31/07/2006
"Souvenirs d'un pas grand-chose"
Dans Chorus n° 26 (hiver 1998-1999), Thiéfaine parle de littérature, et il y a de quoi prendre son pied!
"Je cherche une solidarité, des gens qui vibrent comme moi, qui ont vécu des choses noires", dit-il. "J'ai beau tenter vaguement de parler de bonheur, d'organiser un peu mieux ma vie, je suis toujours le même mec déchiré. Le nihilisme, le désespoir, ça revient chez moi de façon récurrente. Puisque l'on est dans la littérature, on peut aussi parler d'un type comme Bukowski. En gros, des gens qui ont les mêmes vices que moi!"
Allons donc faire un tour du côté de Bukowski et de ses Souvenirs d'un pas grand-chose!
"Elle était devenue si vieille que mourir eût été presque insensé".
"Il ne restait plus qu'une nation entière de trous du cul qui passaient leur temps à conduire des voitures, à bouffer, à avoir des gosses et à tout faire de la pire des façons, comme de voter pour le candidat à la présidence qui leur ressemblait le plus".
"L'injustice, faut croire que les trois quarts des gens, ils y pensent seulement quand c'est eux qui en sont les victimes".
"De toute façon, je n'avais aucune envie d'être quoi que ce soit. Et y arrivais brillamment".
"La route que j'avais devant moi, j'aurais presque pu la voir. J'étais pauvre et j'allais le rester. L'argent, je n'en avais pas particulièrement envie. Je ne savais pas ce que je voulais. Si, je le savais. Je voulais trouver un endroit où il n'était pas obligatoire de faire quoi que ce soit. L'idée d'être quelque chose m'atterrait. Pire, elle me donnait envie de vomir. Devenir avocat, conseiller, ingénieur ou quelque chose d'approchant me semblait impossible. Se marier, avoir des enfants, se faire coincer dans une structure familiale, aller au boulot tous les jours et en revenir, non. Tout cela était impossible. Faire des trucs, des trucs simples, prendre part à un pique-nique en famille, être là pour la Noël, pour la Fête nationale, pour la Fête des Mères, pour... les gens ne naissaient-ils donc que pour supporter ce genre de choses et puis mourir?"
"Est-ce que vous oseriez arriver une demi-heure en retard à un mariage ou à un enterrement?
-Non.
-Et pourquoi, je vous prie?
-Ben, parce que si l'enterrement, c'était le mien, il faudrait que je sois à l'heure et que si ce mariage, c'était aussi le mien, ça serait mon enterrement".
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Charles Bukowski, Hank pour les amis, est né en 1920, à Andernach, en Allemagne. Il ne découvre l'Amérique qu'à deux ans, lorsque ses parents émigrent à Los Angeles, avec l'espoir de faire fortune. De gifles en coups de lanière, son enfance n'en est pas moins réglée à la prussienne et son adolescence s'achèvera, raconte-t-il, lorsque, complètement ivre, il mettra son père k.o. Postier, magasinier, employé de bureau, Hank n'exercera que des petits métiers. Misère et médiocrité, taule à l'occasion. Pour échapper à un univers qu'il refuse autant qu'il le fascine, il boit et court les filles. Il écrit des poèmes d'abord, qui l'imposeront comme le successeur de Kerouac et de Ginsberg, puis des romans, des chroniques et des nouvelles. Il ne s'arrête d'écrire que pour boire et chercher une fille.
Les oeuvres de Bukowski traduites en français sont Les Contes de la folie ordinaire, portés à l'écran par Marco Ferrerri avec Ben Gazzara et Ornella Mutti, Les Nouveaux Contes de la folie ordinaire, L'amour est un chien de l'enfer, Women, Au sud de nulle part, Factotum, Souvenirs d'un pas grand-chose, Le Postier, Mémoires d'un vieux dégueulasse, Je t'aime, Albert, Hollywood, Pulp, Jouer du piano ivre jusqu'à ce que les doigts saignent (poèmes) et Le Ragoût du septuagénaire.
Charles Bukowski est décédé en 1994.
15:15 | Lien permanent | Commentaires (0)
Isadora Duncan
Extrait du Dictionnaire de la mort des grands hommes (Isabelle BRICARD, éditions du Cherche-midi, 1995) :
Isadora DUNCAN : danseuse américaine, créatrice de la "danse libre".
MORT : 14 septembre 1927 (à 50 ans)
CAUSE : étranglée par son châle
LIEU : NICE (Alpes-Maritimes)
INHUMATION : cimetière du Père-Lachaise, à Paris (Cela me fait penser à la phrase de René Fallet : "Le Père-Lachaise, c'est moi". Mon petit jeu marche aussi avec les écrivains que j'aime!).
Isadora voulait acheter une Bugatti 37. Le garagiste du garage Helvetia vint la chercher à son hôtel, le Negresco, pour lui faire essayer le modèle. Enveloppée dans un grand châle en crêpe de Chine rouge, elle monta à l'arrière de la voiture. Le garagiste donna un coup de manivelle et s'installa au volant. Isadora se tourna vers son amie Mary Desti et lui dit en agitant son bras : "Adieu, je vais à la gloire!" Tandis que la Bugatti s'engageait sur la promenade des Anglais, le châle d'Isadora glissa de ses épaules et se mit à traîner sur la chaussée. "Le châle, Isadora! Le châle!", cria Mary, mais Isadora ne l'entendit pas. Cent mètres plus loin, les franges se prirent entre le papillon et le moyeu de la roue : la voiture se cabra et la tête de la passagère fut plaquée en arrière. La nuque brisée, Isadora Duncan mourut sur le coup.
Cette note m'a été inspirée par le commentaire qu'a laissé Waty sur "113ème cigarette sans dormir".
"La terre tremble
et tu t'essuies la bouche
dans ce qui pourrait être l'écharpe
assassine d'Isadora Duncan
qui se prit dans les rayons
de la roue
de sa Bugatti"... ("La terre tremble", Hubert-Félix THIEFAINE).
07:45 | Lien permanent | Commentaires (0)
25/07/2006
"113ème cigarette sans dormir" ou plutôt "113ème insomnie sans fumer"
Bon, je ne dors pas. Si je faisais encore partie des "milliers d'embrumés" dont parle Thiéfaine dans "Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable", j'en serais très certainement à ma "113ème cigarette sans dormir"! Mais ce vice m'a, semble-t-il, définitivement quittée...
Après m’être retournée environ cent quarante fois dans mon lit, je me suis dit qu’un petit tour sur le blog aurait peut-être un effet salutaire ! Alors essayons !
Je ne sais pas à quel degré de dépendance en sont les fans de Thiéfaine qui pourraient éventuellement atterrir sur ces pages. Pour ma part, j’en suis arrivée à une phase que d’aucuns qualifieraient sans doute de critique, mais leurs discours oiseux sur la nécessité d’aller me faire soigner ne m’atteindraient pas ! Je vais aggraver mon cas et annoncer clairement que :
a) dans une conversation, dès que quelqu’un dit "ce matin", c’est plus fort que moi, je ne peux m’empêcher d’ajouter mentalement : "le marchand de coco n’est pas passé", etc.,
b) dès que j’entends l’expression "j’ai appris hier", je pense à la partie parlée de vous savez quelle chanson (tiens, d’ailleurs, il faudra que je mette quelques lignes d’Antonin Artaud sur ce blog !),
c) en gros, tout propos qui ressemble à des paroles de Thiéfaine me fait littéralement changer de planète, tout à coup "je ne suis plus de chez vous" (oui, ça, c’est du Ferré, je sais !), j’ai mon petit for intérieur qui "pédale dans les nuages".
C’est grave, docteur ? Franchement, en ce qui me concerne (et ça tombe bien, car je suis la première concernée !), je ne vois aucun inconvénient à ces jolies absences que je m’octroie régulièrement dans les conversations, les réunions diverses et variées, les repas de famille. Un jour, j’étais avec une amie, nous attendions une certaine Brigitte, qui n’arrivait pas, qui n’arrivait pas… Soudain, l’amie en question s’est mise à appeler son chien "Brigitte", tant elle était à fond dans son angoisse et son attente ! Je n’ai encore jamais appelé mon chien Hubert. Félix, si, c’est déjà arrivé. Ah non, ça, c’était le chat, mais il paraît que c’est plutôt normal.
Et puis, que voulez-vous, "c’est pas tous les jours facile de vivre en société quand on a un peu d’imagination" ! "Monsieur le commissaire, j’ai ma névrose, mais monsieur le commissaire, qui n’a pas sa névrose" ?!
D’ailleurs, je dois dire que ma mère ne fait pas mieux de ce côté-là. Dernièrement, j’évoquais la chanson "Bipède", la réduisant à ce seul mot. Et ma mère d’ajouter : "Bipède à station verticale, c’est ça ?" Finalement, l’éducation, il en reste toujours quelque chose !
De temps en temps, pour essayer de me dépêtrer de cette joyeuse dépendance qui ne me gêne pas tant que ça, je me fais des plages de silence, ou alors j’écoute tous les artistes du monde sauf Thiéfaine. Et j’y reviens ensuite avec un plaisir décuplé !
02:00 | Lien permanent | Commentaires (4)
22/07/2006
Malcolm Lowry : suite et fin
Voici quelques extraits du roman Au-dessous du volcan, que j'ai terminé avant-hier :
"Mais trois nuits blanches plus tard une éternité de vie avait passé".
"Enfin! La guerre, sauf qu'elle était mauvaise, ne lui inspirait que peu d'émotions. L'un ou l'autre camp gagnerait. Et dans les deux cas la vie serait dure. Quoique si les Alliés perdaient elle serait plus dure. Et dans les deux cas l'on poursuivrait sa bataille à soi".
"la cathédrale en éternelle navigation sur les nues" (c'est beau, ça, non?!).
"Je me demande si c'est parce que ce soir mon âme est vraiment morte que j'éprouve pour l'instant quelque chose comme la paix".
"L'avenir paraissait horrible, avec la vie au bout".
La postface de Max-Pol Fouchet est très belle. En voici encore quelques extraits :
"Ah, c'est le silence, plutôt, qui devrait suivre. On éprouve de la gêne à parler après ce livre, un tel livre".
"Si la vie est impossible sans l'amour, et si nous n'aimons pas, alors nous ne vivons pas, et nous sommes dans la mort. "Le pire de tout", dit le Consul, "c'est de sentir son âme mourir" : et il ajoute : "Mes secrets sont de la tombe". Il n'est guère de page où la mort ne soit présente. L'action du livre tient en un seul jour : le Jour des Morts. Voici des meneurs de deuil, des funérailles, des coutumes funéraires, un cadavre expédié par train; voici l'indien mort, des chiens morts, et Yvonne eut un enfant, et il est mort; des fantômes errent dans le casino de la Selva, telle cantina s'appelle "la Sépultura"... On entend les chocs sourds d'un bombardement, d'un exercice de tir; le palais de Maximilien, tout ruines, est un palais funèbre".
"Il y a, chez le Consul, une soif infongible. Non d'alcool. Mais d'ontique, de statique, d'être. L'alcool, pour lui, n'est pas vice : il est le moyen d'une connaissance. Par l'alcool, il espère sortir de lui-même, sortir d'une temporalité dirigée par le péché préalable, sortir de l'historicité et de la conscience historicienne. Par l'alcool, il voit, il se fait voyant, dans l'acception rimbaldienne du terme. Ne voit-on pas, à lire nos grands contemporains, que la volonté de puissance a cédé à une volonté d'extase? Rarement l'extase fut plus héroïquement poursuivie que par le Consul Geoffrey Firmin. On mesure donc le contresens qui consisterait à tenir ce livre pour un témoignage, ou un roman "sur" l'alcool, - quand il s'agit d'un livre mystique".
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20/07/2006
Autorisation de délirer
Nous voilà de nouveau branchés sur le hasard
avec des générateurs diesel à la place du coeur
et des pompes
refoulantes au niveau des idées ... / ... le vent souffle
à travers
nos crânes i.t.t. océanic couleurs! ... / ... à la page 144
de leur programme, la petite cover-girl emballée
sous cellophane s'envoie en l'air à l'Ajax W.C. ... / ...
orgie de silence et de propreté où celui qui aurait encore
quelque chose à dire préfère se taire plutôt que d'avoir
à utiliser leurs formulaires d'autorisation de délirer...
... demain, nous reviendrons avec des revolvers au bout de nos yeux morts...
Hubert-Félix Thiéfaine
22:21 | Lien permanent | Commentaires (8)
19/07/2006
Ordre du Jour
Un très beau poème de Jean-Pierre Rosnay...
ORDRE DU JOUR
Tenir l'âme en état de marche
Tenir le contingent à distance
Tenir l'âme au-dessus de la mêlée
Tenir Dieu pour une idée comme une autre
un support une éventualité
une contrée sauvage de l'univers poétique
Tenir les promesses de son enfance
Tenir tête à l'adversité
Ne pas épargner l'adversaire
Tenir parole ouverte
Tenir la dragée haute à ses faiblesses
Ne pas se laisser emporter par le courant
Tenir son rang dans le rang de ceux qui sont
décidés à tenir l'homme en position estimable
Ne pas se laisser séduire par la facilité
sous le prétexte que les pires se haussent
commodément au plus haut niveau
et que les meilleurs ont peine à tenir la route
Etre digne du privilège d'être
sous la forme la plus réussie : l'homme
Ou mieux encore, la femme.
22:55 | Lien permanent | Commentaires (0)
18/07/2006
Le Club des Poètes
En juillet ou en août 1999 (avez-vous remarqué à quel point les gens qui hésitent pendant trois plombes sur une date sont pénibles?! Je vous ferai donc grâce d'éventuels "ce devait être en juillet parce que ceci" ou "non, c'était plutôt en août parce que cela"!), en juillet ou en août 1999, donc (et d'ailleurs, c'était peut-être dans la nuit du 31 juillet au premier août, ce qui changerait toutes les données!!!), en juillet ou / et en août 1999, donc, j'avais, par je ne sais plus quel hasard, atterri au Club des Poètes à Paris. Oui, ce même Club dont il est question dans Jours d'orage! Je cite : "Très important à ce moment-là, il y a également le Club des Poètes. Jean-Pierre Rosnay, qui en est l'animateur (et qui se trouve être le beau-frère de Georges Moustaki), adore le travail d'Hubert qu'il fait chanter chez lui, tout en lui offrant, en contrepartie, une chambre sous les toits". Je me souviens très bien de cette soirée-là, je me souviens assez bien du lieu, des nombreuses photos de Moustaki sur les murs, de l'hommage rendu à Blaise Cendrars. La soirée s'était finie ... au petit matin! Et dire que je me suis trouvée à la table de Jean-Pierre Rosnay, sans savoir que cet homme fabuleux, qui répète à tue-tête "vive la poésie!", avait fait un bout de chemin avec le père Hubert! Si j'avais su!!
Ce soir-là, j'avais acheté un recueil de poèmes de Jean-Pierre Rosnay. Je devrais me plonger plus souvent dans ce splendide Fragment et relief. Ce soir, j'y trouve cette phrase :
"On ne communique pas ses souvenirs, jeune homme, on communique aux autres la nostalgie des leurs".
Joli, non? Jean-Pierre Rosnay mérite bien qu'on s'attarde sur sa poésie. Je lui consacrerai d'autres notes.
22:54 | Lien permanent | Commentaires (2)
Lilith
Au fait, j'ai oublié de dire qu'à Berlin, en visitant le musée Käthe Kollwitz (femme peintre dont les tableaux sont très émouvants), j'ai eu l'occasion de voir également des oeuvres d'Ernst Barlach (1870-1938). Il a peint, notamment, "Lilith, Adams erste Frau" ("Lilith, la première femme d'Adam"). Je mets un lien vers un site sur lequel on peut voir cette peinture (n° 21) :
http://www.nierendorf.de/englisch/kataloge/Kabinet%206/Ba...
Décidément, où que je sois, je suis toujours accompagnée par l'oeuvre de Thiéfaine!
09:03 | Lien permanent | Commentaires (0)