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19/10/2023

HFT était au NJP hier soir

"Combien de jours encore à contempler l'automne

à surveiller l'orage dans le cri des guetteurs

à pleurer dans les bras de ceux qui abandonnent

qui s'envolent à jamais vers un nouvel ailleurs". Hubert-Félix THIÉFAINE

 

Nancy, chapiteau de la Pépinière, 18 octobre 2023. Il n'est pas loin de 22h43 quand, dans la fosse, on sent l'ambiance glisser vers autre chose, cette autre chose qui m'est familière et qui tient de la braise. De-ci de-là, retentissent des « Hubert ! ». La foule se resserre. On sent que chaque petit centimètre carré compte. Tout le monde veut prendre sa place, comme dans l'émission. Moi aussi. Et, d'ailleurs, ma place (dans les premiers rangs de la fosse), je la tiens solidement depuis le début de la soirée. J'ai tout fait pour n'avoir pas à bouger une seule fois : buvette interdite, et toilettes itou. La première entraînant souvent les deuxièmes, je n'ai ingurgité qu'un minimum de liquide dans la soirée. J'ai la gorge sèche, mais tant pis. Les deux premiers concerts m'ont bien plu. Surtout le premier, de Tankus the Henge. Celui de Warhaus légèrement moins, mais c'est un univers qui demande à être découvert tranquillou chez soi, je crois, et c'est ce que je ferai bientôt.

Peu à peu, des petits malins essaient de se frayer un chemin jusque tout devant. Ah, je les connais, ces énergumènes qui, sous prétexte qu'ils apprécient Hubert comme moi, seraient prêts à tout pour griller ma place. Ah non, c'est hors de question ! Je pourrais facilement devenir mauvaise dans ces cas-là. Cependant, je laisse passer deux dames quand même parce qu'au fond, je reste une gentille. Elles sont petites, l'une des deux mesure 1 mètre 46, précise-t-elle, et elle veut avoir une chance d'apercevoir ce qui se passe sur scène. D'accord, ces deux-là peuvent me dépasser, mais pas les autres. Trop facile sinon. Il suffirait que chacun y aille de ses trémolos attendrissants, et le tour serait joué, et puis quoi encore ? Cent balles et un Mars, comme on disait quand j'étais ado ?!

Autour de moi, gens de toutes sortes. Des jeunes, des moins jeunes. Plus de moins jeunes que de jeunes, il est vrai, mais tout de même : il faut noter que la jeunesse se déplace pour HFT et que ça fait plaisir. Je voudrais bien savoir d'où viennent ces tout frais au visage encore lisse, comment ils sont tombés dans l'œuvre d'HFT, pourquoi, quand, grâce à qui ou à quoi. Ah, si j'osais, je leur demanderais !

Mais je n'ose pas et, de toute façon, il est bientôt 23 heures, ce qui veut dire qu'il est temps de sonner la fête. 23 heures, mais je fais beaucoup plus jeune, si vous voyez de quoi je parle : depuis 31 ans, la même chamade dans le cœur à chaque concert. Ça veut bien dire quelque chose, n'est-ce pas ? Ça veut dire qu'il y a encore des bouts de jeunesse là-dedans, parmi les débris, et que les concerts, ça entretient les artères ! Eh oui, un chouïa d'illusions ne nuit pas en ce monde de brutes !

Les musiciens entrent en scène, les premières notes de Droïde song emplissent le chapiteau, que tout cela échauffe de quelques degrés supplémentaires. Cette fois, Thiéfaine arrive presque en même temps que la musique, pas comme à Amnéville, par exemple, où on l'entendait d'abord chanter un certain temps avant de le voir, ce qui n'était pas sans susciter quelques questions : d'où venait sa voix ? Où se cachait-il, l'espiègle ? Quand allait-il arriver ? Là, non. Le voilà direct. C'est bien aussi. Je crois même que je préfère cette version. Et vous ?

Les morceaux s'enchaînent. Vite, trop vite. Je sais d'avance que ce concert sera un format court et qu'il ne suffira pas vraiment à étancher ma soif, que j'ai grande et exigeante ! Mais bon, c'est toujours ça quand même. C'est mon premier concert d'après maladie. J'ai l'impression de revenir d'un autre monde, sans couleurs et sans joie. D'un monde aseptisé envahi par les bilans sanguins, les plaquettes, les neutrophiles et compagnie. Si bien que malgré moi, je suis devenue une spécialiste des globules. Je les connais tous, je sais à quoi ils servent, pourquoi ils sont là, pourquoi ils manquent parfois, etc. Avoir mal aux globules, comme dans la chanson, je sais désormais exactement ce que ça fait, je l'ai vécu dans ma chair ! Bref... Premier concert d'après maladie, disais-je, et je suis émue. Normal. C'est donc bien vrai : je me tiens là, debout et vivante parmi ces autres vivants ? Ouah, permettez-moi de ne pas tout à fait en revenir ! Et de m'en extasier, tranquillement dans mon coin. Un énième concert d'Hubert, quelle chance ! Les comptes peuvent reprendre. Il faudra d'ailleurs que je regarde où j'en suis : à une cinquantaine de concerts sans doute, mais combien au juste ? À vérifier. Juste pour ma petite gouverne, comme ça, parce que cela ne lui fera pas une belle jambe. Les comptes, elle aime ça. Figurez-vous qu'il y a peu, je me suis même amusée à calculer le nombre d'heures que j'avais passées en compagnie d'HFT. Mis bout à bout, tous les concerts font même pas une semaine. Pas tout à fait cinq jours et cinq nuits, si mes calculs et mes souvenirs sont bons. Ce n'est pas bézef. Conclusion : il en faut encore ! Oui, je sais : l'arithmétique, chez moi, revêt d'étranges formes...

Donc, les morceaux s'enchaînent, écrivais-je plus haut. À Droïde song succèdent Dies olé sparadrap joey, Narcisse, Eux, 113ème cigarette sans dormir (plus que jamais d'actualité, c'est désolant comme l'Histoire c'est l'éternel retour du même qui s'empile sur le même qui reviendra), Cabaret Sainte-Lilith (tellement sensuelle, pour le coup, qu'elle me ferait presque venir le rouge aux joues), Groupie 89 turbo 6, Diogène (joie d'entendre retentir du Goethe dans le chapiteau bondé : yeah, ça claque, et j'ai même le temps de me dire que décidément, j'adore vraiment cette langue, que ce qu'on lui reproche - son côté soi-disant rugueux -, c'est justement ce qui me fait vibrer), La fin du roman, Combien de jours encore. À propos de La fin du roman, je me demande pourquoi cette chanson a été choisie pour figurer au programme d'Unplugged et de Replugged. On sait qu'elle déchaîna quelques commentaires bien cinglants sur la toile, et m'est avis que Thiéfaine ferait là un pied de nez à tous ceux qui ne seraient pas contents, mais peut-être que je me trompe ?

Combien de jours encore me déchiquette le cœur, couplet après couplet. C'est une chanson grave, impitoyable. Et toujours ce même coup de poing dans la poitrine quand il est question de ceux qui abandonnent, qui « s'envolent à jamais vers un nouvel ailleurs ». Cela me fait penser à mon père, immanquablement, et à la longue fatigue qui précéda son départ. Je pleure. Ben oui. La chanson s'achève dans un rock brûlant, ce qui la délivre, sur la fin, d'un certain poids (celui de l'univers, peut-être ?). On se concentre sur le jeu des musiciens, et l'on oublie un peu que les accents de leurs instruments font suite à une troublante interrogation métaphysique.

Avant de chanter Combien de jours encore, Hubert a annoncé que c'était la fin du concert. Des voix s'insurgent : comment, déjà ? Mais est-ce possible ? Ça vient à peine de commencer. On était là, peinards, et déjà il faut songer à reprendre le cours de la vie, sans autre forme de procès ? C'est carrément injuste. La fosse et les gradins réclament un rappel, à grand renfort de cris, de sifflements, de tapotements de pieds. L'équipe revient. Secrètement, j'espère Mathématiques souterraines, mais non, nous ne l'aurons pas. Dommage. C'est Sweet Amanite Phalloïde Queen et La fille du coupeur de joints qui viennent boucler le show, les deux électrisant bien la foule. Qui en aurait voulu un peu plus, comme moi. Mais bon, on est en mode festival. J'ai remarqué que les festivals, c'était rien que pour me donner plus soif encore. Heureusement que je vais à Troyes la semaine prochaine, tiens ! Et à Saint-Dizier en novembre, et peut-être à Colmar en décembre, et sans doute à Mondorf-les-Bains en avril, et probablement à l'Olympia en mai !

J'ajoute, parce que je n'ai pas réussi à caser cette information cruciale dans les paragraphes qui précèdent, qu'hier soir Hubert et ses musiciens étaient en grande forme et que quand est venue la minuit, ils faisaient tous beaucoup plus jeunes, et que c'était beau à voir. Avant le concert, j'ai entendu une femme dire à son voisin : « C'est fou, Thiéfaine a toujours une très belle voix ». Je ne peux qu'abonder dans son sens. Et remercier la vie qui (tout en restant une sacrée chienne) m'a donné la possibilité d'entendre une nouvelle fois cette voix que les années n'ont pas abîmée, juste rendue plus profonde. Combien de concerts encore, à regarder passer l'infini sur la scène ? Autre troublante interrogation métaphysique, et une seule réponse possible : qui vivra verra.