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28/11/2015

Was wird denn bleiben ?

"Was wid denn bleiben ?

Ich seufze, leide, suche,

Und meine Wanderschaften

werden niemals enden". Ingeborg BACHMANN

 

Je vais m'absenter quelque temps. Disons pour une durée indéterminée. Je vous le dis afin que vous ne veniez pas inutilement consulter ce blog. Cette page d'accueil, je la veux désespérément vide, comme il m'arrive de l'être moi-même. C'est bien souvent durant cette heure "cruellement noire" qui précède "l'aube du jour suivant", quand les angoisses attaquent à main armée.

Je ne sais pas si je parviendrai à mener à terme le projet que j'ai évoqué ici dernièrement. Je ne le crois pas. Des idées de ce genre, j'en ai environ vingt par jour, quand miraculeusement l'enthousiasme me frôle, et elles finissent par se dessécher dans un quelconque tiroir puant le renfermé. Qu'importe, ce projet aura au moins eu le mérite de me porter un moment, me donnant l'illusion que j'étais enfin passée de la berge des tourments à celle du renouveau.

Il y a toutes ces fois où le désir nous fait affreusement défaut, où plus rien ne nous embarque réellement. Où l'on hésite "entre un revolver, un speedball ou un whisky sour". Quand on le dit, la voix tremblante, cela fait péteux, couard. Quand Thiéfaine le chante pour nous, cela résonne comme un acte de courage jeté à la face du monde. Alors on se love dans ces mots de réconfort, on a comme l'impression que l'infirmier de minuit est passé par notre chambre pour y balancer quelques étoiles. Au petit matin, il n'en demeure rien, pas même un souvenir, et le combat reste à mener, à mains nues. On y retourne parce qu'on pense qu'on n'a pas le choix. Parfois aussi, comme dirait mon ami le Doc, on a du monde sur le porte-bagages et on a une sorte d'engagement moral vis-à-vis de ce petit monde. Charge d'âme. Comme si notre âme n'était pas déjà assez chargée comme ça !

Allez, trêve de palabres, je remets ce blog pour un temps entre les griffes du vent, qui sait si bien disperser ce que nous sommes... Je vous souhaite bien du plaisir en compagnie des "zumains" de votre rue...

25/11/2015

Dijon : le feu et l'émotion

La pensée du jour : "Travailler, lire, écrire, écrire, sans relâche. De façon à ne pas sombrer dans ce néant qui sépare deux moments d'écriture". Lydie SALVAYRE

Ne laissons pas nos âmes devenir barbares, haineuses, boueuses. Exigeons l’incandescence, répondons à la stupeur et aux tremblements par un surcroît d’amour et de poésie. En ce novembre anthracite, les mots de Thiéfaine sont plus que jamais nécessaires. Ils peuvent nous nourrir et nous guider. J’y crois !

Le concert de Dijon était de toute beauté, de tout feu, de toute émotion. Moi qui me plaignais de n’avoir pas encore vraiment senti l’étincelle sur cette tournée, je reconnais que là, j’en ai pris plein le cœur… Samedi, c’est un Thiéfaine bouleversé qui est apparu sur scène, face à un public tout aussi chamboulé… L’heure, grave, était au recueillement et à la communion. A la révolte aussi, par moments. La voix d’Hubert a déraillé à plusieurs reprises, sans doute sous le coup de l’émotion. Pas question d’évoquer Lavilliers avant Errer humanum est. C’est comme si tout à coup, Thiéfaine avait voulu se laver de tout égocentrisme. Comme s’il avait eu peur de frôler l’indécence en mentionnant avec légèreté une « guéguerre » sans grande importance. Les textes de certaines chansons ont soudain revêtu un sens qu’on ne leur connaissait pas, qu’on ne leur avait jamais vu. Quelque chose d’autre, d’insoupçonné, était caché dedans et nous est apparu samedi. Tout résonnait comme un pavé dans la mare, tout claquait à nos oreilles comme une trique. La première partie du concert, surtout… « C’est l’histoire assassine qui rougit sous nos pas », comment ne pas recevoir ces mots avec encore plus d’effroi qu’à l’accoutumée ? Comment ne pas sentir dans notre chair à quel point le verbe aimer fait cruellement défaut au monde dans lequel nous rampons ?

J’ai beaucoup pensé, durant ce concert, au vendredi meurtrier qui a fait rage sur le calendrier il y a quelques jours. Je revoyais des visages, j’avais en tête des prénoms lus ici ou là sur la toile… J’ai pensé à ma mère aussi. Depuis le début de cette tournée, entendre « Je t’en remets au vent » est, je l’avoue, un véritable supplice pour moi. Pas une seule fois je n’ai pu écouter cette chanson sans vaciller. Ma mère trouvait la musique de Thiéfaine trop rock et ses mots trop durs, trop abscons aussi. Elle préférait les choses qui glissaient simplement. Mais « Je t’en remets au vent », elle adorait ! Elle s’était fait une cassette sur laquelle elle avait enregistré ce morceau et elle l’écoutait souvent. Elle en connaissait les paroles par cœur.

Et puis, samedi, il y a eu Libido moriendi aussi. Là encore, difficile de ne pas penser à ma mère et à toutes les fois où nous nous sommes quittées sur un quai de gare. « On ne pleure pas parce qu’un train s’en va ». Non, on ne pleure pas, on s’écroule dans le vide, on se prend les pieds dans l’absence, on continue le chemin clopin-clopant. Et on trimbale comme ça, jusqu’à la fin, toute une flopée de grands départs dont on ne se remettra pas. « On couche toujours avec des morts », chantait Ferré. Et leur silence est douloureusement violent… Il nous arrache souvent à nos pensées. Parfois aussi, il nous empêche de penser, et nous ne sommes plus que de tristes pantins sans rien dedans.

Alors, oui, je crois que dans ces moments de désespoir, Thiéfaine peut nous rebrancher sur le secteur. Souvent, sans le savoir, il a été la main tendue comme un miracle dans ma vie. Et je reste convaincue et j’affirme que ses mots sont plus que jamais nécessaires.

10/11/2015

Toujours ce drôle de projet (billet n°3)

La pensée du jour : "Dans quelques coins du grenier j'ai trouvé des ombres vivantes qui remuent". Pierre REVERDY

 

Un ascenseur nommé Thiéfaine, donc. Mais aussi : une bombe, un truc qui venait de me sauter à la figure et dont j’ignorais encore quelles retombées il allait avoir sur ma vie future. C’est précisément cela qui est magique avec les révélations : elles nous traversent, nous transpercent, mais au moment où elles sont déjà à l’œuvre en nous, on ne sait pas trop ce qu’il en est, ni surtout ce qu’il en sera dans vingt ou trente ans. Bref, le lendemain de cette nuit de septembre, je fonçai à la FNAC de la ville la plus proche de chez moi … pour découvrir que Thiéfaine avait déjà signé une œuvre foisonnante. J’étais là, devant le rayon « chanson française », la carte bancaire à la main. Celle de ma mère, dont je ne voulais pas abuser, mais quand même, quelle profusion ! Je ne pouvais pas repartir avec deux albums seulement, il me les fallait tous ! Après tout, ma mère comprendrait : déjà au CM2, charmée par une femme qui était venue nous présenter les poèmes de Maurice Carême, j’avais acheté un recueil sans argent !!!! J’avais tout simplement demandé à la maîtresse de me prêter la somme nécessaire, elle pourrait s’arranger ensuite avec mes parents. Ma mère était habituée à mes débordements poétiques. Elle comprendrait. J’avais toujours eu l’enthousiasme dépensier, entêtant. D’entêtant à endettant, il n’y avait qu’un pas, que je franchissais allègrement. « Je te rembourserai plus tard », disais-je à ma mère, qui n’était pas dupe, mais détestait, comme elle aimait à le répéter, les tueurs d’enthousiasme. Jamais elle n’aurait bridé mes coups de folie, tant pis pour le porte-monnaie ! Tout cela pour dire que ce jour de septembre, à la FNAC, je n’hésitai pas longtemps. Je dévalisai tout le rayon, sans me poser de questions ! Pour mieux équilibrer les dépenses, j’achetai aussi des cassettes, moins chères que les CD.

Rentrée chez mes parents, je me claquemurai prestement dans ma chambre. Deuxième bombe. Hubert-Félix Thiéfaine n’était pas seulement le poète maudit dont se réclamaient quelques fumeurs de joints, non, il tricotait une mélancolie vénéneuse à souhait, dont j’allais avoir diablement besoin pour rassurer la mienne. La mélancolie était sa frangine, elle et lui étaient à tu et à toi. Il la connaissait tellement bien qu’il lui avait donné un surnom aux suaves accents : « mélanco ». Tout à coup, je me prenais en pleine face des mots dont je n’allais pas me remettre de sitôt. « Parfois, j’ai la nostalgie de la gadoue », « et moi je reste assis, les poumons dans la sciure, à filer mes temps morts à la mélancolie », « ils croient voir venir Dieu, ils relisent Hölderlin ». Il a bien dit Hölderlin, je n’ai pas rêvé ? Hölderlin, le claudiquant, l’immense fragile devant l’éternel, le poète boiteux dont les ailes de géant l’empêchaient de marcher ? Hölderlin, je n’en revenais pas ! Je venais de découvrir ce poète à la fac, et le prof de littérature avait évoqué sa vie errante et la folie qui l’avait frappé, quelque part entre Bordeaux et Tübingen. J’avais immédiatement ressenti une profonde sympathie pour cet albatros. Il incarnait à lui seul la tragédie de l’âme allemande. Il condensait dans son drame tout ce que cette âme allemande se trimbalait sur le paletot de douloureux, d’inquiétant, de désespéré. Les génies devenus dingues, les suicidés, les malades, les estropiés, Hölderlin était leur capitaine à tous ceux-là qui avaient fini dans un grand naufrage. Et donc, oui, Thiéfaine connaissait Hölderlin. Tellement intimement qu’il l’invitait dans une de ses chansons. J’étais sciée, à genoux, clouée au sol. Et j’allais bientôt découvrir toutes les références qu’il faisait à la littérature allemande, si chère à mon cœur (je sais, c’est un peu pompeux, mais tellement vrai !!). Goethe et son « mehr Licht ! », la Lorelei… Et tout ce qui viendrait plus tard (le cheval de Turin, le Sturm und Drang, und so weiter !!)

Bref, en un mot comme en cent, Thiéfaine célébrait dans son œuvre tout ce qui me faisait vibrer. Nous étions, je l’ai dit, en 1992. J’avais 19 ans et je ne savais pas qu’un jour j’aurais 42 piges, je ne voulais pas les avoir, je voulais une vie courte et joyeuse, comme on en rêve souvent à cet âge-là, et puis… Et puis merde, je me suis laissé embarquer dans le mauvais rêve, j’ai continué à ramer, et me voilà ce soir, avec, déjà, plus d’automnes derrière moi que de printemps à venir… J’ignorais, en 1992, que la folie HFT qui venait de me saisir à la gorge était de celles qui ne font jamais faux bond. Même quand le navire prend la flotte de toutes parts, que l’on se dit, en se tenant la tête entre les mains : « je n’irai pas plus loin ». Eh bien si, on va plus loin, « encore plus loin, ailleurs », parce que toujours, il y a un album à espérer, un autre à redécouvrir, et ici ou là, une référence planquée que l’on n’avait jamais vue et qui attend son heure, tapie dans l’ombre, pour vous éclore à la tronche.

01/11/2015

Un drôle de projet (suite)

La pensée du jour : "La comète de l'amour ne frôle notre cœur qu'une fois par éternité". Christian BOBIN

Je poursuis mon drôle de projet, à savoir remonter à la source de ma rencontre avec l'œuvre de Thiéfaine. C'est très personnel, il me faudra donc "balancer" cela sans trop m'attarder, sans trop y revenir ensuite !

 

J'aimerais me souvenir précisément de la jeune fille que je fus et qui, il y a vingt-trois ans, devait faire une rencontre décisive pour le restant de sa vie. Une rencontre avec un univers bousculant toutes les normes, une rencontre avec un bateau ivre. C'était parti pour un long tangage et je l'ignorais. J'étais à la fois candide et grave. J'avais, chevillée au corps, et ce n'est guère original, la certitude que de grandes choses m'attendaient, qu'il suffirait d'ouvrir les bras pour qu'elles me déroulent leur tapis rouge, j'étais persuadée aussi que je ferais mieux que mes aînés (pas très originale non plus, cette conviction). J'avais, comme tout le monde, des amis, des amours, des emmerdes. Avec peut-être une nuance : mes amours étaient de préférence impossibles, c'était un goût qui m'était venu aux alentours des treize ans et ne m'avait plus quittée. Tout ce qui, aux yeux des autres, était inaccessible, décalé, inimaginable, me semblait fait pour moi. Du sur mesure pour une âme torturée, "attirée par le vide"... Ce n'était pas une pose, ce n'était pas de la frime, juste un penchant venu d'on ne sait où. Une fascination pour les gouffres. Alors que d'autres jeunes filles, autour de moi, rêvaient déjà à un mariage en bonne et due forme, à une petite vie bien proprette, entre popote et repassage, je me projetais dans un avenir tout autre. Pas d'emprisonnement (et le mariage en était un à mes yeux), pas de trucs réglés à l'avance comme une partition trop prévisible (et donc inintéressante), mais plutôt de l'improviste au jour le jour, et une vie entièrement vouée à l'écriture. Je refusais de m'écrouler, par dépit et triste nécessité d'aller gagner ma pitance, dans un putain de quotidien chronométré, remis entre les griffes dévorantes de la société. Je voulais brûler, m'enivrer de la vie à grandes goulées, et je rejetais loin de moi tout ce qui, fadasse, terne et morne, n'était pas la vie ! Une jeune fille comme les autres, en somme. Avec des amours pesant déjà étrangement sur la carcasse. Un amour surtout. Qui était source d'emmerdes, certes, mais avait le mérite de me procurer ce que je recherchais avidement : de fortes palpitations ! Par chance, et par un instinct de survie qui s'était déclaré juste à temps, je me tins éloignée des drogues. Et fort heureusement ! J'ai toujours pensé qu'avec un tempérament jusqu'au-boutiste comme le mien, la première bouffée de marijuana m'aurait menée tout droit à la piquouze ! Je me tenais donc "à l'écart des odeurs de formol", pour reprendre une expression d'HFT ! Car je n'oublie pas mon sujet, n'allez pas croire ! Je situe dans le contexte !

Pas si à l'écart que ça des odeurs de formol, en fait. Autour de moi, beaucoup de gens s'adonnaient à la fumette et aux beuveries répétées. Je fréquentais cette petite foule sans trop savoir pourquoi. Bien souvent, un monde me séparait de ces êtres. Seule nous unissait, je crois, la fascination pour les gouffres ! Fascination que pour ma part, j'avais la chance d'exorciser grâce à l'écriture. Fascination que ces êtres satisfaisaient, ou croyaient satisfaire, dans les paradis artificiels. Parmi eux, un certain S., l'amour source d'emmerdes évoqué précédemment. S. fumait, buvait, se noyait. Je pensais pouvoir le tirer de l'enfer, prétentieuse que j'étais ! Par la seule force de mon amour, je ramènerais l'épave sur le rivage, et nous contemplerions à jamais l'horizon, épuisés par cette course éperdue, mais heureux et fiers d'avoir esquivé le naufrage. Plus tard, je découvrirais, dans une chanson de Thiéfaine, une expression qui me parlerait beaucoup : la Sainte Vierge des paumés ! Plus l'autre me semblait égaré, plus il m'intéressait. Les êtres lisses, en surface comme en profondeur, m'indifféraient. Du creux sur du vide, du vide sur du creux. Ils n'avaient rien à me dire. Non, moi, ce que je voulais, c'était le rugueux, le tortueux. De la substance à laquelle me cogner ! Les écorchés vifs, les grands brûlés, les fracassés !

Après avoir compris que tout l'amour que je pourrais bien donner à S. ne le ramènerait pas à la lumière, mais m'enfoncerait plutôt dans d'épaisses ténèbres sans retour, je décidai de rompre. Et de m'intéresser de plus près à ce mec bizarre que S. écoutait si souvent. C'était quoi son nom, déjà ? Thiéfaine, ah oui, c'est vrai, Thiéfaine ! Et là, donc, par une nuit déjà bien froide de septembre, la claque de ma vie ! Les abîmes, les gouffres, les profondeurs, il connaissait, le type !! Il avait même une parfaite maîtrise du sujet ! La preuve : dans une chanson au titre farfelu, une jeune fille égarée rêvait d'ascenseurs au fond des précipices ! Cette gamine écorchée qui se trimbalait sous la pluie, sa valise mouillée dans une main, son cœur effiloché dans l'autre, ne soyons pas modeste : c'était moi ! Ni plus, ni moins ! Je revenais de loin, du moins m'en persuadais-je dans mes moments lyriques, et l'aide d'un ascenseur pour assurer ma remontée vers les sommets aurait été la bienvenue ! Je n'étais pas Sisyphe, moi, j'avais besoin d'un coup de pouce ! Je ne savais pas encore qu'il venait de m'être filé, ce coup de pouce, et qu'il s'appelait Thiéfaine !!!