Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

26/11/2016

19 novembre, dernière date du VIXI Tour...

"Pourquoi le souvenir des disparus est-il lié à des spectacles anodins comme une branche oscillant dans le vent ou le dessin de l'arête d'une colline ?" Sylvain TESSON

 

Autoroute A4, dimanche d’automne. Je fais en sens inverse le chemin parcouru la veille. Je vois défiler des forêts qui se dépouillent de leurs dernières tremblotantes rousseurs. Une tempête a décoiffé les arbres, les voilà un peu plus nus qu’hier, hirsutes. Comme moi.

Cette dernière date du VIXI Tour avait d’avance quelque chose de mélancolique. Je savais bien, dès l’achat du billet, qu’une fois rayé le 19 novembre sur le calendrier, un déchirement viendrait biffer mon agenda intime… C’est donc fini d’attendre. Me voilà rendue à ma normalité. Je n’irai pas jusqu’à la qualifier de baveuse, car il n’y a pas qu’HFT dans la vie, mais tout de même. Hubert, c’est le compagnon à qui dire adieu semble incongru. De rendez-vous en rendez-vous, je m’en suis fait presque un ami, une douce habitude, pour paraphraser un autre chanteur que j’aime nettement moins !!!

« Mais que devient le rêveur quand le rêve est fini ? » Oui, que devient le rêveur quand il regagne ses pénates, quand mille et un sons entendus, mille et une images engrangées vont aller s’échouer en un coffre de lui seul connu ?

Voilà ce que j’ai écrit dimanche dernier, en rentrant de Paris, toute tourneboulée par le mot « fin ». Je reprends la rédaction de ce billet en cet après-midi brouillardeux.

Bien sûr, cette tournée avait quelque chose de légèrement mécanique, de malencontreusement aseptisé. Oui, Hubert nous a souvent servi les mêmes discours aux mêmes connotations. Et pourtant, à chaque fois que je me suis mise en route pour un nouveau concert, une même vibration me secouait. C’est que malgré les années et quelques petits accrocs dans une passion qui, du reste, n’en a pas vraiment souffert, je m’en retourne toujours à mes banlieues thiéfainiennes (ma source, mon pays natal) avec la même fraîcheur, le cœur neuf et débarbouillé de tout passé, désencombré de tout ce qui pourrait lui nuire dans ces moments-là. Aussi m’est-il très facile d’oublier les légers accrocs évoqués ci-dessus.

Mais donc, ce concert de samedi ! Il m’a un peu laissée sur ma faim, pour une raison toute simple : j’étais dans la fosse, tout devant, à côté des enceintes, et je crois que c’est ce qui m’a empêchée d’apprécier comme il se devait la présence de l’orchestre symphonique qui accompagnait Hubert et son équipe. Il aurait fallu pouvoir vivre cette soirée en deux temps : une première fois dans la fosse, une deuxième fois dans les gradins. La fosse, c’est là que crépite la vraie vie, palpitante comme un cœur amoureux. C’est ici que l’on croise les exaltés, ceux qui, dans un abandon romantique, ont comme moi remis un pan de leur histoire entre les mains de Thiéfaine. Je crois que c’est en gradins que l’orchestre symphonique donnait sa pleine mesure. J’ai opté pour l’effervescence de la fosse et ne peux m’en prendre qu’à moi-même. Je me suis éloignée des enceintes sur quelques chansons : Résilience zéro, qui m’a remuée plus que jamais, Femme de Loth, morceau auquel l’orchestre confère un incroyable velouté (c’est le seul mot qui me vienne, désolée, je ne suis pas versée dans les grandes analyses musicales et ne peux exprimer, fort maladroitement parfois, que mon ressenti). Trop souvent, selon moi, les instruments de l’orchestre ont été écrasés la semaine dernière par ceux qui étaient devant, les habituels dont on ne se lasse pas cependant (guitares, batterie, basse, claviers). C’est en tout cas ce qui m’a frappée, mais je suis prête à entendre tout autre avis sur la question.

Sinon, Hubert m’a semblé en forme (mais il a tout de même bien flingué Petit matin, n’est-ce pas ?). Il a remercié le public, et c’était assez chouette de se sentir un peu mis en avant pour ces décennies de fidélité. Car cette fidélité n’est pas de tout repos, elle coûte souvent cher en nuits d’hôtel, péages et compagnie, elle coûte souvent cher en énergie parce que qui dit décennies, dit forcément cabosses sur la carcasse, fatigue, vieillerie (ainsi, malgré toute la fraîcheur dont je me targuais un peu plus haut, j’ai mis plusieurs jours à me remettre d’équerre après le concert !!)

Sans doute Hubert était-il, samedi dernier, en proie à une mélancolie diffuse malgré la joie affichée. Pour lui aussi, un rêve s’achevait. « Que devient le rêveur quand le rêve est fini ? ». Il remonte son col et va, je crois, vers un autre rêve, beau de n'avoir pas encore commencé…

Je dédie cette note à tous les amis enlacés ici ou là, avant ou après un concert. Ceux avec qui j’ai souvent amorcé une redescente rarement climatisée sur des parkings ourlés de brouillard. Ceux que je n’aurais jamais rencontrés si l’aubaine HFT ne les avait pas mis sur mon chemin. Je pense tout particulièrement à ceux avec qui, samedi dernier, j’ai bouclé la boucle, c’est-à-dire ceux qui étaient à mes côtés pour le premier concert de la tournée, à Reims, et qui étaient à nouveau là pour le dernier à Paris. Je pense aussi très fort à ceux qui, pour une raison X ou Y, ont jugé superflu de se déplacer pour cette ultime date du VIXI Tour. J’espère qu’il y aura une autre tournée dans quelques années et qu’elle sera de taille à leur insuffler le désir de réintégrer la « deadline » des dingues et des paumés !

12/11/2016

Dans une semaine, les aminches...

"N'existe pour moi que ce qui me passionne; cette phrase trace exactement mes limites". Julien GREEN

 

Oui, dans une semaine, les aminches, nous y serons. L'impatience grandit et, en même temps, je voudrais la garder  au cœur durant une éternité, pour ne pas avoir à "redescendre". L'attente a toujours un côté magique, que vient saper la réalisation du désir. Tant qu'il y a quelque chose à attendre, chaque fibre de notre être se sent vivante, et violemment !

Dans une semaine, il se peut bien que les dieux soient jaloux de nos corps et que le vent fou qui soufflera sur le Zénith balaie l'éternité !

Depuis quelques semaines, je planche à nouveau sérieusement sur le petit bouquin que je voudrais consacrer à Thiéfaine. C'est assez laborieux, et le découragement me visite régulièrement. Qu'à cela ne tienne, je vais continuer. En voici le début, qui n'a, je crois, plus grand-chose à voir avec la première mouture. Il est d'ailleurs fort possible que je passe le restant de mes jours à réécrire ces pages du début, et que tout cela tourne en boucle à jamais. Tant pis, j'aurai essayé ! Ce qui va suivre (je mettrai tout ici dans les jours qui viennent) a été écrit d'une traite, le 29 octobre...

La voix rocailleuse de Leonard Cohen déverse une douce mélancolie sur ce beau dimanche de fin octobre où j’entreprends d’écrire un livre que je crois porter en moi depuis des années… Commencé à maintes reprises, laissé en plan autant de fois, il sommeille dans les profondeurs. Parfois, il me semble qu’il me fait des appels du pied. La nuit surtout, quand l’insomnie donne corps à mes regrets.

Je me lance donc pour la énième fois, et j’espère mener à bien mon projet. Tant pis si le résultat est cagneux ! Les livres que l’on n’écrit pas demeurent autant de défaites cuisantes. Ils finissent par devenir des fantasmes et leur inexistence même nous persuade de la puissance qu’ils pourraient receler si… Cette fois, je ne recule plus, il n’y aura plus de si pour mettre Paris en bouteille ! Action !

L’automne est pour moi la haute saison des mélancolies désarmantes. Les arbres qui se dénudent de jour en jour me ramènent invariablement à mon propre dépouillement. Nue je fus propulsée en cette vie, nue j’en repartirai, n’ayant guère appris que la fragilité de toutes choses et la brûlante urgence de s’émerveiller et d’aimer. Est-ce un hasard si c’est par une nuit d’automne, ô combien reculée à présent, que me tomba dessus un étonnement dont je ne devais jamais tout à fait me remettre ? Tout à coup me fut offerte la certitude que la poésie n’avait pas pris fin avec Rimbaud, Verlaine ou Baudelaire. Elle vivait encore, délicieusement vénéneuse, et elle palpitait sous la plume d’un certain Hubert-Félix Thiéfaine, orfèvre de son état, ciselant les phrases comme d’autres le font de métaux précieux. J’avais alors dix-neuf ans. Des révélations, je croyais en avoir eu plus souvent qu’à mon tour, entre la littérature et la chanson ! Mais celle-ci surpassa toutes les autres et, pour un temps, les balaya. J’oubliai qu’un jour je m’étais enflammée pour Renaud, Brel, Barbara ou Gainsbourg ! Plus que toutes les autres, la voix de Thiéfaine m’allait droit à l’âme. Je ne sais précisément ce qu’elle fit naître de remous et d’échos en moi, je sais seulement qu’un matin de septembre, après l’avoir entendue dans une R18 déglinguée (on ne peut rêver décor plus thiéfainien !), je m’éveillai à la fois inchangée et modifiée de fond en comble. Toute la nuit, j’avais imaginé des ascenseurs permettant de remonter des précipices vers les hauteurs ! La révélation m’était en effet venue d’une seule phrase, jetée dans le ciel étoilé comme un pavé dans la mare : « Tu voudrais qu’il y ait des ascenseurs au fond des précipices ». La chanson parlait d’une « pauvre petite fille sans nourrice arrachée du soleil », abonnée aux meurtrissures et aux errances. Il pleuvait toujours sur sa valise. Je la voyais zoner d’hôtels borgnes en bars interlopes, s’écorchant ce qu’il lui restait d’âme dans les escaliers de service. Par une de ces identifications romantiques en diable dont l’adolescence a le secret, je m’étais sentie la frangine de cette jeune fille paumée. Ou plutôt : j’étais devenue cette jeune fille. Peut-être même que je l’avais toujours été et l’avais ignoré jusque là. Quelqu’un venait de prêter une voix aux cris étouffés en moi. A l’époque, j’avais en ma triste possession toute la panoplie d’une égarée. Surtout, je venais d’achever un amour impossible de peur qu’il ne m’achevât. Je l’avais dégommé à la chevrotine, le cœur en miettes et m’interdisant de me retourner (combien résonneraient en moi, plus tard, d’autres mots de Thiéfaine : « Ne te retourne pas, lady, prends tes distances » !). J’avais liquidé toutes mes cartouches. Je me sentais exsangue, comme vidée de ma substance. Pas encore tout à fait revenue du pays où l’on n’arrive jamais. Un ultime instinct de survie m’avait ordonné le demi-tour complet, j’avais obéi à la voix de la raison, m’étais rangée à toutes ses bonnes raisons, je savais que j’avais fait le bon choix, mais cela ne m’empêchait pas d’être déguenillée… J’étais et j’avais mal dans ma peau. La fin d’une histoire d’amour vous décape au vitriol. Soudain, il ne reste rien de vos souriantes certitudes. Le moindre miroir vous renvoie votre laideur. Elle vous a poussé comme une verrue sur le front.

Dans ces cas-là, il est bon de rencontrer une œuvre réconfortante et de s’en enivrer jusqu’à la moelle. C’est même ce qu’il y a de mieux à faire. Au milieu des eaux agitées où je me débattais comme fétu de paille, j’avais trouvé le vaisseau qui allait me ramener vers le rivage. Il portait un nom étrange : Hubert-Félix Thiéfaine.

 

06/11/2016

Rien à voir avec Thiéfaine : Anne Sylvestre !!

"J'ai aimé en effet cette minute en mars

et ce coin de la terre où il y a toi près de moi

sachant tous deux que tout ça est plutôt éphémère

et que le présent de l'indicatif convient parfaitement

à la rencontre ce matin de ton rire et de ma rêverie". Claude ROY

 

Elle se tient devant nous, toute d'anthracite vêtue. La chevelure d'une rousseur chatoyante. Chatoyante comme le style de ses chansons. Sa voix craque un peu parfois, comme les cloisons de ces maisons qui ont toujours été ouvertes à tous les vents, accueillant pareillement rires, chagrins et joies. Sa mémoire se fissure un peu parfois, comme ces planchers qui ont porté des danses endiablées, des galipettes d'enfants et des amours sauvageonnes. Devant nous se tient une dignité, âgée de quatre-vingt-deux ans. Elle a fière allure, drapée des expériences glanées qui l'ont rendue plus fragile parfois, plus forte bien souvent, chaque chose vécue la menant invariablement à l'écriture, la faisant plus riche d'une rime, d'un trémolo ou d'une histoire drôle. Parce que bien souvent, ses chansons se sont bâties sur des déroutes et des défaites dont elle a su tirer le meilleur parti : un éclat de rire !

Combien de tempêtes et de drames aura-t-elle traversés ? Combien d'amours, infimes ou gigantesques, l'auront conduite à elle-même ? Faudrait voir à ne pas l'appeler la petite dame ! Elle a horreur du ton condescendant que l'on réserve trop souvent aux personnes âgées, et elle le martèle haut et fort dans une chanson intitulée Violette. Violette, on lui doit le respect pour toutes les tornades qui se sont abattues sur elle et ne l'ont pas fracassée. Si elle est toujours là, c'est qu'elle n'était pas et ne sera jamais une petite dame ! Ainsi d'Anne Sylvestre. Elle se tient devant nous, et c'est notre enfance qui nous revient par chaudes vagues. Je n'avais pas dix ans que déjà cette chanteuse sautait à pieds joints dans ma vie ! De préférence dans les flaques, un air espiègle planté dans les yeux ! J'aimais qu'elle me chante que ce sont les rêves qui font grandir les enfants. J'y croyais dur comme fer. Et puis un jour, aux alentours de mes vingt-trois ans, j'appris qu'Anne Sylvestre n'était pas seulement la conteuse de fabulettes qui avait enchanté mon enfance. Je découvris ses chansons pour adultes et elles se parèrent pour moi d'un joyeux goût de revenez-y !

A Vandœuvre-lès-Nancy où elle s'est produite vendredi soir, nous avons retraversé en sa compagnie pas loin de soixante ans de chansons. Nous avons ri aux éclats en réécoutant Lettre ouverte à Elise, essuyé une larme qui caracolait sur la joue à l'écoute de Thérèse (« Thérèse il y a des années où les pommiers n'ont pas de pommes (...) Le chagrin que j'ai cette fois savez-vous tellement me pèse »). Nous avons ri aussi des facéties dont Anne Sylvestre n'est jamais avare entre deux chansons. Nous avons arpenté au bras de cette noble dame un univers aigre-doux, abritant autant de rires que de douleurs. Autant de froissements que de douceurs. C'était comme une promenade sous les tilleuls. Nos pas qui se perdaient par un soir de juin endolori des fureurs du soleil et s'en reposant enfin !

Au piano, une certaine Nathalie Miravette. J'ai toujours aimé les Nathalie, je leur trouve un tempérament sautillant, à l'image de leur prénom : trois syllabes qui rebondissent sur la langue ! Nathalie Miravette est pleine de peps. De talent aussi, bien sûr, diablement ! Elle sait donner aux chansons d'Anne Sylvestre un relief puissamment coloré. Une complicité rieuse semble unir les deux femmes et il fait bon se trouver en leur compagnie. Bref, ce fut un enchantement que ce concert !