29/01/2012
Extrait de chanson magazine n°14 (suite de l'interview)
La pensée du jour : "On est et on demeure esclave aussi longtemps que l'on n'est pas guéri de la manie d'espérer". CIORAN
Suite de l'interview, donc :
Quelles sont les raisons de ton silence obstiné face aux média ?
Disons que mes relations avec les média font partie des choses qui ne m'intéressent pas.
Ton refus de faire toute promotion...
Je ne le refuse pas complètement. La preuve c'est que je suis là.
Tu te sens proche d'un mec comme Manset ?
Par la discrétion sans doute. Je suis comme lui du Crabe, et même ascendant crabe. Planeur, introverti... Le mieux pour un cancérien, c'est qu'on lui foute la paix !
Ça veut dire que tu regrettes d'avoir fait certaines choses comme « Les enfants du rock » l'an dernier ?
Non, je l'ai fait, je l'ai fait. J'ai tendance à devenir amnésique quand ça m'arrange. Le seul regret vis-à-vis de cette émission, c'est d'avoir laissé les types de la télé saccager notre son de scène... Et puis ces interviews dont les questions étaient coupées, ça ne voulait plus rien dire ! Bon, passons !
Ces pochettes de disques où l'on ne te voit jamais, ces télés où tu ne fous jamais les pieds, c'est une envie de rester inconnu ?
Comme disait ma grand-mère en 1922, pour vivre heureux, vivons cachés... C'est une façon de jouer à cache-cache. Une façon aussi de suivre ma propre nature. Je l'ai déjà dit, dans la vie, je suis un mec relativement discret.
Ça veut dire quoi pour toi, « arriver » dans ce métier ?
Ah ! Tu vois, je ris ! Arriver où ? Arriver à quoi ? C'est complètement dérisoire. Je ne me suis jamais dit : « Putain ! Je suis arrivé ! » Attention, je ne nie pas le plaisir narcissique que j'éprouve à jouer devant un public nombreux. N'oublie pas que j'ai commencé avec cinq spectateurs ! Faut pas déconner non plus : c'est toujours plus intéressant de réussir dans son truc que de perdre. Seulement, ça ne résout pas tout. C'est pas vraiment la panacée.
Mais quand tu étais devant cinq spectateurs, ton but était d'arriver à 3000 ?
Non, c'était surtout d'arriver à en vivre et sortir de la dèche. Et puis aussi de corriger mes défauts. Je sentais très bien que j'en étais encore à une phase brouillon et qu'il me fallait bosser !
Sur ton dernier disque, certaines chansons proposent des images plus immédiates parfois, qu'avant...
D'une façon générale, j'essaie d'être plus simple ! Alors ça se ressent aussi dans ma façon d'écrire ! Souvent quand je commence une chanson, je pars en écriture automatique, ce qui me donne des associations d'images assez jolies mais pas toujours très compréhensibles. Alors, dans un deuxième temps, j'analyse et je corrige en réorganisant le tout pour que ce soit logique. Je crois qu'aujourd'hui je contrôle de mieux en mieux cette phase. Depuis Dernières balises, mes images sont de plus en plus claires... Sauf évidemment pour les amateurs de « reader digest » qui m'ont définitivement classé chez les hermétiques.
On a l'impression que cet album reste dans la même « veine » que les deux précédents. Or la dernière fois, tu m'avais dit que tu pensais « sortir du noir »... (voir Chanson n°4).
Il ne faut pas toujours m'écouter... Je dis beaucoup de conneries ! Je crois qu'à cette époque, je me faisais beaucoup d'illusions. Je prenais souvent mes rêves pour des réalités. Sortir du noir pour moi, c'était imaginer les terriens pleinement heureux, intelligents, brillants... Hé oui ! Je suis naïf ! Aujourd'hui je me force à moins planer et à côtoyer un peu plus fréquemment le réel – ce qui ne veut pas dire que je ne rêve plus. J'aime bien ma naïveté. Pour répondre à ta question, il y a quelques années, j'avais fait une sorte de plan : je vais faire ça, puis ça et ça. En fait, ça s'est passé autrement. Personnellement je ne trouve pas cet album vraiment noir. Tout dépend de ce qu'on appelle noir !
C'était quoi « faire ça » ?
C'était une trilogie. Partant de Dernières balises, qui est quelque chose d'assez sordide et souterrain, je voulais parvenir en trois albums à la big montagne nietzschéenne. C'était retrouver « les fous dansant sur la colline » dont parle Jim Morrison dans un de ses poèmes. Mais j'ai perdu la foi en cours de route. Je n'aime plus les prophètes.
Et cette fameuse énergie dont tu me parlais ?
Je fais confiance à mon instinct de survie. Il est plus fort que je le pensais. C'est là où je mets mon énergie.
Tu me dis que cet album est moins noir, et tu as pourtant une position plus « dure »...
Je ne cherche pas à faire des disques plus noirs, moins noirs, plus blancs, ou en couleurs... J'essaie seulement de suivre mon inspiration du moment. Je fais les choses intuitivement, je ne suis pas toujours à me torturer les méninges !
Est-ce que ta démarche est de détruire toute illusion pour ne pas être déçu ?
Non, ce n'est pas ça. Ce serait plutôt le refus de me charger inutilement. Ce n'est pas la question d'avoir peur d'être déçu, mais seulement de garder l'esprit disponible. Et puis le vrai problème n'est pas là... On ne peut pas tout expliquer non plus.
Il y a quelque chose dont tu es sûr ?
Oui. La nature, l'amour et la connerie humaine.
Cela me plaît de finir sur ces mots aujourd'hui ! Décidément, cette interview est formidable. Il y a là tout Thiéfaine, son auto-dérision ("Il ne faut pas toujours m'écouter... Je dis beaucoup de conneries !"), son refus de se lancer, au sujet de ses oeuvres, dans des explications de texte kilométriques, sa grande culture aussi.
"Comme disait ma grand-mère en 1922" me fait forcément penser à une chanson qui viendra plus tard ("Portrait de femme en 1922").
Si, parmi vous, quelqu'un a le poème de Jim Morrison dans lequel il est question des "fous dansant sur la colline", je veux bien qu'il le mette dans les commentaires ou me l'envoie.
12:20 | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Merci à toi Katell pour ton altruisme consistant à alimenter ton blog de riches notes,commentaires et archives.Cette interview de HFT est intéressante à plus d'un titre et notamment sur le coté prémonitoire de sa fin de collaboration avec
Mairet.
Pour te témoigner un peu de gratitude,extrait de "seigneurs et nouvelles créatures" de Jim Morrison:
Il n'y a plus de "danseurs",les possédés.
La division des hommes en acteurs et spectateurs est le fait central de notre temps.Nous sommes obsédés par des héros qui vivent pour nous et que nous punissons.Si toutes les radios et télévision étaient privées de leurs sources de pouvoir,tous les livres et tableaux brulés demain,tous spectacles et cinémas fermés,tous les arts de vie par procuration...
Nous nous contentons du "donné" dans la quete des sensations.Nous avons été métamorphosés d'un corps fou dansant sur les collines en une paire d'yeux fixant le noir."
Enfin je rejoins les bonnes appréciations issues de "thé ou café" .Beaucoup de pudeur et de retenue dans l'échange Ceylia-HFT et des confidences qui en disent long sur la richesse du personnage (sur la solitude,les récompenses à accepter si on ne veut pas passer pour le fieffé prétentieux,sur la politique etc...).
Toujours frustrant quand une émission avec HFT se termine,surtout que des questionnaires avaient été prévus pour les téléspectateurs et qu'il se trouve que votre serviteur avait rédigé quelques questions...pas grave !
Bien à vous
Alfana
Écrit par : alfana | 29/01/2012
Excellente interview! Ce serait chouette de trouver celle évoqué dans le Chanson n°4!
Quant à Morrison, Alfana m'a devancé!
Écrit par : Monsieur Müller | 29/01/2012
Zut...évoquée!
Écrit par : Monsieur Müller | 29/01/2012
" Le mieux pour un cancérien, c'est qu'on lui foute la paix ! "
Je confirme, parole de cancérienne (mais ascendant verseau) !
Pour Thé ou café, j'ai subi le martyre : trois heures de visionnage poussif avec ma connexion campagnarde minable, pour arriver à une coupure aussi subite que définitive au moment où je commençais à trouver l'itw intéressante (un peu après la balade dans Paris qui était déjà sympa). Je ne sais pas si j'aurai le courage de recommencer...
Écrit par : Aska | 30/01/2012
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