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26/10/2021

Figures libres

"Dans la zone onirique où je gare ma planète

un vieux cadran fossile mesure le temps perdu". Hubert-Félix THIÉFAINE

 

Le lundi qui a suivi la sortie de Géographie du vide, un de mes collègues, croisé devant le portail du collège où je bosse (et où, parfois, j'ai plutôt l'impression de perdre ma vie à la gagner), m'a abordée de la sorte : « Une question me brûle les lèvres : comment est le dernier Thiéfaine ? ». Ce à quoi j'ai répondu : « Écoute, personnellement, j'adore, mais je ne suis peut-être pas la mieux placée pour en parler. Disons que je ne suis pas forcément objective ». Au fil des jours et des semaines, lisant ici et là les différents commentaires suscités par ce que certains qualifieraient volontiers d'objet du délit, quand moi je parlerais plutôt d'objet du délice, je me suis forgé une petite idée parmi bien d'autres : nul n'est objectif quand il parle de Thiéfaine, en tout cas parmi les gens qui le suivent depuis des décennies. J'ai rarement vu cela ailleurs. Il y a comme une frénésie, frôlant parfois l'absurde. C'est un fait : Hubert déchaîne les passions. Sans doute est-ce le propre des grands de ce monde, de ceux qui semblent miraculeusement pouvoir échapper à l'appellation « communs des mortels ».

À propos de cet album, j'ai lu, comme vous, je pense, tout et son contraire. Suivis, le tout et le contraire, de commentaires disant eux aussi tout et son contraire. Et ainsi de suite jusqu'à épuisement des arguments. Parfois jusqu'à empoignade virtuelle.

Alors, ce dernier album, c'est du Thiéfaine ou c'est pas du Thiéfaine ? C'est Thiéfaine reniant Thiéfaine, c'est Thiéfaine caricaturant Thiéfaine ? Oui, j'ai lu cela aussi, quelque part. Et cela m'a passablement contrariée. Qu'on n'aime pas une œuvre me semble tout à fait envisageable, mais qu'on aille la salir, la dézinguer, la bousiller sur cette place publique que sont désormais les réseaux sociaux : non ! Dans le village où j'ai passé mon enfance, les anciens disaient toujours : « Si tu n'aimes pas la soupe, c'est ton droit, mais n'en dégoûte pas les autres ». Sagesse populaire, certes, mais sagesse élémentaire.

Bon, il se trouve que pour ma part, j'ai été chanceuse et que je n'ai eu besoin que de quelques écoutes pour entrer dans ce nouvel album. Aujourd'hui, j'en aime toutes les chansons, toutes les couleurs, toutes les ambiances. C'est un véritable patchwork. C'est sûr, il peut requérir un peu de temps et de patience. Ce n'est pas l'album qui s'offre facilement, comme ça, en un tour de main. Et dire que certains peuvent avoir vu là-dedans un coup de commerce ! Il faudra m'expliquer ! Je répète ce que j'ai déjà écrit plusieurs fois ici (et même ailleurs) : je ne vois dans Géographie du vide que l'expression d'une audace folle. Je parlerais volontiers de témérité. Thiéfaine aurait pu se caricaturer, il aurait sans doute fait cela très bien, avec un peu d'entraînement, mais je crois que ce n'est pas le genre de la maison. « On n'en finit jamais d'écrire la même chanson » : même pas sûr !

Je vous livre ces lignes après avoir, ce soir encore, écouté l'album. Et après en avoir savouré toutes les infinies nuances. J'ai pleuré quand j'ai entendu Reykjavik. Cette chanson me bouleverse parce que oui, le cœur a ses raisons que soi-même on ignore. J'ai encore pleuré en entendant Combien de jours encore. Les paroles de cette chanson sont d'une complexité virtuose : elles disent tour à tour l'espèce de nostalgie qui peut vous étreindre quand on imagine la fin et le soulagement qu'on est en droit d'attendre de cette même fin. On peut ne pas follement aimer la vie, mais lui reconnaître tout de même quelques petits avantages.

Alors, ce dernier album, c'est du Thiéfaine ou c'en est pas ?! Je n'ai pas vraiment répondu à la question, mais pour moi il est évident que c'est trois fois oui. Géographie du vide, c'est Thiéfaine refusant d'aller dans le sens du courant, comme toujours. Il n'a jamais été, je crois, l'artiste des figures imposées. Toujours celui des figures libres, lui-même en étant une, et pas des moindres, non mais !

17/10/2021

De l'audace avant toute chose !

« Sans prendre de risques, on est dans une situation un peu bourgeoise, on devient « Les Assis » de Rimbaud. Ça m'intéresse d'aller là où j'ai envie et non pas là où on me souhaite ». Hubert-Félix THIÉFAINE (extrait d'une interview donnée à L'Est Républicain).

 

Au début de mon précédent billet, je revenais sur ma rencontre avec l'œuvre de Thiéfaine. Je disais l'émerveillement qui fut le mien alors, mais aussi l'étonnement. Jamais je n'avais rien entendu de tel. Il y avait là tout ce que j'avais toujours souhaité entendre sans jamais oser le demander, certaine que cela n'existait pas. Des musiques frôlant parfois l'ivresse (je pense notamment à celles d'Alambic/sortie-Sud). Des paroles flirtant avec le surréalisme (« j'étais beau comme un passage à niveau » n'étant qu'un exemple que je choisis parmi tant d'autres possibles !). Une ironie grinçante pouvant aller, si ça lui chantait, jusqu'au glaçant. Des pochettes un tantinet flippantes. À quelques semaines de mes 19 ans, j'adoptai d'une seule pièce cette galaxie totalement foutraque qui se faisait volontiers le refuge des bancroches et des estropiés. Des dingues et des paumés, quoi. Mes amis, pour la plupart, me regardaient bizarrement quand j'évoquais Thiéfaine. Ils trouvaient que son univers était glauque. Je ne partageais mon incandescente passion qu'avec de rares initiés. HFT, c'était comme une substance illicite qu'on se refilait sous le manteau, dans une arrière-cour obscure.

Si je tente d'analyser les choses avec le recul que devraient pouvoir m'offrir 29 ans de fouilles menées sans relâche dans une œuvre complexe et multiple, je peux dire que ce qui me happa d'emblée, c'est l'audace absolue qui la caractérisait. Du jamais entendu nulle part ailleurs, comme je l'écrivais plus haut. Du vertigineux qui me retournait l'âme, me la mettait sens dessus dessous tout en me l'apaisant !

Nous étions en septembre 1992. Thiéfaine avait déjà, dans les différents albums qu'il avait commis jusque là, montré la multitude de cordes dont il savait orner son arc. Des ruptures me sautaient aux yeux. Dernières balises avant mutation n'était pas De l'amour, de l'art ou du cochon. Chroniques bluesymentales ne ressemblait pas vraiment à Soleil cherche futur. Pourtant, dans ce dédale fait de zigzags et de virages, je percevais une réelle cohérence. Incontestablement, c'était le même artiste qui s'exprimait d'album en album. Cela ne faisait aucun doute pour moi qui découvrais tout simultanément, L'Agence des amants de madame Müller en même temps que Nyctalopus Airline. Je comprenais qu'entre les deux, le chanteur avait parcouru du chemin. Qu'il s'était renouvelé tout en restant lui-même.

8 octobre 2021. Presque trois décennies ont passé sur l'enchantement originel, sans jamais parvenir à lui coller une seule ride. Pas même un cheveu blanc. Que faut-il retenir de ce nouvel opus (nyctal-opus !!) qui en a déconcerté plus d'un, que ce soit parmi les fans de la première heure ou les récemment atterris sur la galaxie dont je parlais dans un autre paragraphe ? Eh bien, je dirais qu'il faut en retenir, une fois encore, la belle impertinence. Avec Hubert, ce n'est pas « on prend les mêmes et on recommence » ! Décliner indéfiniment Alambic/sortie-Sud et arpenter jusqu'à l'épuisement des territoires déjà explorés, très peu pour lui. Cela ne lui dit rien qui vaille de se tenir assis bien droit, comme dans le poème de Rimbaud. Assis veut dire immobile et frileux. Fonctionnaire, en somme, dans tout ce que cela a de pas très palpitant. Non, à 73 ans, Thiéfaine a choisi de troquer le fauteuil moelleux contre un sous-marin en folie ! Cap sur des profondeurs laissées vierges jusqu'à présent. Expédition dans les abysses, à des lieues de ce qu'il a déjà fait. Cela peut paraître inconfortable, voire incompréhensible, à certains. C'est qu'Hubert ne nous emmènera jamais que là où il a décidé d'aller lui-même. On suit ou on ne suit pas. Bon, ben moi je suis. Ce n'est pas que je sois le bon toutou à son maîmaître, mais il se trouve que cet album, je l'adore, du début à la fin, et que je n'ai pas eu à me forcer. En l'écoutant dans son ensemble, j'y ai perçu la même cohérence que celle que j'évoquais plus haut. Une grande liberté de ton aussi. J'adore que Géographie du vide s'ouvre sur Du soleil dans ma rue. Avec le premier vers, tu te crois rendu aux abords d'un été rougeoyant et tu te réjouis, toi qu'enchantent les canicules. Sauf que le deuxième vers te renverse, tel un couperet : Ok, du soleil, « mais je ne sais pas quoi en faire ». N'est-ce pas là un excellent résumé de l'œuvre tout entière ? Avec le premier vers, on a frôlé l'optimisme. Que c'en était même inquiétant ! Hubert ne nous a pas habitués à ça. Avec le deuxième vers, Hubert redevient Hubert. Faudrait tout de même pas aller croire qu'un miracle nous l'aurait réconcilié avec les « conneries de barbecues » ! Du soleil dans ma rue, c'est la chanson qui dit l'incompatibilité d'humeur entre HFT et la lumière. Tout l'album est un festival de choses inattendues. Jusqu'à la dernière chanson, Elle danse, dont le chanteur a dit qu'elle était un peu sa Madame Bovary. C'est-à-dire que sans doute, elle parle de lui, avec la pudeur que permet l'emploi du pronom personnel féminin, sorte de voile jeté sur la douleur. D'accord, il y a incompatibilité d'humeur entre lui et la lumière, mais cela ne l'a jamais empêché de danser. Peut-être même que c'est cela qui l'a fait danser. Genre sagesse tirée de Sénèque (« La vie, ce n'est pas d'attendre que l'orage passe, c'est d'apprendre à danser sous la pluie »).

Géographie du vide ou l'art de ne pas être là où on était attendu. L'art d'envoyer des pieds-de-nez, quand ce ne sont pas des doigts d'honneur, au déjà-vu. L'art de lui dire « je t'emmerde », mais avec une somptueuse élégance. Géographie du vide ou l'audace poussée à l'extrême (et notre chanteur a 73 ans, je le répète !).

Septembre 1992, octobre 2021 : à presque trente ans de distance, le même uppercut envoyé dans la face. Et vous savez quoi ? Je tendrais bien l'autre joue, manière de dire que j'en redemande !

13/10/2021

Il se fait tard, mais j'ai encore envie de parler de Géographie du vide !

"Combien de jours encore et combien de tunnels

avant de chevaucher les années sans lumière

avant d'effeuiller l'ombre et le vide éternel

délivrés à jamais du poids de l'univers". Hubert-Félix THIÉFAINE

 

Lorsque je découvris Thiéfaine, il y a 29 ans déjà (bon sang, je m'en souviens pourtant comme si c'était hier – ça y est, voilà la phrase typique des vieux...), je fus submergée par une avalanche d'émotions diverses et variées. Dans certaines chansons, je trouvais une profonde déréliction qui ressemblait à celle qui me visitait régulièrement alors. Dans d'autres, je me prenais en pleine face une ironie mordante qui n'était pas pour me déplaire. J'adorais le côté inattendu de certains vers (cela allait de « tu as la splendeur d'un enterrement de première classe » à « ce soir je sais que Dieu est un fox à poil dur », en passant par « les quais seront encombrés de pendus » ou bien encore « je demanderai ta main pour la couper »). C'était, il faut bien le dire, du jamais vu, du jamais entendu nulle part ailleurs. De quoi me chambouler profondément. Pour la vie, même. Mais ça, je ne le savais pas encore...

J'aimai d'emblée les collisions inattendues entre certains mots qui semblaient devoir à tout jamais s'exclure. Mais non, ils devenaient soudain d'évidentes épousailles parce qu'un chanteur habile et audacieux avait su les faire se télescoper sauvagement !

Vingt-neuf ans et un mois plus tard, je découvre le 18ème album d'HFT. Le jour où il arrive dans ma boîte à lettres (je devrais dire à factures car plus personne n'écrit de lettres aujourd'hui et le courrier se résume à ce que nous envoient le Trésor Public et quelques autres acharnés des échéances à honorer), je l'ouvre avec une certaine émotion et même une légère appréhension. C'est toujours comme ça, les rendez-vous d'amour. On ne sait jamais à l'avance si cela va le faire ou pas. Quelques semaines plus tôt, j'ai entendu La fin du roman, et je n'ai pas vraiment accroché, alors je me demande de quoi ce nouvel album sera fait et si la magie va opérer comme tant de fois.

Première écoute déroutante. Je ne saurais dire si j'aime. Ce qui est certain, c'est que je suis surprise. Bousculée, même. Il faut dire que Géographie du vide renferme des choses inattendues. Notamment cette prière ébouriffée sur un rythme qui frôle la transe : « Seigneur fou des bacchanales, ne me délivrez pas du mal ». Mais pas que. La première idée qui me vient, en découvrant l'album, c'est « oxymore musical ». Thiéfaine et les musiciens avec lesquels il a travaillé font se rencontrer des univers qui auraient pu rester à tout jamais parallèles. L'idiot qu'on a toujours été en est peut-être le meilleur exemple. On lit le texte et l'on pourrait s'attendre à une musique type Annihilation ou En remontant le fleuve. Eh bien non, ce sera une « fresque musicale » (l'expression est de Thiéfaine) d'une ampleur vertigineuse. À un moment, on est presque dans le cantique. C'est une espèce de folie qui nous emporte dans toutes les ambiances possibles et imaginables (et même les inimaginables, on y a droit aussi : bingo !). Moi, ça m'évoque une espèce de toccata 2021 en folie ! Ou, dans un autre genre, les auto-tamponneuses à la fête foraine, quand elles vous foncent dessus tous azimuts et que vous ne pouvez qu'attendre le prochain choc qui vous dévissera la tête !

Du soleil dans ma rue ouvre le bal, avec son ironie tranchante comme un silex. Comment ai-je pu, il y a quelques mois, penser une seule seconde qu'il s'agissait là de premier degré ? Évidemment qu'on est dans la farce. Le truc s'annonce comme une romance et finit en charpie. « Faisons semblant d'être amoureux », c'est d'un triste : ça veut dire qu'on ne l'est pas... Alors la musiquette enjouée derrière, c'est du pipeau, bien sûr. Une manière de nous faire croire que, alors que non, pas du tout. Je note également la petite facétie qui fait chanter aux chœurs « Atmosphère » sur le même ton qu'Arletty. D'ailleurs, si on veut parler de facéties, eh bien, il y en a un peu partout dans l'album. On pourrait s'amuser à en faire le « recensement ». Si vous en constatez d'autres, n'hésitez pas à les mentionner. J'en ai relevé plusieurs, mais elles ne me reviennent plus, à cause de l'heure tardive.

Mais qu'on n'aille pas croire que tout se résume à un truc du style « farces et attrapes à tous les étages ». Non, ce serait trop simple. Bien que Thiéfaine se dise volontiers plus heureux aujourd'hui qu'il y a quelques années, on perçoit quand même encore, dans de nombreux textes, le « pantin déglingué » qui « traîne une vieille caisse marquée fragile ». Reykjavik, à ce propos, me bouleverse. J'y vois la complainte d'un homme qui ne sait pas bien où est sa place dans ce monde, ici ou ailleurs, c'est flou, brouillé, indétectable. Et me vient à l'esprit cette expression allemande que j'ai si souvent employée pour moi-même : « fehl am Platz ». C'est quand on ne se sent pas à sa place là où l'on est, pas là où on devrait être. Se sentir « fehl am Platz », pour moi, c'est boire jusqu'à la lie un sentiment d'étrangeté...

Reykjavik, donc, me bouleverse, mais aussi Vers la folie et Combien de jours encore. Voilà deux chansons que je rapprocherais de Petit matin : on les écoute à la fois avec délice et effroi. Elles sont d'une indicible beauté, mais elles mettent un peu mal à l'aise. C'est qu'on ne voudrait pas non plus se repaître du mal-être qui les a fait naître, n'est-ce pas...

Il y aurait tant à dire encore, mais il se fait réellement tard et je suis fatiguée ! Je voudrais bien trouver des mots corrects pour conclure, mais vers lesquels aller ? Je ne sais pas. Peut-être dire, simplement, que cet album m'enchante. Deux mots pour le caractériser ? Audace et insoumission. Voilà Thiéfaine sur un chemin où on ne l'attendait pas. Et il ne nous dit même pas « qui m'aime me suive », parce que je crois qu'il n'en a rien à battre, il est au-dessus de tout ça. Il a fait ce qui lui a plu et si ce n'est pas du goût de tous, rien à cirer.

Oser se réinventer à 73 ans, prendre, une fois encore, un virage en épingle à cheveux et foncer obstinément, j'y vois même plus que de l'audace et de l'insoumission, j'y vois une certaine forme de courage ! Alors je dis « chapeau bas » !

 

10/10/2021

Géographie du vide : quelques impressions après d'intenses écoutes !

"On redevient toujours l'ombre qui sonne le glas

le trou noir qui dévore son étoile en faillite". Hubert-Félix THIÉFAINE

 

C'est la saison des chrysanthèmes et des « froides ténèbres ». La saison qui nous ramène à l'insondable silence qui entoure le marbre des tombes. Pas un mal qu'un nouvel album d'HFT nous arrive, telle une météorite, dans cette désolation.

Rembobinons le fil. Nous sommes le vendredi 8 octobre, c'est le jour tant attendu. Il est six heures du matin. Je découvre que l'intégralité de Géographie du vide est disponible sur YouTube. C'est plus fort que moi, je clique sur un morceau, puis deux, puis trois. D'abord Nuits blanches. Première impression : légèrement mitigée. J'adopte d'emblée le texte, mais la musique me semble en dissonance avec les mots que j'entends. Je suis déroutée. Pas grave, on verra plus tard. Je mets de côté. Je réserve, comme on dit en cuisine. Je clique sur L'idiot qu'on a toujours été. Des sons électro envahissent ma salle de bain. Là encore, je trouve les paroles gigantesques (je retiens « l'angle mort de mes saisons futures », « un vieux cadran fossile mesure le temps perdu »), « des visages austères qui ne reviendront plus »), mais la musique est loin de me convaincre. Allez, je réserve pour plus tard. Déjà deux chansons et je sens que ce nouvel album ne va pas s'offrir d'emblée, comme ça, à mon adhésion, qu'il va falloir escalader un peu pour en pénétrer (si tant est que cela soit possible) l'essence. Allez, cliquons sur un troisième morceau. Combien de jours encore. Alors là, c'est soudain le silence qui s'impose. Le CHOC. Pareil à ceux qui me vinrent, en d'autres temps, à la première écoute de Mathématiques souterraines, Autoroutes jeudi d'automne, Annihilation, et j'en passe parce qu'une liste exhaustive serait trop longue. Je sens que Combien de jours encore est la chanson élue parmi toutes les autres. Pour moi, en tout cas. Là, je ne réserve pas, je m'enivre, et à donf. Je n'écoute que cela sur la route sinueuse qui me mène au boulot. Dans ma salle de classe encore vide de tout élève, alors que j'allume l'ordinateur, j'écoute encore cette chanson. J'en suis fracassée. Carrément. Elle me parle, bien sûr, du temps qu'il reste à vivre et de l'horizon qui se rétrécit, mais aussi de tous ceux-là pour qui le temps s'est arrêté, pour qui le seul horizon possible est désormais la mémoire des vivants. Je pense à mon père, je pense à ma mère. Oui, il faut bien l'avouer, quand un artiste nous offre son œuvre, elle lui échappe. Une fois passée de notre côté, elle devient ce que notre vécu veut bien en faire, ce que notre imagination en saisit, ce que notre inconscient y lit !

Bon, il faut bien gagner sa vie, disait mon père, et c'est donc ce que je m'emploie à faire en ce vendredi qui devrait être férié pour tous ceux de la planète Thiéfaine. Mais bon, faut pas rêver avec les stakhanos qui nous gouvernent, tonitruants banquiers pour qui la poésie est un genre de peste bubonique qu'il convient d'endiguer... Alors j'accomplis en bon soldat les gestes quotidiens, je sais que dans quelques heures je débarquerai sur un autre astre, loin de toute contrainte.

11h30 : je rentre chez moi. J'ouvre le bel objet, fiévreusement. Comme il est beau, ce buste tout rapiécé ! Dans les morceaux recollés, je lis des cicatrices et des fêlures. Mais aussi la farouche volonté d'en découdre avec elles. Genre Phénix qui se serait réinventé sans même s'en apercevoir, après avoir fait voler son image en éclats.

L'album tourne dans la chaîne. Je suis déroutée, encore une fois. Mais je sens que c'est un mal pour un bien. Me voilà face à une œuvre inattendue, d'une extrême audace, pas une fille facile. Je tombe illico sous le charme de Vers la folie, dont je trouve l'ambiance et le thème flippants, caractéristiques souvent croisées dans l'univers d'HFT et qui ne sont pas pour me déplaire. Reykjavik prend tout de suite, dans mon esprit, des allures d'Automne à Tanger. Lui ou je, c'est du pareil au même pour dire l'étrangeté d'être ici plutôt que là. J'ai l'impression qu'un pont unit ces deux chansons, ne me demandez pas trop pourquoi. Sans doute parce que je sens que celui qui s'exprime ici est en butte à une anormalité qui le tient à l'écart de tout ce qui l'entoure.

Autre pont, peut-être complètement injustifié : Prière pour Ba'al Azabab me rappelle les accents loufoques de L'Agence des amants de madame Müller. On dirait que celui qui gueulait « je ne suis pas le mari de madame Müller » est revenu pour nous chanter avec délices les orgies maléfiques qui le piègent dans leurs filets. Et comme j'aime cette prière inversée : « Ne me délivrez pas du mal » ! C'est l'anachorète d'Exercice de simple provocation qui serait redevenu cénobite, ou quoi ?!

Voilà pour les premières impressions. Nous sommes toujours vendredi 8 octobre et je dois aller chercher ma fille aînée à l'internat. Je me mets en route un peu plus tôt qu'il ne faudrait, histoire de pouvoir aller faire mon traditionnel petit tour à la FNAC. Au rayon musique française, c'est l'album d'Hubert qui m'accueille. Il est en bonne place, à l'entrée dudit rayon. Mais aucune affiche ne surplombe les différents produits présents ici : coffrets, vinyles, CD. Je m'en étonne auprès d'un des employés du magasin. Il est lui-même étonné : il n'a rien reçu, aucune affiche. Il me dit de repasser dans quelques jours, on ne sait jamais. Ce que je compte faire, évidemment !

Bref... Et nous voilà dimanche. De nombreuses écoutes de Géographie du vide m'ont permis d'apprivoiser cet album. Plus encore : elles m'ont permis de l'adopter, totalement. Je suis scotchée par la hardiesse de l'ensemble. Ce n'est pas qu'Hubert ait souhaité rompre avec le rock, c'est plutôt, je crois, qu'il a souhaité tâter de tout à fait autre chose. Se réinventer. Au début, le truc me semblait bancal et les musiques pas vraiment adaptées au propos. Je retire ce que j'ai dit et pensé. C'est finalement une superbe orfèvrerie. À l'heure qu'il est, seule la musique de L'idiot qu'on a toujours été me reste encore impénétrable. Mais je réserve pour d'autres ivresses, que je crois possibles !

Tout le reste m'a conquise. Hubert-Félix Thiéfaine, 73 ans, et une féroce insoumission pour tout bagage. Avec Géographie du vide, on a droit à ce qu'on n'attendait pas. On prend ou on laisse, c'est selon. Moi je prends. À pleines mains !

06/10/2021

Joie dans les cœurs et les chaumières : jour J moins deux !

"La sagesse est d'être fou lorsque les circonstances en valent la peine". Jean COCTEAU

 

Agitation, ébullition, bouillonnement, embrasement, tout ça, tout ça ! À deux jours de la Parution tant attendue, j'avoue que je suis aussi survoltée que peut l'être un élève à l'approche des vacances ! Un certain Fred06 comparait dernièrement cette excitation à celle qui précède un premier rendez-vous d'amour. Oui, trois fois oui, il y a quelque chose de cet ordre-là. Mieux que Tinder et Meetic réunis : HFT ! Je n'ai pas perdu le sommeil, mais c'est tout juste. Je ne rêve pas de l'album et de la tournée à venir, mais ça ne saurait tarder. Il faudrait d'ailleurs que mes rêves pensent à se mettre raccord complet avec l'événement de vendredi, non mais ! Tenez, cette nuit, j'ai rêvé de tout à fait autre chose : d'un autre type à trois initiales, JMB. Nettement moins glamour, cependant, qu'HFT. En plus, c'était d'un sérieux, ce truc... À pleurer. Je rencontrais JMB et lui faisais part de tout ce qui ne va pas dans l'Éducation nationale (le boulot me monte au ciboulot, punaise). Je lui envoyais à la figure une liste longue comme le bras. D'ailleurs, en théorie, je devrais y être encore, dans ce rêve, parce que ladite liste, déjà kilométrique, aurait pu être prolongée de quelques coudées encore. Bref... Là n'est pas le propos.

Donc, jour J moins deux. Sur France Inter, dans l'émission Le mur du son, j'ai pu entendre récemment deux autres extraits de Géographie du vide. Je sens que Combien de jours encore va me faire frissonner, vibrer, trembler !

Vendredi, je recevrai le CD par voie postale. Merveilleux hasard de mon emploi du temps : je serai rentrée chez moi à 11h30 du matin. En week-end ! J'aurai deux jours et demi pour faire résonner dans toutes les pièces de la maison cette Géographie du vide tant désirée ! Bon, quand même, le vendredi soir, pause, je m'autoriserai une petite infidélité, un pas de côté : j'irai écouter Miossec et La Chica à la salle Poirel, à Nancy. Nobody is perfect ! Ce n'est pas parce qu'on flirte sur Tinder qu'on doit refuser tout effleurement sur Meetic ! Mais sinon, voilà comment devrait s'organiser mon week-end : le moins de sorties possible. Me terrer au maximum et siroter comme il se doit le nectar sacré !

Petite question à l'approche du grand jour : comment allez-vous vivre tout cela ? Avez-vous des rituels quand il s'agit de découvrir un album d'HFT ? Dans quel ordre faites-vous les choses ? Ouvrez-vous d'abord le livret pour lire les paroles des chansons avant la première audition ? Moi, je fais tout en même temps : je déballe l'objet, je glisse le CD dans la chaîne, je lis les textes tout en écoutant l'album, je contemple les pages du livret, tout cela d'un seul et même tremblement ! Il faut que la maisonnée m'obéisse au doigt et à l'œil (c'est bien la seule fois où je sais faire preuve d'autorité) : silence absolu exigé !

J'ai un autre rituel : je m'arrange toujours, les jours où sort un album d'Hubert, pour aller fureter dans les rayons de la FNAC. Voir un peu si tout le monde a fait correctement son job là-dedans. Est-ce qu'Hubert est bien en tête de gondole ? La place qui lui revient de droit lui a-t-elle été faite ? Et puis, si je peux récupérer une affiche ou deux, ce n'est pas de refus, c'est pour ma petite collection, parfois même pour les murs de ma chambre (oui, j'avoue, j'ai un léger côté ado qui s'est attardée sur le quai et a laissé passer un certain nombre de trains !!!). Vendredi, donc, j'aurai mon CD dès le matin dans la boîte aux lettres, mais cela ne m'empêchera pas d'aller effectuer mon habituel contrôle à la FNAC, juste comme ça, pour voir...