales (« paramètres au cœur violet »). Le mystère qui est venu se terrer là (et le sens premier de « se terrer » donné par le Petit Larousse n’est-il pas « se cacher sous terre, en parlant d’un animal » ?) est inquiet. Et inquiétant ! Les images à connotation négative se bousculent. Les « odeurs de mercurochrome sur le registre de mes plaies », voilà deux vers qui s’inscrivent dans le champ lexical de la médecine. On se situe donc ici dans un univers angoissant, voire oppressant, déshumanisé et chargé d’images évoquant la maladie et la mort. Images qui reviennent d’ailleurs d’emblée, comme en écho, dans la troisième strophe, où Thiéfaine parle de « molécules en détresse dans le gris des laboratoires ».

« Le gris des laboratoires », le « cœur violet », « les matins bleus de ma jeunesse » », le mercurochrome évoquant la couleur rouge (et donc celle du sang), autant d’évocations de couleurs qui jalonnent tout le texte. Le gris reste une couleur un peu triste et terne, le cœur violet appelle des images de mort. Tout cela est mis en contraste avec les « matins bleus de la jeunesse ». Cette dernière apparaît donc ici comme le paradis perdu dont les contours, peu à peu, s’étiolent : le passé devient flou et multicolore (« les matins bleus de ma jeunesse s’irisent en flou multicolore »), ce qui était bleu et se distinguait donc par sa couleur singulière (d’ailleurs, le bleu est plutôt chargé de connotations positives, je vous renvoie à différents sites consacrés à la symbolique des couleurs, notamment : http://www.paintcafe.com/fr/couleur/langage/symbolique) perd ses contours et sa spécificité pour faire place à quelque chose de moins précis, perdu dans un espace flou et multicolore qui avale tout le reste. La mémoire s’amenuise, s’efface, le temps se précipite (« la valse des nuits et des jours » vient renforcer cette idée de rapidité, de précipitation). L’homme qui parle ici semble s’éloigner peu à peu de sa propre histoire, qui lui apparaît soudain comme inscrite dans une époque lointaine (« les pages moisies de l’histoire », « les matins bleus de ma jeunesse »). A mesure que cette histoire lui échappe, l’homme qui l’a vécue prend ses distances avec elle. Il semblerait qu’il la revisite rapidement en y laissant traîner nonchalamment sa « frise argentée ». Ou n’est-ce pas plutôt sa propre histoire qui se met à prendre ses distances, allant se fixer sur de lointaines berges et le condamnant à se voir comme un « étranger dans la glace » ? Le regard se fait distrait, le poète Thiéfaine qui s’exprime ici, saisissant sans doute avec acuité la vacuité de toutes choses et voyant que la marche du temps a pour seul but de l’engloutir, de le happer dans le « gris des laboratoires », le poète en vient à considérer les choses sous un autre angle, celui de la distance. « La brume adoucit les contours

des ratures sur mes triolets ». Petit privilège de la maturité : le temps qui passe (« le temps passe toujours un peu vite et c’est peut-êt’ not’ chance », écrira Hubert un peu plus tard), ou plutôt tout le temps déjà passé, invite à considérer les erreurs et les ratures avec indulgence et recul. Elles aussi, de toute façon, « s’irisent en flou multicolore », se noyant dans la brume.

Cette façon de se positionner avec recul face à sa propre histoire serait-elle le triste apanage de ceux pour qui un certain nombre d’années déjà s’est écoulé ? Cette chanson me fait immanquablement penser à ces mots de Giono : « Pour moi, maintenant, le temps passe plus vite qu’aux alentours de 1905. A cette époque, je déchiffrais la vie, mot à mot ; aujourd’hui je la lis rapidement du coin de l’œil (souvent même je l’interprète en une sorte de sténographie). En vieillissant on abrège. Est-ce de la hâte ? Peut-être ».

« L’étranger dans la glace » : un texte empreint de tristesse et de mélancolie, donc (assorti d’ailleurs d’une musique triste, elle aussi), un texte dans lequel l’homme qui parle (c’est-à-dire Thiéfaine) ne reconnaît plus tout à fait ni son reflet dans la glace, ni son histoire sous sa frise argentée… Un texte dans lequel Thiéfaine dit se sentir happé par les profondeurs d’un monde obscur qui semble l’attendre pour l’enserrer dans l’étau de son mystère inquiet, mais aussi et surtout inquiétant… Ce mystère tapi dans l’obscurité ne va-t-il pas bondir à tout moment et saisir à la gorge le visiteur malchanceux qui se sera trop longtemps attardé en ce sombre lieu dépeint au début du texte ?

L’image que je trouve la plus forte ici, et que je n’ai pourtant pas encore évoquée, est celle des « yeux nécrosés ». La nécrose, c’est la « mort d’une cellule ou d’un tissu à l’intérieur d’un organisme vivant ». « Regard distrait », « yeux nécrosés », qu’est-ce à dire ? L’homme qui nous parle ici est bel et bien vivant, mais son regard s’efface, ses yeux sont déjà rongés par la mort. Retour à la case départ, à la case naissance, à la matrice : lorsque l’homme vient au monde, l'un de ses sens les moins développés n'est-il pas, justement, la vue? Cet étranger dans la glace est là sans y être tout à fait, même si « le vide a (encore) des lueurs d’espoir ». Il est également question d’avenir. Mais, immédiatement, Thiéfaine lui oppose cette image d’yeux nécrosés et d’ombre inachevée. Tout comme, à l’image de son sourire, il oppose celle du vent glacé. Ce sont donc les symboles de mort qui l’emportent ici.

Rappelons que l’album « Scandale mélancolique » est celui de la soixantaine qui approche. Ce texte de « L’étranger dans la glace » rappelle, comme un écho, celui d’ « Animal en quarantaine » dans lequel, déjà, le chanteur et poète évoquait le temps qui passe. Ici, il parle davantage du temps passé. Le vent qui se levait sur la quarantaine d’Hubert est devenu glacé…
Une chanson triste et mélancolique, bien sûr, mais, à mes yeux, l’une des plus belles de l’album « Scandale mélancolique ». Peut-être parce que, comme l’écrivait Musset, « les plus désespérés sont les chants les plus beaux

Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots »…

 

Commentaires

et bien tout d'abord chapeau pour cette exegese pour le moins exhaustive de cette chanson "l'etranger dans la glace"...difficile de rajouter,aprés une telle perspicacité (et encore je suis dans la litote lorsque j'emploie ce mot) un commentaire aussi riche.Cependant l'émotion véhiculée par cette chanson est certainement fécondée aussi par cette alchimie réussie d'associations de mots aux champs sémantiques particuliérement dense...ces mots (nécrosés-iriser-frise argentée etc...)rarement utilisés dans le vocabulaires quotidien s'imbriquent (par le jeu d'écriture du poete ) et s'enchassent de façon tellement harmonieuse dans le rythme de la phrase que la question du sens en devient secondaire ...comme souvent chez Thiéfaine.Et c'est là aussi que HFT me touche :se faire voyant,arriver au dereglement de tous les sens comme le souhaitait Rimbaud 1ere partie, c'est aussi arriver à toucher autant l'intellect que le plexus...on peut s'enthousiasmer de références détéctées voire débusquées ça et là mais se laisser transporter,bercer voire enivrer par des mots-images inattendus quitte à ce que le sens de la chanson en devienne nébuleux et meme altérée voila la vraie poésie...et c'est la que le poete ou l'auteur de chanson a un petit role social à jouer:plus sa chanson sera riche plus elle sera sujette à interprétations à débats et donc à communications entre gens émotionnellement touchés...
Je me souviens d'une interview où HFT expliquait qu'appeler un chat un chat ça ne l'interessait pas...pour moi la poésie c'est ça aussi,faire suggérer les choses mais de façon pas trop évidente en restant le plus dans l'ambiguité par une écriture jubilatoire (22 mai)ou ludique (sweet amanite) ou désespérement humaine (les dingues et les paumés).Ainsi je peux tutoyer les anges et en oublier l'omniprésence de notre président !!!c'est pour dire...
enfin pour terminer sur "l'étranger dans la glace" je pense souvent à cette phrase de Cocteau "les miroirs devraient réfléchir davantage avant de nous renvoyer notre image..."car j'imagine bien Hubert se regardant dans un miroir pour la conception de cette chanson...
Amities à tous et clin d'oeil particulier à Fred 06...

Écrit par : alfana | 10/01/2008

Merci, Alfana, pour cette réaction ! Tout à fait d'accord avec toi : on peut également tout aussi bien renoncer aux "analyses" de textes et se laisser simplement bercer par la splendeur des écrits de Thiéfaine. D'ailleurs, c'est ce que je fais la plupart du temps !
Sinon, pour enfoncer un peu le couteau dans la plaie (gentiment) : j'avais prévu de bientôt mettre ici une analyse d'un texte de Carla Bruni. Qu'en dis-tu?!!!! Je plaisante !!!

Écrit par : Katell | 10/01/2008

Et bien sacré travail !!! On dirait qu'un topo est déjà pret pour la future réunion ;-)

Écrit par : Tommie | 12/01/2008

Ce ne sont pas les miroirs qui réfléchissent, c'est nous qui nous nous réfléchissons dans les miroirs déformants de la vision des autres !...

Attention aux turbulences du ventilateur..

C'est pour cela que je me contente de mes verres correcteurs ;-)

Le Doc

Écrit par : Le Doc. | 12/01/2008

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