06/10/2015
Un drôle de projet
La pensée du jour : "La passion des livres ne m'a jamais quittée et je dois à la lecture les plus belles rencontres de ma vie. Il y a les livres que l'on dévore, ceux que l'on déguste, ceux qu'on réserve pour plus tard, ceux qu'on ouvre en tremblant parce qu'on pressent une irréversible brûlure". Jacqueline KELEN
J'entreprends aujourd'hui un drôle de truc. Cela s'est présenté à moi ce matin comme une évidence, une nécessité. Je vous fais part de mon projet : j'aimerais écrire un long texte sur ma passion pour Thiéfaine. Bien sûr, depuis que ce blog existe, je ne fais que cela, au fil des mois et des billets. Mais là il s'agirait de quelque chose de plus suivi. Je vous en propose un extrait aujourd'hui, la suite viendra bientôt, elle est déjà écrite !
Par la fenêtre de la cuisine, je regarde la nature en décomposition. Comme chaque année, l'automne accomplit son œuvre de destruction massive. Tout ce qui semble encore habité d'un minimum de vigueur sera bientôt exténué, vidé de toute substance, et se rendra. Cette tragique agonie a le don de me mettre à terre. J'y perçois toute la cruauté de notre condition d'êtres fragiles voués à la finitude. Dans le jardin s'avance un cortège silencieux, endeuillé, s'enfonçant dans une sombre Toussaint. En va-t-il ainsi de nos élans ? Sont-ils condamnés, une fois venu l'automne de la vie, à mourir d'épuisement ? En même temps, les rousseurs dont se pare la nature en octobre me fascinent. C'est la grande fatigue qui donne encore, dans un ultime effort, le meilleur d'elle-même.
Invariablement, la saison mélancolique me renvoie à l'œuvre d'Hubert-Félix Thiéfaine. D'abord parce que je l'ai découverte par une nuit froide de début d'automne. "Découverte" est un mot trop faible. Elle m'a été révélée, plutôt, comme me furent révélées par la suite les œuvres des écrivains qui devaient changer ma vie. Je ne l'ai pas découverte, je l'ai prise en plein cœur, pour être tout à fait honnête ! Et tant pis si cela semble pompeux, emphatique, débile. C'est vrai ! Je reviendrai à cette révélation.
Ensuite, les chansons de Thiéfaine, souvent chargées d'accents mélancoliques, s'accordent à merveille avec la saison du déclin. Même glissement vers les eaux profondes et troubles des morts annoncées, même vertige pour qui les contemple. Il n'est pas toujours aisé d'entrer dans l'œuvre de Thiéfaine, et certains s'y refusent, arguant de la trop plombante tristesse qui s'en dégage. Ceux-là jouissent d'une santé rieuse et se protègent (sans doute ont-ils raison !) de tout ce qui pourrait venir entamer leur bel optimisme ! Pour ma part, j'aime qu'une œuvre me remue les entrailles, me déglingue, me submerge ! Les édulcorants ne me disent rien qui vaille. Comme Thiéfaine, je me réclamerais plutôt des piments et des alcools forts ! Pour qu'il y ait, en moi, rencontre avec un livre, un tableau, une chanson, il faut que ces derniers "envoient du lourd", il faut qu'ils me bousculent et me transpercent. S'ils glissent sur moi comme une ritournellette sans prétention, c'est qu'ils n'ont pas grand-chose à me dire. Je préfère passer mon chemin et les laisser à d'autres.
L'œuvre de Thiéfaine, elle, a quelque chose à me dire. A chaque nouvelle écoute, elle m'atteint, trouve en moi une parcelle neuve qui l'attendait. Et pourtant, cela fait vingt-trois ans que je me nourris des chansons du poète jurassien. La faim reste la même. Je crois qu'elle n'a jamais diminué.
Je me demandais plus haut si nos élans étaient condamnés à mourir à l'automne de notre vie, mais je pourrais peut-être, au regard de ces vingt-trois ans de passion, poser une question plus optimiste : "Si nos élans sont extrêmement forts et procèdent d'une nécessité vitale, se peut-il qu'ils s'éteignent un jour ? Je ne peux me résoudre à imaginer les miens décatis, édentés et chauves. Je les veux toujours, même dans trente ans, irrigués de sève, les dents d'un blanc éclatant, les cheveux luisants, bon pied bon œil ! J'aimerais qu'il me soit donné, même quand je serai "bien vieille, au soir à la chandelle", de retrouver en moi toute ma fougue en entendant une chanson de Thiéfaine. Qu'il me soit donné de m'embraser encore, et au diable les rhumatismes ! Qu'il soit donné à ceux qui m'entoureront à ce moment-là de voir des étincelles s'allumer, que dis-je, disjoncter dans mes yeux ! Que mes petits-enfants se disent : "Trop forte, la mémé, elle n'a rien perdu de son allant !"
La passion, en nous maintenant dans un rapport avec la vie qui est tout sauf figé, mais plutôt ouverture, mouvement perpétuel, nous aide sans doute à ne pas nous racornir. Il faut l'espérer, en tout cas !
15:41 | Lien permanent | Commentaires (17)
Commentaires
"Wir sind durch Not und Freude
gegangen Hand in Hand;
vom Wandern ruhen wir
nun überm stillen Land.
Rings sich die Täler neigen,
es dunkelt schon die Luft,
zwei Lerchen nur noch steigen
nachträumend in den Duft.
Tritt her und laß sie schwirren,
bald ist es Schlafenszeit,
daß wir uns nicht verirren
in dieser Einsamkeit.
O weiter, stiller Friede!
So tief im Abendrot.
Wie sind wir wandermüde--
Ist dies etwa der Tod?"
Joseph von Eichendorff, "Im abendrot"
Écrit par : Dadla | 06/10/2015
... Il est 00 heures 20 environ et je reviens du cinéma. Il y a au moins une phrase dans le film qui aurait convenue à ta démarche mais je ne puis me la remémorer.
... J'espère pouvoir le revoir avant qu'il ne disparaisse du grand écran ..
... Marguerite consciente des critiques rétorquait ceci : " Les gens pourront toujours dire que je ne sais pas chanter, mais personne ne pourra jamais dire que je n'ai pas chanté. "
... Ce n'est pas un drôle de projet, c'est un projet, dans le film Marguerite ira elle au bout de son projet et arrivera un court moment à chanter juste.
, moi aussi Cath. j'ai eu l'idée d'un drôle de projet en rentrant à mon domicile " Me remettre juste à vivre. " !...
Écrit par : Le Doc. | 07/10/2015
, il est 6 heures 24' :
... Hubert m'a laissé à entendre il y a bien longtemps que je connaissais par cœur ses chansons, en diagonale pour les textes et la musique plutôt,, par contre en ce qui concerne la trame qui charpente ' l’œuvre et l'homme ' comme un bipède sapiens qui travaille tous les jours à rester au plus proche de l'humain.
... Par cœur certes mais avec raison :-)
, je reviens pour la citation :
Écrit par : Le Doc. | 07/10/2015
Mais moi je restais hermétique
Indifférent à tes envies
A mettre sa vie en musique
On en oublie parfois de vivre*
Écrit par : Le Doc. | 07/10/2015
Après de vagues lueurs, d'ultimes prolongations
On repart à genoux, le cœur sous perfusion
Au bord de la faillite mentale mais sans passion*
Écrit par : Le Doc. | 07/10/2015
... Ce n'est pas facile de voyager d'émotion en sentiment, si pour certain(e)s cela manque d'émotion il faut alors chercher le véritable pourquoi de ce ressenti.
... La vie reprend ses droits pour revaloriser les émotions primaires, attention à conserver la bipédie même avec un déambulateur.
;-) à La Globulle
Écrit par : Le Doc. | 07/10/2015
t'es dingo docky! (c'est le surnom qu il me donne, la globule!)
A.
Écrit par : toine | 07/10/2015
@ toine :
Je ne ni Dingo ni Pluto, tout simplement Toqué à la façon d'un chef étoilé :-)
Écrit par : Docky | 07/10/2015
katell,
on ne se connait pas et je ne sais pas pourquoi je te dis ca.
ok hft, artiste qui a marqué ton quotidien depuis 20 ans.
ok hft, porte paroles d'émotions que tu as souvent fait tiennes.
ok hft, support évident pour écrire.
Mais bon, t'as une super plume et des émotions évidentes alors pourquoi revenir toujours à hubert?
et si tu portais en toi Katell autre chose que l'envie d'écrire sur Thiéfaine?
Et si ca valait le coup de te lancer pour écrire un essai, des poèmes ou un roman?
Et si je m'occupais un peu de mes oignons?
lol
A.
Écrit par : toine | 07/10/2015
@Toine : je n'ai jamais écrit de truc très construit sur Thiéfaine, justement, et souhaite me lancer dans un projet de ce genre. Les poèmes, j'ai arrêté, après en avoir écrit pendant vingt ans environ. Et j'ai écrit un roman l'hiver dernier. Voilà. Il est donc temps de consacrer des pages à Hubert !
Écrit par : Katell | 07/10/2015
il s'agit d'autant d'arguments qui se suffisent à eux-mêmes certes et ca répond à ma question!
A.
Écrit par : toine | 08/10/2015
Katell, c'est un beau projet, il n'y a rien de drôle ou d'étrange. Seul ceux qui n'ont pas le courage de mettre en marche leur machine trouveront matière à critiquer. je sais quelle patience et quel amour des mots il faut pour écrire juste et si je suis sur d'une chose c'est que tu as une écriture chargée d'émotions, j'aime ça. Je suis comme toi une chanson ou un livre doit me bousculer à l'intérieur c'est peut-être un peu masochiste mais c'est aussi ce qui me fait avancer d'une certaine façon ( peut-être en crabe d'ailleurs ! ). Bravo pour ton billet sur le zénith de Nancy, j'aime la manière dont tu l'as abordé. moi je reverrai toute la bande mardi à Lille ! si il y du neuf je te le dirai mais on sera loin de ta qualité de narration. bises ! et continue !!!
Écrit par : vaxenlair | 09/10/2015
Ha.. cet équilibre selon Sperry !...
On ne loupe peut-être pas, On se loupe peut-être aussi :-)
Écrit par : Le Doc. | 15/10/2015
bonjour,
je découvre ce superbe blog sur le poète des temps moderne que j'adore.
un jour,il avait déclaré à un journaleux"ne chercher pas toujours a savoir ce que mes chansons veulent dire"...
une chose qui réunit ces fans et m'a toujours posé question,comment peut on aimer un artiste dont on ne comprends pas toutes les paroles?
continu ce blog,il est merveilleux tout comme Hubert.
Écrit par : david | 26/10/2015
@ david :
1) ce n'est pas la première ( ni la dernière fois : ce que je lui souhaite .. ) connerie que dit le mangeur de cassoulet :-)
2) comment peut-on .. te poses-tu la question .. etc .. : simplement en l'aimant banane et si je devais me comprendre de même je devrais cesser immédiatement de mémé dans le les doigts du fut !...
, serviteur ..
Écrit par : Le Doc. | 26/10/2015
David, justement, ce qui est intéressant, me semble-t-il, c'est que le mystère demeure, même après vingt ans d'écoute acharnée !!!
Écrit par : Katell | 01/11/2015
... Il n'y a aucun mystère pour moi dans ce qui fait le noyau de l’œuvre d'HFT, ce que j'ai dit de façon fragmentaire à la Maison de la Poésie les 8 & 9 juin 2015 en rappelant ce qui est notre religion commune au sens de " religuare " comme le précisait Sigmund Freud.
... C'est ce que j'expliquais d'ailleurs sur le Site de Narcisse dans un pseudo chaos pour les limités volontaires du bulbe [ :-) ], au final c'est ce noyau inscrit dans la musique d'Hubert ( paroles & chansons ) qui nous rassemble sans anoblir hélas les individualités.
Écrit par : Le Doc. | 01/11/2015
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