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07/03/2010

Méthode de dissection : "Thiéfaine au Bataclan"

La pensée du jour : "Je me sentais encore fragile devant chaque plaisir dont il me faudrait jouir sans l'être avec lequel j'aurais tant voulu le partager". Jean-Paul ENTHOVEN.

 

 

2002 : année faste ! Année qui me permit d'aller écouter Thiéfaine deux fois sur scène, d'abord en Bretagne, en août, puis à Metz, en septembre. Le concert de Metz fut précédé d'une rencontre à la Fnac avec l'artiste en personne, s'il vous plaît ! C'était la première fois que je le voyais d'aussi près ! La première fois que je lui demandais d'apposer une petite griffe sur un CD m'appartenant ! Grand jour que ce 20 septembre 2002 puisque c'est ce jour-là que je rencontrai Sam, Petit-Jour, 655321, sans savoir à ce moment-là, évidemment, qu'ils allaient bientôt faire partie de « ma famille, de mon ordre et de mon rang » !!! Bref...

2002, année faste puisqu'elle vit également la sortie de deux CD : « Les fils du coupeur de joints », album-hommage auquel je consacrerai bientôt une note, tiens, et « Thiéfaine au Bataclan ». J'adore ce live ! « Un autre paumé descend les rues de ton ghetto et tu pleures en essuyant ses yeux figés »... Pour moi, ce live, c'est avant tout « Redescente climatisée » ! J'ai réellement pris une claque magistrale en entendant cette version. J'aimais déjà la version studio, mais je trouve que la couleur très sombre que Thiéfaine a choisi de lui faire revêtir ici lui sied à merveille, lui va comme un gant. C'est parée de toute cette noirceur que « Redescente climatisée » prend aussi toute sa force, exprime mieux le drame, la dêche. Chanson sublime, déchirante, sur la drogue, la déglingue, la mistoufle... Si « La dêche, le twist et le reste » raconte un naufrage à deux, ici, c'est la solitude immense qui saute aux yeux (« Je t'ai rêvée ce soir au fond d'une ambulance qui me raccompagnait vers mes noirs paradis », la couleur ayant changé entre la version studio et celle-ci : normal, comme je le disais plus haut, on est ici, passez-moi l'expression, dans le gros noir qui tache)...

Ce live, c'est aussi une version très rock de « Demain les kids ». Encore un habillage bien choisi, une musique qui s'est mise sur son 31. Ce live, c'est « doucement, les filles, faut pas flipper, la bidoche est faite pour saigner ». Très bonne idée que d'interpréter cette chanson sur scène ! Elle fait partie de mes chouchoutes, celle-là ! N'empêche, « j'prends des notes sur la chute des tuiles » (c'est le cas d'RV aussi en ce moment, si j'ai bien compris !!!), « la suite m'a laissé amnésique, j'ai coulé dans mon bathyscaphe sous des uppercuts olympiques qui m'défonçaient le sismographe », « si un jour je r 'trouve la mémoire et 2-3 bières pour ma moquette, j'balanc'rai à la série noire un truc à faire chialer Hammett », c'est puissant !!! Il faudrait que je lise Le faucon maltais, quand même...

J'aime aussi qu'au commencement nous arrive droit dessus « Une ambulance pour Elmo Lewis » ! J'adore cette chanson !

Je suis d'accord avec RV : très bonne interprétation de la chanson « Les dingues et les paumés » (je crois percevoir ce qui te fait halluciner dans ce morceau) , même si pour moi la meilleure restera toujours celle du premier live...

J'aime aussi « Alligators 427 », la batterie, le rythme effréné, lancinant aussi...

Ici, même « Le Touquet juillet 1925 », chanson que je n'apprécie guère d'habitude, même « Le Touquet juillet 1925 » me révèle quelques charmes insoupçonnés...

Très bonne idée encore que ce « Joli mai mois de Marie », plein de grâce, à mes yeux béni entre toutes les chansons de « Défloration 13 » !!!!

La version endiablée de « Soleil cherche futur » n'est pas pour me déplaire non plus !

N'empêche que voici là trois chansons (« Le Touquet juillet 1925 », « Joli mai mois de Marie », « Soleil cherche futur ») que relie un brûlant fil conducteur : le soleil. Quand il ne joue pas sur nous, il déshabille les filles et nous délatte, et le voilà qui se cherche un futur dans ce monde où l'homme s'est déchiré depuis la nuit des temps... « Serions-nous condamnés à nous sentir trop lourds ? »

Je suis très contente aussi que figure ici « Diogène série 87 ». Petit bémol pour mes oreilles de germaniste hautement germanophile : l'accent d'Hubert est à couper au couteau (suisse) !!!!!!!!!!! Les mots sont même carrément difficiles à identifier comme appartenant à la langue de Goethe. Faut venir en cours avec moi, quand je fais de la phonétique et apprends par exemple aux élèves que deux « t » après une voyelle viennent la rendre brève et ouverte (cf. « Spott »). Bon, ce n'est pas bien grave, on ne va quand même pas jeter la pierre à un artiste qui a le mérite de rendre si souvent hommage à la culture allemande !

Le tout s'achève sur « Fin de partie ». « Débris distordus de skylab fossilisés sur ta moquette ». Plus encore que la tournée « Fragments d'hébétude », c'est ce live qui m'a permis de redécouvrir la beauté de cette chanson, je ne sais pas pourquoi. Voilà. Vraiment un live bien mené, excellent, à écouter très régulièrement !

 

 

06/03/2010

Au commencement...

La pensée du jour : "Les monstres galactiques projettent nos bégaiements sur les murs de la sphère où nous rêvons d'amour". Hubert-Félix THIEFAINE

 

 

"au commencement... cet album n'existait pas... n'avait trouvé sa place dans aucun futur discographique... / ... ce nonobstant, une vague idée consistant à capter quelques morceaux pour archives nous avait amenés à installer un minimum de matériel... de ce fait au commencement, il y avait quand même un début... / ... et puis au commencement, il y eut le 29 mars... vendredi saint... à deux pas des Filles du Calvaire... métro Golgotha... la météo lance un avis de tempête... le mauvais oeil approche... sur la scène le rideau se déchire... et un chanteur exsangue mais surtout aphone vient expliquer à une salle comble et surchauffée que le concert n'aura pas lieu... annulé pour cause de virus... virus phagocyteur de cordes vocales... malgré les doses massives de ce remède-miracle qui en 30 ans de service et près de 3000 heures de scène avait toujours fait ses preuves en pareil cas... un de ces remèdes que l'on donne généralement aux éléphants qui ne peuvent plus barrir... / ... au commencement on craint le pire... déjà les services de sécurité se mettent en place, prêts à toute éventualité... / ... mais au commencement, il n'y eut pas le pire... seulement un public triste, frustré, désorienté, abasourdi mais solidaire et le coeur chargé de bienveillance et d'amitié... / ... au commencement, il fut décidé que le lendemain du 28 mars tomberait le 17 mai et tous ou presque décidèrent de garder leur billet et se retrouvèrent à cette date... /...au commencement, le chanteur fut troublé et très touché par ces marques de sympathie ... / ... aussi à la fin du commencement, il demanda à son loyal « indien capteur de sons » de mixer les bandes enregistrées le jour de la Cène... le 28 mars 2002... / ... et voilà pourquoi, à la fin, cet album existe... en remerciement à un public si étonnamment fidèle et compréhensif.

Avec amour

HFT

Forêt du Jura – septembre 2002."

 

Voilà, c'était une petite introduction à la dissection du live au Bataclan, dissection que je vous proposerai bientôt. En attendant, n'hésitez pas à réagir à ces mots d'Hubert-Félix !

03/03/2010

L'homme, animal insomniaque

La pensée du jour : "Je n'ai pas d'idées - mais des obsessions. Des idées, n'importe qui peut en avoir. Jamais les idées n'ont provoqué l'effondrement de qui que ce soit". CIORAN.

Détails sur le produit

Voici donc le texte promis : "L'homme, animal insomniaque", de Cioran. Attention, c'est du lourd !!!!

"Quelqu'un a dit que le sommeil équivaut à l'espérance : admirable intuition de l'importance effrayante du sommeil – et tout autant de l'insomnie ! Celle-ci représente une réalité si colossale que je me demande si l'homme ne serait pas un animal inapte au sommeil. Pourquoi le qualifier d'animal raisonnable alors qu'on peut trouver, en certaines bêtes, autant de raison qu'on veut ? En revanche, il n'existe pas, dans tout le règne animal, d'autre bête qui veuille dormir sans le pouvoir. Le sommeil fait oublier le drame de la vie, ses complications, ses obsessions; chaque éveil est un recommencement et un nouvel espoir. La vie conserve ainsi une agréable discontinuité, qui donne l'impression d'une régénération permanente. Les insomnies engendrent, au contraire, le sentiment de l'agonie, une tristesse incurable, le désespoir. Pour l'homme en pleine santé - à savoir l'animal - il est futile de s'interroger sur l'insomnie : il ignore l'existence d'individus qui donneraient tout pour un assoupissement, des hantés du lit qui sacrifieraient un royaume pour retrouver l'inconscience que la terrifiante lucidité des veilles leur a brutalement ravie. Le lien est indissoluble entre l'insomnie et le désespoir. Je crois bien que la perte totale de l'espérance ne se conçoit pas sans le concours de l'insomnie. Le paradis et l'enfer ne présentent d'autre différence que celle-ci : on peut dormir, au paradis, tout son saoul; en enfer, on ne dort jamais. Dieu ne punit-il pas l'homme en lui ôtant le sommeil pour lui donner la connaissance ? N'est-ce pas le châtiment le plus terrible que d'être interdit de sommeil ? Impossible d'aimer la vie quand on ne peut dormir. Les fous souffrent fréquemment d'insomnies, d'où leurs effroyables dépressions, leur dégoût de la vie et leur penchant au suicide. Or, cette sensation de s'enfoncer, tel un scaphandrier du néant, dans les profondeurs – sensation propre aux veilles hallucinées – ne relève-t-elle pas d'une forme de folie ? Ceux qui se suicident en se jetant à l'eau ou en se précipitant dans le vide agissent sous une impulsion aveugle, follement attirés par l'abîme. Ceux que de tels vertiges n'ont jamais saisis ne sauraient comprendre l'irrésistible fascination du néant qui pousse certains au renoncement suprême.

 

                                                                              ♥

 

Il y a en moi plus de confusion et de chaos que l'âme humaine ne devrait en supporter. Vous trouverez en moi tout ce que vous voudrez. Je suis un fossile des commencements du monde, en qui les éléments ne se sont pas cristallisés, en qui le chaos initial s'adonne encore à sa folle effervescence. Je suis la contradiction absolue, le paroxysme des antinomies et la limite des tensions; en moi tout est possible, car je suis l'homme qui rira au moment suprême, à l'agonie finale, à l'heure de la dernière tristesse."



Alors là, moi je ne dirai qu'une chose : « Qui donc pourra faire taire les grondements de bête,

Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes ? »


En parcourant à nouveau le livre de Cioran, Sur les cimes du désespoir  (le titre est à lui seul une quasi invitation au suicide !!! Comme dirait David Foenkinos, merci du programme !!!!!!!!), je ne peux m'empêcher de voir des parallèles entre la noirceur de Cioran et celle que l'on peut trouver çà et là chez Thiéfaine. Dans ce livre que Cioran a écrit à l'âge de 22 ans, il y a un chapitre sur la mélancolie. Un autre s'intitule « Le pressentiment de la folie », un autre « Sur la mort ». Et il y a encore, outre ce texte que je viens de recopier ci-dessus, un chapitre qui s'appelle « Les bienfaits de l'insomnie » et que je mettrai ici aussi, afin d'offrir un contrepoids à « L'homme, animal insomniaque ». Contrepoids, disais-je. Ouais, si on veut : je viens de lire ce texte, « Les bienfaits de l'insomnie », et il n'est guère gai !!!

Voici la préface de Sur les cimes du désespoir. Une préface signée Cioran :

J'ai écrit ce livre en 1933 à l'âge de 22 ans dans une ville que j'aimais, Sibiu, en Transylvanie. J'avais terminé mes études et, pour tromper mes parents, mais aussi pour me tromper moi-même, je fis semblant de travailler à une thèse. Je dois avouer que le jargon philosophique flattait ma vanité et me faisait mépriser quiconque usait du langage normal. A tout cela un bouleversement intérieur vint mettre un terme et ruiner par là même tous mes projets.

Le phénomène capital, le désastre par excellence est la veille ininterrompue, ce néant sans trêve. Pendant des heures et des heures je me promenais la nuit dans les rues vides ou, parfois, dans celles que hantaient des solitaires professionnelles, compagnes idéales dans les instants de suprême désarroi. L'insomnie est une lucidité vertigineuse qui convertirait le paradis en un lieu de torture. Tout est préférable à cet éveil permanent, à cette absence criminelle de l'oubli. C'est pendant ces nuits infernales que j'ai compris l'inanité de la philosophie. Les heures de veille sont au fond un interminable rejet de la pensée par la pensée, c'est la conscience exaspérée par elle-même, une déclaration de guerre, un ultimatum infernal de l'esprit à lui-même. La marche, elle, vous empêche de tourner et retourner des interrogations sans réponse, alors qu'au lit on remâche l'insoluble jusqu'au vertige.

Voilà dans quel état d'esprit j'ai conçu ce livre, qui a été pour moi une sorte de libération, d'explosion salutaire. Si je ne l'avais pas écrit, j'aurais sûrement mis un terme à mes nuits.

 

"Qui donc pourra faire taire les grondements de bête,

Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes ?"

http://cabaretsaintelilith.hautetfort.com/archive/2009/03...

 

02/03/2010

Cioran et les autres

La pensée du jour : "Je souffre toujours, lorsque je suis couché, de mon absence de bras autour de moi, j'ai très mal à mademoiselle Dreyfus, mais j'ai lu l'autre jour que c'est normal, les gens à qui on coupe une jambe continuent à avoir mal à la jambe qui n'est pas là". Romain GARY

                  

 

Sur les conseils avisés de Fred06, RV et Boub', j'écoute ACDC !! « Highway to hell ». Mais bien sûr, voyons ! Je connais ! Je pense même que mon frangin écoutait ça quand il était jeune !!!

Allez, je vais faire cette note en écoutant ACDC. Comme ça, a priori, je dirais quand même que je ne m'enverrais pas ça à longueur de journée dans les esgourdes ! Et là, je sens qu'une avalanche de reproches va me tomber dessus d'ici peu ! Tant pis, j'assume !!

Ce soir, je voulais vous mettre ici, comme promis, un texte de Cioran. Thiéfaine a dit magnifiquement que l'insomnie était une « indigestion de l'âme ». Il faut croire que l'âme du père Cioran aura dégobillé plus souvent qu'à son tour. Ou plutôt que Cioran aura dégobillé son âme chaque nuit que Dieu fit pour lui... Je signale au passage que j'ai découvert Cioran en 1995. Peu après, j'appris, je ne sais plus comment, que Thiéfaine lisait aussi pas mal ce grand pessimiste devant l'Eternel. Une admiration commune, et une ! Puis, un jour, j'appris que Thiéfaine lisait Romain Gary. Alors là, je fus carrément toute chose parce que Gary, c'est plus qu'un de mes auteurs de chevet, c'est carrément un des hommes de ma vie ! Mon auteur préféré, sans conteste, à tout jamais ! Gary, c'est ça : « La première chose que je peux vous dire c'est qu'on habitait au sixième à pied et que pour Madame Rosa, avec tous ces kilos qu'elle portait sur elle et seulement deux jambes, c'était une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines. Elle nous le rappelait chaque fois qu'elle ne se plaignait pas d'autre part, car elle était également juive. Sa santé n'était pas bonne non plus et je peux vous dire aussi dès le début que c'était une femme qui aurait mérité un ascenseur » (et là, j'ajoute, pour le plaisir : « de 22h43 !!). Et aussi : « Quand on aime comme on respire, ils prennent tous ça pour une maladie respiratoire ». Et : « S'arracher l'idéalisme et l'espoir du coeur, afin de trouver ce repos que connaissent tous ceux qui parviennent enfin à désespérer ». Et cette phrase que Thiéfaine cita lui aussi un jour : « Un idéaliste est un fils de pute qui trouve que la terre n'est pas un endroit assez bien pour lui ». Et puis, cette grandiose réponse que Gary fit à François Bondy quand ce dernier lui demanda s'il avait été heureux dans la vie : « Non... Si. Je ne sais pas. Entre les gouttes ». Et puis, et puis, et puis...

Ensuite, il y a eu ces écrivains vers lesquels Thiéfaine m'a menée : Malcolm Lowry, par exemple. Après avoir écouté à maintes reprises « Pulque, mescal y tequila », quoi de plus naturel que d'avoir envie de lire Au-dessous du volcan, surtout que Brigitte Fontaine évoque elle aussi ce roman dans sa magnifique « Symphonie pastorale ». Un livre déchirant, sublime. Céline, c'est aussi un peu grâce à Thiéfaine que je l'ai lu. Enfin, j'aurais fini par aller le trouver quand même, le Louis-Ferdinand, car c'est un des auteurs préférés de mon père ... qui dit toujours que Céline, c'est tellement noir qu'à la fin on ne peut qu'en rire !!! C'est une façon de voir les choses !! C'est également grâce à Thiéfaine que j'ai relu du Hölderlin il y a quelques années (eh oui, en bonne dingue et paumée, je crois voir venir Dieu, je relis Hölderlin, moi aussi). Quand j'étais étudiante, nous avions évoqué ce poète en cours de littérature, et j'avais éprouvé une immense compassion pour l'homme que fut Hölderlin...
Et vous, y a-t-il comme ça des auteurs que Thiéfaine vous a donné envie de découvrir ? Des chanteurs, des musiciens, peut-être ?

Bon, voilà, maintenant, cette note est trop longue, et j'ai depuis longtemps coupé ACDC qui m'énervait un peu (ouh, la vilaine!!!). Tant pis pour le texte de Cioran sur l'insomnie. Ce sera pour demain !!!