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11/05/2007

Topo du 31 mars (suite et fin)

La pensée du jour : "Vermutlich sind Schriftsteller potentielle Selbstmörder, die sich ins Wort retten, um überleben zu können. Wirklich, ich wüsste nicht, wie ich gewisse Situationen im Leben überstanden hätte, wäre es mir nicht gelungen, sie Satz um Satz in Form zu bringen", Luise RINSER.

 

Suite et fin, donc, de mon topo du 31 mars :

 

 

En 2004, Thiéfaine incarne le diable dans L’histoire du soldat, pièce musicale née de la collaboration du poète Ramuz et du compositeur Igor Stravinsky. Ce rôle lui sied diablement bien et lui permet de déployer un autre talent, celui d’un véritable comédien !

Enfin, en 2005, sort l’album « Scandale mélancolique ». Ici, Thiéfaine collabore avec plusieurs représentants de ce que l’on appelle la « nouvelle scène française » : Cali, Elista, Mickaël Furnon de Mickey 3D, ou encore M.

Cet album est celui de la maturité et de la presque soixantaine. La mort plane sur bon nombre de chansons.

« Libido moriendi », qui ouvre le bal, parle clairement de la faucheuse :

« On attend l’ange inquisiteur

 

dans le calme froid de l’aurore

 

quand les chiens vitreux de la peur

 

flairent l’odeur sucrée de la mort ».
Ou encore :

« On attend l’ultime prédatrice

 

dans sa robe de vamp-araignée

 

et l’acier de son lady-smith

 

au moment du dernier baiser ».

 

 

Ici, l’amour est un « chagrin des glandes », « les joyeux éboueurs des âmes délabrées se vautrent dans l’algèbre des mélancolies », « les morts parlent en dormant et leurs cris oniriques traversent nos écrans vieil écho sibyllin qui bugue entre deux mails avec des mots fusains sous le flou des pastels ». Dans cet album, Thiéfaine contemple son reflet dans la glace et ne s’y reconnaît guère : « Mais mon  regard s’efface je suis l’étranger dans la glace ma mémoire s’efface », chante-t-il. « Les matins bleus de sa jeunesse » semblent se noyer complètement dans la brume. Dans cet album d’une beauté déchirante, l’artiste rend également hommage à ses parents, Maurice et Alice. La boucle est bouclée ! A propos de cette chanson-hommage intitulée « When Maurice meets Alice », Thiéfaine dira qu’avec le temps, on n’est plus dans la révolte contre ses parents. Thiéfaine apparaît comme cet homme sur la jetée qui se retourne sur son passé, constate la fuite du temps et se donne le titre non pas de has been, mais de never been…

 

Pour conclure, j’aimerais me permettre quelques remarques plus personnelles… J’ai découvert l’univers de Thiéfaine en 1992. Depuis, je porte cette œuvre en moi, ou plutôt c’est elle qui me porte. Etrange monde où l’on croise des « mômes kaléidoscopes », des « pauvres petites filles sans nourrice arrachées du soleil », monde d’une poésie un peu décalée, dont les mots cognent parfois avec violence, et, surtout, d’une richesse inépuisable… Si le trait principal qui se dégage de l’univers de Thiéfaine est la mélancolie, une certaine difficulté d’être, pour reprendre les mots de Cocteau, celle-ci n’en est pas moins contrebalancée par des chansons que Thiéfaine qualifie lui-même de récréatives. Il faut, pour s’en imprégner réellement, apprivoiser cette œuvre qui, me semble-t-il, n’a pas d’équivalent dans le paysage musical français.

 

 

05/05/2007

Topo du 31 mars (suite)

La pensée du jour : "Il pleut sans fin il fera beau bientôt", Paul ELUARD.

 

1989 marque la fin de la collaboration avec Claude Mairet.

Vient ensuite, en 1990, « Chroniques bluesymentales », album d’une grande richesse, enregistré à New York : dans « Demain les kids », Thiéfaine s’attaque à ceux qui sacrifient les enfants et fusillent les poètes. L’écriture est ciselée et très poétique :

« Les charognards titubent au-dessus des couveuses

 et croassent de lugubres et funèbres berceuses

 kill the kid

 pendant que nos sorcières sanitaires et barbues

 centrifugent nos clônes au fond de leurs cornues

 kill the kid

 dans les ruines de l’école où brûle un tableau noir

 une craie s’est brisée en écrivant espoir

 kill the kid ».

Dans « Un automne à Tanger », « les vagues meurent blessées à la marée sans lune en venant féconder le ventre des lagunes »…

Dans « Zoo zumains zébus », Thiéfaine déclare :

« Je regarde passer les zumains de ma rue

 un peu comme on reluque au zoo les zébus

 triés normalisés fonctionnels uniformes

 avec leurs initiales gravées sur leurs condoms ».


Coup de gueule contre l’espèce humaine, dont Thiéfaine ne peut pas et ne veut pas s’exclure, ce qui lui fait dire : « 542 lunes et sept jours environ

 que je traîne ma carlingue dans ce siècle marron

 542 lunes et sept jours environ

 et tu vois mon amour je suis toujours aussi con ».

En 1993, c’est « Fragments d’hébétude », qui s’ouvre sur « Crépuscule-Transfert », chanson dont Thiéfaine dira qu’elle aurait pu s’intituler « Sarajevo-Transfert ». Là encore, les gens sont « tristement quotidiens » et se traînent dans leur « normalité baveuse ». Thiéfaine ne s’est pas réconcilié avec la race humaine, au contraire, et il déclare :

« L’horreur est humaine, clinique et banale

 enfant de la haine, enfant de la peur

 L’horreur est humaine, médico-légale

 Enfant de la haine, que ta joie demeure ! »

 Cet album est celui de la quarantaine. « Le vent se lève au large des galaxies et je dérêve dérive à l’infini », chante Thiéfaine dans « Animal en quarantaine ». Dans « Les mouches bleues », il avoue : « Peu à peu je vois s’estomper les rêves de mon esprit tordu je commence même à oublier les choses que je n’ai jamais sues ».

Le bleu du « ciel plombé » est « complètement destroyé », le soleil est écorché. « La terre tremble » et il n’est « pas facile d’apprendre à mourir »…

En 1996 et 1998, sortent respectivement les albums « La Tentation du bonheur » et « Le Bonheur de la tentation », le second étant comme l’écho du premier. Ainsi, dans « La Tentation du bonheur », on trouve « 24 heures dans la nuit d’un faune », « Orphée nonante huit », « La philosophie du chaos » et, dans « Le Bonheur de la tentation », «27ème  heure : suite faunesque », « Eurydice nonante sept » et « Le chaos de la philosophie ».

Cette fois, Thiéfaine déclare ouvertement sa « haine contre la race humaine », dans le grandiose « Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable ».

En 1998, Thiéfaine fête ses 50 ans et, en même temps, ses 25 ans de scène. 25 ans passés loin de tout tapage médiatique. Pourtant, en décembre 98, Bercy (salle pouvant accueillir 17 000 personnes !) affiche complet. C’est la revanche du « vieux désespoir de la chanson française » sur des médias toujours un peu frileux à son égard… A ce sujet, Thiéfaine dira : « Je suis fier d’être mon propre média. Mes fidèles m’aiment pour ça ».

En mars 2001, sort « Défloration 13 », un album qui, comme l’écrit Jean Théfaine, déstabilise beaucoup de gens, en négatif comme en positif. Il est vrai que la première écoute peut dérouter. Mais, très vite, on reconnaît là l’empreinte de Thiéfaine. Cet album est extrêmement audacieux à bien des égards, il fait à présent partie de mes préférés, alors que je n’ai absolument pas accroché au début… Il faut écouter et réécouter cet album aux thèmes très riches : la première chanson, « Une ambulance pour Elmo Lewis », est un hommage à Bryan Jones, fondateur et guitariste des Rolling Stones. « Quand la banlieue descendra sur la ville » présente des accents visionnaires, quand on pense à ce qui devait se passer dix ans plus tard dans les banlieues. « Camélia : huile sur toile » est un hommage à la peinture de Charles Belle. Pour moi, les monuments de cet album sont « Eloge de la tristesse » et « Les fastes de la solitude ».

« Apprends donc à tenir ta laisse t’es pas tout seul en manque de secours la tristesse est la seule promesse

que la vie tient toujours », chante Thiéfaine dans « Eloge de la tristesse ».

Le premier couplet de la chanson « Les fastes de la solitude » donne le ton du morceau entier :

« les fleurs de rêve obscur sécrètent de noirs parfums

 dans la féerie marbrée des crépuscules forains

 théâtre d’harmonies panorama lunaire

 aux délicieuses lenteurs de cortège funéraire

 où les âmes nuageuses nimbées de sortilèges

 s’évaporent dans l’ivresse glacée d’un ciel de neige

banquises phosphorescentes et bleue mélancolie

 qui projette ses violons sur d’étranges rhapsodies

 aux étranges accords sous d’étranges latitudes

 qui te révèlent les fastes de la solitude ».

 

04/05/2007

Topo du 31 mars (suite)

La pensée du jour : "Je reviendrai comme un vieux junkie

m'écrouler dans ton alchimie", Hubert-Félix THIEFAINE.

 

En 82-83, Thiéfaine joue à guichets fermés dans toute la France. Mais, de nouveau, il sombre dans l’alcool et la drogue. Cette fois, la dépression s’installe. C’est à ce moment-là qu’il va élire domicile dans le Jura, à la lisière de la forêt de Chaux. Sa dépression va durer un an.

En novembre 1984, sort l’album « Alambic / sortie sud », caractérisé par une ambiance très particulière, tant au niveau de la musique que des paroles. C’est dans « Alambic / sortie sud », et plus particulièrement dans la chanson « Un vendredi 13 à 5 h », que Thiéfaine répond à une rumeur qui le prétend déjà mort et enterré :

« Ce sera sans doute le jour de l’immatriculée contraception

 

ou une connerie comme ça

 

cette année-là exceptionnellement le jeudi 15 août tombera un vendredi 13

 

et j’apprendrai par Radio-Mongole Internationale

 

la nouvelle de cette catastrophe aérienne dans le secteur septentrional

 

de mes hémisphères cérébelleux… »

 

 

C’est également dans cet album que Thiéfaine chante :

« Nous sommes les naufragés dans cet avion-taxi

 

avec nos yeux perdus vers d’autres galaxies

 

nous rêvons d’ascenseurs au bout d’un arc-en-ciel

 

où nos cerveaux malades sortiraient du sommeil ».

 

 

Les albums s’enchaînent assez régulièrement : en 86, sort « Météo für Nada », dans lequel on trouve des monuments tels que « Affaire Rimbaud », « Bipède à station verticale », « Sweet amanite phalloïde queen ». Dans « Zone chaude, môme », Thiéfaine déclare à la femme aimée qu’il « était temps qu’elle le prenne en main » et qu’il a «cru mourir de froid chez ses contemporains ». Le tout s’achève sur « Errer humanum est », très belle chanson sur la condition humaine… En gros, la vie est décevante, on se prépare à de grandes choses et on reste à l’étroit dans une vie sans surprises :

« On fait Nankin-Ouagadougou

 

pour apprendre le volapük

 

et on se retrouve comme kangourou

 

dans un zoo qui prend les tucs

 

bourlinguer…errer

 

errer humanum est ».

 

 

En 1988, c’est «Eros über alles ». D’entrée, Thiéfaine déclare, dans „was ist das rock’n’roll“, qu’il est un „vieux désespoir de la chanson française“. C’est dans cet album que l’on trouve « Syndrome albatros », l’immense « Droïde song » ou encore « Septembre rose », chanson écrite à l’occasion de la naissance d’Hugo, le premier fils de Thiéfaine. Cette naissance, tout comme celle de Lucas, en 1993, semble apporter un certain équilibre au chanteur. A propos d’Hugo, Thiéfaine dira, par exemple :

« Dernièrement, j’ai été choqué en lisant une interview de Cioran, dans laquelle il disait que la naissance de son enfant avait été sa seule concession. Je comprends très bien ce qu’il veut dire –sa vision de la vie n’est d’ailleurs pas très éloignée de la mienne -, mais en même temps ça m’agace. Je refuse ce genre de cynisme qui balaie la tendresse. Pour moi l’enfant est sacré. Il est le seul générateur de sourire et d’espoir. Choisir d’avoir un enfant a été ma seule et unique révolution –celle qui m’a réconcilié avec la vie ».

 

Dans la chanson « Septembre rose », Thiéfaine écrit :

« Naufragé virtuose

 

d’un amour clandestin

 

dans la métamorphose

 

des embruns souterrains

 

tu jaillis ruisselant

 

d’une vague utérine

 

sur ce ventre brûlant

 

de tendresse féminine ».

 

Ou encore : « Et mon regard prélude

 

le jeu de la pudeur

 

quand par manque d’habitude

 

on s’méfie du bonheur ».

 

En 1993, à l’occasion de la naissance de Lucas, le chanteur écrira également une chanson dont voici quelques extraits :

« T’as mis les cœurs à nu

 

dans mon septembre rose ».

 

et « moi j’écoute ton sommeil

 

et j’étudie tes rêves

 

et je n’suis plus pareil

 

quand le soleil se lève ».

 

 

03/05/2007

Topo du 31 mars 2007 (suite)

La pensée du jour : Ben, pardon, mais ce soir, cela ne volera pas très haut parce que la pensée du jour est de moi! Je voulais simplement dire que je pense que l'humanité est constituée de 95 % de connards, dont peut-être, sans le savoir, je fais partie!!!

Je suis allée à un stage Education nationale cet après-midi. Sur mon temps libre et sans remboursement des frais de transport (alors que le bidule se faisait à 65 bornes de chez moi), soit dit en passant. La formatrice avait apporté des documents passionnants, mais n'en avait pas assez pour tout le monde. Elle a répété cent fois qu'elle était désolée, qu'elle n'attendait pas une telle foule (organisation Educ'nat'), mais elle a précisé qu'il fallait partager. Eh bien, ma voisine, elle, a tout pris pour elle, je suis revenue sans rien, comme une pauvre tache!!! En même temps, je n'ai pas non plus cherché à me battre pour trois feuilles. Si cela lui faisait plaisir, à cette conne, de tout faucher pour sa gueule, grand bien lui fasse! Si elle n'a que ça qui la fasse jouir dans la vie, c'est bien triste et, finalement, les feuilles, je les lui abandonne de bon coeur tant elle me fait pitié! Enfin, quand même, ne rions pas trop avec ces choses-là : ces spécimens sont censés éduquer les enfants de la nation!!!!! (Excusez-moi pour ce coup de colère, je suis désolée d'employer des mots grossiers mais, comme Giono, je leur reconnais une valeur thérapeutique).

Allez, remettons-nous du baume au coeur avec Thiéfaine : 

En avril 79, Thiéfaine passe au Printemps de Bourges. Parallèlement à cette explosion, il plonge dans l’alcool et la drogue, univers que l’on retrouve souvent dans ses chansons. Les albums s’enchaînent puisque, en 1980, c’est la sortie de « De l’amour, de l’art ou du cochon ? », dans lequel Thiéfaine déclare en ouverture : « Si j’étais Dieu, je croirais pas en moi ». On est donc assez loin de la prétendue vocation religieuse ! Il clame également : « Je ne chante pas pour passer le temps mais pour me rendre intéressant ». Cet album est d’une grande beauté, on peut y entendre le magnifique morceau « Vendôme Gardenal Snack », dont voici quelques extraits :

« tu traînes dans mes nuits comme on traîne à la messe

 

quand on n’a plus la foi et qu’on ne le sait pas »…

 

« je laisse derrière toi des mégots de boyards

 

le cri d’une chanson et des bouteilles vides

 

au hasard de ma route entre deux quais de gare

 

je ne fais que passer je n’aurai pas de rides… »

 

« tu vois des cathédrales qui affichent mon nom

 

pour un dernier concert à l’envers du décor

 

tu vois des échafauds qui tranchent l’innocence

 

et répandent la vie à trois mètres sous terre

 

où l’on voudrait aller quand on a joué sa chance

 

et qu’on reste k.o. la gueule au fond d’un verre ».

 

 

Financièrement, c’est beurre dans les épinards et compagnie. Mais la vie personnelle de Thiéfaine s’effrite. Sous l’effet de la drogue, il est la proie d’hallucinations et d’images de mort. C’est à cette époque qu’il travaille à l’album « Dernières balises avant mutation », dont il dira que c’est là un disque à l’écriture très junkie. La pochette de l’album donne d’emblée le ton : on y voit une petite fille maquillée à outrance et dans une tenue pas tout à fait de son âge, la cigarette aux lèvres. Près d’elle, une bouteille d’alcool. Le tout posé dans un décor glauque : un couloir sombre menant à une porte pas franchement engageante… La drogue est très présente, en effet, notamment dans la chanson « Redescente climatisée » :

« Un autre paumé descend les rues de ton ghetto

 

et tu pleures en essuyant ses yeux figés

 

combien de mutants ayant rêvé ton numéro

 

se sont perdus croyant l’avoir trouvé ? »

 

 

Je ne peux évoquer cet album sans parler de « Mathématiques souterraines », morceau dans lequel, il y a presque quinze ans, une phrase (« tu voudrais qu’il y ait des ascenseurs au fond des précipices ») me fit l’effet d’un électrochoc et me donna envie de me plonger complètement dans l’univers de Thiéfaine.

Un matin où il prend peur devant son teint livide, Thiéfaine décide d’aller se ressourcer au parc de la Vanoise, à 2 000 mètres d’altitude. Il en revient avec la ferme volonté de changer de vie.

Le 2 novembre 1981, il passe à l’Olympia. La presse est enthousiaste.

En 1982, Thiéfaine rencontre Francine Nicolas, dont il aura deux enfants par la suite, et qui, dès 1987, va être son manager.

Vient ensuite « Soleil cherche futur ». Alors qu’il enregistre cet album, Thiéfaine apprend le décès de son père. Cet album baigne dans une atmosphère très particulière, pas forcément joyeuse, avec « Les dingues et les paumés », le lancinant « Ad orgasmum aeternum », le magnifique morceau « Autoroutes jeudi d’automne », entre autres, et l’on peut se demander dans quelle mesure ce n’est pas, tout simplement, le futur qui cherche un soleil ! Dans cet album, Thiéfaine évoque sa frangine, sa compagne d’infortune, la mélancolie. Dans « Soleil cherche futur », il dit : « Et moi je reste assis les poumons dans la sciure

 

A filer mes temps morts à la mélancolie ». On trouve d’autres morceaux d’anthologie dans cet album, notamment : « C’est depuis le début du monde

 

Que l’homme s’est déchiré »,  « Les monstres galactiques projettent nos bégaiements

 

Sur les murs de la sphère où nous rêvons d’amour » ou encore : « Elle m’envoie des cartes postales de son asile

 

M’annonçant la nouvelle de son dernier combat

 

Elle me dit que la nuit l’a rendue trop fragile

 

Et qu’elle veut plus ramer pour d’autres Guernica ».  Voilà un album dont, grâce aux interventions de Yoann, vous allez  pouvoir découvrir un certain nombre de morceaux : « Lorelei Sebasto Cha », « Autoroutes jeudi d’automne », « Les dingues et les paumés ».

 

02/05/2007

Topo du 31 mars 2007

La pensée du jour : "Commencer en poète et finir en gynécologue! De toutes les conditions, la moins enviable est celle d'amant".
A votre avis, qui a bien pu écrire une chose pareille? Il n'y en a qu'un, non, pour oser tout massacrer ainsi en deux temps trois mouvements? Ben oui, c'est Cioran! Personnellement, j'adore!

 

Je vous propose de découvrir le topo que j'avais présenté le 31 mars à Paris lors de notre petite réunion consacrée à Hubert. J'avais choisi de dire, dans leurs grandes lignes, la vie et l'oeuvre de Thiéfaine. Voici donc le début :

 

Si l’on en croit Hubert-Félix Thiéfaine, cela fait « deux cent mille ans déjà qu’il zone sur la terre dans le grognement lourd des groins qui s’entrechoquent ». Il est né, comme il le dit lui-même dans une de ses chansons, « d’une vidange de carter séminal dans le garage intime d’une fleur sentimentale ». C’était le 21 juillet 1948, à Dole, dans le Jura, cette petite ville dont l’artiste ne dira pas que du bien dans sa chanson « Villes natales et frenchitude »… Selon lui, il ne s’y passe rien, il ne faut pas rêver d’une tornade dans ce lieu qui est à Thiéfaine à peu près, semble-t-il, ce que Charleville était à Arthur Rimbaud…

D’avant la naissance, Thiéfaine garde cette image de lui-même ayant essayé d’assassiner son double dans le ventre de sa mère… La naissance apparaît comme un traumatisme, qui nous mène loin de « la chambre des éprouvettes » et du « rougeoiement des planètes »… « La vie c’est pas du Bubble-gum », chante Thiéfaine, il paraît même que « rien que le fait de respirer lui fout des crampes dans le sternum »…

Ces quelques mots donnent déjà une idée, je crois, de l’univers dans lequel évolue l’artiste. Toute son œuvre porte le sceau d’une profonde mélancolie et d’une certaine incapacité à être heureux, sans doute parce que ce mot est embarrassant, rempli de trop d’images négatives pour Thiéfaine. A propos du bonheur, il dira :

« ça fout la trouille, parce qu’on a toujours peur de le perdre. Quand on est désespéré, on n’a rien à perdre ». Ou encore : « Le bonheur, ça ne peut pas fonctionner dans mon monde. Je ne peux pas le chanter. (…) Chaque fois que je pense bonheur, je vois un vieux bourgeois assis dans un fauteuil. Ça, je ne peux pas ».

Où faut-il chercher l’origine de cette fêlure intime ? En partie dans l’enfance, peut-être. Cette période de sa vie, Thiéfaine la passe dans le Jura. Son père, Maurice Thiéfaine, travaille dans une imprimerie. Hubert-Gérard-Félix Thiéfaine est le cinquième enfant qui naît de l’union de Maurice et d’Alice.

L’enfance de Thiéfaine est assez marquée par le catholicisme. Alice, sa maman, fait le catéchisme aux enfants du village. « Des prêtres passent régulièrement à la maison », comme l’écrit Jean Théfaine dans la biographie qu’il a récemment consacrée à l’artiste. D’ailleurs, un des frères de Maurice était curé. Thiéfaine ne tentera-t-il d’ailleurs pas lui-même de se convaincre (et de convaincre son entourage) qu’il a la vocation pour la religion ?!

De son enfance, Thiéfaine dit : « Jusqu’à sept ans, j’ai été heureux ». Ensuite, c’est la déchirure avec l’entrée dans le système scolaire. Thiéfaine va être plusieurs fois ballotté entre l’école laïque et l’école libre. A chaque passage d’un monde à l’autre, on fera sentir sa différence à Thiéfaine. Face à la cruauté ambiante, il va se créer son propre univers et se retirer dans cette vie intérieure. Au petit séminaire, ce sera son échappatoire. Qui sait si son imagination, à ce moment-là, ne lui a pas déjà fourni le terreau sur lequel pousserait ensuite cet univers lunaire qui lui est propre ?

« Les surveillants fouillaient dans nos placards, dans nos pupitres, lisaient nos lettres. Bref, le dernier endroit intime qui me restait, c’était ma tête. Là, les pions ne pouvaient pas entrer. Seulement, avec toutes les tensions, les humiliations et les injustices, j’avais toujours peur que mon crâne n’explose, fallait trouver un exutoire, quelque chose pour faire baisser la pression, et c’est là que j’ai commencé à écrire mes premières chansons », expliquera Thiéfaine en 1983 dans le journal Le Monde.

C’est ainsi qu’en cinquième, Thiéfaine signe sa première œuvre, « Merda zuta twist », une critique plus ou moins voilée du petit séminaire. Il travaille également l’harmonium, le piano et le chant.

Le petit séminaire, même si ce n’est pas l’enfer absolu, ressemble trop à un carcan aux yeux d’Hubert. Lorsqu’un jour un camarade lui reproche de ne pas agir en conformité aux préceptes de la Bible, il répond : « La Bible, je l’ai au cul ! ». On somme Thiéfaine de finir sa seconde et de quitter ensuite l’établissement. A partir de septembre 1965, il va aller chez les jésuites, à Dole.

L’écriture commence à faire partie intégrante du quotidien du jeune Hubert. Au lycée, il rencontre Claude Mairet, qui sera son guitariste de 1979 à 1989.

L’année durant laquelle il redouble sa terminale va marquer une étape importante de sa vie, puisque c’est à ce moment-là qu’il découvre les surréalistes. Ensuite, il s’inscrit à la faculté de droit de Besançon. Mai 68 fait rage, Thiéfaine a vingt ans. Il n’adhère pas au mouvement de révolte étudiante, loin s’en faut. Plus tard, dans la chanson « 22 mai », il dira assez clairement le fond de sa pensée : un séminariste percute de plein fouet un pylône (garé en stationnement illicite !), et « ce fut sans doute l’événement le plus important de ce mois de mai » !! De même, les études ne sont pas la préoccupation principale de Thiéfaine : aux cours de droit, il préfère les Doors, les Pink Floyd, Jimi Hendrix, les Who, Bob Dylan, ou encore Léo Ferré ! Il avouera plus tard avoir fait la connaissance de certains profs le jour de l’examen !

Après cet essai peu concluant, Thiéfaine s’inscrit en faculté de psychologie. En 1969, Claude Mairet resurgit dans sa vie.

Abandonnant une bonne fois pour toutes ses études, Thiéfaine quitte le Jura pour Paris. Il y arrive le 17 novembre 1971. Pour tout bagage, il a un peu plus de vingt ans, une guitare et un sac à dos ! C’est alors que commence, pour reprendre ses mots, une période de dèche et de twist… Il dort parfois sous les ponts, il souffre d’une carence en vitamines. A la même époque, sa mère meurt.

A la fin des années 70, Machin, un groupe de « folk déconnant », fait son apparition dans la vie de Thiéfaine. Tony Carbonare, un des membres du groupe, saura imposer son ami à Hervé Bergerat, producteur à qui il dira, en gros et en détail : « Si tu veux le prochain album de Machin, tu prends celui de Thiéfaine ».

Le tout est mis en boîte en cinq jours. Ce sera « Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir », album dans lequel on trouve déjà l’écriture Thiéfaine, à nulle autre pareille. « J’arriverai par l’ascenseur de 22h43 », chante-t-il en ouverture. D’emblée, on pénètre dans un univers légèrement surréaliste, où l’on est « invité à laisser l’Etat dans les WC où on l’a trouvé en entrant ». On rencontre déjà certains des personnages qui vont être comme les emblèmes de l’œuvre de Thiéfaine : le surveillant général qui vient de sortir de son laboratoire, Borniol, un fou qui a chanté 17 fois et qui a fini par mourir de désespoir, et l’incontournable fille du coupeur de joints ! Sous les accents un peu loufoques, on sent poindre une certaine tristesse. C’est sur cet album, par exemple, que l’on trouve la majestueuse chanson « La dèche, le twist et le reste ».

« Tous les deux on pousse nos haillons

dans un igloo à bon marché

sous les toits d’une masure bidon

en compagnie des araignées »…

« Moi je bricole et je fabrique

des chansons qui sont invendables »…

En 1979, les choses s’accélèrent. Claude Mairet refait surface. En février, le deuxième album de Thiéfaine, « Autorisation de délirer », est sorti. Là encore, on croise des personnages qui vont devenir totalement emblématiques de l’univers thiéfainien : la vierge au dodge WC 51, la môme kaléidoscope qui habite rue des amours lynchées, par exemple. Et l’album s’achève sur le puissant « Alligators 427 » « aux ailes de cachemire safran », vision apocalyptique d’un monde ravagé par le nucléaire. 

 

Suite au prochain numéro!