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Suis la flèche, dis-moi ce que tu vois !

"Il est bien des choses qui ne paraissent impossibles que tant qu'on ne les a pas tentées". André GIDE

 

Suis la flèche (https://www.thiefaine.com/), dis-moi ce que tu vois ! Je vois, je vois … un paquet de dates qui se sont ajoutées à celles qui avaient déjà été annoncées. C'est à vous rendre chèvres les calendriers qui auraient aimé signer un pacte avec la sagesse ! Les agendas ne savent plus où donner de la tête. Il y a du Replugged dans l'air, c'est moi qui vous le dis ! Et ce premier octobre me le rappelle avec entrain : dans 17 jours, ce sera le NJP. Thiéfaine y sera. Moi aussi. Normalement, si tout va bien. Je mets des p'tites pincettes, je prends mes précautions, des fois qu'un fâcheux événement viendrait inopinément se mettre en travers de ma route, comme ce fut le cas en novembre 2022. J'vous jure, je marche sur des œufs depuis... Toujours à craindre une chute de tuiles, un accroc dans le tissu, un nouveau dérèglement de tous les sangs (pas très rimbaldien, le truc, mais passons). J'ai cette drôle d'épée au-dessus de la tête, qui a pour nom Damoclès (Dame Oclès, dirait Mathias Malzieu) et qui, « parfois, dans les lueurs des nuits blanches et hostiles », se rappelle tristement à mon souvenir. Tombera, tombera pas ? Plus qu'à attendre le prochain épisode pour le savoir.

Bref... Le NJP, il y a quelques mois encore, je ne savais même pas si j'allais pouvoir y aller. J'avais décidé de prendre mon billet au tout dernier moment. Or, un matin de juin, je reçois un SMS d'une amie qui me demande si ce concert m'intéresse. Mille fois oui, comme on sait. Et voilà que ladite amie m'annonce qu'elle m'offre la place ! Pour moi, fini le questionnement métaphysique sans fin : « J'y vais, j'y vais pas ? Si je prends le billet trop tôt, ne vais-je pas me porter la scoumoune ? Si je ne le prends pas à temps, ne vais-je pas m'en mordre affreusement les doigts par la suite, si le site du NJP vient à afficher complet pour le concert en question ? ». Oui, chez moi, la métaphysique rejoint presque toujours le thiéfainien ! Et inversement !

Donc, j'ai un billet pour le NJP (merci Annabelle). Le concert d'Hubert débutera à 23 heures et j'ai un peu la trouille de ne plus tenir solidement dans mes godasses à cette heure-là. Je me couche tellement tôt la plupart du temps... Vous seriez effarés de connaître l'heure qui me voit rejoindre les bras de Morphée ! Je croise les doigts pour que ce 18 octobre soit un jour avec et non un jour sans. Et que je ne vacille pas avant l'arrivée de mon Bébert sur scène.

Dans l'autre poche de mon jean, j'ai également un billet pour le concert du 24 novembre aux Fuseaux (Saint-Dizier). Oui ! Celui-là, ce n'est pas sans émotion que je me le suis procuré dernièrement. Cette peur qui occupe toute ma tripaille désormais, dès que je m'approche de tout projet. Projet veut dire attention, risque de ne pas se faire. Ah, purée, cette maladie, c'était pas un truc pour moi ! J'avais déjà tendance à me méfier bougrement de la vie, mais alors là, mais alors là ! Enfin, quand même, tout doucement, je sors la tête de l'eau et je me projette. Pas très loin non plus, hein... Un mois, deux mois, c'est bien. Après, cela dépasse mes compétences. Fin novembre, je dois faire un bilan sanguin. J'ai décidé de le faire après le concert de Saint-Dizier. Comme ça, si mauvaise surprise il devait y avoir, elle ne viendrait pas ternir la soirée du 24, nananère !

Et, depuis plusieurs jours (depuis que j'ai eu le Doc au téléphone, en fait, car c'est lui qui m'a suggéré l'idée), me taraude une nouvelle question métaphysique (et donc thiéfainienne) : est-ce que le concert de Troyes (25 octobre) ne serait pas jouable ? Je serai en vacances depuis quelques jours et, avec un peu de chance, reposée, les traits moins tirés, la tronche moins décalquée. Je ne sais pas, j'hésite. Je me dis que dans mon jean, il y a encore deux poches à l'arrière et que je pourrais donc aisément y glisser un troisième billet. Histoire de me venger de l'automne 2022 qui ne fut rien qu'un sombre embrouillamini de « diesels encrassés » et de pieds de nez envoyés gratis dans ma face par un sort on ne peut plus coquin, on ne peut plus mesquin.

Oui, Troyes, cela pourrait être pas mal, franchement. Toutes les conditions sont réunies, n'est-ce pas ? Seulement, je voulais aussi profiter des vacances pour aller en Allemagne, pays dont je n'ai plus foulé durablement le sol depuis un petit moment... L'arithmétique me dit que combiner HFT + Allemagne est hautement dangereux pour mes finances ! La métaphysique me dit qu'on ne vit qu'une fois et que plaie d'argent n'est pas mortelle !!! Bon, une chose est sûre : dès aujourd'hui, je regarde s'il reste des places pour le concert de Troyes et des chambres d'hôtel dans la ville !!!

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Après le Grand Rex, une rencontre...

Entre samedi soir et dimanche matin...

Je m'apprête à m'asseoir à une table du Marie Belle. Je rejoins un groupe constitué du Doc, de Sam, de 655321, de Karine et de mes deux filles.

Derrière cette même table, un couple. La cinquantaine, peut-être, je ne sais pas. La passion efface toute trace d'âge, me semble-t-il. Elle gomme les rides, elle offre un lifting gratos à qui ose s'y adonner.

Je dois leur demander s'ils veulent bien, tous les deux, me laisser prendre la chaise qu'ils n'occupent pas. Elle me regarde alors avec un merveilleux sourire : « Allez-y, surtout que je vois que vous avez un sac Thiéfaine ». Plus d'une fois, j'ai eu l'occasion de remarquer qu'HFT, ça crée des liens ! Quand j'ose porter un de mes tee-shirts à l'effigie du monsieur (oui, je prends mille précautions avec ces vêtements-là : il ne faut pas les mettre trop souvent, ça les use), il m'arrive toujours des choses agréables. « Tout à coup, un inconnu vous offre des fleurs », comme dans la pub Impulse qui commence à vachement dater ! Mais il faut dire que mes artères, elles aussi, commencent à vachement dater !!! Pour en revenir à la pub : jamais on ne m'a offert des fleurs après avoir vu sur moi une étoffe marquée du sceau magique, mais tout de même, ça ne laisse pas indifférent. D'ailleurs, quand je m'emmerde un peu dans l'existence, je devrais arpenter les rues d'une ville en arborant mon corbeau ou mon « scandale mélancolique » et voir un peu ce qui arriverait à mon ennui. Idée à retenir !

Bref... Donc, elle a vu mon sac (fraîchement acheté au Grand Rex). Et c'est cela qui me vaut, d'emblée, sa sympathie. Ils sont beaux, tous les deux, ils me plaisent. Ils ont l'air d'être transportés par quelque chose qui les dépasse. Et pour cause ! Ils ont, eux aussi, assisté au concert, et ils en sont sortis éblouis. Ça, c'est l'effet magique, non pas d'Impulse, qui date trop désormais, mais d'Hubert, je vous le dis tout net car je le pense tout net aussi. Voilà. Ils sont subjugués, enchantés, charmés. C'est la première fois qu'ils voyaient Thiéfaine. Et sûrement pas la dernière, s'empresse-t-il (ou t-elle, je ne sais plus) d'ajouter. Elle me dit qu'elle a découvert le chanteur jurassien comme ceci : dans le métro, elle a vu des affiches annonçant les dates parisiennes. Elle s'est dit : « Tiens, Hubert-Félix Thiéfaine, je ne connais pas, c'est intriguant ». Elle est rentrée chez elle et en a parlé à son mari. Ils se sont un peu renseignés et ont décidé de se lancer : le 29 janvier, ce concert au Grand Rex, ce serait leur sortie du soir. Ils ne sont pas déçus. Ils sont tout sauf déçus. Je dirais même qu'ils sont chamboulés. Lui, il est bien décidé à se plonger à corps perdu dans l'œuvre dont il vient d'effleurer quelques strates. « Je sens qu'il y a du texte et que cela mérite qu'on s'y attarde ». À qui le dites-vous, mon bon monsieur ! Je suis moi-même tombée dans la marmite il y a presque trente ans et je n'ai jamais réussi à en décoller. L'élixir qui bouillonne dans ladite marmite, c'est ma drogue, et j'en ai besoin sous toutes les formes : en perfusion, en infusion, en intra- et en extraveineuse, tiens, même si ça n'existe pas (surtout si ça n'existe pas ) !

Ils m'invitent à parler de ma passion, ils sont assez sidérés en apprenant que j'ai vu mon hurluberlu d'Hubert environ cinquante fois. Oui, je sais, je suis bizarre, mais je ne suis pas la seule, rassurez-vous. Nous sommes quelques dingues de la même espèce, à n'en avoir jamais assez !

Qui dit m'inviter à parler de ma passion pour HFT dit prendre d'énormes risques. Car, à un moment ou à un autre, il faudra essayer de me débrancher, et ce ne sera pas une mince affaire. D'aucuns y ont perdu la foi !

Alors je leur raconte tout ce que je peux raconter parce que visiblement, ça les intéresse. Je raconte d'abord les rendez-vous manqués parce qu'ils me font bien marrer aujourd'hui. Mon prof de maths de troisième me prêtant deux CD de Thiéfaine et se voyant dans l'obligation de les récupérer le lendemain. « Désolée, mais je n'ai vraiment pas aimé ». Oui, c'est bien moi qui ai prononcé cette phrase qui m'apparaît aujourd'hui comme une blague ! Ma copine de lycée me mettant entre les mains les paroles de Demain les kids et se voyant, elle aussi, dans l'obligation de les récupérer dans la foulée. « Ok, le texte est beau, mais je n'ai pas envie d'aller plus loin ». Oui, c'est bien moi qui ai prononcé cette absurdité ! La meuf trop sûre de son coup, genre « non, Hubert-Félix Thiéfaine, très peu pour moi, vraiment » ! Tout cela pour se retrouver dans la marmite un an plus tard. La tête à l'envers. Le cœur en révolution absolue à cause d'un vers, celui-ci : « Tu voudrais qu'il y ait des ascenseurs au fond des précipices ». Il y a comme ça des mots destinés à changer le cours de votre existence entière.

Je leur raconte ensuite l'addiction, comme une camée même pas repentie. Oui, j'ai eu d'un coup envie de voir Thiéfaine un maximum de fois, à Paris, en province, partout où je pouvais. M'autorisant un rayon assez large, 500 bornes environ. Mettant de côté l'argent nécessaire pour les trajets, les hôtels, les billets de concert. Il faut ce qu'il faut !

Je suis là, dans un café, à parler fiévreusement avec deux inconnus. J'ai l'impression d'être une curiosité et j'avoue que l'ego étant ce qu'il est, cela ne me déplaît pas. Et puis, je suis sous le charme : ils sont tellement beaux, tous les deux, dans la séduction qui vient de leur tomber dessus. J'ai envie de les entraîner dans la marmite. Mais je crois que je n'aurai aucun effort à faire, ils y sont déjà plongés jusqu'au cou.

Mes filles, non loin de là, commencent à fatiguer. Et merde, qui a 48 ans, dans cette histoire ? Et qui en a 13 et qui en a 16 ? C'est le monde à l'envers : les voilà qui me supplient en chœur, il est tard, elles veulent rentrer à l'hôtel. Les mômes, ça comprend jamais rien aux passions des parents !

Je quitte à regret le petit couple si sympathique. Je leur demanderais bien leur numéro, mais je n'ose pas. 655321 leur parle de mon blog, chose que personnellement, malgré l'ego, je n'aurais jamais faite. Ils notent l'adresse. Ils disent qu'ils viendront faire un tour. Et je rentre à l'hôtel, pressée par deux gamines qui ne tiennent pas le coup dans les soirées. Enfin, ça dépend de quelles soirées. Parce que quand c'est avec leurs potes, elles ne sont pas du genre à réclamer leur paddock ! Et me revient une anecdote en écrivant ce mot, « paddock ». Louise a six ans, elle vient de découvrir Renaud. Elle en est folle. Un jour, elle me demande si je sais ce qu'est un paddock. Parce qu'elle, elle sait. « C'est un lit », me précise-t-elle, toute fière. Elle l'a appris grâce à Renaud. Ma petite fille... Treize ans aujourd'hui et même pas foutue de faire plaisir à sa mère quand celle-ci demande juste d'aller au bout de la nuit, « encore plus loin, ailleurs », comme dans la chanson d'Hubert.

Donc, je les ai quittés, mes deux merveilleux, si beaux dans l'enchantement qui venait de les visiter. Je ne connais même pas leurs prénoms. Ils ont dit qu'ils viendraient faire un tour sur mon blog. Depuis, je les attends...

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Thiéfaine était à Colmar hier soir...

"Quelque chose vient à tout instant nous secourir". Christian BOBIN

 

C'est une grande boîte Pampers. J'en ai déjà parlé ici. Elle contient tous mes souvenirs liés à HFT : billets de concerts, articles de journaux, revues, numéros du fanzine qui n'existe plus, etc. Elle va s'enrichir dès aujourd'hui d'un billet de plus. Et voilà, encore un qu'on enferme parce qu'il appartient au passé. Le temps passe toujours un peu vite et ce n'est pas toujours notre chance*...

Donc, hier soir, Colmar.

J'arrive un peu tard dans la salle, ce qui me vaut de ne pas être aussi bien placée que les autres fois... Il est rare que je me trouve si loin dans la fosse. Sam et Bételgeuse me disent par messages que je peux tenter de les rejoindre tout devant, mais je n'ose pas fendre la foule comme ça, dire « c'est moi que v'là, j'ai pas fait la queue comme tout le monde, mais je vous grille quand même ». C'est pas tous les jours facile de vivre en société quand on a un peu d'éducation.

Bon, ben, voilà, je serai assez loin de la scène. J'en prends mon parti, je me raisonne : Hubert, je l'ai vu presque 60 fois, alors...

Il est très exactement 18h59 sur mon portable quand les lumières s'éteignent. Tout de suite, je me dis que ce ne sont pas les musiciens d'Hubert qui viennent de s'installer sur la scène. Et merde, il y a une première partie, j'aime pas les premières parties, j'ai du mal à leur accorder mon attention et mon indulgence. Mais bon, écoutons quand même, pour voir. Le chanteur s'appelle Nicolay Sanson et étonne par son univers un peu à part, ses prouesses vocales, ses textes. Franchement, à creuser dès que je pourrai.

Petit interlude avant l'arrivée du maître. Des gens se faufilent dans la foule, m'écrasant sans scrupules, et surtout sans s'excuser, les panards. Je ne dis rien, mais je n'en mugis pas moins intérieurement. Deux gars bien costauds et assez hauts sur pattes viennent s'installer pile devant ma voisine de droite et moi. Je suis furax. Alors eux, ils s'en foutent pas mal d'avoir de l'éducation ou pas. Ma voisine est moins couarde que moi. Elle tapote l'épaule d'un des gaillards et lui dit : « ça ne vous dérange pas de vous mettre là sachant que vous venez d'arriver, alors que nous on est là depuis une heure ? ». Comme je la kiffe, cette fille ! Les deux balourds s'en vont un peu plus loin, penauds, cacher le soleil de quelqu'un d'autre. On s'en fout, c'est pas le nôtre, de soleil.

L'heure tourne et Hubert se fait attendre. Je discute avec mon voisin de gauche. Au fil de la soirée, j'apprendrai qu'il vient de La Rochelle (oublié de lui demander si les filles y avaient toujours le scorbut), qu'il s'appelle Jean-Pierre et qu'il est orthophoniste. Au moment où j'apprends son prénom, je me dis que finalement le Doc, malheureusement absent ce soir, est un peu des nôtres tout de même. Jean-Pierre l'orthophoniste est accompagné de ses deux filles. De fil en aiguille, je leur dévoile ma passion pour HFT. J'explique que je l'ai découvert quand j'avais 19 ans, que j'en ai 50 à présent et qu'il me semble que je vais le voir pour la 59ème fois ce soir. J'ai l'air, une fois de plus, d'une bête curieuse. Pas grave, il suffit de s'habituer. J'ajoute quand même, comme pour m'excuser, que je ne suis pas la seule allumée de mon espèce. Mais bon, après tout, je ne peux leur fournir aucune preuve, et comme c'est moi l'unique bête curieuse qu'ils ont sous la main, ben je pense qu'ils se sont dit que j'étais bien givrée.

Givrée comme cette cuvée 2023 qui nous fait l'honneur d'accueillir HFT. Entre le champagne de Noël et celui du 31 décembre ! Quelle bonne idée !

Les lumières s'éteignent de nouveau et cette fois, ça y est, c'est eux : Sofiène, Christopher, Lucas, Bruce, Jean-François, Fred et enfin, last but not least, Hubert. Au bout de quelques secondes, Jean-Pierre me dit, à propos de Thiéfaine : « Il est beau comme un dieu ». Ah ça, JP, ce n'est pas moi qui vais te contredire ! Je me demande même, à force, si ce ne sont pas les dieux qui sont beaux comme Hubert !!!

Même setlist ou presque qu'à Saint-Dizier. Sauf qu'on est privé de Redescente climatisée et que ça me fait des regrets éternels dans le cœur. J'aurais tellement aimé. Comme 113ème cigarette sans dormir. Mais bon. On ne peut pas tout avoir non plus. Déjà, ce qu'on a ce soir et qui est inestimable, c'est la grande forme d'Hubert. Pas un seul plantage dans les paroles, à moins que je n'aie été distraite à un moment ou un autre, mais non, je ne pense pas. J'étais dedans comme on ne peut guère plus et je n'ai relevé aucune infime erreur. La voix est bien reposée, inaltérée, inaltérable semble-t-il. Quelle chance j'ai, quand même : avoir connu cet artiste quand j'avais 19 ans et pouvoir le voir encore aujourd'hui que j'en ai 50. De temps en temps, la vie est bien foutue. C'est pas tous les jours non plus, hein, alors ça mérite d'être souligné !

Je suis heureuse d'écouter les titres qui m'accompagnent depuis des lustres. Souvenirs de moments complices avec ma mère, que Groupie 89 faisait rire. Souvenirs aussi de ces moments où, gênée dans ma chambre qui jouxtait celle de mes parents, je sautais sur le poste pour baisser le son pendant les passages scabreux de Cabaret Sainte-Lilith (et le diable sait s'il y en a : entre la p'tite branlette, la reniflette, les mecs roussis, la pudeur de mes parents aurait eu de quoi être ébranlée si je n'avais veillé au grain, brave fifille à ma môman). Souvenirs de moi à 19 ans, découvrant la phrase « la bidoche est faite pour saigner » et voulant y voir un aphorisme dans lequel se tenait, concentrée, toute la tragédie de la condition humaine : « après avoir souffert, il faut souffrir encore », disait Musset, ce qui revient au même, en définitive !

Je suis toute chose et le public tout chaud. J'ai l'impression d'être dans un bain de Jouvence. Non loin de moi, trois joyeux drilles dansent et chantent comme des gosses. Parfois, ils agitent des briquets au bout de leurs poings levés, comme au bon vieux temps. Parfois aussi, ils tirent en loucedé et rapidos sur un joint, et ça embaume tout le secteur où je me trouve. Ça me rappelle mon premier concert d'Hubert et les émanations de haschich dans la salle entière, ce qui avait fait dire à ma mère : « J'ai jamais fumé un seul joint, mais je sais désormais quel effet ça fait ». Ah, maman, comme tu me manques...

Public tout chaud, disais-je. Ah oui, vraiment, un truc de malade. Ici, ce n'est pas la cuvée givrée, c'est la cuvée en feu, ça crame de partout. Pour ça, Colmar est pour l'instant le meilleur concert auquel j'ai assisté sur la tournée Replugged. J'ai l'impression qu'Hubert et ses musiciens ont été portés par cette ambiance et que les interactions avec le public ont été plus nombreuses qu'ailleurs. Mais peut-être que je me trompe.

Je suppose que pendant le concert la joie se lit sur mon visage car mon voisin (Jean-Pierre) me demande tout à coup à combien peut battre mon pouls. Mazette, je n'en sais rien, mais je pense que ça frôle l'extase dans mes veines !

Mais déjà s'éteignent les notes de Combien de jours encore, et nous voilà seuls avec cette lancinante question. Je pense à mon père, comme à chaque fois, et au moment où il s'est « envolé à jamais vers un nouvel ailleurs ». Ah, papa, comme tu me manques... Les chansons de Thiéfaine, j'y projette toute mon histoire, chacune me renvoie à un pan de ma vie, et toujours, désormais, il en sera ainsi. Ça ne s'en ira qu'avec la bonne femme, comme disait ma mère à propos de certains de ses défauts ou de certaines de ses maladies.

Hubert revient et nous offre des Mathématiques souterraines belles à couper le souffle. Je prends mon téléphone et j'appelle mes filles pour qu'elles écoutent cette merveille. Et puis voilà, ça va bientôt finir... La salle s'embrase une dernière fois sur La fille du coupeur de joints et Lucas finit trempé dans son sweat à capuche.

C'est un concert géantissime qui s'achève. Le temps passe toujours un peu vite, et c'est peut-être notre chance*, finalement, car déjà je vois, au calendrier 2024, des concerts et encore des concerts, l'un à Mondorf-les-Bains, l'autre à Paris peut-être, l'autre à Dole sans doute. Et plus si affinités. Et ça, affinités, je peux vous dire qu'il y a toujours !

 

*"Le temps passe toujours un peu vite, et c'est peut-être notre chance" : début des paroles de la chanson Your terraplane is ready mister Bob ! (album Amicalement blues). 

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Homo plebis ultimae tour : le jour est J, la bombe est H … et Thiéfaine nous ravit !

La pensée du jour : "Combien d'êtres chers, partis à l'aube de notre affection, nous laissent inassouvis ?" Fatou DIOME

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Nouvelle idée en ce début d'Homo plebis ultimae tour : vous laisser la parole ! Si, à l'issue d'un concert, cela vous tente de rédiger un compte rendu que je mettrai ensuite sur ce même blog, n'hésitez pas à me faire part de votre souhait.
Et c'est ainsi que la note d'aujourd'hui sera signée de la belle plume d'Evadné. Elle nous raconte le concert de Brest. Le titre du billet est d'Evadné aussi.

 

 

Homo plebis ultimae tour : le jour est J, la bombe est H … et Thiéfaine nous ravit !

 

 

Un concert de Thiéfaine, c’est toujours un grand événement, une longue attente, peuplée de rêves, de promesses et d’incertitudes. Un début de tournée, c’est l’attente fébrile décuplée. En ce qui me concerne, cela faisait 26 ans que je n’avais pas assisté à une première date. Aussi cette soirée à Brest était-elle immanquable, quand bien même la route, le temps, le quotidien qui ronge… Pour rien au monde je n’aurais raté ce premier rendez-vous !

 

Il était donc 18 heures ce mercredi quand je suis arrivée sur le port, à la Carène. Une place de stationnement providentielle à proximité de l’entrée des artistes, et qui me permet d’apercevoir Lucas et Alice aux abords. Confirmation quelques minutes plus tard que je ne me suis pas trompée de lieu ou de date : on m’autorise à entrer dans la salle qui surplombe la scène et au détour d’un couloir, l’harmonica de « Petit matin », puis la voix d’Hubert ! Je vais ainsi avoir le privilège d’entendre trois extraits (« Petit matin », « Annihilation » et « Infinitives voiles »). Moment aussi inattendu que précieux. L’impression d’être millionnaire ! Puis vient la dernière ligne droite de l’attente, en compagnie d’autres fans, dans une file qui s’allonge très vite. Le conseiller maritime est à son poste d’observation ; le compte à rebours enclenché. Une question sur toutes les lèvres : quel sera le morceau inaugural ? Les paris vont bon train, « Fièvre résurrectionnelle » semble se dégager, mais Hubert nous a habitués à des entrées surprenantes, on se remémore celle du Bluesymental ou encore du SMT. Et s’il arrivait sur un ancien morceau totalement réarrangé ? Quelqu’un se hasarde au pronostic le plus improbable : « Annihilation » ! Non, me dis-je, trop risqué d’attaquer avec une chanson d’une telle densité, et surtout comment enchaîner après ?

 

Il est vingt heures quand s’ouvrent les portes de la Carène. Bien renseignée sur la configuration du hall et la direction de la salle de concert, je cours en évitant de me manger les piliers, derniers obstacles avant la scène. Le premier rang est pris d’assaut. Je m’accroche à la barrière comme si ma vie en dépendait. J’ai 15 ans. Regards circulaires dans la salle qui se remplit. Je me fais la réflexion que le public de Thiéfaine a bien vieilli, la suite me montrera qu’on a tous 15 ans derrière nos rides et nos cheveux blancs. Il est 20h30, ça piaffe et s’impatiente au fond des starting-blocks, et c’est un groupe de jeunes gens (ouf, la relève est assurée !) qui va lâcher les cris qu’on retenait. L’assemblée se met à scander « Hubert ! », en alternant avec des « oooh, ooooh » empruntés à la fille qui nous rend dingues. Extinction des lumières, redoublements des appels et autres cris de bêtes. Cette fois l’homo plebis va entrer en scène ! C’est Alice Botté qui s’avance en premier, suivi des autres musiciens, et qui ouvre sur des accords que personne ne semble identifier. La salle est silencieuse, on doit tous se poser la même question : quelle est cette intro ? Impossible qu’il s’agisse de « Fièvre résurrectionnelle », la mélodie est vraiment trop éloignée des premiers accords, profondément mélancoliques. Thiéfaine entre en scène, veste de cuir noir (mais quelle classe !), guitare et harmonica, et lève le mystère en quelques mesures : Annihilation !!! Le morceau qu’on n’aurait osé imaginer en ouverture, même dans nos rêves les plus fous! Silence dans les premiers rangs : on est cueillis, émus, touchés, frappés en plein cœur. Huit minutes intenses, absolument somptueuses. L’harmonica apporte une certaine légèreté à la chanson, un petit côté Dylan qui cependant n’estompe en rien la noirceur, ni ne dilue l’émotion. Hubert est là devant nous, bien vivant, et la joie de retrouver la scène et le public est perceptible. Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’enchaînement avec « Fièvre résurrectionnelle » est des plus naturels. Il y a quelque chose de l’ordre de l’évidence  dans cette alliance de contraires qui résume les années écoulées depuis les dernières scènes : Annihilation/résurrection. Et c’est un Hubert souriant, détendu, en grande forme, blagueur, qui nous conte des anecdotes liées à ses précédents passages à Brest. Il est heureux d’être à La Carène ce soir. Et nous donc !!! Un public conquis, et qui va se laisser gagner par une autre fièvre : celle de « Soleil cherche futur », pour deux morceaux du panthéon thiéfainien : « Lorelei » et « Soleil » ! Des balcons à la fosse, c’est la même vague qui déferle sur le port de de Brest, et le conseiller maritime qui veille à tribord n’est pas en reste ! On ne le dira jamais assez : c’est merveilleux de se sentir piégés en trois chansons ! Viennent ensuite deux bijoux du dernier album, « Infinitives voiles » et « Petit matin », auxquels va s’enchaîner un chant du fou qui nous ramène, tant au niveau de l’interprétation que de la gestuelle, à la tournée de 85. Trois morceaux qui installent une émotion palpable parmi les spectateurs. Des applaudissements chaleureux, bien sûr, mais aussi des silences éloquents. Hubert revient sur les circonstances de l’écriture de « petit matin », dans sa première version, commencée non loin de Brest, sur un banc de Camaret, une nuit d’insomnie. Guitare et harmonica pour cette perle noire, interprétée avec une justesse, une sincérité et une sobriété à l’image du concert. Comme le laissait présager la photo de son dernier album, Thiéfaine est à nu. Et il nous livre un des deux morceaux rescapés de « Scandale mélancolique » : « Confessions d’un neverbeen ». Lucas observe en coulisses et je revois sa bouille de môme derrière la batterie, lors du zénith 2007. Vient ensuite un des moments très attendus de chaque concert, une chanson incontournable aux multiples orchestrations : « Les dingues et les paumés ». Longue intro et crescendo qui ne sont pas sans rappeler la version 83 (personnellement ma préférée), les paumes claquent en cadence et les alexandrins coulent comme des caresses. Une atmosphère mélancolique qui se poursuit avec « L’Etranger dans la glace », (sans la trompette de Thierry Caens hélas !). Ambiance solitude et mélancolie. Qui ne va pas durer. Hubert est d’humeur joyeuse et il se lance dans un exposé sur les vertus et dangers des champignons ! C’est parti pour quatre morceaux au rythme endiablé, « Sweet amanite », mais aussi et surtout, une version bien rock, puissante, à l’énergie communicative,  de « Solexine et Ganja » ! C’est un Hubert survolté qui se livre à des facéties avec un public qui scande « Ganja ! » et en redemande ! Ce sera « 113ème cigarette sans dormir », suivie de « Narcisse 81 ». Là encore, on n’aurait pas rêvé d’un enchaînement qui nous ramène ainsi à nos premières écoutes de « Dernières balises » ! Le fait est que la playlist pour l’instant taille la part belle au diptyque Dernières balises/ Soleil.

 

Commence alors une étrangeté musicale que je ne parviens pas à identifier. Hubert de son côté n’arrive pas à la chanter ! Je reconnais Garbo dans une bouillie verbale qui se termine par la danse des canards ! Ambiance de répét’ et éclats de rire. «  On va la refaire ! ». Encouragements du public. Deuxième essai. Nouveau plantage et forfait pour ce soir. « Ne vous inquiétez pas, on en a d’autres ! » nous lance Hubert. Et c’est parti pour « La Vamp orchidoclaste », suivie de « La ruelle des morts ». J’ai longtemps espéré que la version concert me rendrait la chanson plus agréable, mais décidément, ça ne passe pas… En même temps, quelle importance. Je suis déjà comblée et le meilleur reste à venir. Pour clôturer le concert (Quoi ? Déjà ? Mais on vient juste d’arriver !!), Thiéfaine a choisi de reprendre, comme il l’avait fait à la Flèche d’or, « Autorisation de délirer », immédiatement suivie d’ « Alligators », comme aux origines. A nouveau le silence, puis les murmures de la salle qui remplissent le formulaire d’autorisation de délirer, cependant que les percussions ouvrent la porte aux alligators. Hubert nous salue et sort de scène, tandis que ses musiciens entonnent une attente qui est désormais la nôtre. Quelques minutes de cris, d’acclamations, de traditionnels « ooh ooh », et le groupe revient pour le joyau de la soirée : « Les ombres du soir » ! L’apothéose !!! Les mots manquent pour dire l’envolée, la puissance, le crescendo qui nous fait tournoyer parmi les divines ombres. « Rien vu de tel depuis longtemps… » résume finalement très bien l’impression que cette chanson a laissée sur le public. Le souffle coupé n’est pas une simple formule, je crois être restée en apnée pendant tout le morceau, me contentant d’expirer des « waouh ! » comme au bouquet final d’un feu d’artifice. L’image vaut ce qu’elle vaut, mais j’ai le sentiment d’avoir assisté à une pyrotechnie magistrale. Sans doute le moment où l’osmose entre les différents membres du groupe fut aussi la plus perceptible.

 

Encore tout sonnés par les uppercuts qu’on vient d’encaisser, on se laisse embarquer par la fille du coupeur de joints pour une ultime ritournelle. Les musiciens nous saluent, Hubert remercie chaleureusement, redit à quel point il a été heureux de rejouer à Brest. De nouveau, les cris et les clameurs des rappels. Et ils reviennent. «  De toute façon, on vous doit une chanson ! », nous lance Hubert en riant. Et c’est « Lobotomie sporting club » qui va clôturer ce premier concert dans les salves d’applaudissements d’un public conquis.

 

Au final, un peu plus de deux heures qu’on n’a pas vu filer, tant la magie nous a portés. Un Hubert en grande forme, je me répète, mais il était radieux et cela se ressentait dans les interprétations, le jeu de scène, le rapport avec les musiciens. Bien sûr, des imperfections et quelques plantages, une machiiiiiiiine qui cale au démarrage, mais cette ambiance très détendue de répétition générale n’était pas pour déplaire au public brestois. Bien sûr des regrets : l’absence d’Annabel Lee et des filles du sud. Et « Vendôme Gardénal Snack » qui n’est toujours pas de l’aventure ! Mais qui sait ? La playlist est encore en rodage, on peut toujours rêver d’une tornade, les soirs se suivent sans être pareils….

 

Le temps de boire un verre et de humer le vent sur le port de Brest, qu’il fallait déjà saluer les amis et reprendre la route. Point de redescente toutefois. Deux jours sont passés et je reste une toupie folle sous les ombres du soir…

 

Immense merci à Hubert, ses musiciens et toute son équipe pour ce premier concert!

 

Merci à Cath de m’avoir ouvert les portes du cabaret. En espérant ne pas avoir écrit trop de bêtises… Lorelei, Yannig et Le Doc pourront rectifier, compléter.

 

Et à tous : rendez-vous à Bercy !!!

 

La bise et Kenavo !

 

Evadné

 

 

 

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Un roi tombé du ciel : Arthur H était au théâtre de Thionville hier soir !

"Sur la route blanche

Insouciant tu avances

Ta valise est vide

Ton habit de lumière repose sur la chaise". Arthur H (Le Passage). 

 

C'est un univers cramé aux entournures et à la boutonnière, par on ne sait quelle chandelle qui se consumerait des deux bouts. Vous qui entrez ici, abandonnez toute référence, dépouillez-vous de toute certitude. Déchaussez-vous peut-être aussi car c'est nu et sans filet qu'il faut pénétrer dans l'espèce de théâtre magique où évolue Arthur H. Ce théâtre dont il nous livre quelques scintillements est sans commune mesure avec quoi que ce soit de préexistant. Parfois, pour se rassurer et ne pas perdre pied, on voudrait sentir ici le souffle enfumé de Gainsbourg, là l'empreinte magique de Jacques Higelin. Mais non, on aurait tort. C'est Arthur H, tout simplement, l'unique Arthur H à la voix écorchée. On l'écoute et nous voilà téléporté dans un monde où il est nécessaire de se frayer un passage à la machette. Lentement, à petits pas. Impatients, hommes d'affaires pressés, chrononévrosés : s'abstenir. On accueille en soi, un peu décontenancé, l'histoire d'une boxeuse amoureuse qui encaisse les uppercuts sans broncher, on se demande qui peut bien être cette Lily Dale qui s'en vient, qui s'en va, comme l'amour, ce chien fou et imprudent « qui court sur l'autoroute » (on ne serait pas étonné d'apprendre que c'est par un jeudi d'automne). Dans un « bar de l'est bleu de fumée », on croise des paumés magnifiques : fugitifs, estropiés, fugueurs, poétiques déserteurs. Bref, on rame dans les bas-fonds interlopes, les hôtels borgnes peuplés d'une étrange faune. On est en bonne compagnie, quoi. On y imagine aisément des « nuits qui ne durent pas plus d'un quart d'heure ». Une môme kaléidoscope te débarquerait là-dedans qu'on n'en serait même pas surpris. Mais non, j'ai dit pas de commune mesure, pas de comparaison. Et pourtant, quand on vient de la planète HFT et qu'on atterrit sur celle d'Arthur H, on n'est pas totalement dépaysé. Je dirais même qu'on est en territoire connu. Pas conquis, en revanche. Parce que la contrée Arthur H, ça s'apprivoise, ça ne se donne pas comme ça pour trois francs six sous, il faut creuser un peu à la sueur de son front, tel un chercheur d'or...

Hier, Arthur H était au théâtre de Thionville. Arrivée légèrement boiteuse et mélancolique pour moi, en ce lieu où je vis plusieurs fois Hubert (pas toujours à son avantage, mais « passons, passons, puisque tout passe », comme l'écrivait Apollinaire) et devant lequel tant de fois je grelottai avant ou après un concert, échangeant avec les uns et les autres (le Doc, Françoise Salvan-Renucci nous disant précisément en ce lieu que Thiéfaine était un génie, 655321 et j'en passe). Un endroit un peu hanté, donc, ce théâtre de Thionville...

Quelques minutes de ce « vague à l'âme léger, léger, léger, léger »* ont suffi à me convaincre que les êtres laissaient un peu d'eux-mêmes partout où ils passaient. Un je ne sais quoi, une trace subtile, sauvage, mais bien là pour qui est prêt à l'accueillir en soi. Et puis les lumières se sont éteintes et ils sont arrivés : Nicolas Repac, Raphaël Séguinier et lui, donc, Arthur H. Un peu frêle et roi pourtant. Trimbalant en sa suite, c'était palpable, cet univers dont je vous parlais plus haut. Je le vois et mes yeux s'emplissent de larmes, je ne sais pas pourquoi. Il n'a même pas encore posé la gravité abyssale de sa voix sur la musique, ses doigts ont seulement plaqué quelques accords sur le piano, mais c'est là, je ne sais pas comment ni pourquoi, je pleure d'émotion. Entre deux chansons, il nous dit que pour atteindre Thionville et ses « lumières surgissant dans la nuit comme celles de Las Vegas en plein désert », il a traversé, avec son équipe, de sombres forêts luxembourgeoises. Soudain, la ville un peu farouche et austère, coincée entre l'ombre de Metz et celle de Nancy, revêt un habit de paillettes. Et comment ne pas penser à Jacques Higelin transformant lors d'un concert la cité de Rombas en une province exotique aux contours sexys ? « Rooombass » qu'il disait, chantait, clamait, en roulant le R, s'il vous plaît ! Et l'on se sentait soudain fier d'être lorrain, même en ces coins un peu ternes de la région, on se disait qu'on avait peut-être encore tout à découvrir d'un exotisme qui jusque là nous avait échappé !

Les chansons, merveilleusement, s'enchaînent. On passe par tous les rythmes et toutes les émotions. C'est lent, puis endiablé, puis mélancolique, puis pétillant version champagne pour tout le monde. À un moment, Arthur se poste devant un drôle de meuble à peu près aussi énigmatique que le sont ses personnages quand on vient d'entrer en collision avec leur démence. Le meuble est fermé. Arthur H l'ouvre lentement et l'on se demande ce qui va s'offrir à nos yeux. C'est un splendide bric-à-brac que voilà ! Arthur en sort une bougie qu'il allume. Il se remet au piano et nous chante Sous les étoiles de Montréal. Chanson d'abord hermétique pour moi, mais dont je viens de comprendre le sens, je crois : ne serait-elle pas dédiée à la chanteuse Lhasa, disparue prématurément en 2010, à Montréal ? Un peu plus tard, Arthur H s'en retourne à son étrange meuble. Il s'assied devant, nous tournant le dos. Ce n'est pas de l'impolitesse, c'est de la pudeur. Il bricole, il agite un truc qui ressemble à une amulette. Son visage apparaît sur un écran, et c'est alors qu'au milieu d'un silence recueilli résonnent les paroles du Passage, chanson dans laquelle il évoque son père. À la fin, alors que tintent des gongs, légers, légers, légers, légers comme vague à l'âme, Arthur H allume un bâtonnet d'encens qui va se consumer durant quelques minutes. Des volutes se mettent à danser sur l'écran, papillonnantes arabesques qui disent combien Jacques est avec nous. C'est un moment chargé d'émotion, mais nullement pesant. Higelinesque en somme. On ne peut pas applaudir car déjà Arthur s'est remis au piano et enchaîne avec La boxeuse amoureuse. Sans doute a-t-il souhaité ce silence après le gong. La boxeuse amoureuse : une chanson qui me remue incroyablement à chaque fois que je l'entends, sans que je puisse bien identifier la cause de ce raz-de-marée. Mais voilà que tout s'éclaire lorsque j'apprends, de la bouche d'Arthur, qu'il est ici question de sa mère. En fait, ce monsieur, c'est l'élégance incarnée : ses textes regorgent d'éléments autobiographiques, mais sa pudeur les crypte, faisant disparaître l'intime sous des strates de pistes brouillées. Le meuble qui trône sur la scène, c'est bien plus qu'un simple meuble, c'est un mausolée dressé vers le ciel, un temple bâti en l'honneur de ceux qui ne sont plus. Un autel des morts comme on en trouve au Japon ou au Tibet, ai-je appris depuis. Vers la fin du concert, le mausolée s'anime et devient un petit théâtre où s'agitent, sous forme de marionnettes, Mohamed Ali, Arthur H lui-même et Lily Dale (sous les traits d'Annie Oakley, m'a-t-il semblé). Que devient Lily Dale ? La suite de l'histoire reste à écrire, et c'est ce que la petite marionnette suggère à son créateur. Pour le moment, en tout cas, elle coule des jours tranquilles dans une bicoque, quelque part en Amérique, et Jim, son amoureux, lui chante des chansons d'Arthur. Mais, déplore-t-elle, il y en a un qu'on ne voit plus. C'est le grand Jacques. Généreusement (c'est sa signature, on l'aura compris), Arthur propose alors d'interpréter une des chansons dudit grand Jacques. « Je ne peux plus dire je t'aime », nous susurre-t-il presque de sa belle voix qui ferait trembler un continent. Et voilà que mon cœur n'y tient plus, la bonde explose, ça coule, ça fuit de partout, et ça ne sert à rien de retenir les larmes, je ne peux pas faire semblant : Jacques faisait tellement partie de ma vie... Dans la salle, fleurissent de brusques accès de toux dont je me dis qu'ils sont nés de l'émotion et destinés à écraser quelques sanglots. Jacques est avec nous, certes, mais qu'est-ce qu'il nous manque, putain, c'est pas vrai que cela fait déjà neuf mois sans lui et que rien n'est sorti de cette gestation douloureuse.

Et j'en reviens à la conviction qui s'est implantée en moi juste avant le concert hier : on sème quelque chose de soi partout où l'on passe. Un souffle, une énergie, une étoile, peut-être rien qu'un grain de poussière. Mais pour celui qui passe par là et achoppe sur ce miracle, c'est une douce consolation. Presque une révélation. Jacques Higelin a laissé, sur bien des trottoirs, sa démarche dansante, sur bien des scènes son grain de folie, en bien des cœurs ses mots qui portaient, qui réveillaient, qui enchantaient.

Quant à son fils, il a su mêler hier démesure, gravité, légèreté, émotion et grâce, oscillant sans cesse, et toute la salle avec lui, d'un point incandescent à un autre. De la flamme à la braise, jusqu'à extinction des feux.

En quittant Thionville, j'ai trouvé que ses lumières avaient quelque chose d'américain, mais je n'aurais su dire quoi au juste...

 

*Vague à l'âme, Jacques Higelin.

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