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30/03/2017

"Un Lamartinien à fond la caisse"...

"L'homme est ainsi, il se nourrit de souvenirs et trébuche sur l'amer". Richard BOHRINGER

 

Incroyable, cette trouvaille dans une réserve d'une salle d'arts plastiques. Je crois que l'intérêt du métier de prof vient enfin de m'apparaître, au bout de vingt-et-un ans de vaines recherches !!! La trouvaille en question ? Une interview de Thiéfaine, parue en 2005 dans Forêts Magazine. Franchement, c'est passionnant et inattendu ! Bonne lecture !

 

Hubert-Félix Thiéfaine, écorcé vif

 

La forêt était-elle un terrain de jeux pour vous quand vous étiez enfant ?

Je suis né dans une maison qui a aujourd'hui disparu, dans un quartier de Dole très proche de la forêt de Chaux, dans le Jura. Adolescent, je piquais le vélo Solex de ma mère et j'allais me promener en lisière de forêt en rêvant un jour d'y habiter ; j'ai fini par m'y installer, dans ce village qui est une sorte d'enclave, cernée par les arbres. Ce petit bourg a été créé il y a quelques siècles pour y mettre des gens comme moi, des parias de la société, des anciens prisonniers. C'est pour cela que je m'y trouve bien. Je viens ici uniquement pour la forêt, pour me reposer... je ne sais pas vraiment pourquoi, au fond, mais en tout cas pas pour faire du tapage social, ni essayer de me présenter aux élections sénatoriales. Cette forêt est complètement compatible avec moi, avec mes chansons. Quels sont les derniers endroits sauvages de l'Europe ? Les forêts. Celle-ci est la deuxième forêt de feuillus de France, elle fait quand même 23 000 hectares. C'est comme si j'habitais au bord d'un grand lac. Et là, je ne suis entouré que par du sauvage.

 

Cette partie de la forêt est-elle fréquentée ?

Elle est fréquentée par les gens qui l'exploitent, les travailleurs de la forêt. C'est ce que j'ai découvert en m'installant ici il y a vingt ans : l'exploitation est utile et permet d'entretenir la forêt, de même que la chasse qui aide à contenir les populations de cervidés. D'ailleurs, la forêt n'a jamais été aussi belle qu'aujourd'hui. Il y a trois siècles, sous Louis XIV, elle a failli disparaître, parce que les gens y envoyaient paître leur bétail, parce qu'ils cuisinaient en allant chercher le bois. Un écologiste fou a demandé à ce que l'on commence à régulariser le côté fonctionnel de cette forêt. C'était très impopulaire, ça a donné lieu à des soulèvements. Depuis, des espaces sont protégés et, juste à côté de chez moi, il y a une réserve biologique, où on ne peut pas pénétrer. Seuls quelques chasseurs encadrés par l'Office nationale des forêts viennent tirer quelques cervidés pour empêcher qu'ils prolifèrent et mangent les jeunes pousses.

Vous y baladez-vous souvent ?

Au début, j'allais m'y perdre. Je voyais la nuit tomber et je ne savais pas où j'étais. Beaucoup de gens s'y perdent parce qu'elle est ardue, tout de même ! Pendant longtemps, j'y ai couru. Une fois, je me suis retrouvé sur une route avec un renard ; il était devant moi et n'avait pas d'endroit pour se barrer. De temps en temps, il tournait la tête pour voir, il se disait « il n'a pas de fusil celui-là ! » Aujourd'hui, j'y vais moins pour mon plaisir, mais je suis tellement près que je n'ai plus besoin de sortir. J'y ai emmené mes enfants, et puis ensuite ils se sont débrouillés tout seuls, ils ont joué les aventuriers.

 

Vous n'avez pas fait de cabanes avec eux ?

Ah, je suis un artiste, je ne suis pas le père de famille idéal non plus ! Ils se sont fait des frayeurs, avec ou sans moi.

 

Allez-vous cueillir des fruits, des champignons ?

Tout au départ, je cueillais des mûres, des trompettes de la mort, et puis j'ai arrêté. Je suis ici pour la qualité du silence et parce que je peux y être seul ; j'adore la solitude, que je ne considère pas comme une tare. Mais je ne suis pas le genre de mec à vouloir me casser les reins pour cueillir un champignon. J'aime les champignons, surtout ceux qu'on ne cueille pas. Je suis plutôt un contemplatif, pas un consommateur immédiat.

 

Qu'est-ce qui vous attire dans cette forêt ?

J'ai toujours été attiré par ce côté sombre, sauvage. Le seul endroit où je me sente bien, en dehors des lacs parce que je suis un grand romantique, un Lamartinien à fond la caisse, c'est ici. Je retrouve cet état sauvage, rare, qu'il nous reste dans nos pays civilisés. La nuit, c'est fabuleux ici ! J'adore les jours sombres de l'hiver où, dès qu'il y a un peu de brouillard, à trois heures de l'après-midi, on n'entend pas un bruit. J'ai beaucoup aimé Twin Peaks, parce que c'est l'histoire d'une forêt aussi, et je retrouve entre Twin Peaks, qui se passe dans le Montana ou dans ces coins-là, et le Jura, les mêmes projections fantasmatiques qui sont à la fois individuelles et collectives. Il y a toujours une chouette qui hulule, des traces dans l'herbe ; avant, je retrouvais mon terrain complètement labouré par les sangliers. J'ai dû mettre une frontière artificielle, une barrière en fait, mais c'est surtout pour me protéger contre les fans, pas contre la nature. La forêt est comme une couverture pour moi : toutes les nuits, on ne défait pas la couverture pour voir comment elle est tissée.

Avez-vous découvert d'autres forêts lors de vos voyages ?

Je me souviens avoir traversé une forêt au Yucatan, au Mexique, la nuit. J'étais en train d'écrire Soleil cherche futur. Je ne connaissais pas trop la faune, j'étais en plein milieu de la forêt tropicale, j'avais un peu d'appréhension, mais finalement j'étais enchanté par les chants des oiseaux, des grillons ; c'est dix fois plus puissant qu'ici, plus mélodieux aussi. Un soir, je suis arrivé ici vers six heures, il y avait de l'orage dans l'air, et j'ai entendu bramer, au fond du jardin ; c'était sublime, la forêt m'a offert ce cadeau alors que je n'étais pas venu depuis deux mois.

 

La nature et la forêt apparaissent finalement peu dans vos textes...

Non, il n'y a aucune raison que cela apparaisse. En fait, je viens vivre ici avec mon inconscient ; la forêt, c'est mon inconscient. Mais je ne vois pas ce que je pourrais raconter sur la forêt, je ne suis pas très doué pour ce genre de peinture. La réalité ne m'intéresse pas ; la forêt m'aide à vivre mieux, ou permet de faire éclater des choses en moi, mais de manière inconsciente. Ma peinture est intérieure, tourmentée, romantique, elle n'a aucun rapport avec le paysage, sinon quelque paysage de banlieue, ou de trottoir... C'est la ville qui m'inspire. Si je n'ai pas traîné dans les rues, si je ne suis pas allé me dévergonder dans les villes, si je n'ai pas pris des notes, si je ne ramène pas tout cela, je n'ai rien à dire. Cela fait partie de ma schizophrénie. Ici, c'est l'endroit où j'aime être, et où je rêverais de ne rien faire, mais je n'y arrive pas, je culpabilise très vite.

 



 

 

 

 

17/03/2017

Renaud au Galaxie d'Amnéville : quand un phénix croise un corbeau...

"Plus les jours glissent, plus on découvre, si l'on regarde en arrière, les envoyés de la providence qui tour à tour nous ont montré la route à suivre". Hector BIANCIOTTI

 

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Ma fille Louise (neuf ans aujourd’hui) est fan de Renaud. Elle lui a déjà écrit pour lui dire qu’elle était morgane de lui, ajoutant : « enfin, quand je dis ça, ça veut dire que je suis une de tes plus grandes fans » ! Il ne faudrait pas non plus qu’il aille s’imaginer qu’elle est amoureuse de lui, voyons ! Depuis des mois, nous avions nos billets pour le concert de la chetron sauvage au Galaxie d’Amnéville. Louise m’avait demandé de lui acheter un perfecto pour l’occasion ! Le bandana rouge, elle l’avait déjà depuis longtemps ! Franchement, elle payait, mardi soir, avec sa dégaine à la Séchan : chemise noire et blanche, bandana autour du cou, slim délavé, bottes grises et perfecto jeté négligemment sur ses frêles épaules de velours ! Elle avait quelque chose du Renaud des années 70 ! Dès notre arrivée au Galaxie, elle a récolté quelques regards amusés et attendris. J’adore observer du coin de l’œil la fraîcheur de cette gamine ! A un monsieur qui arpentait le hall en criant : « Demandez le programme ! », elle a expliqué que c’était son premier concert. « Enfin, mon premier concert de Renaud », a-t-elle précisé. « Parce que sinon j’ai déjà vu Thiéfaine, et puis bien sûr des chanteurs pour enfants, comme Philippe Roussel ou Aldebert ». « Hubert-Félix Thiéfaine, tiens donc ! Mademoiselle a du goût, à ce que je vois », a rétorqué le monsieur en question. Comme on le verra dans la suite de ce billet, Hubert fut très présent au cours de cette soirée ! Je ne vous en dis pas plus pour le moment, il faut bien que j’essaie de vous tenir en haleine !

La première partie du concert était assurée par un certain Gauvain Sers, dont Fred 06 m’avait dit le plus grand bien. Et c’est vrai que ses chansons ont un délicieux goût de revenez-y ! On y trempe une fois les lèvres, et on a envie de les siroter longuement comme une petite poire pour la soif ! Il a un côté gavroche, avec sa casquette vissée sur sa silhouette gracile. Il est originaire de la Creuse, et ce n’est pas si courant dans ce milieu ! Cela lui donne un petit côté exotique ! Un jeune type qui parle de Leprest dans une de ses chansons, cela ne court pas les rues non plus ! Bref, je crois que je vais désormais suivre de près ce titi creusois ! Louise a bien aimé ses chansons elle aussi. Mademoiselle a du goût, décidément !

Et puis, soudain, Renaud… Ce moment, Louise en rêvait depuis des mois. Accueillir le phénix aux ailes encore fragiles, l’envelopper d’un regard d’amour, ne pas perdre une miette de ce qu’il avait à nous offrir, tout ça, quoi. Mes deux filles et moi (oui, mon aînée était là aussi, mais nettement moins impliquée que Louise, « chacun sa religion, chacun son parachute » !) étions assises assez loin de la scène, en gradins. J’avais peur que Louise soit déçue parce que franchement, il faut bien l’avouer, Renaud, on le devinait plus qu’on ne le voyait. C’est un peu comme sa voix écorchée : on la devinait plus qu’on ne l’entendait ! Mais rien à cirer, honnêtement, le vrai cri est ailleurs ! Dans les mots toujours incisifs du chanteur énervant, dans la tendresse qu’il a déversée sur la salle dès son entrée en scène ! Louise, à qui je demandais de temps en temps si elle ne trouvait pas que nous étions mal placées, m’a répété plusieurs fois ce soir-là : « Oh non, maman, je suis heureuse, et puis d’ici on voit vraiment bien l’écran géant, et j’adore ». Ah oui, l’écran géant ! Il fait partie intégrante du spectacle. On voit défiler là de bien belles images : les venelles de Venise pour accompagner la chanson Héloïse, des rues de Paris, une immense bibliothèque pour Les mots. J’ai une tendresse folle pour cette chanson, elle me colle des frissons partout. Les mots, je leur dois moi aussi une fière chandelle, une chandelle qui trace un sillon lumineux dans ma vie…

Alors, oui, la voix est cabossée, elle a une gueule de bois à cuver dehors avec un billet de logement. Oui, la diction est parfois chevrotante, mais moi je crois comme Louise que ce qui compte, c’est que Renaud soit toujours là. Quelle ferveur il y a autour de lui ! Dans tous les coins du Galaxie fleurissaient des bandanas au cœur tendre. Des briquets allumés dans des petits poings levés. Des visages enfiévrés accueillant avec reconnaissance les chansons connues sur le bout des doigts. Entre deux morceaux, Renaud se raconte. Parfois avec émotion, parfois avec cet humour dont on dit qu’il est la politesse du désespoir… « Lolita m’a fait grand-père », « Dix ans se sont écoulés entre l’album Rouge sang et celui-là, et j’ai entendu dire que vous aviez pas mal pochtronné en mon absence » ! Tout à coup, il cite John Lennon, qui aurait dit un jour : « Le rock français, c’est comme le vin anglais : ça n’existe pas ». Et Renaud de s’insurger, comme il a toujours su si bien le faire ! « Et les Insus, alors, c’est pas du rock ? Et Hubert-Félix Thiéfaine, c’est pas du rock ? » J’avoue qu’en mon for intérieur, j’espérais ces mots. Je les avais d’ailleurs presque anticipés, pressentis. Parler de rock français et faire passer Thiéfaine à la trappe, c’est tout bonnement impossible (certains le font pourtant, honte à eux !!) ! Heureusement que de temps à autre je sais me tenir :  j’étais à deux doigts de faire retentir un tonitruant « Hubeeert !!! » dans toute la salle, mais je me suis ravisée !

Renaud c’est pas mort, c’est pas récupéré. Ou alors de justesse par un public aimant, cuisant d’ardeur, de tendresse et de joie. La tournée actuelle est assurée en grande partie par ce public qui chante à tue-tête les classiques, les monuments comme Mistral gagnant, Manu, Ma gonzesse, Morgane de toi, et tant d’autres. Toutes ces chansons ont bercé mon enfance, puis mon adolescence. Renaud, c’est à lui que je dois mon entrée en écriture, et je ne l’en remercierai jamais assez. Je connais encore toutes ses chansons par cœur, et l’expression prend tout son sens ici…

Une fois le dernier rappel consommé, je n’avais déjà plus qu’un seul désir : retourner le voir en concert ! Il y a une date à Colmar dans quelques mois, pourquoi pas ?!

Alors que j’allais quitter le Galaxie mardi soir, voilà que je croise une jeune femme toute de Thiéfaine vêtue ! Tee-shirt au corbeau, veste en cuir rouge plantée de badges qui rappellent délicieusement une tournée encore fraîche. Comme je ne sais pas toujours me tenir, j’accoste la demoiselle en m’écriant : « Et Hubert-Félix Thiéfaine, c’est pas du rock ? » Nous échangeons quelques mots. Elle s’appelle Mirela, elle est prof d’allemand (ce qui fera dire à 655321, croisé également ce soir-là, que j’ai dû halluciner et sans doute me voir dans un miroir imaginaire !!). Elle ne côtoie la poésie d’Hubert que depuis un an, mais elle en est follement imbibée ! Elle connaît le Cabaret, elle y vient parfois. D’ailleurs, mercredi matin, j’avais un petit commentaire signé Mirela sur ce même blog.

Aller à un concert de Renaud et entendre autant parler d’Hubert, voilà qui ne laisse pas de m’émerveiller !! Quand je vous disais que le poète jurassien n’était jamais bien loin… Il suffit de l’espérer très fort, et on le croiserait presque à chaque coin de rue !

Mais pour en revenir à Renaud et à la tournée actuelle : c’est du grand art ! A voir absolument ! Cela vous balade deux heures durant dans le répertoire d’un sacré bonhomme qui n’a rien perdu de sa verve, même si elle s’est, au fil du temps, chargée de rocaille. Et puis je crois que la politesse du désespoir, c’est d’être toujours vivant, toujours debout, et « d’avoir pu traverser sans se faire écraser cette pute de vie, ses malheurs, ses horreurs, ses dangers et ses passages cloutés »…

 

12/03/2017

Thiéfaine, poésie souterraine

Résultat de recherche d'images pour "Thiéfaine poésie souterraine"

Le voilà, le bel objet qui regroupe toutes les interventions des personnes qui ont animé le colloque "Hubert-Félix Thiéfaine, poète des parkings ... et autres mélancolies suburbaines". C'était le 9 juin 2015 à la Maison de la Poésie à Paris. A mon grand regret, je n'avais pas pu assister à cette journée. Mais voilà de quoi réparer ma frustration ! J'ai commandé ce recueil aujourd'hui, je devrais le recevoir jeudi ou vendredi.