12/11/2023
Sur les cendres danser, le dernier album de Jil Caplan
"Tu voudrais tout éteindre
Sur les cendres danser
Tu voudrais tout étreindre
Quitte à mourir brûlé". Jil CAPLAN
Enfant, j'appris très tôt, grâce à ma mère, que la vie sans musique ne pouvait être qu'une succession de jours sans couleurs. Je me souviens des longues séances avec elle dans la cuisine, à écouter religieusement après les repas Véronique Sanson, Alain Souchon, et tant d'autres. Ma mère possédait de nombreuses cassettes qui recelaient des trésors. Elle était convaincue que la vaisselle, c'était plus marrant, c'était moins désespérant en chantant. La musique l'accompagnait dans toutes les tâches qu'elle accomplissait jour après jour. Et moi j'étais là, dans mon coin, l'air de ne pas me laisser chambouler plus que ça, et pourtant... Et pourtant, j'avais déjà des tracas qui me dépassaient : pourquoi la dame de Vive la rose était-elle malade ? Pourquoi « j'suis mal en campagne et j'suis mal en ville, peut-être un p'tit peu trop fragile » ? Tout cela me perturbait beaucoup. Quelque part, au fond de moi, sans que je puisse le formuler clairement, je sentais que les artistes étaient des êtres à part qui, de la vie méchante, faisaient autre chose. Quelque chose de plus grand et de meilleur. C'est avec eux que j'appris à marcher en ce bas monde. Grâce à ma mère pour qui une seule journée sans musique était inconcevable. Elle me mit très vite entre les oreilles des chansons mélancoliques qui parlaient du temps assassin, d'amours brisées, etc. Même La demoiselle, d'Angelo Branduardi, sous ses allures de romance enjouée, avait un arrière-plan ultra triste.
Ma mère aimait également les poèmes. Ceux de Ronsard tout particulièrement. J'eus très tôt accès sans restriction aucune à la bibliothèque maternelle. C'est ainsi qu'à douze ans je lus Les amours, de Ronsard justement, sans forcément comprendre toujours de quoi il retournait, mais me laissant bercer par la musique qui faisait danser l'ensemble. Ce n'était pas très joyeux non plus. « Et on voudrait qu'j'aie le moral », comme chantait Brel ! Plus tard, je lus, sous la plume de Musset, que « les plus désespérés sont les chants les plus beaux ». Tout un programme ! Qui devait me conduire, de façon assez logique, vers Thiéfaine et sa poésie rarement jouasse !
Mais il n'y a pas que Thiéfaine dans la vie, je l'ai déjà dit. Quoique, des fois, quand même, on se demande... Non, soyons honnêtes : même quand on a fait d'un artiste son chouchou, on reste ouvert aux autres (et c'est souhaitable). Ainsi, en ce moment, je n'écoute pas Thiéfaine, mais le dernier album de Jil Caplan et quelques chansons de Warhaus, groupe que j'ai découvert au NJP (il passait avant HFT). Open window, entre autres, est une petite merveille. Essayez, pour voir !
Jil Caplan, je l'ai découverte, comme bien des gens je crois, avec Tout c'qui nous sépare. C'était dans les années 1990. Je fus immédiatement conquise par les mots et la voix de cette chanteuse. La voix : vraiment incroyable. Si bien que même quand Jil Caplan ne chante pas, elle a toujours un chant dans la gorge. Au bord des lèvres, prêt à éclore, et c'est beau. C'est une voix qui swingue naturellement. Qui est le swing à elle toute seule !
J'ai tous les albums de Jil Caplan. Et je l'ai vue deux fois en concert. La première fois, c'était chez Paulette, à Pagney-derrière-Barine, bled paumé non loin de Toul. À frôler le panneau qui indique Pagney-derrière-Barine, tu ne soupçonnerais pas l'existence, ici, d'une salle de concert. Eh bien si ! Jil Caplan s'y produisit en 2006. Je me souviendrai toujours de son arrivée complètement dingue à Pagney-derrière-Barine : elle avait débarqué, pas starlette du tout, tenant en laisse un magnifique labrador noir. Je crois qu'aujourd'hui encore elle aime les chiens. Preuve : la chanson Animal animal, dans laquelle elle dit « J'ai trouvé mon frère qui ne parle pas, qui ne dit rien,
Qui ne demande qu'un geste tendre ».
Tout l'album est beau. Le titre, déjà : Sur les cendres danser. Un titre qui annonce la couleur : ce n'est pas parce que tout est désastre autour de nous qu'il faut renoncer à danser. C'est ça que nous apprennent les artistes, eux à qui il est donné d'empoigner des horizons plus beaux que ceux du commun des mortels !
Allez, quand même, il faut bien l'avouer : même si j'aime absolument toutes les chansons de cet album, j'ai un faible pour Virginia (une chanson sur Virginia Woolf), Daronne, Sur les cendres danser, Être heureux, Même Marylin. Musicalement, c'est très différent du CD précédent, Imparfaite. C'est plus rock, plus tranchant.
« Être heureux, peut-être que ça n'existe pas », chante Jil Caplan. Non, c'est vrai, c'est par touches, de temps à autre. Entre les gouttes, comme disait Romain Gary. En tout cas, être heureux, sans la musique : impossible ! Ma mère avait raison...
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