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16/06/2009

Méthode de dissection : "Chroniques bluesymentales", suite et fin.

La pensée du jour : "Si je devais faire mon propre bilan, alors je devrais dire que je suis le résultat de mes heures perdues". CIORAN.

 

La suite s'ouvre sur une chanson qui a la pêche ! Et qui commence par ces mots : « Je regarde passer les zumains de ma rue

un peu comme on reluque au zoo les zébus

triés, normalisés, fonctionnels, uniformes

avec leurs initiales gravées sur leurs condoms ».

Dès les premiers mots, le poète qui parle ici nous donne à voir sa différence. Contemplant ses contemporains, il a l'impression d'assister à une mauvaise pièce. Ce spectacle l'écoeure tellement qu'il aimerait pouvoir s'arracher les yeux. « Mais ce serait malveillance » vu qu'il a déjà vendu son cadavre à la science. Bref, il n'a pas la frite, faudra repasser demain... Dans la dernière strophe, on sent le coup de griffe envoyé à tout ce qui se fait sur le marché en matière de musique. « J'écoute la mode en boîte sur mon ghetto-blaster ». Le coup de griffe envoyé à tous les opportunistes qui retournent leur veste en fonction de la direction du vent...

Encore une allusion à la culture allemande : cette fois, Thiéfaine évoque Schopenhauer (1788-1860). Un philosophe allemand dont j'ai déjà parlé ici et que j'admire tout particulièrement.

 

On passe ensuite à un autre registre : « Portrait de femme en 1922 ». « Je t'ai rencontrée une nuit

au détour d'un chemin perdu

qui ne conduisait nulle part ».

J'aime bien cette histoire « tendue au-dessus du hasard » où l'art du portrait est totalement chamboulé ! Qu'apprenons-nous de cette femme ? Pas grand-chose ! Le mystère plane, elle se donne sans se donner, elle n'est qu'effluve et revient d'ailleurs ... pour repartir vers nulle part et personne. S'agirait-il là d'une femme qui, étant à tout le monde, n'appartient en fait à personne ?

 

Ensuite, c'est « Misty dog in love ». Coup d'oeil dans mon Robert et Collins, qui m'apprend que « misty » veut dire « embrumé, embué, brumeux, nébuleux, flou ». D'où, peut-être, l'expression « je te veux dans mon brouillard » ? J'adore cette chanson, ce cri d'amour finement érotique.

« Je te veux chaude et lascive

glamoureuse et sans contrôle ».

« Je te veux quand j'abandonne

ma racine à ta blessure ». Et l'on se souviendra de la chanson de Ferré, « Cette blessure » :

« Cette blessure où va ma lèvre à l'aube de l'amour

Où bat ta fièvre un peu comme un tambour ». (...)

« Cette blessure d'où je viens »...

Cri d'amour grandiose que ce « Misty dog in love », cri d'amour qui atteint son sommet dans les mots de la fin : « Je te veux dans la prière

des dieux suppliant l'Humain »... L'Humain avec un « H » majuscule ! Retournement de situation : ici, ce sont les dieux qui prient et supplient. L'homme, grâce à cet amour qui habite à la fois son sexe et son coeur, devient soudain supérieur aux dieux, leur fait un pied de nez, les soumet à sa loi !

 

L'album s'achève sur « Villes natales et frenchitude ». Une musique lancinante pour bien exprimer l'ennui ! J'en profite pour rappeler que je suis déjà allée visiter la ville natale de Thiéfaine, Dole, et que je lui ai consacré un album photo sur ce même blog (on peut toujours le regarder). Pour bien saisir le sens de « Villes natales et frenchitude », il faut aller à Dole un samedi soir ! « Faut pas rêver d'une tornade », même si la ville est bien agréable par ailleurs...

Ici, un « pékin dans les ruelles » (sans doute Thiéfaine lui-même) vient se souvenir. Il fait un petit périple dans la ville, allant de la crèche municipale au lycée, en passant par la statue du grand homme... Qui donc ? Pasteur, peut-être ?

On sent bien qu'entre Dole et Thiéfaine, il y a un drôle de lien. C'est un peu comme Rimbaud et Charleville-Mézières !! Une fois encore, le poète montre ici sa différence :

« Mais t'as jamais vu les visages

de tes compagnons d'écurie

t'étais déjà dans les nuages

à l'autre bout des galaxies ».

 

Voilà donc l'album d'un homme qui se sent constamment en exil auprès de ses contemporains. Et tout a commencé très tôt. Exil dans la cour de récré, exil au milieu des « zumains » de sa rue, exil encore dans son ghetto-blaster... Un très bel album que, je le répète, je chéris tout particulièrement. Et vous ?

 

 

 

Commentaires

J'adore également cet album !
Pour moi, "Scandale mélancolique" le suit de très près...

Bises

Écrit par : Bérangère | 16/06/2009

J'adore cet album Cath, pour moi, "Scandale mélancolique" en est la suite logique...

Je me rappelle exactement où j'étais la première fois que je l'ai écouté, en exil dans un fauteuil, où une saudade me taraudait étrangement...

Bises

Écrit par : Bérangère | 16/06/2009

Plus qu'une amorce de renouveau avec ce premier album "américain"où une nouvelle équipe de musiciens insufflent d'inédits rythmes bruts et claquants au service de textes toujours vitriolés de poésie inclassable.
Les grands thémes,la guerre et leur victime périphérique innocente les enfants "kill the kids",l'amour et son cortége de complexité "un automne à Tanger" "Misty dog in love" "portrait de femmes en 1922",la Vie et son lot de fatalités "542 lunes et 7 jours environ" "zoo zumains zébus" "villes natales et frenchitudes" restent encore bien présents dans une ambiance tonique et presque enjouée parfois...
Cette vitalité perceptible à l'écoute de ces chansons se confirmera sur scéne lors du sémillant "bluesymental tour".
Hubert semblait juguler ses démons intérieurs pour laisser place à un apaisement déjà entrevu sur les 2 albums précédents mais somme toute aléatoire pour qui savait débusquer au détour d'un vers, ces meurtissures jamais cicatrisées.
Et c'est avec plaisir et émotion que j'assistais en 1994 à la remise du disque d'or lié à cet album par Foulquier lors des Francofolies à HFT.S'ensuivit une ovation méritée et immensément chaleureuse qui accompagnera cette récompense devenue ...habituelle.
Amitiés

Écrit par : alfana | 16/06/2009

C'est le premier album que nous avons eu en original... offert par notre oncle Jean Jacques, que certain d'entre vous on rencontré a la reunion HFT de 2007...

c'est avec cet album que j'ai pris conscience que les textes de Thiefaine etaient pleins de sens... Avant ca, je faisais parti des fans d'Hubert qui l'apreciaient parce qu'il chantait des conneries (en français). Et puis avec les chroniques, ben tu te dis qu'il faut peut etre chercher plus loin que la LFDCDJ... la, tu passes a un autre stade dans ton statut de fan...



Sinon, ben ce reste un de mes 15 albums preferé...

Le premier album post Mairet, ben on a beau etre fan de la periode Mairet, de ses compositions et de ses arrangements, on est pas deçu, ou alors faut etre tres difficile... Thiefaine est d retour a 100% a la composition et franchement, il se demmerde pas mal le pere Felix, la musique colle parfaitement avec les textes...

les textes dont je retiens :

Les charognards titubent au-dessus des couveuses
Et croassent de lugubres et funèbres berceuses

Dans les ruines de l'école où brûle un tableau noir
Une craie s'est brisée en écrivant espoir

Beyrouth aéroport ou Mozambic city
Le sang des tout-petits coule aux surprises-parties

Pendant qu'un Abraham ivre de sacrifices
Offre à son dieu vengeur les sanglots de son fils

Mais l'ovule qui s'accroche au ventre de la femme
A déjà mis son casque et sorti son lance-flamme


J't'ai connu par erreur aux heures des fins d'parties

Mais quand j't'ai vu marcher à côté de tes rangers
En pleine éclipse mentale et mouillant tes Pampers

Et tes yeux révulsés contemplant le chaos
De ton crâne émoussé bouffé par ton ego

Je t'ai revu plus tard en pénible bavard
Quand tu polémiquais, Mickey des lupanars
J'étais mort en voyant la cour d'admirateurs
Qui venaient respirer tes ignobles vapeurs

Et puis tu as rompu avec tous les miroirs
Qui auraient pu t'émouvoir d'un éclair transitoire
Et t'es mort vieux cafard sans chercher d'alibi
Juste en puant du groin, du coeur et des branchies

D'ivresse en arrogance
Je reste et je survis
Sans doute par élégance
Peut-être par courtoisie
Mais j'devrais me cacher
Et parler à personne
Et ne plus fréquenter
Les miroirs autochtones


Enfin seuls


542 lunes et 7 jours environ
(en fait toute la chanson merite sa place ici...)



Je regarde passer les zumains de ma rue
Un peu comme on reluque au zoo les zébus

J'm'arracherais bien les yeux mais ce serait malveillance
Vu qu'j'ai déjà vendu mon cadavre à la science

Plus de mur à Berlin pour justifier ma honte
Quand je reviens bourré dans mes baskets en fonte
Et c'ui d'Jérusalem est trop loin du bistrot
Pour que j'm'y liquéfie en chagrin lacrymo

Chacun sa religion, chacun son parachute

J'écoute la mode en boîte sur mon ghetto-blaster
Dans le joyeux ronron quotidien des horreurs
Pas la peine de s'en faire il suffit d'oublier
Demain je s'rai funky, rastaquouère et blindé


Portrait de femme en 1922
(tout pareil que 542...)


Misty dog in love
(tout pareil que portrait...)
tout pareil que toi Cath bla bla bla cris d'amour bla bla erotique...

Clichés de poubelles renversées
Dans la neige au gris jaunissant
Où un vieux clébard estropié
R'niffle un tampon sanguinolant

Voici la crèche municipale
Sous son badigeon de cambouis
Où les générations foetales
Venaient s'initier à l'ennui

Voici la statue du grand homme
Sous le spectre des marronniers
Où l'on croqua la première pomme
D'une quelconque vipère en acné

Et voici les murs du lycée
Où t'as vomi toutes tes quatre heures
En essayant d'imaginer
Un truc pour t'arracher le coeur

Un camion passe sur la rocade
Et le vent du Nord se réveille
Mais faut pas rêver d'une tornade
Ici les jours sont tous pareils



a part Portrait de femme, je les ai toute deja entendu en concert... Donc Hubert, si tu passes par la, prends en bonne note...


Pour Pogo sur la deadline, Sam m'a dit un jour que cette chanson s'adressait a un certain Serge Gainsbourg... mais je ne sais pas où il a entendu ça mais ca colle assez bien avec le personnage...

Par contre, si quelqu'un peu m'expliquer le rapport entre Un automne à Tanger et l'homosexualité... Enfin moi, je suis peut etre un peu bete, mais je ne vois pas...

Voila... c'est tout...

Écrit par : 655321 | 20/06/2009

A priori il semblerait que cette magnifique chanson ait été inspirée par l'écrivain Paul Bowles auteur notamment de "un thé au Sahara".Attention ce que j'exprime ici reléve du domaine de l'hypothése car je ne prétends pas me substituer à l'intimité originelle créatrice de cette émouvante mélopée.
Or,il s'avére que Hubert affectionne particuliérement la littérature américaine et plus précisément les écrivains issus ou fils de la "beat génération" (Jack Kérouac,Faulkner,Jim Harrison entre autres).
Paul Bowles faisait partie de cette famille où la route ,le voyage,les interrogations intérieures débouchaient souvent sur des corollaires néfastes voire insoutenables qui ne devaient pas rester sans effet sur une nature aussi sensible que celle d'Hubert .
Ainsi je subodore qu'"un Automne à Tanger" incarne l'hommage d'un poéte à un écrivain qui s'est justement établi à Tanger de longues décennies et dont la vie sensuelle (voire plus ?) a connu les affres de plaisirs troubles et ambigus; évoquant par cet angle là l'amitié suspectée d'Amour de Hadrien et de son protégé Antinous brisé par la noyade de ce dernier.
C'est ainsi qu'on peut mieux appréhender le sous titre ("Antinous Nostalgie"),quant à "l'automne",Paul Bowles étant mort en novembre 1999...
Quoiqu'il en soit magnifique chanson...Respect !

Écrit par : alfana | 22/06/2009

Ma justification de l'"automne" vient d'etre "pulvérisée" par un argument sans appel :Paul Bowles ne mourra qu'en 1999 soit 8 ans aprés la sortie de "chroniques bleusymentales" donc il ne s'agissait pas d'un hommage posthume se référant à la saison fatale de Bowles.Donc fausse piste...

Écrit par : alfana | 22/06/2009

Je sais ,j'insiste mais je ne lache pas facilement le morceau quand il s'agit d'interpreter au plus prés de la Vérité créatrice originelle un texte de Thiéfaine...
En fait je suis tombé sur une lettre de Bowles décrivant sa rencontre à Tanger avec Burroughs ("le festin nu"). Ce texte commence ainsi "...lui,il marchait sous la pluie...",ça rappelle quelque chose n'est-ce pas ?
Cette rencontre s'est produite en 1953 ,était-ce l'automne je n'en sais rien par contre leur écriture brute et tourmentée confirme cette auto-destruction complaisante que l'on retrouve dans les vers de "un automne à Tanger".
Cette ponctuelle amitié a t elle débouché sur une relation homosexuelle,probable mais non avérée ce qui est sùr c'est que ces 2 "goélands" n'étaient pas insensibles aux fastes des amours masculines...avec en filigrane son parfum de scandales accompagnant ces "débauches"... D'où les allusions homosexuelles que Thiéfaine revendiquait notamment lors de la tournée en solitaire pour se justifier d'une prétendue homophobie dont certains le soupçonnaient suite à de mauvaises interprétations voire compréhensions de "talking" (excusez pour le terme anglais mais difficile de trouver un équivalent dans notre vocabulaire français) qui ne se veulent jamais consensuelles!
Une dérnière pensée de Burroughs qui aurait bien matérialisé un avant -propos de "séquelles":
"nous savons maintenant que réver est une nécessité biologique.Je pense que c'est ce que font les artistes,ils revent pour les autres."
Bonnes vacances à tous et salut fraternel à Fred 06.

Écrit par : alfana | 03/07/2009

Merci pour ces précisions, Alfana ! Tu as raison d'insister, et ce que tu viens écrire ici est toujours passionnant. "Lui, il marchait sous la pluie", cela rappelle effectivement quelque chose. Où as-tu trouvé cette lettre ? J'aimerais bien la lire dans son intégralité.

Écrit par : Katell | 04/07/2009

Concernant un automne à Tanger, j'ai été guidé vers la piste Bowls et Burrowh également. Mais quand à savoir où et par qui, c'est un mystère !!! Du côté de chez Foxy, ou vers le site d'Amnésik, où encore ailleurs, au gré de mes trop rares balades thiéfainesques...

Écrit par : Tommie | 08/08/2009

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