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22/05/2016

Yves Jamait en concert à Ludres : c'était vendredi et c'était grandiose !

"La pensée de la mort ne m'a guère quitté tout le long d'une vie déjà longue. Mais la mort n'a jamais pour moi calomnié la vie. Elle en avivait seulement le prix, fondé sur sa fragilité". Claude ROY

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Parfois, Yves Jamait me fait penser à René Fallet ! D’un côté, on aurait la veine Beaujolais, celle qui chante les aubes avinées, les amitiés masculines, les comptoirs luisants, gorgés d’ivresse, où les mots se font trébuchants. De l’autre côté, la veine whisky, celle qui pleure les amours à ramasser à la petite cuillère, les injustices, le temps qui saccage tout sur son passage. Sur scène, même quand le sujet qu’il évoque est lourd, Yves Jamait a la délicatesse de rester léger. Tout ce qu’il célèbre (« des printemps insolents qui effacent l’hiver », « la gouache des fleurs sous des nuées d’abeilles », l’accordéon mal aimé, mal compris) ou déplore (l’omniprésence des salauds, les années qui défilent, la mort d’un ami), bref, tout ce qu’il chante se pare d’une grâce désarmante. Avec ses traits burinés et sa silhouette mélancolique, il a l’air d’un marin breton qui serait venu s’échouer en terre dijonnaise. Une petite inadvertance heureuse…

Voilà un artiste qui, avec sa bande de musiciens (trois boute-en-train facétieux et complices ; en allemand, on dirait que ce ne sont pas des enfants de la tristesse !!), est capable d’embraser une salle entière. De la faire tour à tour rire et pleurer. « Quel talent ! Quel culot ! », aurais-je envie de dire, en plagiant monsieur Renaud Séchan !

A chaque fois que je suis allée voir Yves Jamait sur scène, ce fut un enchantement. Vendredi soir, à Ludres, ce fut encore plus. Un éblouissement. Une comète qui passait dans un ciel étonné ! Jamais je n’ai vu un tel don de soi, une présence aussi déchirante, un tel respect du public, une telle connivence avec lui. Yves Jamait ne se prend pas au sérieux, et c’est peut-être là qu’est le secret ! Ses chansons, bien souvent, vous fouettent les tripes, il les interprète avec une conviction dure comme ferraille, sans fard, n'hésitant jamais à mouiller la chemise, de sa sueur ou de ses larmes. Le tout au milieu d'admirables pirouettes humoristiques.

A Ludres, Yves Jamait est venu présenter lui-même la première partie du spectacle. Une première partie d’ailleurs loufoque en diable : Lili Cros et Thierry Chazelle.

En fait, je n’ai pas de mots pour raconter ce concert. Je crois qu’Yves Jamait sur scène, c’est tout simplement inénarrable, c’est à vivre et c’est tout !!

Après s’être donné totalement pendant deux heures et demie, il a trouvé la force de venir à la rencontre de son public. Et avec le sourire, s’il vous plaît, et une attention extrême pour chacun ! Il a lui aussi son noyau de fans irréductibles, qui le suivent de verre en vers depuis toujours ! J’ai été bouleversée par une certaine Nadine, qui offre des CD d’Yves Jamait à tous ceux qu’elle aime, si j’ai bien compris, et ils sont légion ! Yves Jamait la connaît bien. Si bien qu’il peut se permettre de plaisanter à son sujet : « Nadine croit que les CD sont à usage unique. Elle les achète, les écoute une fois et les jette » ! Yves Jamait n’aime pas les flashes, lui non plus, et il le dit avec simplicité, sur un ton agréable !! Ce naturel m’a presque fait mal, je n’ai pu m’empêcher de le comparer avec la dureté des propos de Thiéfaine sur la tournée actuelle, quand il s’agit de photos, justement. Je déteste sentir qu’en moi s’insinue le poison des comparaisons. Quand on compare, c’est qu’on aime moins… Ce que l’on aime réellement demeure incomparable à nos yeux ébahis. Ce n’est pas que je n’aime plus Thiéfaine. Disons que je continue à aimer son œuvre (ses mots me transpercent et me transperceront toujours, je crois), mais quelque chose en moi s’est fissuré au fil du temps en voyant l’homme agir parfois presque comme une starlette. Je sais que je jette un pavé dans la mare, que je vais faire des mécontents, j’en prends le risque. Admirer ne veut pas dire tout accepter sans discernement. De temps en temps, les comparaisons font du bien aussi, elles remettent les choses à leur juste place… Mes presque 24 ans de vagabondage avec Thiéfaine m’autorisent à être critique, non ?

16/05/2016

Renaud, mon frangin, mon poteau...

"Roulez toujours, suivez le vent". Renaud, Mulholland Drive.

 

Sans l’amour inconditionnel que l’une de mes filles voue à Renaud, je crois que j’aurais peut-être écouté de loin, d’une oreille distraite, voire pas écouté du tout, son dernier album. Impossible dans ma chaumière, et c’est tant mieux ! Car je serais passée à côté de quelque chose de puissant. Bien sûr, on pourra toujours m’objecter que Renaud fut plus incisif en son printemps, qu’il a laissé en chemin un peu ou beaucoup de cette verve qui le caractérisait. On ne me convaincra pas. Je dirais pour ma part qu’il a seulement évolué. Que seraient nos enthousiasmes de jeunesse s’ils devaient perdurer absolument intacts une fois la maturité venue comme une marée noire ?

Je vois dans ce dernier album une écriture du tourment, qui se dessinait déjà dans Marchand de cailloux, et même bien avant. La quarantaine fut un âge empoisonné pour Renaud. Comment, lorsque l’on se sent éternellement gavroche dans l’âme, accepter de voir un à un blanchir ses cheveux, mourir des potes, s’amenuiser des illusions ? L’enfance qui s’éloigne chaque jour un peu plus et l’impossibilité de s’en faire une raison, tout cela était écrit noir sur blanc déjà dans Les dimanches à la con et revint en force dans Le sirop de la rue ou Cheveu blanc.

J’ai écouté, réécouté le dernier album. Certes, la voix est désaccordée, mais ne l’a-t-elle pas toujours été ? Oui, elle est ce que l’on pourrait appeler une voix de rogomme, laminée par le pastaga, passée sous le rouleau compresseur de je ne sais combien de cibiches. Mais cela a au moins l’avantage de l’accorder, justement, avec le « message » délivré ici : la vie est moche et c’est trop court. Le constat est amer, désabusé, mais ô combien juste, malheureusement. De sa voix frêle, Renaud nous chante ses fragilités. Mais pas seulement : il parle de la force que l’on peut puiser dans les mots, et je ne connais pas d’hommage plus déchirant que celui-ci, parce que lancé dans un souffle ténu, parce que presque susurré parfois… Cette chanson me bouleverse. Et puis, une personne de mon entourage m’a dit dernièrement que le texte semblait comme écrit pour moi, et je me la pète grave depuis, et je m’en fous : oui, pour moi aussi, les mots furent et demeurent le radeau de sauvetage. Dylan me secoue les entrailles, elle s’adresse, je crois, à tous ceux qui ont du monde sous le « marbre du chagrin » et se sentent « feuilles mortes au vent » depuis la perte d’un de leurs proches…

Mulholland Drive, j’en ai déjà parlé ici, et j’y reviens, c’est une ode aux escapades sauvages et déjantées, dont on ne sait pas, d’avance, où elles nous mèneront… Je l’aime bien, cette jeune fille qui part aux aurores en refermant la porte sur son passé et sa famille et qui croit dur comme fer que le meilleur est à venir. Elle a la confiance de la jeunesse chevillée au corps, et c’est un bien précieux, que la vie se chargera sans doute de mettre en miettes. Mais, pour l’heure, pas d’amertume : elle laisse le vent la pousser à sa guise, sur la route qu’il choisira, et je ne sais pas de plus beau vertige.

Que dire encore de ces chansons dans lesquelles Renaud s’incline devant sa « descendance » ? On sent à l’écouter (et en cela il rejoint Thiéfaine, je crois) que mettre des enfants en ce bas monde, même si cela ne va pas sans combat intérieur, est peut-être l’une des choses qui nous réconcilient avec la vie. « Il nous restera ça », les cris des enfants qui déboulent dans le salon de nos dimanches vieillards, leur folie, leur main qui s’accroche à la nôtre, confiante, abandonnée… Pendant ce temps-là, des cités peuvent menacer ruine, et même s’effondrer, l’amour qui traverse les générations a quelque chose d’indéracinable.

Je t’aime, frangin Renaud, mon tendre poteau. A cela cent mille raisons : c’est grâce à toi, je n’en démords pas, que je me ruai un jour sur les mots, faisant d’eux, à la faveur d’un stupide chagrin d’amour ado, mes compagnons de toujours, ceux que l’on garde rivés à soi comme une corde à laquelle on ne se pendra pas. Tu fus le prince de mon enfance, celui qui me chamboula en me disant (et je n’y pigeais que dalle à cette leçon) que « la mer c’est dégueulasse, les poissons baisent dedans » ! Tu fus l’un de ceux qui m’ouvrirent l’esprit, m’amenant par exemple, en 1996, année où je débutai dans l’enseignement, à m’interroger sur le sens de ma « mission », afin de ne pas filer que des chevaux morts en héritage aux élèves qui certainement s'ennuyaient à cent sous de l'heure dans mes cours pas du tout indispensables !! Tu fus parfois, souvent, une lanterne quand je ne faisais plus confiance au seul vent. Et tu es maintenant comme le flambeau que j’ai refilé sans le savoir, sans forcer, à ma fille Louise, qui t’aime d’un amour tellement pur que j’ai honte de mes incapacités d’adulte... Quand je lui dis que j’aime particulièrement telle ou telle chanson de toi, elle me répond invariablement : « Ben moi je les aime toutes ». J’adore l’écouter chanter des paroles auxquelles elle ne comprend pas toujours tout, mais auxquelles elle accorde une foi totale !

Merci, frangin Renaud, d’être toujours là, sur tes deux guibolles arquées, chancelantes parfois. Ce n’est pas moi qui te jetterai la première bière, je ne sais que trop les pas de traviole, les parcours en zigzags, pas linéaires pour un rond !