27/05/2012
Hubert-Félix Thiéfaine dans Philosophie magazine
La pensée du jour : "Ah, ma pauv'dame, m'en parlez pas, on a trente-six femmes, mais on n'a qu'une maman". François CAVANNA
Voici le questionnaire de Socrate, renseigné par HFT dans Philosophie magazine de "mai, joli mai, mois de Marie"...
Quel est votre démon ?
C'était Dionysos, mais aujourd'hui c'est plutôt Apollon. Le clochard et le dandy.
Quel penseur vous accompagne ?
Nietzsche. Les philosophes qui m'intéressent le plus sont des poètes.
Le sophiste qui vous exaspère le plus ?
Lacan. J'ai connu des gens qui suivaient ses conférences comme on va à la prière.
La question qui vous tourmente ?
La géographie de l'Univers. Je me demande chaque jour ce que je fous là.
Quel lieu se rapproche, pour vous, de la cité idéale ?
La Saline royale d'Arc-et-Senans, bâtie au XVIIIème siècle pour être idéale.
La chose la plus grotesque que vous ayez faite par amour ?
Offrir des fleurs et des bijoux. Dire "Je t'aime" une fois. Mais j'étais bourré, ça ne compte pas.
Le banquet de votre vie ?
Désormais deux pilules nutritives et un verre de Châteldon, le Dom Pérignon de l'eau minérale.
La maxime du bien que vous aimeriez transmettre à vos enfants ?
Le "souverain bien" de Cicéron : "Vivre en accord et en harmonie avec la nature".
L'animal que vous préférez à l'homme ?
Le dragon, parce que dans les supermarchés il n'y a jamais de boîte pour cette créature.
De quoi n'avez-vous pas encore accouché ?
Aucune idée !
Votre truc pour corrompre la jeunesse ?
Mes chansons. Certaines intéressent les jeunes car elles ont encore un peu de soufre.
La belle mort selon vous ?
Celle de Félix Faure dans le petit salon bleu de l'Elysée après une fellation de sa maîtresse. *
*Cela me fait penser à l'excellente chanson de Thomas Fersen... Ecoutez plutôt :
http://www.youtube.com/watch?v=HgxVwfYnnqg
10:26 | Lien permanent | Commentaires (4)
13/05/2012
Un compte rendu du concert de Dole (5 mai 2012)
La pensée du jour : "Je suis couvert de la mort comme d'un lichen". Lucien BECKER
Aujourd'hui, je vous propose un compte rendu du concert de Dole. Il est signé Aska, et je la remercie de m'avoir fait parvenir ce très beau texte.
5 mai 2012 : enfin, c'est pour moi le jour du concert d'HFT à Dole ! LE concert que j'attends depuis longtemps ! J'ai rendez-vous avec Hubert-Félix Thiéfaine dans sa ville natale et je trouve que ce n'est pas rien. J'ai hâte de voir l'endroit pour lequel il a imaginé cette chanson si belle et si critique, que j'adorerais entendre là-bas, mais que je n'entendrai certainement pas.
D'abord, Dole, c'est à cent kilomètres de chez moi, j'y suis donc allée en voiture. Trajet facile, la Commanderie est bien fléchée, et à 17 heures 30, je me retrouve au sein du petit groupe qui se presse devant une porte et où m'attendent une amie et son fils de 20 ans qui est un tout nouveau fan, fasciné par le dernier album.
Donc, la file d'attente, sous des parapluies, car le temps est à l'orage. On discute avec nos voisins, parmi lesquels une dame à cheveux gris et un autre jeune homme qui, lui, nous raconte qu'il est archi fan de Mylène Farmer et qu'il a campé trois jours devant le stade de France pour la voir en concert. Prix de la place : 270 euros. Euh, dire que je trouvais le billet pour Bercy un peu cher...
Les portes s'ouvrent et on se précipite, mais trop tard pour pouvoir s'appuyer sur les barrières, espoir que je nourrissais pourtant à cause du mal de dos que je traîne depuis plusieurs semaines. Tant pis, me voilà seule au troisième rang, ayant perdu mes accompagnants dans la bataille !
La salle n'est pas énorme, à taille humaine, bien fichue, avec des gradins pas très éloignés de la scène. Pendant que ça se remplit, je suis la seule assise par terre (mon dos) au milieu d'une forêt de jambes. Au-dessus de moi, quelques-uns chantent déjà "La Fille", ça promet...
Première partie : Jean-Marc Poignot, du staff d'Hubert. Tout sourire, avec de jolies chansons aux textes ciselés, j'aime beaucoup. Il n'en chante que trois ou quatre, ce qui est peu, et on recommence à attendre.
Et puis, IL arrive, celui pour qui on est venu; inchangé, avec son costume noir, sa chemise blanche, son harmonica autour du cou, son air grave. Sous des applaudissements nourris, il commence "Annihilation", la grande, immense chanson qui se trouve sur un disque que je n'aurai jamais... Pourquoi ? Parce que je suis une fan trop tardive qui n'a pas su voir, en trente ans, qu'un type qui était presque son voisin géographiquement parlant était devenu quelqu'un qui aurait enchanté sa vie si elle y avait fait attention plus tôt. Quelle gourde !
Pour l'instant, après "Annihilation", je ne suis plus vraiment dedans, encombrée de mes voisins de spectacle qui me collent et me gênent. Je dois vous avouer que je suis un peu agoraphobe, la foule, les gens pas toujours respectueux me fatiguent...
Thiéfaine non plus n'est pas vraiment dedans. C'est ce qu'il me semble en tout cas. Il dit "merci d'être venus", mais pas "merci pour votre fidélité", comme s'il n'était pas sûr qu'à Dole, sa ville natale, on lui soit si fidèle que ça. Je crois savoir qu'à part un festival il y a quelques années, ce concert est quasiment le premier qu'il fait ici en trente ans de carrière (corrigez-moi si je me trompe). Dans une interview ancienne que j'ai lue, il racontait qu'à Dole, au début, on lui lançait des tomates, ça doit marquer... Alors je le regarde, silhouette mince de jeune homme et air un peu incertain, et j'extrapole. L'introverti qu'est Thiéfaine, si connu qu'il soit aujourd'hui, est-il vraiment enchanté d'être là ? Je ne sais pas.
Mais le miracle arrive : juste après "Les dingues et les paumés", subitement le public s'enflamme, les gradins résonnent de mille talons qui frappent le plancher, une immense ovation s'élève. Première fois que j'entends ça, alors que j'ai fait trois concerts avant celui-ci. Et Thiéfaine est touché, je le vois, il murmure "merci" et enchaîne rapidement, mais comme il est libéré, il déploie ses ailes d'albatros, court sur la scène, balance son micro, sourit, fait participer le public, se lâche enfin...
Moi, j'entre dans le concert avec lui, ma douleur au dos a disparu, mes voisins se sont écartés par miracle, je suis sur un petit nuage...
Retour à la réalité quand une fan décomplexée (ben voyons !) s'incruste à côté de moi sous prétexte de faire des photos de l'artiste. Elle me gâche "Garbo" et, dans la foulée, "Ad orgasmum aeternum", que j'aurais tellement voulu écouter dans une bulle... Les gens, je vous dis...
Le concert se termine sur "La Fille" (très bonne ambiance), "Les ombres du soir" (musique trop forte pour moi sur ce titre qui mériterait un arrangement plus confidentiel), et enfin "Lobotomie média" et sa fin programmée.
Thiéfaine s'en va sur un dernier geste d'adieu et c'est là que je m'aperçois tout à coup de la bizarrerie : pas de Chippendale ce soir ! Il n'a pas mis le tee-shirt "merch", ne l'a pas lancé tout mouillé à un(e) fan hystérique. L'effet Dole ? Pas d'excentricités au pays ? On ne le saura pas, d'autant que je n'aurai pas la présence d'esprit de le lui demander plus tard. *
Parce que, miracle, il y a un plus tard. Après le concert, alors que certains Dolois réclament encore en vain "La cancoillotte" (oui, on aurait bien aimé, Hubert !), mes amis et moi restons là, assis sur des fauteuils (ouf !), à siroter des boissons. Près de la sortie, une porte et un petit groupe agglutiné qui regarde fixement cette porte. Les loges ! On s'approche, mon amie a justement apporté avec elle son disque collector, à tout hasard. Après une demi-heure de tractations, le vigile finit par nous laisser entrer. On est une dizaine, tout émus, à attendre dans le couloir. On voit passer Jean-Marc Poignot avec son carton de disques, Alice Botté qui plaisante, d'autres visages connus... Tous souriants et gentils. Une porte s'ouvre et voilà Lucas, qui n'est pas venu jouer sur scène avec son père, malgré la "nouvelle chanson" annoncée en clin d'oeil par celui-ci : "On a fait une nouvelle chanson, hein Alice ?"
Loge n° 2 : la loge du Maître, on entre timidement, les yeux écarquillés. Il fait une chaleur de four. Il est assis devant une coiffeuse, tout simple, ses lunettes sur le nez, Francine Nicolas derrière lui. C'est une scène irréelle. D'ailleurs, ne riez pas, je ne me souviens de rien, c'est tout moi ! Juste que je lui ai donné mon prénom et que je lui ai dit "merci beaucoup" avec ferveur. Et qu'il m'a dit "mais de rien !" en souriant. Rien d'autre, mais tout ce que j'aurais pu dire aurait été inutile, n'est-ce pas ? Je ne regrette rien.
En conclusion ? Quelle soirée ! Merci, Hubert, du fond du coeur, pour l'autographe et tout ce que tu m'apportes depuis deux ans ! Comme j'arrive bien tard dans ta carrière, j'ai pris rendez-vous avec toi le 29 juin, pour les Eurockéennes de Belfort...
J'oubliais : finalement, Dole, c'est une jolie ville avec une large rivière qui bouillonne et plein de ponts. En repartant de nuit, je n'ai vu ni clébard estropié ni noyés dans la glace. Et mince, j'y pense, j'ai loupé la statue du grand homme...
*On m'a dit après coup qu'il n'avait pas non plus lancé son tee-shirt à Mennecy, la veille...
11:40 | Lien permanent | Commentaires (25)
12/05/2012
Suite et fin de l'interview parue dans MOJO
La pensée du jour : "Le désir est en moi, englué dans ma chair,
comme une forêt l'est en pleine terre.
C'est lui qui me force à crier mon chant de vie
quand la mort bat plus fort que mon coeur
et qu'elle est déjà couchée sur moi, front contre front". Lucien BECKER
Ferré a abordé le rock. On a parlé de Hendrix, et puis il y a eu Zoo...
Je n'aime pas trop ce qu'il a enregistré avec Zoo. Cette ambiance jazz-rock, je trouve que ça sonne pas très rock, en fait. Sur La Solitude, les meilleurs morceaux sont ceux qu'il a arrangés lui-même.
Plus tard, est arrivé le mouvement punk, on a l'impression que vous êtes passé à côté...
J'habitais rue du Dragon, pas très loin du Vidéo Stone, une salle avec des fauteuils et des canapés où passaient des vidéos sur des écrans. Il suffisait de traverser le boulevard Saint-Germain. Acceleration Punk était diffusé, j'y suis resté deux jours. ça m'intéressait et m'inspirait, mes textes étaient punk. D'ailleurs, ce que les punks disaient en 1976, c'était un peu ce que j'écrivais en 70, puisque j'avais déjà écrit la première version de "113ème cigarette sans dormir" ou "Exil sur planète fantôme". Mais question musique, j'étais un peu décalé, je n'étais pas dans le bon milieu. Et je me suis toujours tenu à l'écart des phénomènes de mode.
Aujourd'hui, qu'écoutez-vous ?
J'écoute les disques des copains, par amitié. En voiture, je me mets beaucoup de musique classique. J'avais du retard dans ma culture, et ça me détend. J'aime beaucoup la musique contemporaine, Max Richter, Phil Glass, Brian Eno. Et j'apprécie de me réchauffer au jazz bien enfumé des années 60, Coltrane, Miles, Thelonious Monk...
Et le rock'n'roll ?
J'ai tout sur mon IPod. Tout à l'heure, dans la voiture, après Brahms, on s'est mis "Absolutely Sweet Mary". J'adore les Bootleg Series de Dylan. Je me mets régulièrement un petit Stones aussi, je dois avoir toute la discographie. Je possède même des bandes de studio ! Mon fils a eu sa période Keith Richards, avec des posters partout dans sa chambre. Et puis du jour au lendemain, il s'est mis à fond dans les Strokes et s'est fait la coupe de Casablancas !
On termine par une question un peu provoc : vous avez écrit une diatribe antinucléaire ("Alligators 427"), un plébiscite pour l'intégration ("La Ballade d'Abdallah Geronimo Cohen"), un manifeste pro-banlieue ("Quand la banlieue descendra sur la ville")... HFT, chanteur de gauche ?
La politique est présente dans mes chansons pour dresser des bilans de la société, pas pour son apsect politicien. On est actuellement en campagne électorale, je n'arrive à soutenir personne. On m'a catalogué chanteur de gauche, parfois anarchiste de droite. Je ne suis ni l'un ni l'autre. Il paraît que quand on n'est ni noir ni blanc, on est gris. Mais gris, c'est la couleur de la matière grise ! Je défends la démocratie avec tous ses défauts, parce que cela reste le système le plus humain. C'est la raison pour laquelle je suis capable de faire 1 000 kilomètres pour mettre un bulletin blanc dans l'urne. Pour me prouver à moi-même que je suis un citoyen responsable qui, le cas échéant, ne sera pas à la traîne. Je connais suffisamment mon histoire contemporaine pour savoir qu'en 1928, Hitler était à 1% des voix, et qu'en 1933, il avait la majorité. Il faut donc être prêt et toujours vigilant. Je suis un citoyen qui vote, c'est quelque chose de sacré.
10:30 | Lien permanent | Commentaires (1)
10/05/2012
Suite de l'interview parue dans MOJO
La pensée du jour : "Parfois on croit que l'on ne fait rien, ne produit rien... mais j'ai appris que c'est durant cette période que s'élabore ce qui va naître". Charles JULIET
Le rock'n'roll, comment l'avez-vous rencontré ?
Au début, j'ai rencontré les yéyés, qui traduisaient un peu ce qui se passait aux Etats-Unis. Un jour, à la fin des années 50, j'étais tout jeunot, on m'a prêté un 45 tours de Dalida, mais en fait à l'intérieur, il y avait un disque de John Lee Hooker. C'est là que j'ai découvert le "boom boom". Et ça m'a bien frappé ! Au début des années 60, on trouvait, en France, des disques "Festival Folk'n'blues", issus de festivals où se côtoyaient du folk, du blues et du country. Et puis il y a eu le Swinging London vers 65-66. J'étais comme tous les mecs de mon âge, à devenir cinglé des Stones, des Animals, Yardbirds ou Them que j'adorais particulièrement.
Quels ont été les plus grands chocs ? Dylan ?
J'ai surtout accroché au Dylan rock Highway 61 Revisited, puis Blonde On Blonde. Et puis il y a eu Aftermath, le chox absolu. En écoutant des trucs comme "Going Home", ej suis devenu fou; 1966, c'est ma grande année du rock, Blonde On Blonde, les débuts de Hendrix, ça tombait du ciel !
Vous en avez vu certains sur scène ?
J'étais en province, je n'avais pas d'argent. J'ai vu Antoine - avec Les Problèmes - qui était sans doute le plus proche de tous ces gens-là. Plus tard à Londres, j'ai vu des groupes formidables : Fairport Convention, Yes, Patto dont le chanteur est mort ensuite, et surtout Peter Green, qui m'a vraiment bien éclaté. Et en 70, je suis allé au festival de Wight, j'ai vu défiler les Doors, Jimi Hendrix, toute la bande-son de l'époque.
Ces auteurs rock'n'roll, comme Morrison ou Dylan, ont directement influencé votre écriture ?
C'étaient mes années lycée et malheureusement, j'étudiais l'allemand en première langue, donc on me traduisait des bouts de chansons et j'imaginais le reste. Je me suis d'ailleurs aperçu après que ce que j'imaginais n'était pas forcément très éloigné de la réalité. J'ai appréhendé le rock anglo-saxon de cette manière, ça me permettait de me barrer où je voulais, je n'étais pas obligé de suivre le texte comme en français. Cela devenait interactif, j'entendais un mec chanter et j'imaginais, je devenais le chanteur, en fait. Toutes ces sonorités du rock anglo-saxon m'ont apporté autant d'idées musicales que de textes.
L'autre grosse influence, c'est Léo Ferré...
Léo Ferré entre dans ma vie à la fin des années 60, avec son disque blanc, L'Eté 68. A Paris, j'étais un peu plus "riche", je pouvais aller aux concerts, j'avais plus d'opportunités. J'ai pu voir Léo, Barbara, Félix Leclerc et le Nougarou période Paris mai, qui était d'une puissance rare. A l'époque, on avait une émission de radio exceptionnelle, Campus, avec Michel Lancelot. Il y avait de la place pour tout ce qui était beau dans la musique : un peu de classique, du jazz, de la chanson française et tout le rock naissant. Le tout animé par un lancelot brillant, passionnant. Quand on rentrait dans nos chambres à la cité U, le soir, on se précipitait pour écouter Campus.
C'est en mixant le son rock à la poésie de Ferré que vous trouvez votre voie ?
C'est un moment où, pour moi, plein d'influences se bousculent ou se croisent. Donc, j'essaie de digérer tout ça. Concernant Ferré, l'influence est également très musicale : je suis un mélancolique et sa musique est d'une mélancolie inouïe, on trouve dans ses arrangements, souvents réalisés par Jean-Michel Defaye, des orchestrations déchirantes. J'adore cette période qui correspond à Amour Anarchie et Léo Ferré chante Verlaine et Rimbaud, une bénédiction qui nous a fait redécouvrir ces deux poètes. Je n'arrive plus à mettre la main sur mon album, d'ailleurs, et quand je vais chez les disquaires, ils ne l'ont jamais ! Le Léo de la fin des années 60 est ma plus grande influence, j'ai moins écouté le Ferré des débuts. A l'aube des seventies, je m'en imprègne d'autant plus que je vis à ce moment-là des choses dramatiques, comme le décès de ma mère et mon arrivée à Paris en zonard. D'ailleurs, pendant deux ans, mon écriture est un peu du sous-Léo.
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Suite de l'interview parue dans le magazine MOJO
La pensée du jour : "Faut pas vouloir la lune. D'abord, même qu'on la voudrait..." René FALLET
Le virage symbolisé par Suppléments de mensonge est-il le plus important de votre carrière ?
Cet album s'inscrit dans la même optique que Dernières balises (avant mutation) (1981) et Soleil cherche futur (1982), qui étaient les albums d'un renouveau. J'avais sorti trois disques avant ceux-là et je trouvais que ça ne me représentait pas musicalement. Mon troisième album De l'amour, de l'art ou du cochon (1980) est un album un peu neutre pour moi, je ne le revendique pas trop. C'étaient les restes de mes compositions des années 70, je n'étais pas très concerné. Quand on l'enregistrait, j'écrivais déjà la suite. C'est un moment de ma vie où j'ai aussi opéré des ruptures, je me suis débarrassé du superflu : j'ai coupé la moustache, enlevé les masques et montré mon vrai visage.
Sur ces albums, intervient votre collaboration avec Claude Mairet...
Claude et moi, on était à l'école ensemble. On jouait dans de petits groupes. On se produisait lors de soirées estudiantines. C'était le milieu des années 60, on jouait Dylan, Aufray. Et certaines de mes chansons. J'avais de ces titres ! « Piments rouges dans les neiges du Fuji-Yama », « Bain de minuit dans le Gange à Bénarès », ça voyageait beaucoup ! Après je suis monté sur Paris, j'ai rencontré Tony Carbonare, mon arrangeur (et plus tard son manager, ndlr), qui jouait dans Machin, un groupe folk-rock électrique. Ça allait pas mal avec mes textes, mais ce n'était pas ce que je voulais faire, pas vraiment du rock'n 'roll. Dès que j'ai obtenu un contrat, j'ai fait venir Claude à Paris, je l'ai ajouté au groupe pour le deuxième album, Autorisation de délirer (1979), qui sonne déjà plus blues. Et après, j'ai travaillé toute la décennie suivante avec lui.
Alambic/Sortie-Sud (1984) est même cosigné Thiéfaine-Mairet !
Oui, j'avais eu un accident de moto qui avait eu pour conséquence que je ne pouvais plus jouer de guitare, or il me faut une guitare pour composer. Je n'étais pas très heureux de cet album, le résultat est mitigé. J'ai pu composer à nouveau sur les albums Météo für nada (1986) et Eros über alles (1988). Et puis ensuite, Claude et moi avons perdu l'osmose, ça n'avançait plus, j'ai décidé de mettre fin à la collaboration. On n'était plus sur la même planète.
Une nouvelle collaboration avec lui est-elle envisageable ?
Il faudrait qu'on se voie, qu'on se retrouve. Ça pourrait être drôle, intéressant même. Ça dépend où il en est, et ça je n'en sais rien.
Durant cette période Soleil cherche futur, vous rencontrez un grand succès. « Lorelei Sebasto Cha » se retrouve numéro 1 du Hit-Parade RTL en 1982. Comment avez-vous vécu cette période ?
J'étais en tournée à ce moment-là et j'ai eu du mal à assumer tout ça. J'étais très surpris. On m'avait tellement dit que je ne ferais jamais rien, que je ne chanterais jamais à l'Olympia... Dans toutes les villes où l'on passait, on trouvait un mot sur la salle disant que le concert était déplacé dans un endroit plus grand. On jouait devant 4 000 ou 5 000 personnes. C'est dur quand tu débarques du cabaret, même si tu as déjà un peu grandi et gagné un public. D'autant plus que j'étais déjà un peu déglingué à l'époque, accro à certaines substances toxiques. C'était une tournée où je planais, donc je n'ai pas tellement suivi cette histoire de tube.
Dans les années 90, vous tentez l'expérience américaine, avec deux albums enregistrés à New York (Chroniques bluesymentales – 1990) et Los Angeles (Fragments d'hébétude – 1993).
Au début, Chroniques bluesymentales, c'était sympa : on se mettait tous assis en rond le matin dans le studio, je jouais mes morceaux aux musiciens américains. On bœuffait, mais une fois qu'on avait bien assemblé la rythmique, que ça sonnait bien, je pensais que Barry Reynolds, le réalisateur, avait prévu des arrangements. Mais là, rien, rideau. On a dû tout écrire nous-mêmes, avec Tony Carbonare, et il y avait des jours terribles, où rien ne sortait. Au final, on a un album un peu sous-produit. Du coup, pour le suivant je m'étais blindé. J'avais écrit la moitié des arrangements, et Patrice Marzin l'autre moitié.
Arrive ensuite le diptyque La Tentation du bonheur (1996) et Le Bonheur de la tentation (1998) avec à nouveau Tony Carbonare. Comment vous est venue cette idée ?
C'était un pari un peu raté. J'ai eu cette idée-là un matin où je n'étais pas très frais. J'ai pris deux feuilles de papier, d'un côté j'ai inscrit les titres de l'un, et de l'autre côté j'ai décliné leurs négatifs. Je les ai sortis à presque deux ans d'intervalle mais tout était prêt à l'avance, même les pochettes. D'ailleurs, les concepteurs les avaient perdues ! Heureusement que j'en avais conservé des copies ! C'était déjà arrivé à New York sur Chroniques bluesymentales, où la fille qui était chargée de rapporter les photos les avait paumées dans le métro. Au final, j'ai un petit manque sur ce diptyque. On va trop loin ou pas assez, je ne sais pas, mais musicalement on aurait pu faire mieux; plus rock'n'roll.
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04/05/2012
Allô, allô, monsieur Mojo...
La pensée du jour : "J'ai le regard complètement tourné vers l'avenir", Hubert-Félix THIEFAINE.
En avril parassait le numéro 1 d'un nouveau magazine consacré à la musique : MOJO. Premier bon point : le choix du titre !!! Deuxième bon point : d'emblée, ce magazine consacrait un dossier complet à Thiéfaine. Evidemment, j'ai acheté MOJO ! Je vous livre ici le portrait d'HFT signé Franck CAMHI, ainsi que le début de l'interview réalisée par Jonathan Boyer.
Début mars, Hubert-Félix Thiéfaine obtenait deux Victoires de la Musique après des années passées à poursuivre sa route bien loin du showbiz. « En ce moment, concède-t-il, ça se bouscule un peu... »
En 2001, dans « Eloge de la tristesse » (Défloration 13), Hubert-Félix Thiéfaine évoquait ainsi un loser devenu vedette : « P't'être qu'en smurfant sur ta folie / Tu d'viendras l'idole des bas-fonds / A qui le branleux Tout-Paris / Fera sa standing ovation ». On pense évidemment, à la lecture de ces vers, à son triomphe aux Victoires. Un hommage pourtant sincèrement et humblement apprécié par un artiste qui a tour à tour éprouvé ressentiment, plaisir ou indifférence quant à l'ignorance manifestée par les grands médias à son égard. Apaisé sur le sujet comme sur tant d'autres après un terrible burn-out consécutif à des années de défonce et de déprimes, Thiéfaine était sans doute prêt à recueillir une reconnaissance, qu'un showbiz exsangue ne pouvait décemment plus refuser à cet extraterrestre qui continue en pleine crise à écouler, en moins d'un an, 120 000 exemplaires d'un nouvel album...
Si son second passage à Bercy à l'automne -après celui de 1998- n'avait pas recueilli, selon le service de presse de son label, beaucoup de retombées, la reconnaissance des Victoires a précipité les choses. Depuis le samedi précédent, entre deux dates d'une tournée qui en compte déjà plus de soixante, le chanteur enchaîne les interviews. Et ce mardi soir, l'homme est fatigué. La maquilleuse qui l'accompagne nous confie avoir déjà opéré sur son visage six fois dans la journée. Une émission radio de deux heures l'a éreinté, un Paris pluvieux et bouché l'a enfermé une heure et demie dans une voiture pour rejoindre le studio photo dans le XVIIIème arrondissement de la capitale. Arrivé deux heures après l'heure prévue, il ne prend rien à boire, ni à grignoter. Il mange d'ailleurs assez peu et déjeune rarement. Un cadeau de sa maison de disques, une édition collector du dernier Best of de Dylan, lui tire un sourire. Mais l'humeur reste ombrageuse. Pour lui permettre un peu de silence, le shooting précédera l'entretien. HFT n'est pas de ces chanteurs allergiques à la pose, et la détente s'installe durant la session. Muni de petites lunettes, il observe le résultat des prises de vue sur le Mac du photographe. S'amuse d'une ressemblance avec Keith Richards sur un cliché. Puis, démaquillé, il s'installe dans un canapé du studio pour démarrer l'interview. On lui rappelle que sur La Tentation du bonheur (1996), il avait écrit ce morceau « Mojo-dépanneur TV (1948-2023) », une étrange histoire de télé qui tombe en panne pendant Les Feux de l'amour. S'il a bien souvenir du titre, le chanteur apparaît bien en peine de se remémorer le propos du texte. « Il faudrait que je réécoute ma discographie, je retiens les titres de ma set liste actuelle, mais sinon je ne me souviens plus très bien de ce que j'ai écrit. J'ai le regard complètement tourné vers l'avenir ». Pourtant, s'il a oublié certaines créations, Thiéfaine a conservé une mémoire intacte d'événements passés. Il corrige spontanément certaines dates et nourrit son récit d'anecdotes précises. Pendant près d'une heure, HFT a bien voulu tourner aussi son regard vers le passé.
Avec ces deux Victoires, les médias ne pourront plus parler à votre propos de l'éternel chanteur ignoré...
Je ne sais pas quelle est la portée exacte de ce genre d'événement. Ce qu'il y a de sûr, c'est que je suis déjà en tournée jusqu'au mois de décembre et que c'est plein. J'ai des salles combles depuis trente ans, j'ai une trentaine de disques d'or, elle est là ma récompense. Mais je remercie les médias : m'avoir oublié m'a donné une aura; je suis devenu la légende du mec qui se fait tout seul, qui n'en a rien à foutre et qui va son chemin. Sur les Victoires, j'ai joué le jeu, j'aurais trouvé ça prétentieux de refuser. Et puis ça fait plaisir à mon public, et à toute mon équipe. Moi, à partir du moment où il y a de la joie, ça me va !
Pourquoi est-ce cet album, Suppléments de mensonge, qui a permis cette reconnaissance ?
C'est le premier album d'une nouvelle vie, d'un renouveau, même s'il y a un cousinage avec Scandale mélancolique (2005). « Confessions d'un never been » aurait pu être sur ce nouvel opus, je le reprends d'ailleurs sur scène. J'aurais pu chanter aussi « Le Jeu de la folie », qui est un peu la préface de Suppléments de mensonge. Mais il s'est tout de même passé du temps depuis, avec un choc brutal entre les deux, mon burn-out.
Question : Dois-je mettre ici la suite de l'interview ou avez-vous tous acheté le magazine MOJO ?!!
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