Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/11/2010

"A contempler la noïlle dans les yeux des passants"...

La pensée du jour : "Le téléphone, encore. Ce matin quelqu'un m'appelle, quelqu'un qui me parle de lectures, je ne comprends pas bien, j'écoute, je laisse aller et d'un seul coup je me dis qu'il faut abréger cette conversation, que tu risques de m'appeler comme tu le fais, n'importe quand, pour me demander n'importe quoi, je ne voudrais surtout pas que tu te heurtes au refus de la sonnerie, très vite je raccroche et il me faut encore quelques secondes pour comprendre que tu es morte et que tu ne m'appelleras plus". Christian BOBIN.

 

 

Aujourd'hui, j'ai un invité de marque sur mon blog : Yannig ! Il poste ici parfois des commentaires (toujours très intéressants). Suite à la question d'Hervé concernant le mot "noïlle", il a fait des recherches et nous les a livrées sur Facebook. Il m'a donné l'autorisation de faire un copier-coller pour mon Cabaret. Voici donc...

 

 

Notes sur le mot « Noille », ou variations sur un Nocturne de Thiéfaine

 

            Suite à la question d’Hervé sur le sens du mot « Noille » dans Cabaret Sainte Lilith, j’ai eu envie de me pencher un peu sur ce mot, ne me contentant pas du lien d’Arnaud qui donne une réponse certes juste, mais qui me laisse un peu sur ma faim.

            Si le ...sens du mot (Noille = Nuit, en argot) ne pose pas problème, j’ai eu envie d’en savoir un peu plus… même si je n’ai pas trouvé toute les réponses que je cherchais.

 

            Pour m’amuser, j’ai décidé de ne pas utiliser l’internet pour mes recherches… et de me contenter des dictionnaires que j’ai sous la main. Les dicos virtuels, c’est sympa, mais y’a des tas de lexicographes, passionnés et acharnés, qui font un travail énorme et remarquable, donc j’achète leurs bouquins parce qu’il faut bien qu’ils bouffent… et vu le volume des dicos, ça fait aussi travailler les fabricants de meubles. Etant socialement improductif, il faut bien que je participe d’une manière ou d’une autre à l’économie de ce pays, non ?

            Bref, première remarque, le mot Noille est absent de tous les dictionnaires généralistes, du moins ceux que j’ai ouverts, quelle que soit leur taille ou leur époque. (J’aurais bien aimé jeter un œil au Grand Robert, mais je ne me le suis pas encore offert, celui-là). Le mot est donc exclusivement argotique… puisqu’il semble refuser de déborder hors du cadre de l’argot.

 

            On le trouve néanmoins dans les bons dictionnaires de synonymes, et dans les bons dictionnaires de rimes. (Pour ma part j’utilise pour les synonymes celui d’Henri Berthaud du Chazaud chez Gallimard, collection Quarto, et pour les rimes celui d’Armel Louis, chez Le Robert, collection Les usuels, c’est ce qu’on fait de mieux dans ces domaines).

 

            Du côté des spécialistes, il y a ceux qui font l’impasse sur le terme : Dictionnaire d’argot (de jules Vallès) ; L’argot chez les vrais de vrai (d’Auguste Le Breton) ; Le guide du français familier (de Claude Duneton).

 

            Viennent ceux qui font dans le court, bref et concis, ça m’avance guère plus, même si c’est suffisant pour comprendre le terme.

            Le dictionnaire argotique des trucs, des bidules et des machins, de Robert Gordienne me donne : Noille ou Noye n.f. – Désigne la nuit.

            A peine mieux pour le dictionnaire du français argotique et populaire de François Caradec qui me donne certes une forme de plus (Neuille), mais qui est tout aussi laconique : Noille, Noye ou Neuille n.f. Nuit.

            (À noter qu’une nouvelle édition revue et corrigée de cet ouvrage est parue en 2009, cette fois-ci cosigné par F.Caradec et J.-B.Pouy, n’ayant pas cette nouvelle version de l’ouvrage, j’ignore ce qu’il y a dedans à l’entrée « Noille », cette précision n’étant là que pour le plaisir d’évoquer Jean-Bernard Pouy qui est un écrivain que j’aime beaucoup)

 

            Je sors mes dernières cartouches ? Pour commencer, un ouvrage que j’aime bien, quoiqu’un peu daté et qui mériterait une réactualisation, mais dans lequel je puise toujours avec plaisir au breuvage des mots. Ecrit par Jacques Cellard et Alain Rey (j’aime beaucoup ce dernier), il s’agit du dictionnaire du français non conventionnel.

            Noïe, n.f. (noye) : Nuit.

            (Avant d’aller plus loin, je précise qu’avant le mot Nuit, il y a un petit sigle qui signifie que le mot est absent du français conventionnel, mais on l’avait remarqué par sa brillante absence dans les dictionnaires généralistes, à noter l’absence ici de la forme Noille qu’emploie Thiéfaine.)

            Suit deux citations, et enfin quelques infos sur le mot, et une dernière citation :

-         Toi, gras du ventre, dit Fouillard à Bouffioux, tu coucheras là-haut, dans la soupente. Comme j’couche juste en dessous, tu feras attention de n’pas m’tomber dessus au milieu d’la noïe, les souliers sur la gueule, j’ai l’sommeil léger. (R.Dorgelès, Les Croix de bois, p.14).

-         Comme, pourtant, il faut que je passe la noye quelque part, j’entre dans un bazar, j’achète une petite valise en carton gaufré et je descends dans un modeste hôtel près du Parlement. (San-Antonio, Au suivant de ces Messieurs, p.31).

            Hist. – 1890. A cette forme dialectale de nuit, il convient d’ajouter neuil, neuille, bien attestés.

-         L’autre, tout de suite après, il veut son sucre, la moitié de la neuil, tu l’entends croquer. (A.Boudard, La Cerise, p.117).

 

            Pour finir, je sors Le dictionnaire de l’argot français et de ses origine par Jean-Paul Colin, Jean-Pierre Mével et Christian Leclère (chez Larousse) (Il s’agit d’une réécriture du Dictionnaire historique des argots français de Gaston Esnault, paru chez Larousse en 1965).

            Noille, noïe, noye ou neuille ; n.f ; Nuit.

-         Fréhel crèche chez une copine du côté de Montmartre. Mais pour la noille on lui a découvert une piaule dans le secteur. (J.Yonnet, Rue des maléfices, 1954)

-         Y avait des crouïas qui, pendant la noïe, venaient faucher des matériaux. (M.Grancher)

-         Tu m’as tiré du paje à trois plombes de la noye. (L.Malet, Sueur aux tripes, 1947)

-         Les copains de la neuille / Les frangins de la « nights » / Ceux qu’on l’portefeuille / Plus ou moins « all right ». (L.Ferré, Poètes vos papiers, 1956).

            Synonyme : Sorgue.

            Etymologie : Forme dialectale de nuit. Noille et noïe, 1901 (d’après A.Bruant : L’argot au XXe siècle, dictionnaire français-argot) ; noye, 1947 (in L.Malet, Sueur aux tripes) ; neuille, 1889 (d’après G.Esnault, dictionnaire historique des argots).

 

            Cette fois j’ai fait le tour. Le dernier dictionnaire cité, est à mon avis, Le dictionnaire de référence pour ce qui est de l’argot… et j’aurai très bien pu commencer par celui-là, ce qui m’aurait fait gagner du temps ; sauf que !

            Sauf qu’il me semble que l’absence d’un mot dans un dictionnaire donné est déjà en soit une information sur le mot. Un mot présent dans tous les dictionnaires, ce n’est pas tout à fait pareil qu’un mot présent dans seulement la moitié des dicos, ou dans seulement un ouvrage sur dix ! De même qu’il est parfois intéressant de consulter des dictionnaires de différentes époques, certains mots étant présents dans de tout petits dictionnaires de 1900, et ayant disparu de gros ouvrages de 2000.

 

            Bref, je reviens à notre Noille. C’est amusant, l’autre jour j’évoquais les occurrences du mot Soleil dans l’œuvre d’Hubert… aujourd’hui on passe à son opposé, la nuit… thème réccurent chez Thiéfaine. Chez Ferré aussi d’ailleurs… chez beaucoup d’artistes en fait. Pour ce qui est du mot Noille, on nous dit que c’est une forme dialectale… j’aurai aimé en savoir plus… et en particulier d’où ? et en très particulier, la forme existe-t-elle dans le Jura ? Il serait intéressant de savoir si Hubert puise le terme dans le lexique argotique ou régional, dans la mesure où les réminiscences de ses origines semblent assez rares dans ses œuvres, hormis dans la cancoillotte, mais bon, hein ! La datation du terme est intéressante aussi (grosso modo fin XIXe / début XXe selon les formes), elle montre qu’Hubert puisse son lexique aussi bien dans un argot ancien, (je serais tenté de dire argot classique, ou argot traditionnel), que dans un argot contemporain de celui de l’écriture des chansons (je pense entre autre à la « Go » d’Abdallah, à ce propos, des recherches sur ce dernier mot m’ont réservé quelques surprises…). J’aime beaucoup cette façon qu’a Hubert de puiser dans tout les champs lexicaux : on y trouve des mots argotiques, techniques, didactiques, médicaux, enfantins, courants, marchants, marchands, étrangers, … &c. , et j’aime assez voir ainsi se côtoyer des mots qui n’auraient théoriquement jamais dû se rencontrer, venant de mondes qui s’ignorent…

 

            J’aurais aimé savoir aussi comment s’est fait le glissement de Nuit à Noille/Neuille. Les formes dialectales étant parfois des formes résiduelles de formes françaises plus anciennes, j’ai jeté un œil dans cette direction, mais ce n’est guère probant. La forme Nuit semblant très ancienne. Mon dico de moyen français me donne déjà la forme « Nuit », en concurrence avec la forme « Nuict ». Mon dico d’ancien français me donne aussi la forme « Nuit » en concurrence avec la forme « Noit ». « Noit » se rapprocherai-il de la forme « Noie » qu’on trouve sur le lien d’Arnaud ?

 

            Une dernière remarque, la Noille est absente de « Comment tu tchaches ! Dictionnaire du français contemporain des cités, de Jean-Pierre Goudaillier ». Je précise ceci, car le langage des cités puise dans tous les autres argots (français et étranger), et j’aime bien voir comment parfois certains mots arrivent à survivre en glissant d’un groupe de locuteurs à un autre. Je me demande même si certains mots n’auraient pas été sauvés par les cités ? Mais bon, pas Noille.

 

            Je récapitule les différentes formes trouvées (y compris celles du liens d’Arnaud) : Neuil, Neuille, Noie, Noïe, Noille, Noïlle, Noye. Personnellement, j’utilise neuille.

 

            Pour complément d’information, il existe en argot deux autres vocables pour désigner la nuit.

1)      Sorgue. Une chanson de Léo Ferré s’appelle la sorgue. Un mot que j’aime bien, qui sonne comme une friandise sur la langue, et aux dérivés délicieux : Sorgueur = voleur qui opère la nuit, Sorguage = nuitée d’amour, et Sorgabon = Bonne nuit, verlan de Bon Sorgue.

2)      Borgnio. Et ses variantes : Borgnon, Borgnot, seuls termes argotiques désignant la nuit qui soient masculins. Il existe aussi, au féminin, la variante Borgne.

 

            Ben voilà, avec tout ça, v’là-t’y-pas que la nuit tombe ! Et au passage j’ai appris l’existence du mot Borgnio (et ses variantes), donc dans l’affaire j’suis gagnant !!!

 

            P.S. Borgnio n’a rien à voir avec Borniol.

 

Buenas Noches, Jo… et les autres.

 

 

 

Commentaires

Merci à toi yannig pour tous ces renseignements et tant mieux si tu estimes être gagnant après un tel travail de recherche.
Tout d'abord, petit commentaire perso, c'est une chose que tu évoques qui m'a toujours séduit chez Hubert, c'est la diversité des origines de son vocabulaire; scientifique, médical, historique, littéraire, etc...
Il n'y a visiblement pas de barrière de langage qui serait due à une évolution trop longue dans un milieu trop fermé. vive l'éclectisme!!!

Ensuite, pour donner une petite piste de recherche supplémentaire à ton travail, dans le sens du régionnalisme du terme j'ai peut être quelque chose. J'ai, je crois souvent entendu mes parents me dire lors du coucher lorsque j'étais enfant :"bonne noï" ou "bonne neï"
bien sur, ce que je dis là est phonétique.
(Je suis béarnais d'origine, émigré en Bretagne. )
L'origine du béarnais, je crois que c'est l'occitant, langue commune à tous les dialectes du sud de la france et même un peu d'espagne.
Donc, soit mes parents utilisaient l'argot sans le savoir pour m'expédier au lit, soit c'était comme c'est souvent le cas l'utilisation courante dans le sud ouest d'un mot venant de l'occitant et qui est passé dans le langage courant.
je pourrai demander à ma mère, qui, sur le tard, à fait quelques études d'occitant si le terme lui dit quelque chose.elle à surement un dico d'occitant.
à suivre...

Écrit par : hervé | 25/11/2010

Re bonsoir, juste après avoir écrit mon petit mot précédent, j'ai tapé dans la barre de recherche du navigateur orange LA NEUILLE, juste comme ça pour voir.
Et bien, bonne pioche car je suis tombé direct sur le site de l'INA avec une video de Ferré chantant "la neuille" et marchant dans montmartre.
Avis aux amateurs.
Je crois que l'on peut faire des liens automatiques pour ce genre de choses mais je suis une néo-burne dans le domaine.désolé.

Écrit par : herve | 25/11/2010

Rien à voir avec le sujet.
Juste un lien http://ce-soir-ou-jamais.france3.fr/?page=archives où Higelin intervient à la 28'40'' ds la revue de presse "Cantona contre les banques" et reste présent et intervenant sur les sujets suivants.

Écrit par : brigitte | 26/11/2010

salut,
c'est pas sympa de frimer avec un lien juste après que j'ai dit que je savais pas encore faire... ;-)
merci quand même.
d'autre part, en rangeant des trucs, j'ai retrouvé une photo d'Hubert et Paul Personne sur scène au festival du bout du monde.
Elle est bien sur de piètre qualité (téléphone) mais je peux quand même la faire passer si ça intéresse quelqu'un.

Écrit par : herve | 26/11/2010

Les commentaires sont fermés.