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27/06/2012

Suite de l'article paru dans Chanson magazine en 1983

La pensée du jour : "Où trouver le temps de lire ? Grave problème. Qui n'en est pas un. Dès que se pose la question du temps de lire, c'est que l'envie n'y est pas. Car, à y regarder de plus près, personne n'a jamais le temps de lire. Ni les petits, ni les ados, ni les grands. La vie est une entrave perpétuelle à la lecture". Daniel PENNAC

 

 

Tournée Thiéfaine en direct

 

Oui, Thiéfaine « bourre » partout. Et se déplace en grande équipée. J'ai pu le constater en me joignant pendant quelques jours à la tournée, suite proposition d'Hubert. « Suis-nous quelques jours et tu verras ». Ne pas me le répéter deux fois ! Tayo, Tayo ! La vie d'artiste en quatre jours !

 

Les quatre jours achevés, je ne viendrai pas vous raconter que j'ai tout compris. Sûre d'une chose peut-être, c'est qu'il ne faut pas trop fabuler, et que la vie d'artiste n'est pas la vie de rêve qu'on veut trop faire croire. C'est de la vie, simplement. Une vie de groupe avec ses tensions et ses fous rires, une vie en vase clos, hors du temps, du monde qu'on croise à contretemps.

 

Premier jour, direction Lille. J'embarque dans un dodge somptueux avec les six musiciens. Ils ont tous dans les pattes trente et un concerts en trente trois jours (à part Alain Doueb le percussionniste arrivé seulement pour l'Olympia mais qui doit se remettre d'avoir dû mémoriser vingt-quatre morceaux en trois jours) et une semaine d'Olympia. Pas mécontents de repartir immédiatement après, les charentaises, c'est pas pour eux. Et puis, quoi, ne pas perdre le rythme angélique des tournées : route, concert, route !... Boutade d'Hubert alors que j'essaie de calculer le temps de vacances nécessaires pour récupérer. Deux mois ? « Non, vingt ans » !

 

Levés en début d'après-midi, couchés au petit matin. Route. Trouver l'hôtel inexorablement en bordure d'autoroute, tous identiques. Trouver la salle. Tout est fonction et tourne autour des deux heures de spectacle. Pour la vie de rêve, il faudrait pouvoir ôter fatigue et tension. (Ça carbure sec au café !) Et quelque soit son « état », réussir à être disponible tous les soirs, « donner ». Vous avez, vous, tous les soirs envie d'offrir quelque chose ?

 

La tournée de Thiéfaine n'a sans doute rien de plus extraordinaire qu'une autre. Mais y souffle un «  vent de chaleur humaine » comme me dit un technicien, pas souvent perceptible ailleurs.

 

16 h 30. Arrivée à la salle « St-Sauveur » à Lille. Et une salle de sports, une ! Brève admiration des vestiaires dits « loges ». Dans la salle, deux panneaux lumineux affichent « Visiteurs/ Lille ». Tout le matériel est déjà installé. A dix mètres de haut, allongé sur une poutrelle, un technicien règle la direction des projos tandis que Serge Perod à la console lumière en fond de salle, doit sûrement lui raconter des histoires bizarres dans le casque. Chacun s'affaire dans son coin. Dans les loges, on change les cordes des guitares. Zem susurre inlassablement des « 2-2-1 » dans les micros. Chaque musicien fait sa balance et quand Hubert arrive, ils reprennent tout ça en chœur avec lui. Le son des synthés ne passe pas. On cavale pour régler ça en vitesse mais sans le moindre signe de panique.

 

Calme et efficacité des techniciens liés sans doute au climat de confiance qui règne. Pas vu Hubert une seule fois s'acharner sur un détail ou réclamer ceci ou cela. Silence, attend s'il y a un problème. Laisse chacun faire son boulot. Aucun risque, ici, d'entendre dire « C'est l'enfer, plus jamais je ne rebosserai avec lui ». L'équipe est soudée, fidèle.

 

Des techniciens qui, outre leur compétence, disposent d'un atout en or : la pêche en permanence ! Si avec Thiéfaine et les musiciens, la fatigue se ressent, créant parfois une ambiance un peu « apathique », elle ne semble guère les toucher. Premiers levés, partis, bossant de midi à deux heures du

 

matin et derniers couchés. Déconneurs de première... Pour la seule soirée « off », ils iront dérober malgré les cris hystériques de la réceptionniste, la télé couleur du hall de l'hôtel pour remplacer la leur en noir et blanc. Avec quelques musiciens, en se retrouvera à une dizaine dans une chambre pour regarder la « Dernière séance ». Pas triste !

 

Balance achevée, les sept technicos vont manger (un cuisinier suit la tournée avec sa camionnette). Dans la loge, silences et discussions s'entrecroisent. On sort les « costioumes de scène » ! Jason remporte haut la main le trophée des couleurs les plus criardes ! Gérard, qui assiste Tonv, annonce régulièrement « dans une heure », « vingt minutes », « dix minutes ». Top, partez ! Lampe de poche au poing, sourire parce qu'elle veut bien marcher, il guide le beau monde dans l'obscurité derrière le rideau noir.

 

Cris et piaffements dans la salle. On dirait qu'ils vont entrer sur un ring ! Sourires complices. Les loups sont lâchés. Musique. Magie...

 

Je rejoins Zem à la console scène. Brèves visites d'Hubert à qui l'on tend bouteille ou vitamines. Jason pète une corde, Paul, le batteur, manque de se casser la figure de son tabouret et perd en route une baguette. Jasper cavale et guette le moindre signe de détresse. Pas pour rien qu'il s'appelle SOS technique.

 

 

 

Où sont les miradors ?

 

Concert fini, repos ! Une heure après « à table ! ». Retour à l'hôtel. C'est la fête au genièvre, l'alcool du coin. Dodo cinq heures. On ne s'appesantit pas sur le concert du jour, on est déjà au lendemain. Hubert s'inquiète de l'état de la salle de Reims. Cette salle-là, toujours de sports, battra tous les records avec des tonnes de vitres inclinées à 45°, bonjour la résonance ! Se battre pour essayer de faire passer quelque chose alors que le son est irrémédiablement pourri et qu'une porte bat toutes les cinq minutes et éclaire toute la salle. Jouer dans une salle de sports, mais quel bonheur !

 

Dernier concert pour moi, Nancy : hall d'expo. Décor de tubulures en ferraille pour le plafond. Décor extérieur encore plus alléchant : bloc de béton en bord d'autoroute, entouré de grillages. « Où sont les miradors » demande Thiéfaine... Une table de ping-pong fera naître des exploits avant et après le spectacle. Sourires sur les lèvres. Autant déçus la veille à Reims, qu'heureux ce soir d'avoir pu offrir un beau concert.

 

24/06/2012

Encore un article paru dans le magazine Chanson

La pensée du jour : "Non. Pas de dérision. Surtout pas de dérision. Mais des mots qui seraient source d'énergie, donneraient le courage de ne pas sombrer, exalteraient les forces de vie, inciteraient ceux qui les accueillent à aller vers toujours plus de lucidité, de tolérance, de compassion". Charles JULIET

 

Je prends enfin le temps de vous faire signe ! Voici ce matin un autre article paru en 1983 dans le magazine Chanson, et envoyé une fois encore par M.D., que je remercie au passage !

 

 

 

Quand la rage et le désespoir deviennent énergie, ne pleurent plus mais griffent, mordent, soi-même, les autres, il est urgent d'aller fondre sa rage et ses impuissances dans les siennes, d'aller s'éclater dans ses concerts où le noir du désespoir et le rouge de l'ironie s'enchaînent dans un rock flamboyant et tonique...

 

Prenez dans la main gauche les trois premiers disques de Thiéfaine, les deux derniers dans la main droite (vous avez le droit d'inverser main gauche et main droite). Non, il ne s'agit pas de peser mais de regarder et d'écouter. Premier réflexe rapide, ça n'a pas la même gueule, ça ne sonne pas pareil, ça ne raconte pas vraiment les mêmes choses. La rupture est flagrante...

 

« Entre deux délires, deux idées noires »

 

Thiéfaine, le clown narquois, grimé, aux chansons où l'absurde et l'ironie s'aiment à la folie, où délire et humour sont rois (La vierge au dodge, L'ascenseur de 22 h 43), ne se retrouve plus du tout dans les deux derniers disques. Le pire, c'est que ça ne donne même pas envie de pleurer. Aucun regret à exprimer.

Le  « ch'est plus comme avant » geignard, on s'en balance! C'est plus pareil, mais qu'est-ce que ch'est beau !

 

Deuxième réflexe (moins rapide) : chercher des liens. On trouve la trace des angoisses dans les trois premiers LP. Un peu cachées mais déjà présentes :

« Orgie de silence et de propreté où celui qui aurait encore quelque chose à dire préfère se taire plutôt que d'avoir à utiliser leurs formulaires d'autorisation de délirer... Demain, nous reviendrons avec des revolvers au bout de nos yeux morts » (Autorisation de délirer).

 

Recourir dans l'autre sens, vers le quatrième et le cinquième pour retrouver une trace d'humour. « Il est bientôt minuit mais je fais beaucoup plus jeune » (Autoroutes jeudi d'automne).

 

Mais avec tout ça, je ne suis guère avancée. J'veux comprendre ! Que l'on puisse dépasser le cap de l'ironie, se détacher de cet atout-là pour fixer le noir dans les yeux, sérieusement, je ne peux pas y croire. Réponse fulgurante et convaincante d'Hubert, je m'incline.

 

« II y a des moments où tu ne peux plus rire. C'est pas la peine de vouloir se dire: on va rire de tout. Il y a certains moments où tu es carrément écorché dans un truc et c'est tout... Tu peux tout cacher derrière le rire, l'ironie. Jusqu'au jour où tu t'aperçois qu'en tournant tout en dérision, en riant de tout, tu tombes complètement. Il n'y a plus rien, parce que, quelque part, tu as tout détruit ».

 

Cette fameuse rupture entre le troisième et quatrième album, est également sensible à travers la musique. Les trois premiers suivaient des tracés classiques : bons vieux rocks, boogies, voire bourrées pour rigoler, avec un « son » plus folk que rock. Avec les suivants, le climat devient plus personnel, percutant et fort, du rock « léché » aux lignes mélodiques qui ont le faible don de s'installer dans vos oreilles pour ne plus vous quitter.

 

Responsable : un dénommé Claude Mairet. « Accusé levez-vous ! ». En fait, Claude reste tranquillement assis au bar à déguster son petit « déj », acceptant que je grignote son croissant. Evident qu'il tient un rôle principal dans l'affaire, avec, of course, Thiéfaine. Deux compères qui se sont connus sur les bancs de l'école, dans leur pays franc-comtois (je ne vous raconte pas l'accent détenu par presque toute « l'équipe » Thiéfaine).

 

Séparés quand l'un part délirer dans les cabarets parisiens, et l'autre s'amuse dans un groupe rock « Guidon Edmond et Clafoutis ». Absent du premier disque qu'il n'aimera pas, Claude se compromet à la guitare dans le second, arrange un morceau, puis deux pour le troisième. A partir de Dernières Balises, le voilà totalement arrangeur et même compositeur pour plus de la moitié des titres du dernier, dont les musiques de Lorelei et 713.105. Soleil Cherche Futur. « J'étais vraiment content de lui offrir ça un matin », tu parles ! Déclic. Collaboration fructueuse que reconnaît et approuve Tony Carbonare, arrangeur des trois premiers albums. Mettez Mairet et Carbonare sur un ring et repartez déçus ! Pas de match ni de luttes, apparents ou réels, puisque tous deux bossent toujours ensemble, Tony en tant que « manager ». Il a automatiquement interrompu son rôle d'interprète (bassiste) quand il n'était plus lié à celui de créateur.

 

Quand Thiéfaine, en 77, décide de s'entourer de musiciens, c'est le groupe « Machin » dont Tony, ami d'Hubert, est membre actif, qui viendra jouer avec lui. C'est la grande époque du folk, Tri Yann et compagnie. « Machin » est dans ce trip-là, d'où influence pas vraiment désirée sur des chansons de Thiéfaine. Le « son » de ces premiers albums est loin d'être parfait aussi. Mais, à l'époque, les sous sont rares. Quatre jours d'enregistrement pour le premier disque, c'est peu. Les deux suivants n'auront droit qu'à quelques jours de plus, alors que les deux derniers seront soignés pendant un mois dans un beau studio. Ça joue...

 

Bref, aujourd'hui, ce sont les grands moyens, pour les disques, comme pour les tournées. Le bouche à oreille, pour Thiéfaine, a fonctionné à une puissance rarement égalée. Jusqu'au point, aujourd'hui, de bourrer les plus grandes salles de France et de Navarre, y compris l'Olympia, de transformer deux LP en disques d'or... (Moi, ça me fait... rêver de médias en folie au bord du suicide, ou craindre de voir s'envoler tous les arguments et alibis des chanteurs géniaux mais oubliés ! Mais du calme !)

 

La suite dans les jours qui viennent. Et si vous avez loupé CO2 mon amour le samedi 16 juin sur France Inter, profitez de ce dimanche pour écouter cette émission ! L'épisode s'appelait Hubert-Félix Thiéfaine dans le silence de la forêt de Chaux. Suivez le lien :

http://franceinter.fr/archives-diffusions/137217/2012-06

 

 

09/06/2012

Concert de la grande Sophie hier soir à Vandoeuvre-lès-Nancy

La pensée du jour : "On n'est pas heureux : notre bonheur, c'est le silence du malheur". Jules RENARD

 

En ce moment, je fais beaucoup d'infidélités à Hubert-Félix Thiéfaine ! Cela vous arrive-t-il ? Je n'en nourris aucune mauvaise conscience, sachant bien que, comme on dit en allemand, « alte Liebe rostet nicht ». En gros, cela veut dire que les vieilles amours ne rouillent pas. Et mon amour à moi fêtera ses vingt ans en septembre. « Vingt ans d'amour, c'est l'amour fol », chantait le grand Jacques. Je sais donc bien, au fond de moi, que si « parfois je ruisselle, comme un vieux troubadour », pour de douces donzelles, c'est pour mieux revenir à Hubert, l'amour-choc, le grand, le majestueux, le magique, celui qui me ramène à la source première.
Douces donzelles, disais-je. Oui, car depuis quelque temps, ce sont des voix féminines qui me bercent. En particulier celles de Berry et de la grande Sophie. Je rêvais de voir cette dernière sur scène. C'est chose faite : elle passait hier à Vandoeuvre-lès-Nancy.

 

En première partie, il y avait Laurent Lamarca. Et je vous conseille d'écouter quelques-unes de ses chansons. Faire la première partie d'un artiste déjà bien installé dans ses grolles, ce n'est pas chose aisée, on s'en doute, et il m'est arrivé de me sentir mal pour certains qu'un public irrespectueux se mettait presque à huer. Hier, notre brave Laurent ne s'est pas démonté une seule seconde, nous annonçant d'emblée qu'il y aurait une deuxième partie à son spectacle, une deuxième partie assurée par une jeune artiste. Et d'ajouter : « Par respect pour elle, restez, s'il vous plaît ». Sans se démonter, une fois de plus, le monsieur nous dit qu'il nous a trouvés un peu mous lorsqu'il est arrivé sur scène avec son acolyte, Victor. Il nous propose de refaire son entrée sous des cris hystériques. Et c'est encore des cris hystériques qu'il réclamera lorsqu'il nous demandera de l'accompagner dans un refrain orgasmique. Entre tendresse et déjanterie, on passe un bon moment, même si, avouons-le, secrètement, on attend la suite.
La suite, c'est elle, la grande Sophie, qui va nous la servir sur un plateau d'argent. Elle arrive et résonnent les premières notes de « La radio », splendide chanson de son dernier album tout aussi splendide. Elle enchaîne les titres, on ne voit pas le temps passer. Elle doit nous trouver un peu mous, elle aussi, plantés comme nous sommes sur nos fauteuils guère confortables. Elle nous explique qu'elle est née dans la région, mais qu'elle la connaît peu (j'apprendrai ensuite dans L'Est Républicain que son père travaillait à Arcelor Mittal et qu'il a été muté dans le Sud). Elle se dit contente car la journée a été un peu plus chaude que les autres. Mais le doux murmure des cigales lui manque, il faudrait que nous l'imitions pour elle. Et voilà que la salle se met à striduler. Timidement, d'abord. A la fin, avoue-le Sophie, « on dirait le Sud » !

 

On dirait le Sud aussi quand le public se lève enfin comme un seul homme pour acclamer comme il se doit cette artiste qui donne tout. Une véritable communion va surgir là, sous nos yeux. La grande Sophie continue à vibrer en chantant, on la sent émue par tant de magie, de respect, d'amour. A la fin, elle nous dit qu'elle et son équipe n'ont plus envie de partir. Qu'on n'a qu'à rester comme ça jusqu'au petit matin, à chanter « Je ne changerai jamais ». L'osmose a mis un peu de temps à se mettre en place, mais maintenant qu'elle est là, c'est du solide, ça ne va pas se défaire comme ça ! Nous non plus, Sophie, nous n'avons pas envie de partir. Pas envie de retourner à nos pâles quotidiens assoiffés alors que nous venons de brûler nos ailes à un bout d'absolu. C'est ce que, dans le jargon cher aux admirateurs de Thiéfaine, on a fini par appeler la « redescente »... C'est cela, j'imagine, le spleen qui vous envahit après un shoot...

 

Ce matin, le pâle quotidien était bien là, à nous attendre au tournant pour mieux nous piéger. Mais on se dit qu'il ne nous aura pas parce que déjà, on a regardé les dates des prochains concerts de la grande Sophie et qu'on en a trouvé une, voire deux, qui nous appellent...