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23/02/2013

Nighthawks, un tableau d'Edward Hopper

La pensée du jour : (...) "J'ai appris, depuis, que l'abîme n'a pas de fond, et que nous pouvons tous y battre des records de profondeur sans jamais épuiser les possibilités de cette intéressante institution". Romain GARY

Dans le numéro 3197 de L'Express, plusieurs écrivains ont laissé vagabonder leur imagination et leur plume en regardant tel ou tel tableau d'Hopper. J'ai bien l'intention de recopier leur prose ici dans les semaines qui viennent.

Voici pour aujourd'hui les lignes que Marc Dugain a écrites au sujet du tableau Nighthawks (voir ci-dessus) :

"Parfois la solitude vous pousse vers les autres, même si ce n'est pas votre nature. Ma femme m'a quitté il y a un an au prétexte qu'elle s'ennuyait avec moi. Je le savais depuis le début de notre mariage, qu'elle s'ennuierait un jour avec moi. Cela a pris plus longtemps que je ne le pensais. Ce qui nous liait, il faut bien le dire, c'était notre fils. Maintenant qu'il est porté disparu dans le Pacifique, elle est partie. Ma femme n'était pas très intelligente. J'imagine que, dans son esprit simple, elle a dû penser que partir lui ramènerait notre fils. Un genre de superstition si on peut dire. Elle ne me manque pas pour être tout à fait honnête.

Je travaille dans un cabinet de courtage en assurances sur la 57ème et Lexington. En hiver, quand le jour s'est fait la belle depuis un bon moment, je m'arrête là pour me jeter deux ou trois verres avant de rentrer me coucher sans dîner car, depuis que ma femme m'a quitté, je ne dîne plus. Je ne dors pas non plus parce que les deux ou trois verres que je prends ici me ramonent l'œsophage une bonne partie de la nuit. Mon médecin m'a dit d'arrêter de boire et de fumer. « Et pourquoi pas arrêter de vivre ? » je lui ai répondu. Vous dire que la rousse ne me fait pas un peu d'effet, ce serait mentir. On ne peut pas dire qu'elle soit belle, mais quelque chose émane d'elle aussitôt tempéré par le sentiment qu'elle doit être compliquée. J'ai eu une maîtresse qui lui ressemblait. Elle se débarrassait vite fait de votre attrait pour son corps et ensuite elle parlait à n'en plus finir de tout ce qui la préoccupait, quand on sait qu'elle entretenait ses soucis comme un jardin anglais. A la fin, j'en ai eu marre de faire l'amour avec elle une fois de temps en temps et de devoir supporter en échange ses longues plaintes sur le monde. A mon avis, le type qui est à côté d'elle en est là. Ils ne se touchent pas la main, car le désir est passé, et maintenant il doit se coller la mélancolie de la belle.

Je suis bien heureux d'être seul, au fond. A les voir ainsi, on peut s'imaginer plein de choses excitantes sur leur compte, mais moi, je sais que ce genre d'histoires finit toujours de la même façon. On sombre dans l'ennui, voilà la vérité. Il n'a pas l'air drôle, lui non plus. Je l'étais plus que cela à une certaine époque, je veux dire quand je trompais ma femme avant qu'elle me quitte, si pour sûr, j'étais plus drôle que cela. Elle a au moins une qualité, cette femme, elle parle doucement. Mais elle est persuadée de l'importance de sa petite vie, je vous le dis d'expérience. Quand ces deux-là seront partis, je quitterai le bar. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être pour ne pas me retrouver tout seul avec le barman qui ne dit jamais rien et qui regarde à travers la grande baie vitrée comme s'il voyait la mer. Si au moins il voyait mon fils dans cette mer... S'il revient, je lui parlerai, pas de doute, cette fois, je lui parlerai."

 

 

13/02/2013

Jane Birkin à La Passerelle hier soir

La pensée du jour : "On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné". Romain GARY

 

La dernière fois que j'ai vu ma mère chez elle et bien vivante, c'était en novembre 2008. Elle écoutait L'anamour de Gainsbourg. C'est moi qui lui avais fait découvrir cet artiste et elle l'avait tout de suite aimé. Plus encore, elle aimait Jane Birkin. Il y a 15 ou 16 ans, je crois, nous étions allées la voir en concert. Nous étions au premier rang, et je me souviens très bien que Birkin était très émue ce jour-là : sa propre mère était dans la salle. En le disant, Jane nous avait regardées, ma mère et moi, et elle nous avait fait un clin d'œil. Car le lien qui nous unissait était évident. Encore aujourd'hui, on me dit régulièrement que je suis le portrait tout craché de ma maman...

En mai 2009, ma mère devait fêter ses 61 ans et j'avais depuis longtemps une petite idée pour son cadeau d'anniversaire : un concert de Jane que j'avais repéré. Sauf que le destin devait bouleverser mes plans. En décembre 2008, ma mère tombait subitement malade. En février 2009, elle n'était plus là. Je me souviens avoir beaucoup hésité pour le concert de Birkin en mai : devais-je y aller ou non ? J'ai suivi mon instinct, j'y suis allée. La première chanson de ce magnifique spectacle ? L'anamour...

Hier, Birkin était en concert à La Passerelle de Florange. C'était un triste anniversaire : le 12 février 2009, on enterrait ma mère... Je savais que voir Jane hier allait me coller quelques uppercuts, mais j'y suis allée quand même. Il le fallait.

21 heures et des poussières. La frêle silhouette de Jane s'avance sur la scène et nous envoie le Requiem pour un con. Quelle audace de commencer par cette chanson ! Et c'est tout un feu d'artifice qui nous entraîne dans un vertige lumineux ! Je redécouvre des mélodies et des mots qui ont bercé ma jeunesse, des chansons que ma mère aimait particulièrement. Birkin souligne l'ingéniosité des mots de Gainsbourg et les fait revivre, leur donnant un autre relief encore, celui d'une tendresse mature, mais jamais usée :

« Les amours perdues ne se retrouvent plus

Et les amants délaissés peuvent toujours chercher ».

 

« Le temps ne peut-il s'arrêter

Au feu de nos passions ?

Il les consume sans pitié

Et c'est sans rémission ».

 

Pour cette tournée, Jane s'est entourée de musiciens japonais hors pair. Le show est émaillé d'audaces multiples et variées : dans Comic Strip, c'est la violoniste qui prête sa voix aiguë aux délicieuses onomatopées inventées par Gainsbourg. Et que dire des instruments majestueux (piano, trompette,  batterie et violon) qui habillent élégamment les compositions du grand maître ? Pendant qu'elle chante Mon amour baiser, Jane n'hésite pas à monter dans le public, souriant aux uns et aux autres de toute sa gentillesse. Allant jusqu'à faire se lever une rangée entière pour pouvoir passer de l'autre côté des sièges ! Que de générosité dans les gestes de Jane ! Le public désobéit à la consigne « pas de photos dans la salle », mais Jane s'en fout et se laisse photographier sans faire d'histoires ! Jamais de pose ni de caprices chez cette femme, elle est heureuse comme ça, sans chichis, et s'abandonne tout entière et en toute simplicité aux élans de son grand cœur.

Elle nous remercie pour notre curiosité, elle nous remercie d'être venus (« alors que vous avez déjà assez d'ennuis comme ça » !!), elle apprécie que nous nous soyons déplacés malgré le froid glacial et la neige. Elle nous trouve comme nous sommes depuis toujours : aguerris au froid, mais le cœur chaud comme un brasier !

Il faut se quitter et c'est un drame. Malgré le rythme sautillant et les mots souriants de La gadoue, je me sens «  le cœur sous perfusion ». Ce concert qui se meurt, c'est ma mère qui s'enfonce toujours plus loin, à pas feutrés, dans le désert, c'est un bout de ce qu'elle fut qui m'abandonne encore, et je planque comme je peux les torrents de larmes qui font rage sur mon visage... Je repars chancelante jusqu'à ma voiture et je me dis que les plus beaux mots de la littérature française, c'est sans conteste à Romain Gary qu'on les doit : « Avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais ».

09/02/2013

Comme disait Aragon : "Il est permis de rêver. Il est recommandé de rêver".

La pensée du jour : "Aimer et mourir procèdent de la même connaissance, vont du même pas. Ce sont deux lueurs qui ne font qu'un seul feu, et sans doute est-ce pour cela que nous aimons si peu, si mal : il nous faudrait consentir à notre propre défaite". Christian BOBIN

 

Je ne sais pas s'il y a encore beaucoup de passage ici, pas plus que je ne sais s'il y a encore quelqu'un pour s'étonner de mon silence tout comme je m'étonne du vôtre, abyssal, inquiétant depuis de longues semaines. Sous la note dans laquelle je vous demandais vos impressions sur le concert de l'Olympia, seulement le commentaire de Lorelei2. Sous la note consacrée à La Grande Sophie, idem. Je sors de ma tanière aujourd'hui pour demander, à l'instar de Borniol, « y a quelqu'un ? » ou suis-je la fossoyeuse d'un blog à l'agonie ?

Il est vrai que je me suis un peu tenue à l'écart de la fin de la tournée. J'avais bien eu une invitation d'Evadné pour assister au dernier concert de l'Homo Plebis Ultimae Tour, mais je n'ai pas pu m'organiser pour y aller. Du coup, j'ai moins bluesé que d'autres sans doute en cette fin de partie... Je n'en espère pas moins, même si c'est prématuré, une prochaine actualité brûlante concernant HFT, un prochain CD, une autre tournée. Ben quoi ? Comme disait Aragon, « il est permis de rêver. Il est recommandé de rêver ».

En attendant que mes doux rêves prennent corps dans une réalité proche ou lointaine (ce sera selon le bon vouloir de l'ami Thiéfaine), je m'en retourne à mes premières amours. Birkin, que je vais aller écouter prochainement. Renaud, dont j'ai ressorti tous les albums pour m'apercevoir que je les connaissais encore par cœur pour la plupart. Hier, je n'ai pas regardé les Victoires de la Musique, mais j'ai appris avec joie que La Grande Sophie faisait partie des heureux élus. Et j'aurais bien aimé qu'une victoire soit décernée à Renaud, tiens, juste comme ça, pour le remercier de toutes les pierres qu'il a apportées au bel édifice de la chanson française. Une victoire pour la forme, même si cet artiste se terre pour l'instant dans le silence. Comme je déclare avec Aragon qu'il est permis de rêver, qu'il est recommandé de rêver, je veux croire qu'un jour prochain on entendra sur toutes les bonnes radios : « Voici le nouvel album de Renaud, Renaud qui partira bientôt en tournée dans toute la France ». Que monsieur Séchan nous revienne sous les traits d'un Renaud apaisé ou dans la peau d'un renard encore tout en vrac après tant d'années d'errances, nous serons là, fidèles au poste, nombreux, et moi la première, à l'accueillir les bras grands ouverts... On attend la suite !