19/03/2011
Anna Akhmatova (Requiem)
La pensée du jour : "Chercher encore des mots
Qui disent quelque chose
Là où l'on cherche les gens
Qui ne disent plus rien
Trouver encore des mots
Qui savent dire quelque chose
Là où l'on trouve des gens
Qui ne disent plus rien".
Erich FRIED
Pendant quelques semaines, je vais vous proposer ici des poèmes d'Anna Akhmatova. Ils sont tous extraits de Requiem. Comme ce recueil n'est pas très épais, je vous en mettrai l'intégralité ici. Bonne lecture ! Et merci à HFT de m'avoir fait découvrir cette poétesse !
Non, je n'étais pas sous un ciel étranger
Ni réfugiée sous une aile étrangère,
J'étais alors aux côtés de mon peuple,
Là où pour son malheur mon peuple se trouvait.
1961
EN GUISE DE PREFACE
Au cours des années terribles du règne de Iéjov*, j'ai passé dix-sept mois à faire la queue devant les prisons de Leningrad. Une fois, quelqu'un m'a pour ainsi dire « reconnue ». Ce jour-là, une femme qui attendait derrière moi, une femme aux lèvres bleuies qui n'avait bien sûr jamais entendu mon nom, a soudain émergé de cette torpeur dont nous étions tous la proie et m'a demandé à l'oreille (là-bas, tout le monde parlait à voix basse) :
-Et ça, vous pouvez le décrire ?
Je lui ai répondu :
-Je peux.
Alors un semblant de sourire a effleuré ce qui avait été autrefois un visage.
1er avril 1957
Leningrad
*Chef du NKVD de septembre 1936 à juillet 1938.
Un petit extrait de la préface de ce recueil (une préface signée Sophie Benech) :
Le Requiem est un livre unique : Akhmatova, l'un des plus grands poètes russes du XXème siècle, a composé ces poèmes en Union Soviétique, au plus fort de la Terreur stalinienne, sans même oser les confier au papier. Son premier mari avait été fusillé, son fils était arrêté, et plusieurs de ses amis proches allaient périr dans les camps. Pas une famille autour d'elle qui n'eût été touchée par les répressions.
Ces poèmes parlent de ce qu'elle vivait alors : l'attente devant les prisons pour porter des colis, la douleur d'une mère à qui l'on a pris son fils, et cette angoisse, cette peur humiliante qui ont pesé pendant plus d'un demi-siècle sur un pays entier.
Les mots sont simples et nus, la langue est sobre, parfois laconique, les sensations ténues trahissent des émotions profondes; et la voix est si limpide qu'elle semble s'effacer pour devenir celle de tout un peuple : Akhmatova est ici la dépositaire d'une souffrance qui la dépasse, emportée par le flux ample et majestueux de ce Requiem dédié à toutes les victimes du régime communiste.
Le poète Iossif Brodski, qui deviendra son ami à la fin de sa vie et dont elle admirait le talent, lui rendra plus tard hommage depuis son exil aux Etats-Unis :
Par-delà l'océan, sois saluée, grande âme,
Pour avoir eu ces mots, et salut à tes cendres
Dormant en terre natale, là où par ton bienfait
Fut doté de parole un monde sourd-muet.
10:15 | Lien permanent | Commentaires (0)
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