09/06/2006
Parallèles entre deux textes
La vie d'artiste
Je t'ai rencontrée par hasard,
Ici, ailleurs ou autre part,
Il se peut que tu t'en souviennes.
Sans se connaître on s'est aimés,
Et même si ce n'est pas vrai,
Il faut croire à l'histoire ancienne.
Je t'ai donné ce que j'avais,
De quoi chanter, de quoi rêver.
Et tu croyais en ma bohème,
Mais, si tu pensais à vingt ans
Qu'on peut vivre de l'air du temps,
Ton point de vue n'est plus le même.
Cette fameuse fin du mois
Qui, depuis qu'on est toi et moi,
Nous revient sept fois par semaine
Et nos soirées sans cinéma,
Et mon succès qui ne vient pas,
Et notre pitance incertaine.
Tu vois je n'ai rien oublié
Dans ce bilan triste à pleurer
Qui constate notre faillite.
Il te reste encore de beaux jours
Profites-en mon pauvre amour,
Les belles années passent vite.
Et maintenant tu vas partir,
Tous les deux nous allons vieillir
Chacun pour soi, comme c'est triste.
Tu peux remporter le phono,
Moi je conserve le piano,
Je continue ma vie d'artiste.
Plus tard sans trop savoir pourquoi
Un étranger, un maladroit,
Lisant mon nom sur une affiche
Te parlera de mes succès,
Mais, un peu triste, toi qui sais,
Tu lui diras que je m'en fiche...
que je m'en fiche...
Paroles et musique : Francis CLAUDE / Léo FERRE
La dèche, le twist et le reste
tous les deux on pousse nos haillons
dans un igloo à bon marché
sous les toits d'une masure bidon
en compagnie des araignées
toi tu vis ta vie d'alcoolique
entre ces quatre murs lamentables
moi je bricole et je fabrique
des chansons qui sont invendables
twist et chante, moi je flippe
twist et chante, moi je flippe
on bouffe une fois tous les trois joirs
avec des boîtes de cassoulet
qu'on arrive à paler en douce
dans leurs superbes supermarchés
et quand on est à bout de fric
tu fous le camp chez les émigrés
leur faire découvrir l'Amérique
dans des passes non déclarées
twist et chante, moi je flippe
twist et chante, moi je flippe
et quand je m'en vais prendre l'air
du côté des femmes faciles
tu te jettes sur la bouteille d'éther
pour ton vol plané à 2000
on ne s'aime plus d'amour et d'eau fraîche
la vue de l'eau te fait hurler
et notre amour à coup de dèche
s'est peu à peu désintégré
twist et chante, moi je flippe
twist et chante, moi je flippe
Hubert-Félix THIEFAINE
J'aime beaucoup ces deux chansons. On peut faire quelques parallèles entre les deux textes. Même dèche, au fond : le succès qui ne vient pas, quotidien triste à pleurer, pas de quoi manger correctement...
"La dèche, le twist et le reste" est une chanson qui me bouleverse. J'adore la version de la tournée "Fragments d'hébétude", qui me colle systématiquement des frissons!
22:52 | Lien permanent | Commentaires (1)
08/06/2006
Nyctalopus airline
au nom du père au nom du vice
au nom des rades et des mégots
je lève mon hanap et je glisse
dans mon scaphandre à nébulos
je flye vers la douce Atlantide
allumée dans mes courants d'air
je flye vers les chiens translucides
et les licornes aux cheveux verts
et je patrouille dans mon cargo
chez les ovnis du crépuscule
à collimater mes glaviots
dans mon viseur de somnambule
je flye vers les radars au bar
qui me montrent la voie lactée
quand la fée aux yeux de lézard
me plonge dans ses brouillards nacrés
je flye vers la cité-frontière
dans la nuit des villes sans lumière
au nom du père au nom du vice
au nom des rades et des mégots
je lève ma Guiness et je glisse
dans la moiteur des mélancos
je flye vers les parfums tactiles
et vers l'androgyne ovipare
je flye vers l'assassin tranquille
sous mon sourire d'aérogare
et je carbure aux années-lumière
mon astronef dans les rigoles
mes rétrofusées dans la bière
pour la liturgie d'la picole
je flye vers le chaos caché
dans les vestiges de ma mémoire
quand je n'sais plus de quel côté
se trouvent mes yeux dans les miroirs
je flye vers la cité-frontière
dans la nuit des villes sans lumière
Paroles (que j'adore!) : Hubert-Félix THIEFAINE
Musique (que j'adore aussi!) : Claude MAIRET
22:21 | Lien permanent | Commentaires (2)
06/06/2006
La Loreley de Guillaume Apollinaire (mais je préfère celle de Heine!)
LA LORELEY
A Bacharach il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d’amour tous les hommes à la ronde
Devant son tribunal l’évêque la fit citer
D’avance il l’absolvit à cause de sa beauté
O belle Loreley aux yeux pleins de pierreries
De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie
Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits
Ceux qui m’ont regardée évêque en ont péri
Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries
Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie
Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley
Qu’un autre te condamne tu m’as ensorcelé
Evêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge
Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège
Mon amant est parti pour un pays lointain
Faites-moi donc mourir puisque je n’aime rien
Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meure
Si je me regardais il faudrait que j’en meure
Mon cœur me fait si mal depuis qu’il n’est plus là
Mon cœur me fit si mal du jour où il s’en alla
L’évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances
Menez jusqu’au couvent cette femme en démence
Va-t’en Lore en folie va Lore aux yeux tremblants
Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc
Puis ils s’en allèrent sur la route tous les quatre
La Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres
Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut
Pour voir une fois encore mon beau château
Pour me mirer une fois encore dans le fleuve
Puis j’irai au couvent des vierges et des veuves
Là-haut le vent tordait ses cheveux déroulés
Les chevaliers criaient Loreley Loreley
Tout là-bas sur le Rhin s’en vient une nacelle
Et mon amant s’y tient il m’a vue il m’appelle
Mon cœur devient si doux c’est mon amant qui vient
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin
Pour avoir vu dans l’eau la belle Loreley
Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil
Guillaume APOLLINAIRE (1880-1918)
21:56 | Lien permanent | Commentaires (0)
Un joli poème de Heine
DIE LORELEI
Ich weiß nicht, was soll es bedeuten,
Dass ich so traurig bin;
Ein Märchen aus alten Zeiten,
Das kommt mir nicht aus dem Sinn.
Die Luft ist kühl und es dunkelt,
Und ruhig fließt der Rhein;
Der Gipfel des Berges funkelt
Im Abendsonnenschein.
Die schönste Jungfrau sitzet
Dort oben wunderbar,
Ihr goldnes Geschmeide blitzet,
Sie kämmt ihr goldenes Haar.
Sie kämmt es mit goldenem Kamme,
Und singt ein Lied dabei;
Das hat eine wundersame,
Gewaltige Melodei.
Den Schiffer im kleinen Schiffe
Ergreift es mit wildem Weh;
Er schaut nicht die Felsenriffe,
Er schaut nur hinauf in die Höh.
Ich glaube, die Wellen verschlingen
Am Ende Schiffer und Kahn;
Und das hat mit ihrem Singen
Die Lorelei getan.
Heinrich HEINE (1797-1856)
21:53 | Lien permanent | Commentaires (2)
05/06/2006
Des adieux ... / ...
dans les carnets intimes du messager des runes
l’écriture est en transe et clignote à la une
des mystères / des amants et de leurs infortunes
des adieux … / …
et des mains maladroites et moites au soir trop chaud
raturent les fantaisies de Schumann au piano
les cris des martinets sur les toits de Soho
des adieux … / …
et les noires sentinelles drapées dans leurs guérites
n’ont plus besoin d’antennes-paraboles-satellites
pour capter le chagrin à son extrême limite
des adieux … / …
après de vagues lueurs / d’ultimes prolongations
on repart à genoux, le cœur sous perfusion
au bord de la faillite mentale mais sans passion
des adieux … / …
déjà le vieux veilleur mélancolique nous guette
annonçant des avis d’orage et de tempête
mais bientôt le silence nous fait mal à la tête
des adieux … / …
mais on finit toujours par noyer son cafard
dans un taxi-dancing ou dans un topless-bar
on finit toujours sur l’éternel quai de gare
des adieux … / …
Paroles et musique : Hubert-Félix THIEFAINE
Quelques remarques à propos de cette chanson :
*Une erreur s’est glissée dans le livret du CD. Le nom du compositeur allemand dont il est question ici (Robert Schumann, 1810-1856) s’écrit bel et bien avec deux « n ». Dans le livret, il n’y en a qu’un.
*Autre chose : ce texte mélancolique me fait penser à ces mots de José Cabanis :
« On ne devrait jamais se quitter. Ce silence qui succède à tant de jours vécus ensemble, ne plus rien savoir l’un de l’autre, passer de l’extrême intimité et des caresses les plus abandonnées à cette absence, je vois dans cette séparation acceptée plus qu’une préfiguration, qu’une image de la mort : c’est la mort elle-même, qui commence. (…) Qui peut dire d’ailleurs le mal que de telles séparations nous ont fait, et de combien notre vie s’en est trouvée abrégée ».
*Tiens, Guillaume Apollinaire a écrit une série de poèmes qu’il a intitulée « Le guetteur mélancolique »…
*« On finit toujours sur l’éternel quai de gare »… « On reste là sur le quai on attend ». Décidément, les quais de gare !
21:55 | Lien permanent | Commentaires (8)